Une petite embarcation de fortune transportant plus de 500 migrants africains a fait naufrage et causé la mort de près de 300 personnes.
Un drame de plus, et de trop, quand on sait qu’en 20 ans, plus de 25 000 jeunes Africains ont perdu la vie en traversant la Méditerranée sur ces embarcations et à la nage. Entre le 03 et le 09 octobre 2013, le président allemand, Joachim Gauck, le ministre italien de l’intérieur, Angelino Alfano, le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, et bien d’autres dirigeants européens ont lancé un appel à un débat en profondeur sur le phénomène afin que ce genre de tragédie ne se reproduise plus. De son côté, le Pape François faisait le déplacement sur l’île italienne et, le 09 octobre 2013, c’était au tour du président de la commission de l’Union européenne de se rendre à Lampedusa. Pourtant, nulle part en Afrique, on n’a entendu de déclarations des chefs d’État au sujet de ce drame. Nulle part, on n’a entendu de messages de condoléances de nos gouvernements en direction de la Somalie et de l’Érythrée, les deux pays les plus touchés par cette catastrophe.
L’Union africaine, elle aussi, est restée immobile, au moment où la jeunesse africaine traumatisée attendait l’envoi sur place des plongeurs et des secouristes pour repêcher les corps et prendre en charge les rescapés, et d’une délégation pour une collaboration plus étroite avec les représentants de l’Union européenne dans le cadre au débat qui y a été enclenché.
Face à cette indifférence, nous, jeunes Africains, voulons comprendre comment l’Afrique peut en arriver à laisser à son voisin la responsabilité de pleurer ses propres morts, et pourquoi les chefs d’État africains ne se sont pas réunis en urgence au sein de l’Union africaine pour évaluer l’aide à apporter aux familles des disparus. Où est partie la légendaire hospitalité africaine? L’Afrique a-t-elle perdu son âme? Voilà, Madame la présidente de la commission de l’Union africaine, les questions qui inondent l’OJA depuis le 03 octobre 2013.
Ces questions sont d’autant plus légitimes que l’Italie a décrété un jour de deuil national pour ces morts en même temps que les élèves des écoles primaires et secondaires de ce pays observaient une minute de silence dans les classes. En Afrique, par contre, non seulement les populations n’ont pas été mobilisées et sensibilisées, mais aussi la presse gouvernementale de chacun de nos pays évoquait ce drame comme un fait divers qui ne nous concerne pas.
L’idée selon laquelle les dirigeants africains ne sont pas au service de leur jeunesse est désormais renforcée, et on comprend mieux la raison pour laquelle les jeunes du continent ont choisi, depuis ces vingt dernières années, le chemin de la fuite. En effet, ce n’est pas pour chercher une vie meilleure qu’ils traversent, de nuit comme de jour, la Méditerranée au péril de leur vie. Quand on va à la recherche de meilleures conditions de vie, on ne choisit pas la clandestinité qui est synonyme de cachette. S’ils traversent cette mer dangereuse dans les conditions les plus périlleuses, c’est parce que l’Afrique est devenu un enfer.
Ce que les jeunes Africains fuient, c’est l’injustice sociale, le manque de liberté et de démocratie véritable, la violence policière et militaire, les persécutions et les exclusions ethniques qui caractérisent les systèmes de gouvernance de nos pays, de la Somalie au Burkina Faso, de l’Érythrée en Guinée, du Congo-Brazzaville en Ouganda, du Soudan au Togo, de la Tunisie au Congo-Kinshasa, de la Libye au Cameroun, de la Centrafrique en Gambie, de la Sierra Leonne au Tchad, etc.
Pour mieux comprendre ceci, imaginez, Madame la présidente, un bâtiment de 20 étages qui brûle. Que font les occupants du 20ème étage? Ils sautent dans le vide. En sautant dans le vide, ils savent qu’ils vont mourir, mais ils sautent quand même, parce que dans ce vide subsiste encore l’espoir, bien que mince, de leur survie. Ils sautent donc, et ils meurent. Voilà l’espoir devenu la cause de la mort au lieu d’être le motif de la vie. L’Afrique, c’est ce bâtiment de 20 étages qui brûle, et la Méditerranée, le vide.
Saurions-nous un jour donner le véritable espoir à la jeunesse de notre continent? Nous, jeunes d’Afrique, vous saurions gré d’en faire la question centrale du prochain sommet des chefs d’État de l’Union Africaine.
* Secrétaire général de Organisation Jeunesse Africaine
10 octobre 2013
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