Côté cour, tout semble indiquer que le président Abdelaziz Bouteflika ne peut aller au-delà de son mandat actuel. Pour une multitude raisons. En premier lieu, la question, délicate, de son état de santé. Celle-ci a déjà eu de graves répercussions sur la situation politique du pays,en altérant gravement le fonctionnement des institutions. Il est difficile d’imaginer le pays continuer ainsi, pendant de longs mois, voire de longues années, avec un chef de l’Etat physiquement diminué, n’effectuant plus aucune visite à l’intérieur du pays ou à l’étranger, incapable de tenir son rôle ou de présider les réunions, réduisant son activité à des rencontres irréelles avec le premier ministre ou le chef d’état-major de l’armée.
Et même s’il voulait rester, il ne pourrait accomplir les quelques impératifs que lui imposerait le cérémonial électoral. Même réduits à un strict minimum, les rituels indispensables semblent en effet au-dessus de ses capacités. Il faudra qu’il fasse acte de candidature, qu’il fasse au moins un discours, et qu’il assiste à la cérémonie d’investiture. A moins que la constitution ne soit précisément amendée auparavant pour lui épargner ces corvées, et lui permettre de désigner un vice-président qui fera la campagne électorale à sa place, comme il se murmure dans certains cercles d’Alger.
Ce cas de figure poserait un problème aux autres, à ces hommes qui détiennent le vrai pouvoir en Algérie.Accepteraient-ils cette situation ? Ils sont deux, ou cinq, ou dix, officiers supérieurs notamment, qui ont la lourde charge de décider de l’avenir du pays. Choisiront-ils, cette fois-ci encore, de ne pas décider ? Vont-ils fermer les yeux sur cette situation, et opter pour le statuquo, alors que l’Algérie est virtuellement paralysée depuis un mandat, se contentant de manger son pétrole pour éviter l’émeute ?
Et puis, l’arrivée d’un nouveau président est une simple question de bon sens. Dans ce monde qui évolue à une vitesse hallucinante, l’Algérie a déjà pris un retard préjudiciable. Peut-elle rester encore en marge de l’histoire, alors que le discours dominant, y compris au sein du pouvoir, insiste précisément sur la nécessité de ne pas rater ce virage ? Plus qu’un président, M. Bouteflika est devenu, malgré lui, un symbole de ce système politique usé, fatigué, finissant.
Côté jardin, il y a pourtant une autre réalité. De ce côté-ci, tout montre que M. Bouteflika ne quittera pas la scène en avril 2014. Alors qu’il reste six mois avant la présidentielle, rien, absolument rien, ne montre que le chef de l’Etat a l’intention de se retirer. Il n’a fait aucun geste en cens, il n’a fait aucune déclaration qui laisserait percer une intention en ce sens. Certes, s’il devait quitter le pouvoir, M. Bouteflika a tout intérêt à maintenir le suspens, et à attendre la dernière minute pour afficher ses intentions. Cela lui permettra de contrôler la situation le plus longtemps possible, et de peser sur les décisions, y compris, éventuellement, sur le choix de son successeur. En laissant planer le doute, il fige la scène politique. Il force tous les acteurs, décideurs et postulants éventuels à sa succession, à rester sur leurs positions, ce qui lui permet de garder l’initiative jusqu’au bout. Mais le chef de l’Etat ne contente pas de maintenir le suspense. Il continue, dans la limite de ses capacités physiques, à agir selon ce qui ressemble à une feuille de route, avec notamment un projet de révision de la constitution. Quelles dispositions compte-t-il modifier ? Nul ne le sait. Mais cela permet de donner l’impression qu’il y a un cap, avec un projet devant aller au-delà d’avril 2014. En demandant au gouvernement de préparer les prochaines échéances politiques, il veut se projeter dans l’après présidentielle. Prolongation de l’actuel mandat pour deux années supplémentaires, nouveau mandat, transformation du quinquennat en septennat, des « sources proches » de M. Bouteflika ont tout dit. Et contribué à instaurer une vraie confusion, dont ressort une seule évidence : le président est là, et pour longtemps.
Lui-même ne monte pas au créneau, mais ses proches sont là, envahissants. Ils répètent, à qui veut l’entendre, qu’ils veulent, qu’ils exigent un quatrième mandat. Le premier ministre Abdelmalek Sellal fait, par procuration, la tournée des wilayas, et distribue l’argent, exactement comme le faisait le président Bouteflika à la veille de son troisième mandat. Une situation qui a fini par déteindre sur les concurrents potentiels, qui attendent, attendent. Jusqu’à avril 2014, quand le quatrième mandat deviendra un fait accompli.
Côté cour ou côté jardin ?
24 octobre 2013
Abed Charef