Ces arguties, les exigences de dernière minute, les arrière-pensées, y compris celles du «président» Moncef Marzouki qui, visiblement, se verrait bien rempiler, la réapparition d’anciennes figures de l’ex-Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir sous Ben Ali et aujourd’hui dissous ; tout cela a provoqué un sentiment d’exaspération mais aussi d’indifférence croissante chez de nombreux Tunisiens. «Qu’ils s’entendent entre eux», est une phrase qui revient souvent et qui montre que la ferveur euphorique des premiers temps de la révolution a bel et bien disparu.
Mais vues de l’extérieur, ces péripéties ne peuvent cacher une réalité bien plus positive qu’il n’y paraît. Malgré ce qu’annoncent les Cassandres de tous bords, les Tunisiens semblent décidés à trouver une solution consensuelle et leur «dialogue national» n’est pas une mise en scène formelle. On le sait, trop de pays arabes, et l’Algérie en a fait partie, se sont engagés un jour dans des processus de «dialogue» qui, en réalité, ne visaient qu’à masquer une situation conflictuelle et une logique d’affrontement pour ne pas dire de guerre civile. «La Tunisie est une île» Cette formule souvent entendue prend ici toute sa dimension, les «insulaires» finissant toujours par s’entendre, du moins par être capables de trouver un terrain d’entente. Le traumatisme, l’indignation et la colère engendrés par l’assassinat de Chokri Belaïd puis celui de Mohamed Brahmi ont aussi beaucoup pesé dans la recherche d’une solution pacifique.
Bien entendu, la situation est loin d’être réglée. La Tunisie attend toujours une nouvelle Constitution et, surtout, un code électoral accepté par toutes les forces politiques. Car les élections à venir sont le véritable enjeu des joutes actuelles. En acceptant de quitter le pouvoir, et donc en prenant le risque de mécontenter une base travaillée par le salafisme et les idées radicales, la direction d’Ennahda ne fait pas uniquement preuve d’altruisme ou, pour reprendre les termes de l’un de ses dirigeants, de sens de la responsabilité. En réalité, le parti islamiste est bel et bien conscient de son impopularité croissante et de son incapacité à régler les problèmes, notamment économiques et sociaux auxquels la population est confrontée. D’ailleurs, diverses projections électorales circulent à Tunis et toutes entérinent le fait qu’Ennahda serait incapable de renouveler son score d’octobre 2011. Certains spécialistes peut-être induits en erreur par leur détestation du parti religieux affirment même que les nahdaouis seraient battus à plate-couture. En se retirant du gouvernement après avoir pris quelques précautions comme le fait d’avoir placé des hommes sûrs dans l’administration Ennahda se ménage donc la possibilité d’un retour triomphal aux affaires puisque ses responsables parient sur un échec et une impopularité certaine de la prochaine équipe ministérielle. On le comprend, cette stratégie est d’ores et déjà décriée par d’autres partis qui accusent les islamistes de duplicité. Reste que cette bataille, somme toute normale, empêche les Tunisiens de réaliser que leur pays est en train de réaliser le plus difficile : sortir avec le minimum de dégâts de la deuxième phase d’une transition qui est loin d’être terminée (**).
(*) L’union générale tunisienne du travail (UGTT), l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA, patronat), l’Ordre national des avocats de Tunisie (ONAT) et la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH).
(**) On peut considérer que la première phase de la transition s’est déroulée entre la chute de Ben Ali et le vote pour l’Assemblée constituante le 23 octobre 2011.
10 octobre 2013
Akram Belkaid: Paris