L’ENTV, vous la subissez, vous ne la gouvernez pas. Elle ne dépend pas de vous. Vous n’êtes pas autorisés à savoir combien elle prend de votre poche pour tromper votre œil et parler à la place de votre bouche. La censure ? Non, elle n’existe pas en Corée du Nord. Pas l’ENTV. Tout le monde y a droit à la parole. Mais en sourd-muet. Affirmation d’une inconcevable impudence. A s’y arrêter pour rire, grimacer, sangloter ou aller sur la lune, planter un autre drapeau et demander une autre indépendance.
Parler du DRS ? Jamais, selon Khalladi. Le bonhomme pousse l’explication jusqu’au Niagara de l’absurde : le dossier DRS est qualifié de « petites coquetteries ». L’homme que l’on sait proche de qui se dit, frère du frère, abuse puissamment et comiquement de son emploi pour violer les évidences. On ne sait pas alors penser de soi, de l’autre et de l’humanité en lisant une telle réduction de l’os du pays à un chewing-gum d’oisiveté. Le DRS serait donc les initiales d’un grand poème inintéressant.
Mais là où le langage du bonhomme atteint le sommet de la moquerie, c’est quand il répond à la question du «la télévision nationale n’a jamais interviewé le président Abdelaziz Bouteflika ». Sa réponse est abyssale, magnifique, tragique, comique, cosmique. On ne peut pas la lire sans voyager dans l’espace, ni la penser sans s’abîmer, ni la relire sans s’étonner puis exploser : le PDG vous répond par un somptueux et extraordinaire « Nous n’avons pas demandé. Cela ne nous a pas traversé l’esprit ». C’est le « cela ne nous a pas traversé l’esprit » qui est là. L’ENTV n’a jamais pensé à poser des questions à Bouteflika. Cela n’est pas important dit elle, juste un détail, un fait divers. Interviewer le président du pays est une coquetterie en somme. Et la tournure de la phrase est une insulte en même temps, une clownerie. Il faut être algérien, savoir qu’est-ce que l’ENTV, comment elle fonctionne, comment elle filme, viole et obéit pour comprendre le sens insultant de cette réponse. Comprendre tout ce quelle charrie comme mépris. Comme plaisanterie nationale. Misère du sens, des peuples et des dictatures et des propagandes lorsqu’elles ne font plus la différence entre l’insolence et le non-sens.
12 novembre 2013
Kamel Daoud