Contribution : L’Algérie est infiniment grande, mais…
Par Menhaouara Mourad
Enfant, j’étais intrigué par ces bouteilles avec de jolis bateaux à voile à l’intérieur. Je me demandais naïvement comment a-t-on fait pour introduire et fixer la maquette de ces voiliers dans un espace si réduit ?Au-delà de cette prouesse technique qui consiste à sublimer la représentation d’un objet en art contrastant avec la réalité, je me demandais en même temps, pourquoi exposer un bateau dans un contenant en verre alors qu’il est conçu pour naviguer dans des océans immensément grands ? De même, pourquoi claustrer un dromadaire avec du sable dans un flacon alors qu’il est né pour traverser le désert ? Se sont là quelques-unes des questions que tout enfant pose lorsqu’il cherche à comprendre le monde qui l’entoure. A cet âge tout semble compliqué et c’est à la faveur d’un long processus d’apprentissage que l’on commence progressivement à percer ce qui nous paraît mystérieux.
Aujourd’hui, adulte, presque à l’automne de ma vie, comme le dit la chanson de Jean Gabin, je croyais disposer suffisamment de capacités intellectuelles pour appréhender la complexité de certaines choses de ce bas monde. J’avoue malheureusement ma faiblesse à saisir certaines subtilités dont quelques uns ont le secret. Impuissant, je continue à être confronté à certaines situations qui me semblent aberrantes et qui m’interpellent sans que personne ne soit en mesure de m’apporter un début de réponse à mon questionnement.
Comme en atteste cette intrigue qu’on m’a rapportée toute aussi étonnante en raison de «l’ingéniosité» dont a fait preuve ce chauffeur d’une petite berline, une quatre CV de l’époque, lorsque interpellé par un gendarme, ce dernier était sommé de s’expliquer sur la manière avec laquelle il s’était pris pour entasser une dizaine de passagers dans l’habitacle de ce minuscule véhicule. La réaction de ce gendarme devant ce fait insolite, au demeurant logique, me conforte dans l’idée que je ne suis pas le seul à m’exciter les méninges pour essayer de comprendre l’entêtement de quelques téméraires qui s’obstinent, quoi qu’il en coûte, à contourner l’obstacle que présente un contenu disproportionné de par son volume par rapport à l’exiguïté d’un contenant. Je suis persuadé que nous sommes nombreux, hélas, à se poser les mêmes questions sur ce qui nous semble impossible à résoudre comme équation. D’autres exemples peuvent être cités que tout un chacun peut rapporter à sa manière pour témoigner de certains faits qui relèvent parfois des bizarreries qui surprennent et qui nous laissent interloqués. Des faits avérés, inspirés de notre quotidien, peuvent être cités à l’infini dans ce registre. Dernièrement, on a organisé à Blida un match de foot qualificatif pour la Coupe du monde, évènement planétaire par excellence. Compte tenu de l’enjeu, on n’a pas lésiné sur les moyens afin de sensibiliser et de galvaniser la foule qui avait été invitée à supporter El Khadra. Malheureusement le stade choisi pour abriter cette rencontre, fort attendue, ne pouvait contenir à son maximum qu’une trentaine de milliers de spectateurs. Cet écart abyssal entre la dimension de cet évènement et les capacités d’accueil de ce stade a engendré une grande bousculade à l’entrée du stade. Toujours dans le même ordre d’idées, on construit encore des logements de type F1 et F2 que l’on attribue à des familles nombreuses constituées de deux et parfois de trois générations. A elles de se débrouiller pour trouver les ressources nécessaires leur permettant de s’adapter aux lieux, quitte pour chacun des membres de ces familles, à dormir à tour de rôle dans ces réduits leur servant de toit. On peut aussi citer le cas de la plupart de nos bus qui circulent, bondés de passagers telles des sardines dans une boîte de conserve, et ce, au mépris des règles de sécurité. Tans pis ! L’essentiel est d’arriver à bon port. La fin justifie les moyens comme on dit.
On rapporte même que notre pavillon national, que ce soit Air Algérie ou la SNTM/Cnan se risquent à prendre plus de passagers que ne l’autorise le règlement.
Tenez ! Par exemple : citons le cas de notre capitale Alger qui étouffe à cause des embouteillages et de sa surpopulation. C’est un peu l’histoire de cette curieuse bouteille, qui autrefois m’accaparaît l’esprit. Comment font les Algérois au quotidien pour se mouvoir de cet espace si étroit ? Ma question peut paraître déplacée au regard des souffrances et des difficultés qu’endurent les Algériens qui habitent ou qui se rendent par obligation à Alger. Loin de moi l’idée de comparer mes compatriotes à des objets enfermés dans cet environnement asphyxiant. Bien au contraire, moi qui suis habitué au grand air, incapable de vivre dans de telles conditions en raison de ma claustrophobie et sans ironie, je ne peux qu’exprimer mon admiration devant tant de courage et de facultés d’adaptation.
On nous dit même, que près de trois millions de véhicules transitent quotidiennement par Alger. Comment est- ce possible ? Enfin, comment dans un pays, le plus grand d’Afrique, avec toute son immensité ; sa population urbaine vit dans une promiscuité gênante et inconfortable avec toutes les nuisances possibles et imaginables dans une espèce de mégalopole s’étirant sur une bande étroite le long de la côte en se marchant presque sur les pieds ? Devant cette énigme, mon étonnement demeure tel que je le ressentais durant mon enfance face à cette bouteille magique avec son bateau maquette.
Ce paradoxe doit pourtant avoir une explication d’autant que cette prédisposition à s’accommoder à cet état de confinement dans un espace enserré dans des limites physiques infiniment réduites, constitue une caractéristique prédominante dans notre façon de percevoir et de s’approprier notre environnement.
Les pouvoirs publics, qui ont la charge de concevoir des stratégies de développement, nous prédisent un meilleur cadre de vie en nous annonçant avec assurance une prise en compte de cette préoccupation avec à la clé des projets qui participent à la satisfaction de cette attente. Belle promesse ! Néanmoins, force est de constater que les projets conçus à cet effet risquent d’induire des résultats contraires à ceux escomptés. On nous promet des millions de logements qui seront construits à la verticale (faute d’assiettes de terrain), des autoroutes à étages, des voies sous-terraines, de longs tunnels, de grands parkings, etc. En fait, à y regarder de plus près, tous ces projets, s’ils viendraient à être réalisés vont favoriser de grandes concentrations de populations dans des sites essaimés en périphérie des grandes villes. Autrement dit, on va davantage densifier en infrastructures et en équipements un espace déjà saturé lequel par effet d’entraînement, encouragera le trafic automobile sans pour autant le rendre plus fluide.
L’option du «tout automobile» stimulé par le culte de puissance, de liberté et de réussite sociale, savamment entretenu autour de ce moyen de transport individuel chez chaque algérien et algérienne, nous conduira, à coup sûr, à une impasse à l’image de la ville de Salo Paulo au Brésil dont les habitants parmi les plus aisés, pour échapper aux embouteillages, ont recours aux hélicoptères pour se déplacer. A l’exception de Pyongyang, capitale de la Corée du Nord, où il n’y a quasiment pas de circulation, aucune ville au monde n’est parvenue à maîtriser le flux des véhicules intra muros. Alors, cessons de croire à cette illusion qu’un jour les Algérois, Oranais ou Constantinois…, auront droit à un espace sain, accueillant et décongestionné dans lequel il pourra s’épanouir et respirer à pleins poumons sans pollution et sans stress. La vérité est que cette étroitesse spatiale a eu pour effet de comprimer les esprits de ceux qui ont en charge la conception de ce monde meilleur. Ceux- là, à force de regarder leur nombril à défaut de se projeter dans un environnement plus large, risquent d’avoir une perspective de l’espace inversement proportionnelle à celle de l’Algérie dans toute sa grandeur au sens cartographique du terme. Perdre son temps (et l’argent) à rafistoler un parc immobilier centenaire qui se lézarde et tombe en ruine au gré des vicissitudes du temps pour entretenir ce mythe d’«Alger la blanche» pendant que s’amoncellent dans ses rues des montagnes d’immondices et que son ciel s’assombrit d’un smog mortel généré par les gaz toxiques des échappements, il y a forcément une incohérence entre ce triste constat et le remède préconisé. Il est vain de se focaliser sur les grands centres urbains par le déploiement d’une politique de réhabilitation du bâti ou par la réalisation d’infrastructures de base et de programmes de logements neufs s’il n’y a pas à la source de cette débauche d’énergie généreuse, une stratégie intégrant des critères de développement durable, devant viser d’abord et avant tout, la promotion de l’homme dans un environnement censé être préservé ou à réinventer.
Il faut transcender cette fâcheuse tendance à regarder l’Algérie par le trou d’une serrure qui mérite plus qu’une opération de «bidouillage». Son territoire est vaste et ne demande qu’à être mis en valeur de manière équilibrée par la prise de décisions courageuses et ambitieuses. Son Sud en particulier doit recueillir toute l’attention des pouvoirs publics. Pour cela, il conviendrait au préalable de se défaire de certains clichés véhiculés par les «Nordistes» faisant de cette contrée, une zone qui invite au dépaysement et qu’une chaîne de télévision, comme pour sceller définitivement le statut exotique de cette région et en écho à ces stéréotypes, diffuse avec redondance des reportages sur la dense targuie ou sur le charme discret d’une palmerais d’un ksour… en ruine.
La région du Sud, qui n’a jamais aussi bien porté son nom de désert dans son acception la plus terrifiante en termes de désolation, d’abandon et de dénuement, mérite autre chose qu’une escapade touristique ou d’être considérée comme le goulag des têtes brûlées, mutées par leur employeur pour des motifs disciplinaires.
Notre responsabilité individuelle et collective nous commande de nous réapproprier cette partie intégrante de l’Algérie pour en faire un pôle attractif sur le plan économique, industriel, culturel et social en créant, pourquoi pas, un écosystème en plein Sahara tel que l’a suggéré un leader d’un parti politique il y a quelque temps déjà lorsqu’il a proposé d’entreprendre le creusement d’un canal qui acheminera l’eau de mer dans cette partie de l’Algérie avec autour, l’implantation de centaines de nouvelles villes construites selon la norme HQE avec, cerise sur le gâteau, l’alimentation en énergie renouvelable grâce à l’ensoleillement. C’est par la réalisation d’ouvrages titanesques, frisant la folie même, que certains dirigeants clairvoyants se sont distingués à travers l’histoire contemporaine qu’ils ont marquée à jamais par leur audace et leur génie. Alors, pourquoi ne pas rêver qu’un jour, nous réaliserons sur cette terre hostile transformée un havre de paix, un vrai jardin d’Eden au grand bonheur de tous les Algériens et Algériennes ! Voilà, me semble-il, une approche qui contribuera peut-être à proposer une autre alternative à cette sempiternelle problématique de gestion des espaces qui rétrécissent comme une peau de chagrin dans le nord de l’Algérie et qui concentre toute la dynamique de développement au détriment des 3/4 du reste du pays.
M. M.
Menhaouara.mourad@neuf.fr
Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2014/01/07/article.php?sid=158749&cid=41
7 janvier 2014
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