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Mohammed Dib ou la parole originelle

6 février 2009

1.Lu pour vous

Mohammed Dib ou la parole originelle
Le Quotidien d’Oran- Dimanche 4 mai 2003

 » Construisez d’abord en imagination une chaumière dans le désert avant de construire une maison à l’intérieur des murs de la cité « . Ainsi s’exprime Khalil Djebrane, grand poète de l’exil, de l’errance et de la citoyenneté universelle. Sa vie durant, Mohammed Dib s’est adonné pour sa part, à édifier du même mouvement sans ordre de priorité la chaumière au coeur du désert et la Grande Maison au sein de la cité-pays.

Enfant de la prestigieuse Tlemcen héritière des arts et des lettres de la mythique Andalousie musulmane, Dib est un homme bien né. Non pas au sens trivial d’une naissance dans une catégorie sociale privilégiée, mais au sens d’une prédestination secrète qui consacre les fiançailles d’une sensibilité singulière et d’un milieu culturel porteur. Il grandit dans le climat musical, policé, emprunt de soufisme et de poésie féminine d’une société paupérisée mais qui continue à se prévaloir de sa tradition culturelle – élitiste par ses aspirations et populaire par sa diffusion – comme on se raccrocherait à une bouée de sauvetage.

Il en gardera, contre vents et marées, une élévation de l’âme et de la pensée, un goût marqué pour les raffinements des comportements, une élégance naturelle du verbe, une écoute attentive des sous-entendus, une sensibilité aiguë aux pensées secrètes des êtres souffrants, au frémissement imperceptible des émotion tues, une prédilection pour les zones clair – obscur où se réfugient les bruissements des désirs réprimés, les balbutiements des expressions maladroites et des paroles non patentées, une alerte perpétuelle aux énigmes de l’univers… En somme une sensibilité vibrante à la poésie du monde, un sens affûté de la poésie tout court.

De prime abord, l’oeuvre de Dib surprend par sa force de témoignage et sa vitalité. Même lorsqu’elle se fait elliptique et symbolique, elle nous introduit au coeur des tractations insues qui modèlent notre devenir. Par la vertu de la puissance des langues et des cultures à se démettre de la barbarie, cette vertu que l’oeuvre dibienne porte fortement, elle nous invite à transcender les cécités qui nous accablent, à percevoir les signes annonciateurs du destin que nous nous forgeons sans toujours savoir en prendre la mesure.

De son écriture – écriture à soi, sculptée dans la matérialité de la langue de l’autre – Dib nous fait dépositaires. On comprend que l’hybride qui a surgi sous sa plume, créé de la mêlée des paroles mitoyennes ou opposées obéisse à un ordre de restitution fidèle de notre univers commun. Matérialisation sublime d’un bourdonnement souterrain engagé dans la traversée d’une nuit obscure, la science du poète réside en cet ajustement de l’espace nécessaire aux surgissements d’une partition essentielle dans laquelle nous pouvons enfin nous dévisager sans complaisance mais aussi sans honte.

Mohammed Dib domine de sa stature d’écrivain-poète d’envergure universelle notre littérature nationale. Tout au long de mues successives, son écriture est pour lui un moyen d’approfondir, la connaissance de soi la plus essentielle. L’exploration du monde la plus inquiète et la plus exigeante, la découverte de l’autre la plus attentive. Alliant obstination et douleur, l’univers dibien s’élabore dans un exercice de rigueur nécessaire pour donner lieu à l’expression d’un monde qui lui est propre tout en étant ouvert et familier. Et tandis qu’à l’origine (dans La Grande Maison, L’Incendie ou Le Métier à tisser) tout était manque et nostalgie, l’écrivain nous révèle de plus en plus les beautés que nous avions négligé de voir (Le Sommeil d’Eve, L’Infante maure, ou L’Enfant jazz). Parce qu’il fait tenir ensemble la béance première et la plénitude à laquelle l’être aspire au confluent de la tradition algérienne et d’une modernité venue d’ailleurs. L’activité littéraire pour celui qui, dans ses débuts, s’était lancé avec la fougue de la jeunesse dans les certitudes de l’engagement constitue, de plus en plus, un espace de prédilection où s’affrontent et se confrontent les paradoxes d’une société. Dans Si Diable veut, la société s’ébroue pour secouer les prégnantes visions d’horreur et émerger d’un atroce cauchemar.  » Etrange est mon pays où tant/De souffles se libèrent  » écrivait déjà en 1952 l’auteur de la trilogie Algérie et du recueil poétique Ombre gardienne.

L’oeuvre de Mohammed Dib – une oeuvre majeure de la littérature algérienne et de la littérature française de notre temps – s’est élaborée dans la langue française pour rendre compte d’un univers ancré dans l’humus linguistique et culturel algérien et découvre d’emblée l’aptitude à se faire bi-vocale, à établir des raccordements entre sphères opposées, à brasser les mythologies séculaires des uns et des autres, à traduire les langues et les signes en présence dans le langage premier de la sensibilité, à insuffler à la poésie française la scansion d’un dire germé sous d’autres cieux, à se frayer des chemins inédits pour y inscrire sa différence. Roman, poème, nouvelle, conte, théâtre, essai… Dib embrasse tous les genres, défait leurs frontières et redistribue leurs codes, les féconde à la sève des formes ancestrales. Son écriture se produit dans une distance réflexive, comme dans un miroir d’un genre particulier qui renvoie les reflets tantôt dissociés, tantôt décalés, tantôt superposés ou mêmes fondus d’un monde amarré à un double héritage.

Il importe pour tous de découvrir cette voix discrète et passionnée, cette plume attentive à saisir le pouls infime d’un homme comme le battement de la multitude, l’éveil d’une conscience comme les grandes machinations de l’histoire. Il est indispensable d’entrer dans cette oeuvre qui offre le rêve d’un monde où ni la question sociale ni celle de l’individualité ou des aspirations de l’âme ne seraient occultées ou réprimées.

Cette oeuvre peut (doit) être lue comme un dispositif intégré au brassage culturel.
Lecture non pas ethnologisante s’attachant au repérage de motifs témoins de la spécificité algérienne – us et coutumes, proverbes, cadre géographique etc. – ou substantialiste à la recher-che d’une  » âme  » algérienne  » éternelle « ; mais lecture attentive à ce qu’elle signifie par les caractéristiques propres d’une écriture singulière et par ce qu’on y décèle de sa vision du monde.

A la place du sillage éphémère que chacun laisse derrière lui et qui donne sens à sa traversée du monde, Dib a l’extrême privilège de nous léguer une traînée lumineuse.

Naget Khadda

Lien vers le site du journal Le Quotidien d’Oran : http://www.quotidien-oran.com

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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Une réponse à “Mohammed Dib ou la parole originelle”

  1. Suzi Dit :

    je viens juste de découvrir ce blog, je suis très contente!!
    il sera très bénéfique et utile pour mes recherche et mes exposés universitaires. Surtout que la documentation pour ce genre de recherche n’est pas toujours disponible dans les les grandes surfaces et les bibliothèques.

    bref je suis contente!!

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