Après avoir réalisé pour les lecteurs du Matin du Sahara Magazine cet entretien, je lui ai demandé de me donner son stylo (celui que je tiens dans la main sur la photo) afin d’écrire son adresse. J’ai écrit le nom et le prénom, mais je n’ai pas pu continuer car il n’y avait plus d’encre dans le stylo.
Alors je lui ai dit : « Il n’y a plus d’encre dans votre stylo ». Il m’a répondu : « Peut-être qu’il est mort ! » Et ça a été un motif pour rire et échanger des anecdotes sur les stylos. 24 heures après… La mort tragique l’attendait au tournant ! Et durant son séjour à Oujda, il disait qu’il avait un rendez-vous, et qu’il ne pouvait pas rester parmi nous au-delà du samedi. Avec qui avait-il ce rendez-vous ? Il ne le dit pas. C’était peut-être avec la mort !
Mouloud nous a quittés en tant qu’être vivant mais son œuvre et la chaleur de ses sentiments envers ses lecteurs resteront pour toujours des phares scintillants qui nous rappelleront la candeur et la spécificité de cet homme original qui a su réussir un mélange subtile entre sa culture kabyle et son savoir occidental.
Il est difficile d’évoquer dans un entretien des problèmes aussi compliqués que ceux du spécifique et de l’universel dans la littérature Nord africaine d’expression française.
Mais l’utilité d’une telle tentative réside dans la rencontre de l’un des premiers romanciers Kabyle d’expression française, dont l’expérience personnelle est étroitement liée à ce problème. Car quand on l’a vécu soi-même, qu’on l’a palpé existentiellement comme l’a fait le défunt Mouloud Mammeri, cette expérience ne peut que subir le feu des polémistes.
Pour avoir une idée succincte sur cette expérience, nous avons réalisé le présent entretien deux jours avant la mort accidentelle de Mouloud Mammeri.
Le Matin du Sahara Magazine : Quels sont les rapports que peut prendre le problème de la spécificité et de l’universalité pour la littérature Nord africaine d’expression française ?
Mouloud MAMMERI :J’avoue que je suis très satisfait d’évoquer ce problème car j’avais l’habitude, quand j’étais jeune, de ne vivre ce problème qu’à partir du jugement des autres. C’était les autres qui nous jugeaient alors qu’on était le sujet et la matière. Pour les autres notre présence était transitoire, ludique, secondaire et exotique. On n’a jamais été les véritables sujets des problèmes posés.
Mon expérience personnelle avec ce sujet a commencé lorsque j’étais au lycée à Rabat. Dès lors j’étais très catastrophé par la tournure générale de l’enseignement que je recevais. Il est certes que j’avais de bons professeurs, mais il y avait toujours une perspective qui me gênait du moment que je me suis rendu compte qu’il était question de tout le monde sauf de nous, les Nord Africains. On était des étrangers dans l’enseignement qu’on recevait. Et quand on est jeune, cette expérience laisse une trace car elle a fini par créer en nous cette réaction de se sentir péjorativement jugé.
LMS : Puisque vous parliez d’une expérience vécue, peut-on évoquer avec vous un cas précis et qui a un rapport étroit avec la problématique posée ?
M. M. : Quand j’étais en troisième, nous avions à expliquer un texte en latin, qui s’appelait La Guerre de Jugurtha ; et c’est alors que j’ai fait l’admiration de mon professeur. Car quand il nous donnait quinze lignes à préparer je lui rendais cinquante. Chose qui a poussé ce professeur à se demander le pourquoi de cela.
Ces questions se sont encore posées, quand on était passé de Salluste à Virgile car avec les textes de Virgile je ne faisais que le nombre de lignes qu’on me demandait.
Alors un matin, notre professeur de latin s’amène triomphant et s’adresse à la salle en ces termes : « J’ai enfin compris pourquoi Mammeri écrivait trois fois plus pour La Guerre de Jugurtha, car Jugurtha est l’ancêtre des Nord Africains ».
J’ai donné cet exemple pour faire saisir comment le problème des rapports entre la spécificité et l’universalité pouvait se poser pour les gens de ma génération.
« Se définir par rapport aux autres »
Sur le plan théorique, le problème se pose de la façon suivante : Etre soi, c’est être au monde, mais sous quel visage ! Et c’est là que réside le problème, car on est obligé de se définir par rapport à soi-même mais aussi par rapport aux autres. D’autant qu’on est pris dans une espèce de dilemme, car ou bien on est spécifique, mais le risque apparaît tout de suite car être spécifique c’est se définir par quoi on ne ressemble pas aux autres.
C’est ainsi que le risque réapparaît de nouveau quand on va s’enfermer dans une espèce de définition de nous-mêmes, et qui peut aussi affirmer qu’on est incapable d’agir par notre spécificité. Cela condamne notre spécificité à un usage purement solipsiste et qui rate l’expérience des autres. _ La deuxième solution consiste à être universel, et c’est le revers de la médaille car on risque de renoncer à soi sous le prétexte de ressembler aux autres. Devant ce problème, je ne me présente pas en totale innocence car je l’ai vécu depuis longtemps sans pouvoir le résoudre dans une espèce de totale objectivité.
L.M.S. : Alors comment faire pour concilier les avantages de la spécificité avec ceux de l’universalité ? Est-ce que cela est possible ? Et quelles sont les conditions inévitables par lesquelles il faut passer pour espérer une conciliation possible ?
M. M. : Je pense qu’on a affaire là à un vœu magnifique, mais comme tous les vœux il ne tient qu’à un poil. Les écrivains de ma génération savent le prix qu’on a payé pour réaliser cette irréalisable conciliation.
En simple logique, être spécifique, c’est être différent, mais dans la réalité on ne sait distinguer le spécifique de l’universel. Le premier aspect nous enferme dans notre ghetto culturel et le second nous fait semer à tous les vents. Là, j’ouvre une parenthèse pour dire que la première bonne définition de l’universalité a été donnée par un écrivain maghrébin, qui avait pour nom Térence, il y a plus de vingt-deux siècles. Pour Térence, l’universalité est d’être un homme pour qui tout ce qui est humain n’est pas étranger.
Donc, vous voyez que cette problématique a été évoquée depuis fort longtemps. Il est certes que ce problème est compliqué car où faut-il chercher cette universalité ? Pour des raisons historiques les écrivains de ma génération sont allés la chercher dans la culture chrétienne occidentale. C’est l’Occident qui a été pour nous l’universel à cause ou grâce à l’enseignement qu’on a reçu dans les écoles françaises. On a été acculé à définir l’universalité par la spécificité des autres. Donc, c’est un dilemme qui n’est pas logique et dans lequel on s’installait inconfortablement. Et toutes les réponses qui ont été données étaient à la fois personnelles et existentielles.
« Un commencement absolu »
L.M.S. : Pensez-vous que la littérature des années cinquante, qui a brusquement apparu à la fois au Maroc, en Algérie et en Tunisie est un phénomène inouï pour les problèmes qui nous préoccupent pour le moment ?
M. M. : Oui, cela est vrai, car cette littérature est apparue comme un commencement absolu. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas d’écrivains avant cette date, car il y en avait qui ont marqué par leur empreinte la littérature des aïeux, mais étant donné le contexte politico-social dans lequel on était inséré on ne pouvait offrir que la production littéraire qu’on a offerte.
Il a fallu absolument que les écrivains de ma génération s’insèrent dans la littérature française de façon à ce qu’ils disparaissent dans le décor.
Et il leur a fallu deux propos délibérés. Renoncer à une espèce de spécificité pour rattraper une universalité qui était en réalité la spécificité des autres. Mais ce qui s’est passé historiquement a démontré que les valeurs prônées par les Occidentaux étaient aux dépens des Maghrébins.
Puis, par l’épreuve de vérité historique, ils ont changé d’option afin de ne plus tricher avec la vérité.
L.M.S. : Après cette première partie qui était réservée au spécifique et à l’universel, passons à des thèmes d’ordre général. Jean Déjeux dans La Littérature maghrébine d’expression française vous a qualifié d’écrivain contestataire, alors que d’autres critiques pensent autre chose. Quelle est votre réponse ?
M. M. : Je pense que pour l’essentiel du point de vue de Jean Déjeux, il est vrai dans la mesure où je considère le rôle de l’écrivain et sa motivation pour défendre un certain nombre de valeurs comme des idéaux nobles, surtout quand ils sont écrasés et niés dans les faits. Je pense que les hommes sont libres de vivre comme ils veulent, et que tout régime qui nie leur liberté, qui nie leur honneur et qui tend à les contraindre doit être contesté. Et c’est le rôle de l’écrivain.
L’écrivain n’est pas un homme politique, il est plus que cela, et quand le politicien ne peut trancher pour d’autres considérations, l’écrivain est libre dans ses propos. Il doit toujours rappeler le caractère absolu d’un certain nombre de valeurs.
« Je ne fais pas la contestation pour la contestation »
Cependant, il ne faut pas faire une formule « appuie bouton », car je ne fais pas la contestation pour la contestation.
L.M.S. : « Et que dites-vous de la contestation dans l’art ? »
M.M. : Je pense que l’essentiel réside dans le fait d’avoir quelque chose à dire. La technique n’est qu’un moyen. Elle est un instrument pour faire passer quelque chose. Or, il ne faut pas que cet instrument devienne l’essentiel car l’essentiel est ce qu’on dit. Il faut aussi ne pas faire passer le souci de la contestation dans l’art pour le plaisir de la forme. Et si on n’a rien à dire dans cette forme, il est préférable de se taire.
L.M.S. : Changeons de genre et passons au cinéma. On sait que la guerre de la libération algérienne a été connue par les cinéphiles grâce à deux films : La Bataille d’Alger et L’Opium et le bâton. A ce sujet, une question s’impose d’elle-même : Est-ce que Mammeri a reconnu son roman dans le film ?
M.M. : Non ! A mon avis, ce sont là deux langages différents et deux discours différents.
Concernant le film, je n’ai pas accepté le scénario, pas seulement parce que je suis l’auteur du roman, mais il me semble que le film privilégiait une sorte de vision western. Il présentait les choses d’une façon manichéenne en classant les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. Or, cela ne correspond pas à la réalité et à la profondeur des choses. Certainement, le film a eu un grand succès et a permis aux jeunes algériens de voir sur l’écran comment leurs parents ont vécu le joug colonial.
A part cela, je ne nie pas qu’on peut faire de très bons films historiques, car j’ai vu trois versions de Guerre et paix de Tolstoï dont deux étaient superbes. Mais ce n’est pas ce que Tolstoï a dit dans son roman Guerre et paix.
L.M.S. : Vous êtes l’un des premiers à écrire en français au Maghreb. Est-ce que Mouloud Mammeri se reconnaît dans les nouveaux romans maghrébins ?
M.M. : J’avoue que je ne cherche pas à me reconnaître dans ces romans, je suis bien content que les jeunes écrivains inventent une façon nouvelle pour s’exprimer et aient de nouvelles choses à dire. C’est leur temps et ils doivent refléter leur époque dans leurs écrits : A deux époques historiques différentes correspondent deux formes littéraires. En plus, ces jeunes écrivains sont obligés de tenir compte de ce qui se passe en Europe surtout avec la vague du nouveau roman et des autres expériences. Ce qui prime, ce n’est pas la marque du verre mais son contenu.
L.M.S. : Est-ce que vous êtes toujours en contact avec l’écriture romanesque et théâtrale ?
M. M. : Oui, je travaille actuellement sur un nouveau roman et une troisième pièce de théâtre, et j’espère continuer jusqu’à la fin de mes jours.
(N.B. C’était le samedi 25 février, mais malheureusement la mort l’attendait 24 heures après, et ni le roman, ni la troisième pièce n’ont été achevés.)
L.M.S. : Et pourquoi ce passage au théâtre ? Est-ce pour une raison d’efficacité ou pour des raisons esthétiques ?
M.M. : C’est le sujet qui m’a imposé cette forme théâtrale. Je suis certain que lorsque le thème évoque une lutte et une confrontation soit d’idées ou de personnages ou de drame, dans son sens le plus classique, il est préférable d’écrire une pièce de théâtre. Ces personnages, par leurs positions l’un par rapport à l’autre, font apparaître des tas de choses profondes avec peu de répliques. Dans un roman, on est obligé d’écrire plusieurs pages pour présenter une seule idée. C’est pour cela d’ailleurs que je pense que le théâtre est percutant. Il est défini par la concentration des personnages sur leurs propos et leurs sentiments.
Concernant la création théâtrale, je n’en ai fait que deux. Le Fœhn, qui est un vent terrible et qui rend un peu fou les gens. Le prétexte c’est la bataille d’Alger pendant la guerre de libération. Et puisque j’ai vécu cette expérience, cela m’a plus ou moins facilité la tâche et m’a motivé.
La deuxième pièce a pour nom Le Banquet et s’articule autour de la conquête du Mexique par les Espagnols.
Avant cette conquête, les Mexicains avaient une civilisation extraordinaire, mais à cause de l’occupation espagnole, cette civilisation a été réduite à néant.
Je récapitule en disant que les deux pièces évoquent la lutte des hommes pour retrouver leur dignité bafouée par deux puissances coloniales.
Source : Le Matin du Sahara N° 6632 du 12 mars au 19 mars 1989 (Supplément)
29 avril 2010 à 2 02 49 04494
Posté par meriem, 13 Mars, 2010
mouloud a affirmé: » les hommes sont libres comme ils veulent, tout regime qui nie leur liberte, et tend a les contraindre doit etre conteste » c’est du blablabla. la liberte est une illusion pour les uns et une réalité pour les autres,mais minoritaires. ls premiers ont une caserne dans leurs têtes et ne vivent que par les reflexes,preuve qu’ils sont malades. les seconds sont passifs et attendent que la victoire,leur soit donnée sur un plateau,sans pour autant s’engager politiquement et même par d’autres moyens plus efficaces. le probleme est là et les journaux dits indépendants comme elwatan,liberte,le matin et même arabophones ont toujours utilisés les deux poids deux mesures à l’encontre d’une opposition réelle et efficace,comme ce fut le cas avec le trio(FIS-FLN-FFS). la liberté d’utiliser la politique du mensonge et de la manipulation contre l’opposition reelle et non formelle,a été instrumentalisée par le pouvoir en place(par le biais de ces medias),pour justifier le coup d’état perpetré contre la victoire des trois fronts. je dirai à celui qui va lire ces postes(le fameux Goebels).ne vous en faites pas,on est pas dupés à ce point pour croire que les communistes staliniens,sont démocrates:tout le monde sait cela,même ceux qui font l’éloge,sur ce sîte, au tristement démo(n)crate « Benchicou » and co,et par naiveté ne savent pas qu’il travaille à la solde de la DRS. alors monsieur mouloud ne dit pas que nos regimes dictateurs soient contestés mais ces medias usurpateurs qu’il faut dénoncer. je sais que ce post,comme les autres ne passera pas.
29 avril 2010 à 2 02 50 04504
Posté par mouloud, 04 Mars, 2010
Bonjour, » les hommes sont libres comme ils veulent, tout regime qui nie leur liberte, leur et tend a les contraindre doit etre conteste » pourrait il y avoir engagement plus fort, plus humain? bien au dela des politiques qui helas meme « democrates » tombent dans le compris qui devient vite en algerie, compromission. Dans notre pays ou la servilite et l`espri d`allegeance ont gagne meme certains ecrivains, et un grand nombre de politiques dont le souci n`est ni la liberte ni l`honneur mais le poste et ses privileges qui ne peuvent etre obtenus que par la soumission au Maitre. Mameri etait il engage? quelle question? ses conferences, parfois tolerees, souvent censurees, interdites, sous la menace, l`intimidation peuvent elles laisser planer le doute? faut il le rappeler? Merci a mameri de m`avoir evite de sombrer dans l`amnesie, succomber au reniement de soi, aujourdh`hui si repandus. Merci a cet article de nous le rappeler. Compte a sa mort, helas, les algeriens s`accommodent plutot bien au deni de justice. Les raisons de sa mort? et celles de abbane, maatoub, boudiaf…tounsi, tiens? Le cregne du regime FLN qui nie notre liberte, notre honneur et nous contraint chaque jour un peu plus EST IL conteste? Autres temps, autres grands, autres moeurs et minables personnages. L`empereur bouteflica possede d`autres truca pour nous humilier un peu plus Mmouloud
29 avril 2010 à 2 02 51 04514
Posté par Nat Mzab, 03 Mars, 2010
Azul/salam/salut Mouloud MAMMERI, cette grande figure emblématique de la culture algérienne, ce modeste et grand homme de savoir (Amusnaw amuqṛan) et de clarté, avait quitté ce monde bas un jour que la date commémorative : le 26 février 1989 restera à jamais indélébile ; tandis que la date du 28 décembre 1917 avait marqué sa naissance et l’arrivée d’un Azmul (Symbole) historique pour prendre le flambeau de la renaissance de la langue amazighe moderne avec tous ses versants culturels. La mort l’avait emporté juste après sa participation au colloque d’Oujda (Maroc) en revenant à son pays. Son premier terrain d’action a été toujours la culture et la langue amazighes. Il a été de toute sa vie le défenseur d’une langue orale (en passage à l’écrit) menacée plus qu’auparavant par une disparition pure et simple. Cette langue algérienne à laquelle DDA LMULUD a redonné vie, continue de participer à l’enrichissement de cette œuvre culturelle de l’humanité que tous les peuples doivent contribuer à sauvegarder, à produire et à diffuser avec toute noblesse et fierté. Bien à ses débuts, DDA Lmouloud avait commencé un jour par son premier article sur la société amazighe, et ce, à l’âge de vingt ans. Peut-on dire à présent que la société amazighe résiste et persiste ? Le Grand Amusnaw dda Lmulud ne mourra jamais. Cet Homme n’a de toute sa vie rien fait contre sa conscience linguistico-culturelle en dépit que le pouvoir le lui avait bien demandé et imposé. Et comme le dixit Einstein : « N’essayez pas de devenir un homme qui a du succès. Essayez de devenir un homme qui a de la valeur. » Et c’est bien entendu la valeur de l’âme qui demeure éternelle. Les communautés topolectales amazighes, dans lesquelles DDA Lmouloud demeure pour toute l’histoire l’une des figures les plus déterminées-déterminantes, connaissent aujourd’hui un grand travail sur leur langue maternelle. Et, même bien après sa mort, la parole du fils de l’Algérie finira par triompher. Je vous communique infra une partie * de la dernière conférence qu’avait donnée Feu Mouloud Mammeri au village universitaire de l’U.S.T.H.B. (Alger, Bab Ezzouar) vers la fin de 1988. Elle s’intitule « Poésie berbère de Kabylie ». Serait-elle la dernière conférence qu’il avait donnée avant sa mort ? Bonne lecture. Timensiwin/Bonne soirée. Nat Mzab Poésie berbère de Kabylie Par feu Mouloud MAMMERI * Très malheureusement l’enregistrement de cette conférence est de mauvaise qualité, chose qui m’avait permis de la rapporter jusqu’à sa fin. Tout de même, j’ai tenté de la rapporter dans sa plus vraie forme possible en respectant et les répétitions des mots et les explications qui seront mises entre deux parenthèses. (…) Avant de commencer, je voudrais évoquer un petit fait, qui est le suivant : il est évident qu’après ce qu’on appelle pudiquement maintenant les événements (de, de) d’octobre, il est, je croix, difficile de parler de quelque sujet que ce soit, sans au moins faire allusion aux conditions nouvelles qui se sont instaurées depuis, et pour lesquelles naturellement un prix très fort a été payé. Mais cela je n’ai pas besoin de vous le dire, parce que je pense qu’il est presque indécent qu’après des événements pareils de faire quelque discours que ce soit, pare ce que quelque discours que ce soit restera toujours en deçà de la réalité. Ceci dit, je vais passer au sujet pour lequel nous sommes aujourd’hui réunis. Il est exact (que) qu’ainsi que votre camarade vient de l’évoquer que, en même temps, (que) quand j’avais votre âge, j’ai commencé à écrire des romans, un roman à ce moment-là. Je m’étais intéressé très tôt, très jeune à ce qui est une composante absolument essentielle de la culture de ce pays, à savoir la culture qui était la mienne, la culture dans laquelle j’avais grandi, dans laquelle j’ai passé toute mon enfance…qui m’a informé en grande partie, et dont une partie d’ailleurs est passée dans mes romans ou bien mes pièces de théâtre, mais dont je considère en tout cas qu’elle a été un élément absolument décisif, absolument déterminant de ma formation d’une façon générale. Plus tard, naturellement, j’ai fait comme vous, c’est-à-dire que j’ai été universitaire, j’ai (été) suivi les cours de l’université d’Alger puis de Paris. (Mais il) il est évident, je crois que c’est assez clair, que le soubassement culturel dans lequel j’avais grandi continue d’être une partie tout à fait essentielle à la fois de mon existence et de ce que je tentais de réaliser. Nous allons donc parler d’un sujet qui peut vous paraître un petit peu secondaire par rapport à des préoccupations plus urgentes, qui est (la poésie) la poésie berbère de Kabylie. Je pense qu’il est indispensable qu’avant d’arriver au sujet lui-même, or, entre parenthèse, je ferai tout ce que je pourrai de ce sujet-là. Il est beaucoup trop vaste pour qu’on puisse l’épuiser dans l’espace de je ne sais pas… une heure ou bien, au moins, ou même beaucoup plus. Donc j’en traiterai une partie, quitte à ce que je revienne un jour pour traiter autre chose, ou alors je résumerai vraiment de façon très rapide les dernières parties ou la dernière partie. Je pense en effet qu’il est absolument indispensable, avant d’arriver au sujet lui-même de traiter (je parle à des universitaires, donc je préfère « de traiter ») des conditions même de l’oralité. Car il est évident que cette poésie est toute entière orale, et que, par conséquent, son oralité va la déterminer en grande partie (pas dans une) pas exhaustivement, pas tout à fait entièrement, mais nous allons voir que, si on n’a pas réfléchi un petit peu auparavant sur ce que c’est que l’oralité ? Que sont les conditions de l’oralité ? Il est à peu près impossible (de comprendre) de comprendre au plus vrai cette littérature, ou en tout cas on risque de passer à coté. Car il y a un préjugé qu’il faut liquider tout de suite, avant même que je commence. Ce préjugé est le suivant : vous êtes des universitaires, vous avez donc eu accès à une littérature, (disons) à une formation disons universelle, c’est-à-dire quand on vous a appris qu’il y avait une littérature, je ne sais pas… anglaise, française, arabe, allemande, espagnole, italienne, etc…, les grandes littératures du monde…, et (ceci implique une espèce de, en filigrane, si vous voulez entre parenthèses, mais quand même réellement existant) ceci implique un jugement péjoratif sur tout ce qui n’est pas ces grandes littératures. Tout ce qui a été (si vous voulez) créé oralement de par le monde, car il n’y a pas que nous, c’est un phénomène (plus) très répandu et même majoritaire dans le reste de la planète. Tout ce qui n’est pas donc littérature écrite, par ce que aurait dû être secondaire, par ce que aurait dû être de seconde catégorie ; alors que (je ne sais si je vais pouvoir le montrer, mais en tout cas c’est ma conviction profonde, et j’ai essayé dans mes livres de le montrer, alors que) ces choses-là sont aussi valables que n’importe quelle production des littératures écrites, en particulier. C’est un petit détail, mais ça fait rien. J’ai beaucoup regretté que, vous savez, l’UNESCO-là (United Nations Educational, etc., etc. Scientific and Cultural Organization… Enfin c’est l’organisme qui s’occupe à la fois de l’éducation et des cultures dans les nations unies) a une espèce d’institution qui veut qu’on désigne pour chaque pays un poète (ou), non un écrivain, un homme de culture qui représente de façon emblématique, de façon particulière, de façon symbolique ce pays-là, et qui est proposé au reste du monde. Moi, j’ai toujours infiniment regretté que un homme de l’envergure, un génie de la grandeur de Si Muḥand U Mḥand n’ait jamais été proposé dans ce cadre-là, parce que le poète qui a été Si Muḥand U Mḥand, et même le penseur qui a été Si Muḥand U Mḥand et la nature qui a été Si Muḥand U Mḥand est tout à fait au niveau de n’importe quelle grande littérature écrite du monde. Simplement (quand cette réalisa…) quand cette poésie est réalisée que d’abord orale, comme elle est celle de…, en fin elle est orale originellement, elle n’a pas été portée par tout un ensemble (de considéra…) de conditions étatiques, sociales, etc, etc…et même matérielles, d’ailleurs médiatiques par exemple. Il est pratiquement inconnu de la masse (si vous voulez) à l’échelle universelle bien sûr, sauf nous, parce que c’est notre poète. Il reste au moins que un homme que Si Muḥand U Mḥand est de la nature et du niveau de n’importe quels grands hauteurs des grandes littératures que vous connaissez. Mais pourquoi ne l’a-t-il pas été ? Et Ben, c’est justement à cause des conditions matérielles qui ont présidé à ce genre de littératures, en particulier son oralité. L’oralité maghrébine est dans notre pays (quand je dis dans notre pays, ça veut dire le Maghreb), est dans notre pays une très vieille histoire. Le Maghreb tout court ou le grand Maghreb si vous voulez. D’ailleurs j’aurais pas dû dire le Maghreb, j’aurais dû dire l’Afrique du nord, parce que je ne vois pas pourquoi on suit le Maghreb. L’oralité de cette littérature est une très vieille histoire. Elle a commencé pratiquement avec les tous premiers débuts de l’histoire dans notre pays. Comment ça s’est passé ? Vous savez que la première, je ne sais si je peux dire la première colonisation, la première occupation étrangère dans notre pays, c’était des Phéniciens qui sont venus en tout petit nombre de la ville de Tyr en Phénicie, dans la Palestine actuelle, dans l’Israël, et qui ont été vers l’ouest, et qui se sont installés sur les cotes tunisiennes où ils ont fondé (d’abord) sur les cotes d’abord algériennes, enfin la frontière (et) où ils ont fondé un grand empire, l’empire carthaginois. Dès cette époque-là, commence pour notre littérature (un, son caractère, je ne sais comment il faut dire) son caractère de culture et de littérature seconde, en partie illégitime, subordonnée à une littérature légitime (qui est presque toujours, ou bien qu’elle est toujours) qui a toujours été étrangère. (C’est donc) l’oralité est donc dans notre pays (un très vieux) un très vieux caractère. (Il a été renforcé) cette oralité a été renforcée historiquement vers le 13ème siècle, vers plus tôt le 14ème siècle. Pourquoi ? Vous savez que le moyen âge, la période faste de l’histoire de l’Afrique du nord, c’est le moyen âge. Les empires berbères du moyen âge ont été de grands empires, mais (après le plus grand d’entre eux, le plus grand d’entre eux qui a été les Almohades) après le plus grand d’entre eux, les Almohades, il y a eu une, je n’ose pas dire une décadence, mais en tout cas il y a eu (une stagnation) une stagnation historique qui a fait que il y a eu une espèce de recul de toute l’histoire nord-africaine. Comment cela ? Jusque-là, jusqu’aux Almohades, (l’histoire a été une histoire étatique) l’histoire de l’Afrique du nord a été une histoire étatique, c’est-à-dire (de grands ensembles) de grands ensembles dans lesquels il y avait un Etat constitué avec (je ne sais pas quoi) toute l’organisation administrative, politique, sociale, etc. qui implique (en particulier) vraiment la plus parfaite organisation étatique de ce type-là. Ça a été l’organisation Almohade qui, entre la Tripolitaine et le sud des Pyrénées, avait organisé tout ce pays-là, c’est-à-dire entre l’Espagne et l’Afrique du nord. (Après ce …) après cela, il va y avoir (un) un net recul de l’histoire de l’Afrique du nord, qui est déterminé premièrement parce que l’empire Almohade a éclaté en un certain nombre (de, de, de, de) de royaumes secondaires, en particulier les trois, qu’à partir de ce moment-là à peu près que se sont dessinés les trois pays d’Afrique du nord : Tunisie, Algérie, Maroc qui ont essayé chacun de rétablir l’unité almohadienne, mais ils n’y ont jamais réussi. Et le deuxième phénomène qui a aggravé les conséquences de cette décomposition almohadienne, c’est l’arrivée des Hilaliens. Les tribus hilaliennes que le sultan, l’émir fatimide du Caire (a lancé contre l’Afrique du nord, l’émir fatimide c’était kabyle d’origine) a lancé contre l’Afrique du nord, ont contribué considérablement au démantèlement, à la décomposition de cet Etat étatique du moyen âge. Et la civilisation a suivi, c’est-à-dire (toutes les) toutes les manifestations de cette civilisation, y compris la littérature bien sûr ont suivi. Comment cela ? Les Hilaliens étaient un ensemble de tribus. Le phénomène tribal existait déjà en Afrique du nord chez les Berbères, en particulier chez les Zénètes, mais il existait partout, même chez les sédentaires. Mais quand ces tribus hilaliennes sont entrées en Afrique du nord, elles ont aggravé le phénomène tribal, elles l’ont revitalisé, elles lui ont donné une force nouvelle, c’est-à-dire que les tribus, qui jusque-là avaient tendance à s’intégrer dans l’ensemble étatique que constitue en particulier l’Etat Al-Mouhade, ont au contraire repris, si j’ose dire, le poil de la bête. Le phénomène tribal s’est revitalisé à l’occasion (de la tribu) de l’arrivée des tribus hilaliennes qui ont permis aux tribus : Zenètes, Senhadja, Masmouda, etc., etc. de (se) se redéfinir triballement au lieu de s’intégrer comme elles avaient fait jusque-là dans un ensemble étatique ; car les Almohades eux-mêmes ont été une création de quoi ? Ça a été une création de la confédération des Masmouda qui étaient des Berbères du haut Atlas. Les Al-Morabites, qu’est-ce que c’est ? Ça a été (une) la formation étatique des Lamtouna, c’est-à-dire des Sanhadja (du) du désert. C’était donc des tribus qui créaient des empires. Là c’est le contraire qui va se passer. Ces tribus-là restent tribus et le phénomène tribal va prendre une importance beaucoup plus grande que celle qu’il avait jusque-là. Qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire que la littérature elle-même qui était jusque-là écrite, et, par conséquent (était) si vous voulez, avait des valeurs universelles (quelle que soit la langue dans laquelle elle était exprimée…elle avait été d’abord en Latin, un petit peu en Grec et dernièrement bien sûr en Arabe, cette littérature-là) va reculer, l’importance de cette littérature va reculer. Il n’y a qu’à penser que pendant la période Almohade, un homme (aussi) aussi grand d’esprit, aussi considérable qu’Averroés a vécu à la cours des princes Almohades à Marrakech, par exemple. Ce phénomène va disparaître complètement, pas complètement bien sûr. Il restera encore quelques écrivains – je ne suis très compétent de cela, mais enfin il restera quelques écrivains – mais qui n’ont pas l’envergure justement de ceux de la grande période. (Il est parallèlement) il va se développer toute une littérature – et juste « développer », c’est-à-dire qu’elle existait bien sûr de tout le temps -. Il n’y a qu’à lire Ibn Khaldoun. Ibn Khaldoun que lui-même dit en faveur des Zénètes qu’ils avaient beaucoup de productions orales, et puis il regrettait qu’elles n’étaient pas écrites. Mais ce phénomène-là va prendre une ampleur beaucoup plus grande à partir de ce moment-là. Donc il va y avoir un développement de la littérature orale, et celle que nous héritons au dix-neuvième siècle. C’est à partir du dix-neuvième siècle qu’on a commencé à enregistrer (les) les documents des littératures orales qui existaient. Elles datent à peu près de cette époque-là, (les plus) les plus anciennes bien sûr. Quels sont les caractères de cette littérature ? Il y en a deux : un négatif et un positif, sur lesquels je voudrai maintenant revenir. (Un positif) un négatif. Nous allons l’étudier vite. C’est le fait qu’une littérature orale ne peut pas traiter des grands genres, c’est-à-dire que si vous voulez écrire un traité de philosophie ou d’astronomie, si vous voulez écrire une grande tragédie, etc., etc… (vous ne pouvez pas le faire avec les moyens, bon vous ne pouvez pas, mais dans des conditions très difficiles), vous ne pouvez pas le faire avec uniquement des moyens oraux. Il y a eu dès cette époque-là une espèce de partage des domaines. Les grands genres, les grandes disciplines, les grandes sciences étant réservés aux langues écrites, aux littératures écrites et, au contraire, la littérature orale étant contenue dans des domaines plus ou moins secondaires, ludiques, sentimentaux, personnels, un petit peu régionaux de temps en temps, etc. (Donc) il y a donc un partage des domaines en faveur des littératures écrites et contre les littératures orales. Ça c’est le caractère négatif. Mais il y a un caractère positif. Le caractère positif, c’est que cette littérature orale est enfoncée dans la vie même du peuple, elle est l’expression de la vie la plus profonde du peuple. La vraie expression populaire, c’est celle qui est exprimée dans ces langues-là. Pourquoi ? Parce que ces langues qui sont parlées normalement, qui sont parlées quotidiennement, sont naturellement l’expression de la vie à la fois quotidienne et profonde du peuple. Il n’y a pas coupure, il n’y a pas cette espèce de mur de Berlin qui existe pour les littératures écrites – en tout cas dans notre pays- entre la littérature savante et écrite et la vie réelle des hommes qui composent le peuple (de) nord-africain. Les poèmes, les contes (je ne sais pas quoi) de cette littérature-là sont vraiment l’expression de la vie réelle. (Il se passe à ce moment-là, il se passe) il va se passer un phénomène un petit peu spécifique à nous, et d’ailleurs regrettable, c’est que, entre les deux domaines, (il y a un véritable) il y a une véritable, je ne sais pas comment dire, il y a un mur quoi, il n’y a pas influence réciproque de l’une sur l’autre. Dans tous les pays du monde, (la) cette espèce d’écart entre les deux n’existe presque pas, ou alors il est presque nul. Je ne sais pas, si vous voulez écrire un poème allemand formidable, une tragédie allemande ou une petite philosophie allemande ; entre la langue allemande qui est parlée tout le temps et d’autres traités, il n’y a pas de grande différence, (le domaine culturel) la langue est à peu près la même, donc ça va très bien. Chez nous il y a toujours une espèce, encore pour une fois, de mur Berlin entre les deux choses. La littérature écrite et savante se développe dans ses propres conditions et la littérature orale (se) se meut dans un domaine tout à fait différent. Ça ne va pas dire qu’il n’y a pas d’influence de l’une sur l’autre de temps en temps. Mais pour un capital à mon sens – cette influence ne s’exerce que dans un sens -, c’est toujours la littérature savante, écrite qui influe sur la littérature orale, et ce n’est à peu près jamais l’inverse. Et ceci est très important, parce que ça veut dire que cette littérature orale est en quelque sorte condamnée à demeurer éternellement dans cette espèce de position mineure par rapport (à la littérature) à la littérature savante. J’ajoute tout de suite que ce problème qui a l’air historique, qui a l’air de se passer en des temps très anciens a en réalité continué en 1988, et bien tôt 1989. Ainsi que vous le savez très bien, il y a un divorce, un divorce très profond dans ce pays entre ce qui se dit, ce qui se chante, ce qui se meut, ce qui se rêve, ce qui se vit profondément dans la vie réelle du peuple, de tout le monde, et de cette espèce de discours tout à fait particulier que les livres ou bien les autres médias, plus ou moins institutionnels, développent, et qui est un monde à part, qui a ses propres lois. (Mais) Et on se demande à quel moment il rejoint justement la réalité. Donc ce n’est pas simplement un problème historique, il vient de très loin, ce divorce vient de très loin, mais il continue d’exister en ce moment, au moment où nous sommes entrain de parler. La preuve, c’est que je vous parle dans une langue (qui n’est pas la langue de) qui n’est pas la langue (de nos) de nos ancêtres bien sûr, mais je suis contraint de le faire parce que les conditions sont telles qu’il n’est matériellement possible que je dois le faire que dans un instrument comme celui-là. (Il est bon) je crois, avant même que l’on parle de poésie berbère, il est bon de faire remarquer que ce problème se pose, et se pose de façon très urgente (je dirais très), en tout cas inévitable si vous voulez dans la situation que nous sommes entrain de vivre en ce moment même. La solution idéale, il n’y en a pas 46, il n’y en a qu’une seule. Il faut que entre l’expression réelle de l’homme algérien et l’expression apprêtée, savante, écrite de l’homme algérien, du même homme algérien qui simplement a passé dans l’université, qui par conséquent a les moyens matériels de s’exprimer dans un langage sophistiqué ou en tout cas apprêté, il faut que cette distance-là disparaisse, il faut que (le, le, le, les moyens) le mode d’expression arrive à trouver les moyens, ça ne peut pas être…, je ne fais pas du tout du totalitarisme culturel, je veux dire qu’on n’est pas obligé d’imposer un seul type de culture ou un seul type de langue au peuple nord-africain, du peuple en général, il faut en avoir plusieurs. Mais, à mon sens, c’est ma conviction profonde, il faut qu’il n’y ait pas cette espèce de barrière absolue qu’il y a actuellement entre la vie réelle et le discours soutenu. Donc la solution idéale, c’est dans le mariage en quelque sorte (de ces deux formes) de ces deux formes d’expression, à savoir la forme savante (et la forme) et la forme populaire. Si vous avez l’impression que je vous parle de choses très passées, c’est faux. Mais ça a existé vraiment tel que je vous le dit, parce ce qu’il y avait même toute une théorie où il est clair de (de cette époque-là) distinguer entre el-xassa oua el-âamma. Je m’excuse, les arabisants vont corriger, si je fais des fautes là-dedans. Mais el-xassa, c’est la culture de l’élite, la langue de l’élite, et au contraire el-âamma, c’est le peuple, c’est le commun, etc., etc. Avec tout un discours tout à fait logique, tout à fait cohérent qui distingue l’un de l’autre. Averroés lui-même disait ça. Il y a des vérités que l’on peut dire à l’élite, que l’on peut dire à el-xassa parce qu’ils ont fait des études…ils peuvent accepter un certain nombre d’idées, etc…, mais il ne faut pas dire au peuple. Parce que le peuple, attention si jamais on lui dit des choses comme ça, les catastrophes vont être catastrophiques justement. Bon, et il ne faut pas que ce soit comme cela. Bon, donc cette idée qui peut vous paraître tout à fait personnelle, elle est fondée (sur des) sur des bases historiques sur lesquelles je ne revient pas, mais qui existent. Il faut donc partir pour vraiment comprendre l’expression littéraire de ce pays, qu’elle soit en Berbère, en Arabe vernaculaire, en Arabe nord-africain, il faut donc, je crois, saisir les conditions de cette oralité. Il y en a un certain nombre qui sont à mon avis des rumeurs. Ce sont des conditions (qui) qui empêchent plutôt le développement (plutôt) plutôt qu’elles ne le favorisent. Premièrement, il y a un horizon fini, il y a un horizon chronologiquement fini pour la littérature orale. Qu’est-ce que cela veut dire ? Quand vous écrivez un livre, vous avez chance (que), c’est pas du tout exclu, que ce livre traverse les siècles et qui soit lu deux mille ans après vous. Homère a écrit huit cents ans avant (a écrit), non a composé huit cents ans avant Jésus Christ. Mais en 1988 si vous voulez lire l’Iliade ou l’Odyssée, vous avez le texte devant vous, il n’y a qu’à ouvrir le livre. On peut prendre des exemples très anciens encore : (la bible) la bible, l’ancien testament… il y a la littérature chinoise, la littérature hindou. Ça n’est jamais le cas pour la littérature orale. Pourquoi ? Pour une raison très simple. Chaque génération a devant elle un lot de littérature : des poèmes, des contes tout ce que vous voudrez. Elle a un lot devant elle qu’elle utilise, qu’elle manipule, quelques fois qu’elle manie ; mais ce lot n’est intéressant pour elle que dans la mesure où il est fonctionnel, c’est-à-dire où il continue d’avoir dans sa vie réelle un rôle. (C’est un rôle important) c’est un rôle important, symbolique, imaginaire, etc., mais un rôle réel. Mais les générations se suivent, et là (c’est l’histoire) l’histoire marche. Les intérêts si vous voulez d’une génération à l’autre changent, c’est-à-dire que la prochaine génération, celle qui vient après la vôtre par exemple n’aura pas les mêmes préoccupations que vous. Si vous êtes en domaine de littérature orale, la génération qui va vous suivre ne va pas s’intéresser aux mêmes choses, donc elle va laisser tomber les choses qui, pour elle, sont les moins intéressantes, elle va garder les choses qui, pour elle, continuent d’avoir un sens, elle va en même temps créer de nouvelles choses qui correspondent à sa vie réelle. Qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire qu’il y a une masse presque fixe de littérature orale qui évolue sans cesse ; elle laisse tomber vers l’arrière un certain nombre d’éléments, elle en acquiert vers l’avant un certain nombre d’autres, mais vous voyez très bien où est le désavantage, c’est que les choses qu’elle laisse tomber, elles sont mortes à jamais. Et parmi ces choses mortes à jamais il n’en a que quelques unes qui sont absolument remarquables. Dans le livre que je fouille tout à l’heure, où on nous a parlé de littérature ancienne, de poèmes kabyles anciens, ça pourrait être comme ça ; dans ces poèmes kabyles anciens, j’ai pu recueillir des poèmes qui sont effectivement anciens, mais qui sont arrivés dans un état très délabré, il y a à peine quelques strophes. Il y en a qui est très beau et dont je regrette infiniment qu’il ne me soit parvenu à moi personnellement que cinq petites strophes. Et celui qu’il me l’a dit, m’a dit c’est beaucoup plus long, mais c’est tout ce que je connais, et visiblement le Berbère est un Berbère ancien, est un Berbère difficile. Par conséquent, c’est un document (d’une époque beaucoup) d’une époque très ancienne. Bon, ce qui compte, par conséquent, ça n’est pas toujours le plus mauvais, quelques fois ce qui compte, c’est le meilleur, c’est le plus significatif. Et cela vous l’avez perdu pour tous les jours, (vous n’avez pas) vous ne pouvez pas le récupérer. (Il y a donc) il y a donc si vous voulez un horizon chronologique fini pour la littérature orale. Vous allez me dire mais il y a quand même des exemples dans le monde de littérature orale très ancienne. C’est vrai, mais ils sont connus ces exemples à partir du moment où quelqu’un les a écrits, c’est-à-dire à partir du moment (où ils cessent d’être) où ils cessent d’être oraux. Homère dont je vous parle tout à l’heure, qu’est-ce que c’était ? Au départ c’était – il tousse et il dit : « je m’excuse car je ne peux rien là, c’est un peu froid dans votre salle » – Qu’est-ce que c’était Homère ? C’était un nombre de poèmes, des copies copiées les unes des autres (copiées les unes des autres), et que des Meddaḥ grecs récitaient à leur public. Ensuite, à l’époque historique, dans la Grèce, quand les Grecs ont commencé à écrire, les gens se sont dits mais ces poèmes sont très bons. On va les écrire. Ils les ont écrits. Et c’est 2000 ans après eux, 2800 ans après eux nous continuons les pouvoir lire l’Iliade et l’Odyssée, c’est parce qu’à un même moment donné ces poèmes oraux ont été écrits. Sans ça, ils seraient morts… (coupure). Ça, c’est (au 14ème) au 14ème , 15ème siècle, au moment d’Ibn Khaldoun. Ce qui était vrai au 15ème siècle était évidement vrai auparavant. Par conséquent, les pertes que nous avons faites de ce coté-là sont des pertes immenses et malheureusement des pertes irréparables. Ce qui s’est passé ailleurs. Je ne sais pas, quand vous lisez les contes européens, admettons les contes de PERRAULT si vous voulez, ou bien GRIMM, HOFFMANN, etc. Bien sûr, vous pouvez les lire : GRASS, « Le petit chaperon rouge ». Tout le monde connaît « le petit chaperon rouge» maintenant, pas seulement en Europe, même en dehors d’Europe, on connaît «le petit chaperon rouge»… je ne sais pas quoi « Cendrillon », « Peau d’Âne » et tous les autres. Mais pourquoi ? On les connaît parce que à un moment donné au 17ème siècle quelqu’un qui s’est appelé PERRAULT, a pris sa plume et a commencé à écrire des choses que les vieilles bonnes femmes et les vieux bons hommes racontaient autour de lui. Sans ça, ces contes-là seraient morts à jamais comme s’est arrivé pour nous (…). Deuxième inconvénient de cette oralité, c’est le caractère fini de la mémoire, puisque ça s’écrit pas. (Les) la littérature orale n’est gardée que dans la mémoire des gens. Mais la mémoire, elle, est limitée. Quelles que soient (les) les possibilités extraordinaires de l’individu, de toute façon il ne peut retenir qu’un nombre fini de vers. Alors que dans un livre vous pouvez garder tout ce que vous voulez. Troisième inconvénient, le support est un support fini, c’est-à-dire cette littérature, elle est où ? Elle est dans des individus, et quand ces individus meurent et bien c’est fini. Si vous connaissez la formule : « un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. » C’est pas seulement une formule, c’est aussi la vérité. Ça veut dire que cette littérature (qui est uniquement) qui est contenue dans des individus, elle est accrochée à quelque chose de très fragile. L’individu meurt au bout de je ne sais pas combien de temps, mais il meurt. Quand c’est un livre, évidemment il peut être immortel. Et enfin, (dernier) dernier inconvénient sur lequel je ne veux insister parce qu’il est un peu difficile à expliquer. Cette littérature est linéaire, c’est-à-dire que vous ne pouvez pas avoir devant vous (plusieurs) plusieurs documents dans leurs simultanéités, il faut qu’on vous récite un poème ; et quand on vous a récité le vingtième vers, vous avez oublié le premier, etc. Alors l’écrit, c’est pas vrai. Vous l’aurez devant vous. Bon, je n’insiste pas sur ce caractère, parce qu’il est un peu délicat. Bon. (Donc) donc voilà les inconvénients (des) de cette oralité. (Si vous permettez) si vous me permettez une toute petite parenthèse. J’ai dit tout à l’heure que l’influence entre les deux-là : (culture) littérature savante et littérature populaire, se fait dans un seul sens, de la savante vers la populaire. Il se trouve que je connais au moins un exemple qui est contraire à celui-là. Je suis obligé et conscient de vous le donner. Dans la littérature latine, il existe un très grand écrivain qui s’appelle Apulée. Apulée est un Berbère (de) d’Awrouche, de Madaure, qui a laissé un certain nombre d’œuvres dont une qui s’appelle « Les Métamorphoses ». C’est écrit en Latin. Apulée savait à la fois le Latin et le Grec. Mais dans « Les Métamorphoses », Apulée raconte un mythe, un mythe qui est devenu mondial, qui, maintenant, est connu dans le monde entier, justement parce qu’Apulée lui a donné (cette forme) cette forme littéraire dans « Les Métamorphoses », c’est le mythe de Psyché. Psyché (est un poète) est un mot grec bien sûr. Mais quand on lit Psyché dans le texte ou dans une traduction si vous voulez (on s’aperçoit avec étonnement – en tout cas quand on connaît la littérature orale chez nous ici -) on s’aperçoit avec étonnement que le mythe de Psyché a été décalqué par Apulée et de façon (très) très détaillée, très précise, a été décalqué (sur un conte qui existe toujours jusque maintenant. j’espère du moins qu’on continue de le raconter. Mois en tout cas je l’ai entendu pendant ma jeunesse sur un conte Maghrébin. Il n’existe pas seulement en Algérie, il existe au Maroc aussi. (C’est tout à fait la même) C’est le même scénario, les mêmes thèmes, la même histoire. Ce qu’Apulée a changé, ce sont les noms, ce qu’Apulée a introduit, ce sont les déesses et les dieux (de la, de la) de la Grèce. Pourquoi ? Parce que Apulée écrivait en Latin pour un public classique, pour un public qui était formé à la littérature grecque et à la littérature latine, donc il ne pouvait leurs parler que la langue (qu’ils) qu’ils connaissaient ; et Uranie, Adès, Vénus, le Dieu Eros, etc., etc. Mais l’histoire elle-même, l’histoire elle-même, c’est un produit de chez nous. Et quand on lit « Les Métamorphoses » (en d’autres) dans d’autres parties de « Les Métamorphoses », on retrouve d’autres thèmes qui sont encore vivants jusque maintenant dans les contes que l’on raconte chez nous. Que est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire que Apulée qui homme d’Awrouche, écoutait (ces , ces ) ces histoires qu’on les racontait et qu’il trouvait intéressantes (il a été initié à des ordres mystiques, etc. Bon. qu’il trouvait intéressantes), leur a données une forme littéraire qui passait par la langue littéraire de l’époque qui était le Latin, mais il a gardé l’essentiel, il a gardé l’esprit de ces légendes et de ces contes et de ces mythes qu’on les racontait au point où que le mythe de Psyché maintenant est devenu tout à fait universel, il est devenu international parce qu’après Freud et la psychanalyse, on a trouvé derrière ce mythe de Psyché (tout une) tout un soubassement psychologique tout à fait important pour les homme d’une façon générale, et particulièrement pour nous bien sûr. Donc, si vous voulez, à part cet exemple, je n’en connais pas d’autres où l’influence se soit fait de la littérature orale vers la littérature écrite. Je m’aperçois malheureusement que j’ai consacré trop de temps aux préliminaires, et je ne sais si vous appréciez. Bon, donc ça fait rien. Vous m’excuserez si je ne vais pas tout à fait au fond des choses, dans (maintenant) la littérature berbère. (Telle que) Je croix une partie de cette littérature, une toute petite partie de cette littérature, telle que je vais essayer maintenant de la présenter.
29 avril 2010 à 2 02 52 04524
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Posté par amnas, 02 Mars, 2010
M. Mammeri est-il réellement mort par accident de la route ? Par : Geoffroy Idouassem Dans son édition du lundi 27 février 1989, le quotidien d’état El Moudjahid rapporte « L’écrivain algérien Mouloud Mammeri, est décédé à la suite d’un terrible accident de la circulation dans la nuit de samedi à dimanche, à proximité de Ain Defla (200 km à l’ouest d’Alger). Mouloud Mammeri qui était au volant de son véhicule, a percuté de plein fouet un tronc d’arbre, que de fortes rafales de vent avaient abattu en travers de la route. » Vu la popularité de cet homme, la nouvelle a été accueillie avec une très grande tristesse par les Kabyles, mais, chose étonnante, tout le monde a pris la cause avancée par les organes de presse gouvernementale, pourtant connus pour être au service du pouvoir, pour une vérité absolue, et de ce fait personne ne s’est donné la peine de soulever des doutes et d’appeler à la recherche de la vérité. À mon avis, il y a plusieurs éléments qui font penser plutôt à un assassinat politique. Le premier est lié au contexte dans lequel s’est trouvée l’Algérie après l’effondrement du bloc socialiste et l’apparition de jeunes démocraties. Dans cette période-là, le régime algérien, à l’instar des pays gouvernés par des dictatures, s’est vu contraint, pour amorcer la fracture et sauver son système, de céder, sans pour autant lâcher tout réellement, sur certaines choses telles que le monopole du pouvoir, l’uniformité culturelle et linguistique, etc. Ainsi, des partis politiques, des associations culturelles, des organisations pour la défense des droits de l’homme et bien d’autres nouveautés jusque là inconnues du peuple algérien, sont nés, annonçant de très grands changements en Algérie. Bien entendu, le régime liberticide algérien est conscient de ce que peuvent faire les intellectuels et les artistes kabyles dans ce contexte-là. Pour cette raison, il a vite mis un plan pour leur liquidation physique. Mouloud Mammeri a été la première cible à être abattue au tout début de l’ère dite démocratique. Ensuite d’autres, comme Tahar Djaout, Smaïl Oulebsir, Saïd Mekbel, Matoub Lounes, etc., ont connu le même sort. Le deuxième élément est lié au temps et à l’endroit où s’est déroulé le soi-disant accident. C’était une nuit d’hiver opaque, au virage d’une route déserte hors de toute zone d’habitation. Les seuls témoins sur place étaient le chauffeur du camion en stationnement, feux éteints et sans triangle de panne, et celui de la voiture qui venait à contre sens pour l’aveugler avec ses phares. Comme on le voit très bien à travers ces deux éléments, i.e. le lieu et le temps, cet accident ressemble plutôt à une embuscade. Même si la victime avait eu la chance de s’en sortir après sa chute dans le ravin, les deux témoins, qui se faisaient passer pour des routiers et qui seraient en fait les auteurs du meurtre à la solde du régime algérien, l’auraient achevé sans être vus par personne. Un crime parfait ! Et puis, comme vous pouvez le constater, cette dernière version racontée par des curieux s’étant déplacés sur le lieu de « l’accident » le lendemain, est différente de celle racontée par la presse, la radio et la télévision d’état, ce qui soulève déjà des questions. Le dernier élément est lié aux propos de Tahar Djaout, journaliste qui, au compte de Le Matin du Sahara Magazine, a interviewé Mammeri au Maroc 24 heures avant sa mort. Djaout a déclaré que Mouloud Mammeri lui avait dit à Oujda qu’il avait un rendez-vous. De quel rendez-vous s’agitait-il ? Quelqu’un l’aurait-il, pour une raison ou une autre, appelé par téléphone depuis Alger afin qu’il rentre vite, ce qui l’aurait poussé à voyager la nuit dans la précipitation pour tomber dans le piège ? Pour expliquer la mort absurde de Mouloud Mammeri, j’invite ses proches, ses amis, et tous ceux désireux de rendre justice à cet homme de grande valeur, d’enrichir cet article de leurs informations et témoignages. ———————————————– Note : 1-Si l’on sait que le royaume du Maroc était aussi allergique à la question amazighe que le pouvoir algérien, on ne peut s’empêcher de penser qu’il est, lui aussi, impliqué dans l’assassinat masqué de Mouloud Mammeri. Celui-ci ne se déplaçait-il pas régulièrement entre les deux pays pour ramasser des informations pour ses ouvrages ou pour organiser des conférences sur tamazight ? 2-L’opposant marocain, l’amazigh Ahmed Adgherni, n’a-t-il pas été victime d’un attentat semblable qui a failli le tuer ? Voir sur Internet le détail de cette affaire.