Le bauf’ du village
Le beauf’ celui là du village pentu , aurait une chaise bancale déglinguée invendable à vendre quand même, s’entête. Le siège à l’origine empaillé s’est troué avec un pied scié, raccourci de vingt centimètres par rapport aux trois autres. Pourquoi ce handicap ? Dieu seul le sait!
Donc vendable malgré tout la chaise déglinguée au cas où, un vieux copain au beauf’, accepterait de l’accompagner au souk du village . Lequel compagnon commentateur occasionnel de matchs de foot à la télé, te soutiendrait à force d‘arguments insensés, tordus, que la rencontre a été gagnée par la nôtre d’équipe, malgré un score de quatre buts à zéro en sa défaveur .
Avalanche de mots emphatiques vides de sens, raisonnements par l’absurde, un truc pour te faire rire, un autre pour titiller ton nationalisme, quelque chose pour provoquer ton chauvinisme et réveiller ton amour propre pointilleux, un dernier mot pour te brancher sur un truc de religion, t‘obliger d’approuver et seulement à la fermer, pour éviter la damnation horrible !
Après quoi le cinéma , deux gestes de maniement de balle fictive de cirque, une mise en évidence de la bague de fer blanc à pierre noire sur auriculaire d’honneur ……
Ou, comment la chaise inutile, a été refourguée à un jeune sportif bachelier BBZ myope , deux fois son prix neuf, comme accessoire de gym’ : le postérieur enfoncé dans le trou du siège percé et , la main gauche tendue la main au sol pour assurer l’équilibre en remplacement du pied brisé.
Ça muscle même les cordes vocales, lorsque le buste coincé jusqu’a la glotte, tu appelles désespérément « au secours !! », en parler algérien oublié, en arabe littéraire sirupeux, en français de taxiphone en panne, en verlan kabyle chaoui, mozabite, targui, damoussien,… . Alors que par là , tu t’égosillerais en vain à rameuter des voisins assoupis, qui ne comprendraient que le langage rifo-tunisois mielleux branché , sauce financière .
Le beauf ’ fonctionne ainsi, à l’ancienne : il te vendra un million de dinars un truc de deux sous, te proposera trois centimes ta Mercedes cabriolet en rodage. Encore et toujours le syndrome du « benvacan » ( bien vacant) qui afflige le pays .Et, plus moderne encore de trempette dans la farine : l’absolution de la tromperie flagrante en vertu de la fameuse théorie « tidjara h’lal » .Fallait y songer.
En attendant pire .
Le beauf’ du bled vit pas mal sa notoriété bricolée, grâce à des racontars qu’il a su rentabiliser, dans un monde il est vrai épris de khortis et rêves. Faute de mieux.
Un monde conscient de l’absurdité de sa triste situation et qui s’en accommode de plus en plus, comme d’une seconde nature. Le père du beauf’ modeste paysan fellah émigré, vendeur de tapis , a été transformé en proprio rupin d’hôtel restaurant à Paris . Le long abandon de famille du pater en cause, a été transformé en fuite patriotique historique pour organiser la révolution familiale , à la Gandhi. Pas moins. Le village du bled, un trou devenu fort Alamo durant la guerre et, depuis l’indépendance New-York ; les deux chèvres le troupeau le bétail, l’oncle maternel débile Socrate…..et que des vertus mythiques pour tous la lignée, jusqu’au cousin parano grave .
Bien entretenus, mensonges et légendes ont conféré au beauf’, la reconnaissance d’un statut social local respectable. Et de l’un à l’autre, tout le quartier a travaillé le filon de l’éloge indû, de même, en un élan de solidarité profitable à tous les menteurs effrontés du canton. La foule au portillon .
La seul chose dont il n’a jamais pu se départir, le beauf’ , un comportement misérable à l’usage du moindre dinar à grappiller, même symbolique. Le signe particulier indélébile, familial ,du crevard .
Et bien sûr, un mot nouveau dans le jargon pour expliquer le bienfondé de l’arnaque qui ne dira jamais son nom : «y bougi » !
Moh, mon poissonnier du marché T’nach à Belcourt, en rigole en ajoutant : « mais saura-t-il un jour ton beauf’, et pour autant, comment nous débarrasser du gros poisson, qui pourrit d’abord de la tête ? »
Farid Talbi
27 décembre 2014
Farid Talbi