Le ministre de la Santé va lancer 800 lits d’hôpitaux, celui de l’Education 523 écoles, celui du pétrole 124 puits, celui des Transports va acheter 25 avions.
Et ainsi de suite. La vision du développement chez le gérant algérien est au poids. L’idée est le chiffre. Du coup, cela va crescendo ou vers le bas sur le même rythme : développer est construire les grandes choses, pas les petites. Ainsi à Oran il y a beaucoup de choses en vue, des gratte-ciel, des pôles, une usine Renault, des satellites, un tramway et prochainement un métro mais seulement 2 pissotières. Parce que le wali a ses propres toilettes et les habitants de la ville aussi, personne ne songe que la ville puisse accueillir des visiteurs, héberger des passants, recevoir des voyageurs ou abriter des promeneurs. Il y a même un ministre du Tourisme en Algérie et qui a son budget et ses phrases fétiches mais personne ne pense à comment vont faire ces touristes face au premier besoin de l’humanité. Il est supposé que les étrangers n’ont pas de vessies, ni les voyageurs. Donc on pense au métro mais pas aux pissotières ni à l’hygiène des villes. Du côté est de la ville il fut un temps où les voyageurs de la gare du coin s’abritaient, femmes et enfants, au rez-de-chaussée des immeubles pendant que l’on parlait, en haut de plan quinquennal. Et ce n’est pas une boutade, mais l’exact exemple de cette mentalité des développements surréalistes dans les pays sous-développés : on y construit des ponts mais pas de pissotières. On finance les besoins du chef, pas ceux de la nature.
Les pissotières qui existent chaque deux mètres en Occident et dans les pays du grand tourisme, on n’y a songé à Oran qu’une seule fois de mémoire de chroniqueur. Le jour de visite de Juan Carlos, le Roi d’Espagne à Oran. On lui a ramené, pour son périple à Santa Cruz une spéciale, transportable. Pas pour les indigènes. Selon la blague, on peut faire ses besoins où l’on veut après le départ du colon. C’est apparemment pris à la lettre. Oran, seconde ville du pays, Alger ou d’autres, on y va et on s’y soulage comme on peut là où on peut. Le pays a pensé à de grandes choses pas aux petits coins. Et cela est l’étrange confession la plus directe sur la vision du confort, de l’environnement, de l’urbanisme et de l’autre. Les décolonisés souffrent encore de lourdes maladies comme celle de penser à égaler l’ex colon et pas à se soulager dans la décence. Le but est le chiffre, pas l’aisance. Misère des conceptions misérables du développement. Des pissotières, c’est de l’emploi, de l’hygiène et de l’accueil pour les étrangers. Personne n’y pense car justement on peut le faire où l’on veut, dit-on.
29 octobre 2013
Kamel Daoud