» Sougasmi tsèbhnigh silssèsse, hhoudaghtse ar el sèss, èrighasse thabhlate i woule «
Jusqu’aux fondations j’ai déconstruit tout ce que j’ai érigé, enfin je me repose !
Un vieil ami dont le père était un imminent imam, curieux de connaître quelles étaient les clés du paradis, posa la question à ce dernier. La réponse fût simple mais définitive ; Dieu t’a doté de la parole, apprends à la maîtriser, ne parle que si nécessaire et moins tu en diras plus tu auras de chance de passer à côté d’une ineptie. Le silence est la clé de voûte de l’entrée du paradis.
L’histoire remonte aux années trente et débute lors d’une réunion de » thajmaïth » dans un village de Kabylie. Cette dernière est une sorte de forum ouvert à tout le monde, se tenant dans un endroit public, prévu pour, et où tout un chacun pouvait donner son opinion. On y discutait, comme à l’accoutumée de divers problèmes du village, et parmi les notables un certain Dda hamou émit un avis qui fût aussitôt suivi à l’unanimité. Un jeune homme, son neveu, qui l’accompagnait toujours à ces réunions éclatât : Dda Hamou par ci, Dda Hamou par là ! Tu sais, n’eût été ta richesse, tu ne vaudrais un singe !! » Loukène machi dhidhrimnikhe, ouallah ar kyif chadi. » Authentique. Le vieux, un sage, sourit et interdit à l’assemblée d’intervenir, rentre chez lui et demande à son épouse de préparer ses vêtements de la ville. Le lendemain, dès l’aube, juché sur sa mule,accompagné d’un autre neveu qui portait sa valise et tenait la bride de la monture, descendit au village, d’où il prit le coche sur Tizi Ouzou et de là le train pour Alger. J’oubliais de te dire que malgré toute sa fortune, il n’avait pas d’enfants, et qu’il avait distribué tout ses terrains et autres propriétés à ses nombreux neveux. Un testament leur garantissait la propriété future, en attendant ils jouissaient de l’usufruit. Pour ses biens en ville, il envisageait de les léguer à son neveu préféré, celui là qui l’avait rabroué, et qu’il était en train d’initier au monde.
Une fois à Alger, nôtre homme s’est installé dans un palace, se fit confectionner une garde robe dernier cri, couper les cheveux à la dernière mode, laissant juste une fine moustache à la place de la belle barbe blanche qu’il portait depuis des lustres. Monsieur était près pour les folles nuits d’Alger. Comme on vivait les années noires qui ont suivi le crash de 1929, on lui pardonne d’être un Arabe, son accent Kabyle, son manque de tact et de savoir vivre. L’on se doit de dire, à sa décharge, que Dda hamou n’en avait cure de tout ce protocole, son seul but étant d’en finir avec son pactole.
Une fois les liquidités épuisées, les actions vendues, il fit ramener tout son or de la dèchra. Envolé aussi. Les années passent, il se sent plus vieux, mais il tient bon. Il passe aux choses sérieuses, la liquidation de ses commerces et de ses propriétés foncières. Je précise que durant tout le temps passé à l’hôtel, il refusait toute visite et il promit un bon pourboire aux portiers s’ils empêchaient les solliciteurs d’arriver à la réception.
Vint le temps de la fin. Plus un sou. Ouf ! Toujours vivant ! Là, il va bien se marrer pour une fois de sa vie. Avisé de son départ, le directeur de l’hôtel lui organise une soirée d’adieu mémorable, et le fait raccompagner jusqu’au village par voiture, la limousine de service et porteur s’il vous plait. Arrivé, il se rend directement à thajmaïth, y dépose
son bagage, s’allonge sur la banquette en béton et dit : ceci est désormais ma demeure, nourrissez moi ou pas, enterrez moi ou pas le jour de ma mort, ça n’a aucune importance, pour moi » sougasmi tsèbhnigh silssèsse, hhoudaghtse ar el sèss, èrighèsse thabhlate i woule. »
12 avril 2015
Omar benbrahim