Le budget consacré à l’enseignement supérieur a atteint le niveau fabuleux des 2,5 % du PIB et tout laisse penser que son ascension vertigineuse ne connaitra pas de répit dans les prochaines années. Cette augmentation du Budget ne peut manquer de se faire au dépend du budget global consacré à l’éducation et la formation. La situation inédite, ainsi créée, pose déjà une question constitutionnelle : jusqu’à quel niveau l’Etat peut-il accompagner cette augmentation des dépenses de l’enseignement supérieur ? L’éducation jusqu’à l’âge de 16 ans consacrée par la constitution ne commence-t-elle pas à en pâtir de cette réorientation des crédits vers d’autres besoins non consacrés constitutionnellement alors que les problèmes de l’éducation pour tous les moins de 16 ans sont loin d’être résolus si l’on en juge par la déperdition scolaire qui touche cent mille enfants tous les ans dans le primaire alors que 15 % des enfants de moins de 16 ans sont analphabètes. Cet anachronisme ne risque-t-il pas de s’accentuer dans les années à venir ?
Le problème de la langue ne doit plus être considéré comme un tabou. Tous les enseignants constatent aujourd’hui la non-maitrise de la langue, quelle qu’elle soit, par leurs étudiants. Pourquoi continuer à enseigner une deuxième langue voire une troisième langue au rabais puis la consacrer comme seule langue au cours des études supérieures principalement scientifiques ? Le résultat apparait dans l’important taux d’échec constaté dès la première année universitaire. L’étudiant ne comprend pas les cours et assimile très mal les polycops !
L’augmentation des crédits de l’enseignement supérieur s’explique essentiellement par l’augmentation des effectifs des étudiants, des enseignants, des infrastructures mais malheureusement pas, par la qualité, pire cette dernière ne fait que chuter. L’introduction du système LMD, si elle se justifie dans le cadre de la normalisation de la formation à l’échelle planétaire, manque cruellement d’encadrement et ne peut délivrer qu’un mauvais produit. Le système LMD annoncé comme un choix crucial de démocratisation de l’enseignement supérieur s’avère aussi restrictif, à partir de son deuxième palier, faute d’encadrement. Les textes législatifs consacrés au LMD ne sont pas encore finalisés : quel niveau du doctorat LMD aura-t-il par rapport aux autres doctorats (de 3e cycle, d’Etat, d’université) reconnus par la fonction publique ?
Des problèmes similaires touchent la recherche scientifique qui n’arrive pas à trouver ses marques malgré un milliard d’euros officiellement apporté par le dernier plan quadriennal. La bureaucratie annihile toutes les bonnes intentions. Priver le chef de laboratoire de toute incitation financière alors qu’il est sensé être la locomotive, traduit une absence de logique. Le fait de faire du recteur l’ordonnateur des crédits de recherche destinés aux laboratoires n’a fait que consacrer un anachronisme de plus dont la recherche aurait pu bien se passer. L’absence d’obligation de résultats ancre davantage la place de l’université algérienne au bas du tableau des classements internationaux. Quant aux brevets d’invention, c’est un luxe trop cher, qui ne semble pas être à la portée des chercheurs de nos universités.
Dans le cas particulier des centres hospitalo-universitaires, les augmentations de salaire bien que légitimes n’ont fait qu’aggraver la situation budgétaire des structures hospitalo-universitaire dont plus de 70 % du budget sont aujourd’hui consacrés aux salaires : quid des soins, quid de la formation et quid de la recherche ?
A ces nombreux anachronismes s’ajoutent aujourd’hui une organisation autant injustifiée qu’improductive. L’enseignement supérieur qui s’est détaché de l’éducation nationale depuis une vingtaine d’année, lui est resté attaché, par son mode organisationnel. Les élèves dans les différents cycles de l’éducation rejoignent les écoles, CEM et lycées en septembre. Les étudiants ne commencent les cours à l’université qu’au début novembre. Cela n’empêche pas ces derniers de profiter au même titre que les premiers des mêmes dates de vacances scolaires en hiver et au printemps. Ce énième anachronisme est lourd de conséquences car, en dehors de tout arrêt de cours, le semestre d’études est réduit à un bimestre. L’année d’étude est alors réduite à quatre mois ! Pour résumer, la durée d’enseignement d’une licence aujourd’hui en Algérie est équivalente à une année universitaire d’un étudiant européen, coréen ou chinois.
Paradoxalement les outils pédagogiques sont peu utilisés ou font défaut. Quel est le taux de pénétration d’Internet dans les universités algériennes, quel est le nombre d’étudiants à avoir une adresse email, combien d’enseignants communiquent avec leurs étudiants via Internet ? Quel est le taux de consultation des bases de données bibliographiques dans les différentes universités ? Quelle est la bibliothèque universitaire qui ouvre au-delà de 15 h, ne parlons pas des week-ends et des jours fériés. Quel est le taux de consultation et d’emprunt de livres ? Tous ces éléments devraient constituer des critères pédagogiques d’évaluation de nos universités dotées de bibliothèques parfois remarquables. Nous sommes même tentés d’ajouter qu’en dehors des cours programmés, lorsqu’ils sont réellement et consciencieusement effectués, quelle autre activité pédagogique s’invite à l’université : présentation de livres nouvellement édités, de films, workshops sur de sujets divers, bulletins édités par les étudiants, sites web dynamiques bien tenus
Un autre aspect des anachronismes, et non des moindres, est celui lié aux multiples soutiens consacrés par l’Etat aux étudiants mais qui ne profitent parfois qu’aux fonctionnaires véreux et sans scrupules, si l’on en juge par le nombre d’affaires de malversations enregistrées au niveau des COUS. Comment continuer en 2013 à facturer un repas étudiant à 1, 20 Da (ou à un centime d’euro), un mois de transport universitaire à 40 Da et un mois d’hébergement à la cité universitaire à 70 Da ? Cette situation ridicule donne l’impression que chacun ment à l’autre dans des institutions sensées être un espace de rigueur et de bon sens.
Les anachronismes qui minent aujourd’hui l’université algérienne sont d’ordres organisationnels. En un mot, ils traduisent la mauvaise gouvernance de l’université algérienne. Autrement, comment expliquer que dans des espaces où sont concentrés les plus forts taux d’élite algérienne, ceux-ci n’ont pas droit au chapitre, ni au choix du recteur, ni de celui du doyen, ni au mode de gestion ou d’affectation des crédits ? Le résultat est une démotivation largement étendue, laquelle réduit aujourd’hui l’universitaire à un fonctionnaire qui fait le minimum de ce qu’on exige de lui, profite du moindre temps de vacances et cherche par tous les moyens de profiter du tout privilège qui se présente : stage à l’étranger, participation à des congrès
L’université algérienne est désormais confrontée à des problèmes de maturité, une réflexion d’ensemble s’impose tant aux décideurs qu’aux enseignants et aux étudiants. Sa mise à niveau suivant les standards internationaux, impose des décisions courageuses laissant de coté les approches politiciennes jusque là consacrées. L’avenir de notre pays est étroitement lié à de nouveaux choix.
* Enseignant chercheur
8 novembre 2013
Contributions