Vous consacrez au colonel Amirouche quelques lignes avec lesquelles vous réhabilitez — un peu — son image. Amirouche fait également l’actualité ces derniers temps avec la parution du livre de Saïd Sadi. Que pensez-vous du parcours de ce martyr ?
Boudjedra : Il n’y a pas que le colonel Amirouche. La révolution est faite par des révolutionnaires qui sont souvent héroïques. Mais pas des héros. Amirouche a été un type formidable,
mais il a été amené à commettre des crimes contre ses propres troupes. Dans son cas, il est vrai qu’il a été poussé par les services de renseignement français. Par l’armée et par un certain nombre de choses. Moi, j’ai la preuve qu’il n’était pas du tout contre les intellectuels. Il a assassiné quelques intellectuels, il a commis quelques massacres contre les populations, mais il a aussi fait le contraire. Il a fait refouler certains intellectuels vers la Tunisie, parce que le maquis devenait intenable. Lui, il n’a pas fui. Des gens ont parfois été liquidés injustement, mais la France, il faut le reconnaître, a essayé d’infiltrer les maquis. Amirouche est un chef ; c’est un être humain, tout comme Belkacem. À la limite, j’en veux à Krim Belkacem d’avoir fait assassiner Abane Ramdane. Car l’ordre est venu de Belkacem. Boussouf n’a été qu’un second couteau. C’est terrible ! Belkacem, au moment de l’exécution d’Abane, était dans la pièce à côté, et Bentobal raconte que Krim aurait pleuré. Si au moins Abane avait été jugé dans un tribunal révolutionnaire ! Ce sont trois bonhommes qui ont décidé de le tuer. À mon sens, et c’est une hypothèse, c’est parce qu’Abane était le plus progressiste. Ils l’ont liquidé d’une façon terrible. Dans ce roman, je fais justement le parallèle entre la liquidation d’Abane Ramdane et celle de Ben M’hidi. Aussaresses raconte qu’une fois qu’il a été exécuté (c’était à Baba Ali), ils l’emmenèrent à l’hôpital Mustapha. Le médecin l’a ausculté et ils ont constaté le décès à l’hôpital. Un ami de Ben M’hidi m’a raconté que la corde a cassé trois fois, alors qu’il était très maigre et très petit. Ça n’a jamais été raconté, même pas par les historiens. Je crois que c’est le premier roman qui met tout ça en bouillie. Je voulais rendre hommage à tous ces gens-là. Par exemple à Maillot qui sans la cargaison énorme qu’il avait amenée dans l’Ouarsenis, peut-être que la révolution algérienne n’aurait pas pu se faire. Dès que ce convoi a été distribué sur toute l’Algérie, Amirouche a remercié le chef de la région de l’Ouarsenis. Mais Maillot n’a même pas une rue à son nom. Yveton a une petite rue, au Clos-Salembier, là où il est né.
Vous lui consacrez une bonne partie dans votre roman d’ailleurs…
Parce que sa mort est exemplaire. Il était innocent. Il n’a pas tué, il n’a jamais tué personne, mais la France voulait en faire un exemple : le premier pied-noir, membre du FLN, exécuté.
S. K.
Les Figuiers de Barbarie, de Rachid Boudjedra, roman, 204 pages, éditions Barzakh, Algérie, avril 2010, 600 DA.
29 avril 2010
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