par Belkacem Ahcene-Djaballah
Le déserteur. Récit-document de Maurienne (pseudonyme alors utilisé par Jean-Louis Hurst). Enap Editions, 267 pages, 500 dinars Alger 1992.
Un livre édité pour la première fois en avril 1960, deux ans avant la fin de la guerre de libération nationale, puis saisi. Sous l’appellation «roman» et sous pseudonyme (choisi par l’éditeur). Il fut immédiatement interdit par les autorités françaises. L’éditeur, Jérôme Lindon fit face à la Justice qui voulut connaître le nom de l’auteur ainsi que celui des personnages décrits : Deux soldats déserteurs rencontrés en Suisse, Meier et Orhant, Mandouze, Vauthier, Allel El Mouhib, l’Abbé Robert Davezies. Condamnation pour «provocation à la désobéissance» ! L’auteur entre en clandestinité (il avait déserté durant l’automne 1958 et, grâce à Henri Curiel, avait participé, avec trois autres déserteurs, alors réfugiés en Suisse et oubliés de tous, à la création du mouvement d’insoumission «Jeune Résistance, JR»). L’ouvrage avait été largement diffusé par le mouvement étudiant français et parut ainsi dans plusieurs pays. Il fut même traduit en japonais.
L’histoire est simple et humaine : des jeunes , appelés à effectuer leur service militaire en Algérie pour combattre les «fellagas», refusent l’appel, non par lâcheté ou par égoïsme, mais seulement par engagement politique (après analyse des situations, discussions et réflexions, s’opposant aux prises de position des partis politiques de gauche de l’époque totalement ankylosés) en faveur des «damnés de la terre», contre la torture, contre l’exploitation coloniale Au départ, ils n’étaient que quatre ou cinq. A l’automne 60, le procès du réseau Jeanson accéléra le processus. Par la suite, il y en eut des centaines et des centaines, déserteurs ou/et insoumis.
Français, décédé en France le 13 mai 2014, l’auteur est aujourd’hui, comme il l’a souhaité avant sa mort (pour moi, un symbole extrêmement fort de fraternité! une réponse claire à tous ceux qui veulent faire perdurer les fractures culturelles et cultuelles), enterré, le 21 mai, en Algérie, au cimeterre chrétien de Dar Essâada /Alger. Son épouse (décédée le 30 novembre 2012) aussi, dont les cendres ont été transférées de France. Ayant totalement aimé l’Algérie au point de refuser d’y combattre dans l’armée colonialiste et, par la suite, ayant choisi d’y vivre assez longtemps , en tout cas le temps de faire un enfant (une fille ,Annick) et d’y enseigner, le plus bel hommage à lui rendre c’est de lire ou de relire son livre si vous arrivez à le trouver.
Avis : Appel aux éditeurs : Le rééditer (et le traduire)… ainsi d’ailleurs que tous les autres ouvrages de tous les innombrables «justes».
Extraits : «Ce n’est pas une bonne façon de résoudre les problèmes que de faire semblant de les ignorer» (p 17, préface des éditeurs de la première édition), «Je considère un peu la révolte comme la grâce de l’incroyant» (p 30), «La caserne, c’est effroyablement banal. Je n’aime pas la vie militaire, mais elle a, au moins, un côté valable : tu acquiers , grâce à elle, une philosophie réaliste et pleine de bon sens qui te permet de te démerder dans n’importe quelle situation et de voir la vie sous son aspect agréable» (p 49), «On n’est pas toujours capable d’y voir clair quand on est tout seul» (p 54).
http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5200752&archive_date=2014-07-17
27 juillet 2014
Belkacem AHCENE DJABALLAH