Et c’est alors que l’on découvre, quand on vient du nord, ce que l’on a sur le dos depuis les premières années de l’école : le poids mort de son corps. L’histoire nationale vous reproche de ne pas l’avoir sacrifié à la guerre même si vous n’étiez pas né. Face au martyr qui n’a pas de corps, vous, vous êtes coupable d’en avoir un qui est bien nourri, qui ne mérite pas de vivre, qu’on doit justifier. L’islamisme rampant, celui de la barbe ou du cerveau vous crient ensuite que votre corps est sale : vous devez le laver, le cacher, l’enjamber pour aller à Dieu, le tuer en l’autre, le mépriser pour atteindre la pureté et le prendre de haut pour médire sur sa genèse, son désir et son plaisir. Les islamistes vous demandent alors de le trahir et de le cacher ou de le punir, s’en méfier, en avoir honte. Vous ne pouvez alors plus danser, le partager, l’offrir ou l’aimer et l’aimer en l’autre sans vouloir le posséder et le dominer pour mieux le nier.
Et du coup, habitant du nord soudain plongé dans le sable qui va jusqu’à l’étoile nue, vous découvrez ce qui fait souffrir aussi le nord : le corps et l’idée que l’on s’en fait. Les fêtes du nord se révèlent alors comme des moments de violences et de contraintes, le festival au nord y a le sens du débordement canaille et n’est régulé que par la matraque du flic, les noces sont une corvée mondaine, la danse une exhibition malsaine, le chant une plainte ou une rage et la joie une mauvaise sensation traquée de partout.
Vous découvrez ce qu’ont fait de vous les islamistes passifs, les kasma, le politique, l’arabisation, le vol de votre histoire, le manuel scolaire et le déni de soi. Vous découvrez qu’on vous a inculqué la honte de soi et du corps et que vous êtes malheureux. Tout l’Ahagar vous le dit, sans un mot.
18 novembre 2013
Kamel Daoud