A la fin cela donne l’impression que l’on écrit le même billet, sur le dos de la même pierre sourde. Faute d’inspiration ? Un peu, mais aussi la faute du pays. Depuis 62, on en est au même casting : une classe moyenne piégée et détestée, l’Armée, pouvoir apparent, le FLN,
un Président et des élections sous forme de méchoui. On agite et on laisse revenir ou se reposer. Ce n’est pas la chronique qui se répète, c’est le pays qui fait dans le remake. Comment inventer du nouveau quand, depuis 50 ans, on en est à 62 : Oujda, Armée, populace, FLN et scénario ? Comment faire pour innover alors que la nation entière est coincée dans la rediffusion ? Que dire quand ce qui se dit aujourd’hui a été dit hier et même depuis l’indépendance ? Lorsque le chroniqueur écoute quelques vétérans de guerre, passionnés du pessimisme comme il se doit et riches en anecdotes sur nos péchés d’origines, il a cette impression que c’est la même histoire, en boucle, en série, en feuilletons, du congrès de la Soumam, à l’hôtel Ryad d’Alger. Quand on ne tue pas Abane, on tue Boudiaf et quand on ne subit pas Boumediene, on subit Bouteflika. Quand on ne parle pas de Oujda, on parle du Maroc. D’ailleurs, toute la structure du régime tend à recomposer son ancien squelette : un conseil de la révolution assise (Bouteflika, Gaïd Salah), un comité central avec le FLN, les partis de soutien reprennent la place des organisations de masse du socialisme et Amar Ghoul fait dans le Taleb Ibrahimi et Sadi a le destin de Ferhat Abbas. Le Maroc veut son Tindouf comme autrefois et nous on contrôle Oujda (cette fois économiquement), comme autrefois. Zeroual incarne un peu Benbella démissionné et encagé. D’ailleurs dès qu’il y a problème, on revient vers le congrès de la Soumam et la direction collégiale, ou le coup d’Etat contre le GRPA. C’est un instinct politique. Le pouvoir n’a pas changé, la crise de la légitimité aussi, le pessimisme est de la même essence et on use des mêmes moyens pour contrer les élites urbaines avec les masses rurales.
Comment voulez-vous alors que l’on écrive du neuf avec du vieux, du vieux en plus assis et immobile et murmurant ? On a beau retourner l’actualité dans tous les sens, elle est périmée. Le régime gouverne, le pétrole se vend, les élites grincent des dents ou mâchent, le peuple suit et nourrit sa laine et le FLN est toujours aussi efficace et aussi détestable. On n’a pas de but après la décolonisation. Alors on rembobine la première année de l’indépendance et on remâche la crise de l’été 62 mais avec de nouveaux acteurs. L’Algérie est toujours à l’heure d’été (62). C’est donc le pays qui est en boucle.
On lit le journal pour passer le temps mais le journal vous dit que le temps ne passe pas, justement.
28 octobre 2013
Kamel Daoud