Les reins rompus par le poids du couffin, elle essaye de s’aider de la rampe d’escalier pour grimper les étages, mais se rappelle qu’elle a été arrachée. «Moussiba inchallah»,
ils ont tout bouffé». Elle ne peut même pas s’arrêter parce que ça pue, le vide-ordures est bouché. L’envie lui vient de gueuler, mais les notes de musique classique qui sortent d’un appartement semblant le fuir, l’ont empêché. «El-mouziga fel khnez», on aura tout vu». La symphonie de Vivaldi, «Les quatre saisons», est dans tous ses états, dans ce bâtiment apocalyptique : le «SOL» souffre, le «LA» trouve l’ambiance lamentable, le «FA» pleure la façade, il semble interpeller l’OPGI qui s’en moque éperdument. «SI» les voisins s’entendaient pour régler les vingt millions de charges impayées», le «MI stère» des ascenseurs, très souvent en panne, serait résolu. Le «RE», lui, fait appel aux réminiscences d’un passé lointain. Pauvre Vivaldi, se dit-elle
et pauvre immeuble. Les rats se confondent avec les habitants dans ce joyau architectural.. Cette bâtisse est composée de deux blocs, le nord et le sud ; on dirait que la guerre de sécession s’est déroulée en ces lieux, «guirra khouya !». Si vous ne me croyez pas, faites-y un tour, me dit Eddaouia qui broie du noir. Le minimum de civisme est dans le hall principal : il y a deux gros trous que les chutes du Niagara ne feraient pas.
Les voisins n’arrivent pas à s’entendre pour payer les charges. On dirait «graba» et avec tout ça, quand tu les vois descendre, tu jugerais qu’ils viennent de Beverly Hills. «Au fait, tchu as pu me débrouiller Channel N° 5 ? Bdîte nmell Cachaghelle
Khalti Daouia les imite à la perfection, avant de continuer
Brass el melh, s’il n’y avait pas ces pauvres femmes de peine qui se tuent à l’ouvrage, loukène metna. Dans ce bâtiment «le comité syndic» est composé, essentiellement, de femmes. Elles font le porte-à-porte pour sensibiliser le voisinage, mais tous s’enferment dans leur cage à rats et se complaisent dans cette situation. Ouine Rakoum yâ rjel zmène ? Les hommes qui respectent leurs moustaches, n’accepteraient pas de voir leurs enfants vivre dans une benne à ordures.
29 octobre 2013
El-Guellil