« La seule issue pour en finir et de manière définitive avec cette crise de logements qui a trop durée, nous est arrivé d’entendre, serait de transformer l’Algérie en société de propriétaires », l’objectif est noble, humain même, et une fois atteint on ne pourra nous nier l’énorme progrès accompli tant en matière de respect des droits de l’homme, parce c’est en partie de cela qu’il s’agit, qu’en d’autres. Seulement, si on se fiait à Paul Virilio qui estime que tout progrès est générateur de son accident, on doit s’attendre à ce qu’il y ait des conséquences. En définitive, les cités AADL serait une arme à double tranchants, ces logements accessibles à tous, cette version locale, ni revue ni corrigée, des HBM (Habitations à Bon Marché) qu’on n’ose pas désigner ainsi par crainte de faire le rapprochement avec des expériences qui ont certes hissé les européens moyens au rang de propriétaires, mais ont eu des effets des plus indésirables.
« Chacun sur terre se fout, se fout, des p’tites misères de son voisin du dessous »
Se référer à Brassens est certes moins « classe » que d’appuyer son propos d’une citation d’Ibn El Muqaffa’, il faut croire que tout le monde n’a pas l’ouverture d’esprit et l’érudition de certains. Ceci dit je trouve que ce refrain résume bien l’idée que je m’apprête à développer : aborder les rapports de voisinage.
Je commencerai par dire que la configuration des cités impose la forme de sociabilité (liens de voisinages et autres) qui y domine. Leur situation recluse par rapport à la ville, fait de ces groupements des cités dortoirs, le jour d’un calme à vous donner la chaire de poule, des parkings vidés de leurs autos. De temps à autre un marchand de sardines trainant sa charrette est aperçu au loin comme pour signifier qu’à l’intérieur de ces corps en béton somnolerait une âme discrète. Une activité humaine plus ou moins dense est perceptible à des heures très fixes de la journée, la plus importante est celle de « la grande migration du matin », l’heure à laquelle les habitants actifs s’apprêtent à vaquer à leurs occupations, coïncidant ainsi avec le départ des écoliers en direction des salles de classe. Des groupes de femmes accompagnant leurs bambins se forment, liées par un sort commun, endurant une situation commune, on partage, on échange, on se félicite, on se console le laps de temps que permet le trajet menant à l’école. Et puis il y a le défilé des hommes en blanc aux heures de la prière, hâtant le pas en direction de la mosquée de la cité. Vers la fin de la journée, quelques groupes d’hommes n’excédant pas les dix membres chacun prennent place à des points très précis de la cité. L’heure est au débat, autour du câble cassé de l’ascenseur, de la bobine grillée de la pompe à eau, de l’opération de délestage prévue par la Sonelgaz qu’on aurait lu dans le journal, des coupures d’eau à répétition, etc.
Au fil des ans des affinités timides finissent par se créer, entre voisins du même palier, du même bâtiment, ou habitants de blocs mitoyens. Des affinités qui se manifestent par le partage d’une table sur la terrasse d’un café, par le prêt des ustensiles de cuisines et autres outils de bricolages, mais, à des exceptions près, ça ne va jamais au-delà. Les exceptions quant à elles seraient ces mouvements de solidarité qu’on peut constater lors que le deuil frappe l’une des demeures du bâtiment et qu’on daigne prêter main forte à ses occupants par pure obligation socio-religieuse. Ceci dit un fait marquant serait à noter, même si les relations entre voisins d’un même palier restent plus ou moins cordiales, celle d’entre occupants d’appartements superposés sont toujours plus compliquées. Une méprise technique serait à l’origine des hostilités. Car, quand on avait conçu les bâtiments AADL on n’avait pas jugé utile de soigner l’isolation phonique, résultat : l’habitant du dessous se plaint continuellement du vacarme causé par le voisin du dessus, tendis ce que ce dernier « se fout royalement de la p’tite misère de son voisin du dessous », sa misère à lui, c’est à celui d’en haut qu’il la doit !
Tous dans le mixeur
S’il me devait de fournir une explication à la faible densité morale dans ces nouvelles cités -comprise ici au sens sociologique du terme, soit un lien quasi inexistant due à la difficulté de communication entre agents sociaux partageant un même espace-, je dirais que la composante humaine en est pour quelque chose. Rappelant que ce qui fait la particularité de la formule AADL est que tout le monde a la même chance d’accéder à la propriété, avec cette seule condition, tout de même, d’être apte à honorer ses engagements, d’avoir un revenu relativement stable qui permet le règlement du loyer et des différentes charges. C’est ainsi que cette condition se transforme en un fait aliénateur, ayant la capacité de mettre tout les demandeurs/éventuels acquéreurs sur un même pied d’égalité, ce qui en résulte : des cités occupées par des familles d’origines différentes, appartenant à des catégories sociales très diverses. Mais si « l’égalité des chances » arrange bien certains, elle atteint d’autres au plus profond de leurs égos.
C’est une terrible condition, celle d’aliéné qui consiste à perdre le contrôle de sa destinée. Cela concerne une classe moyenne émergeante à qui on refuse le moyen de se démarquer, puisque l’acquisition foncière n’est plus désormais un marqueur social, avoir une voiture non plus. Et qui avec le temps finit par se replier sur elle-même en érigeant un mur la séparant du reste du monde, signe du refus d’une mixité sociale non planifiée, mais demeure imposée. Sous-louer son logement est un stratagème efficace pour la déjouer, on attendant qu’on ait réussi à s’affranchir du prix de l’habitat pour le revendre.
Je termine par ceci, dire que comme la pendule de Schopenhauer, la vie de l’Algérien en mal de logement oscille, de droite à gauche, de la souffrance d’être non-logé à l’ennui d’être mal-logé.
8 novembre 2013
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