Tous piégés par la peur et la soumission entre l’évocation et l’invocation.
Et ce texte se répand, monte en colonnes vers le corps et le décor, mange le monde et transforme l’être en zombie, en mort-vivant et donne ce teint gris au visage et cette courbure du dos et de l’œil vers le rite. Un lent épanchement qui ternit la lumière et soumet l’intelligence à la peur et la panique. On le voit partout, grouillant avec ses syllabes incurvées et muettes qui pénètrent dans les âmes, cette torsion du langage vers l’objet animique. L’Algérien aujourd’hui semble plus expier que vivre, tombé dans la culpabilité plus que les anciens royaumes malades du Moyen Âge de l’Occident, malade de ses doutes et à reculons face à l’obligation d’assumer et de vivre.
Et ce texte monte encore plus, va profond, noircit les murs et les têtes, fait pousser la barbe dans le sens du sauvage, raccourcit la robe de l’homme et allonge celle de la femme, impose des graffitis en guise de grandes idées et pousse l’homme à tuer au nom du devoir de délivrer autrui. Cela touche les livres, les ramène aux âges anciens, les transforme en vieux cadavres et les éteint, un à un. L’univers est désormais binaire : Hallal/Haram. C’est le décompte du siècle : entre le zéro terne et le Un impérieux, dérivé pauvre du monothéisme.
Et cela attriste le cœur de voir les siens, ceux de son peuple sombrer dans telles misères de l’esprit, réduits à des ombres et des rites. On ne peut pas faire des nations avec de tels cadavres. Juste des inquisiteurs et encore plus de pauvreté. Juste des morts et un pays que l’on ne peut pas vivre. Le monde musulman sombre de plus en plus, à vue d’œil. Il disparaitra. Rongé par les mites, au cœur du tronc et de l’arbre de ses généalogies. Il ne le sait pas encore. Et répond par la colère et le sang quand on le lui rappelle avec douceur et compassion.
30 octobre 2013
Kamel Daoud