Ne pas parler du politique. Regarder juste la rue : elle est mal faite, cabossée, sale et sans beauté. C’est à cause du goudron et des sachets bleus. Le premier à cause du maire ou de l’entreprise qui a été sélectionnée pour faire ce mauvais travail.
Donc à cause du régime qui a choisi le maire à ma place ou à cause de la corruption dont le régime a fait sa règle. Les sachets bleus ? A cause du paradis. L’idée du paradis et de l’au-delà tue la responsabilité ici-bas : puisqu’on ne fait que passer, autant jeter et salir. L’essentiel est après la mort. Le but est de rejoindre les ancêtres, pas de faire hériter nos petits-enfants. Revenons : Le maire ou la corruption. Parce que je ne vote pas vraiment, ou si peu. A cause du FLN qui tue et ne veut pas mourir. C’est-à-dire à cause d’une caste. C’est-à-dire qu’à la fin je ne peux pas échapper au politique puisqu’il me poursuit partout et c’est lui qui fait ma ville laide, ma route, l’école de mes enfants, prend mes cotisations pour Sidi Saïd et gère mes dépenses, vend mon pétrole à ma place et ne rapporte pas la monnaie. Le mauvais choix du goudron est dû au mauvais choix des hommes choisis sur la base de leur servilité plutôt que de leur patriotisme ou de leur honnêteté. Puisque le maire est mal choisi, c’est parce que ceux qui le choisissent ne dépendent pas de moi : DRS, walis, DRAG et ministère. Eux-mêmes sont choisis selon leur vassalité et leur soumission ou à cause du parrainage, souvent. Pas toujours mais trop souvent. Pourquoi ? Parce que le Président est mal choisi, à l’origine. Pas par moi, souvent. Il y a un lien entre un président mal choisi et le mauvais goudron. Il y a un lien entre la saleté et les ablutions qui visent le paradis et ne se soucient pas de l’environnement. Il y a un lien, toujours mais on refuse de le voir. C’est pour ça que l’on coupe une route pour dénoncer une route mal faite mais on ne va pas plus loin. On ne voit pas le lien entre la liberté d’expression et la nécessité de la surveillance des dépenses publiques qui permettra de lutter mieux contre l’enrichissement illicite et donc contre la contrefaçon politique. En principe, on ne peut pas renoncer à son droit de choisir réellement le dirigeant du pays qui va choisir les gestionnaires de notre argent et ensuite venir pleurnicher sur la hogra et l’injustice auprès de sa femme. Il faut assumer ou subir et se taire. On ne voit pas le lien entre la libération et la liberté. On refuse de voir le lien de cause à effet entre sa mal-vie, sa condition et le « politique ». Entre le renoncement à ses droits de choisir et le mauvais goudron et les trous dans la route et le service public. C’est parce que je refuse de voir le lien entre mes actes, chacun de mes actes, et la saleté ambiante, que le pays est sale. Et c’est parce que je refuse de voir le lien entre renoncement (de ma part) et l’injustice (du régime), qu’il y a injustice envers moi et les autres. Après viendra tout le reste : mauvais maire, walis prédateurs, ministres serviles et Président assis ou régime de castes.
Mais si je refuse et je crie et je dénonce alors que je suis seul et que la majorité ne dit rien, cela sert à quoi ? A casser le lien de complicité entre moi et le crime. Si un homme qui ne vous connaît pas, que vous ne connaissez pas, vous invite à agresser avec lui un vieux couple ou à tuer un salarié qui vient de sortir de la banque, vous le feriez ? Si non, c’est de même : sauf que l’on ne voit pas ce que l’on tue et ceux que l’on vole avec le « politique ». Dino Buzzati, l’Italien angoissé, a raconté l’histoire d’un homme qui découvre une veste magique où, à chaque fois qu’il plonge la main dans la poche, en retire des liasses et des liasses de billets de banque. Il en est heureux quelques jours puis, par la suite, découvre, dans les journaux, que les sommes correspondaient à l’argent volé à de vieilles femmes, de l’argent disparu des économies de tristes victimes. Le choix est difficile et chacun de nous, moi y compris, le sait au plus intime.
24 octobre 2013
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