D’autres disent qu’il faut s’enrichir. Acheter des murs hauts, un groupe électrogène, un fusil, un puits, une bâche d’eau, mettre ses enfants dans une école «privée» et s’autonomiser absolument. Une mentalité de survivant à la fin du monde sauf que c’est la fin de soi, pas du monde. Cela développe en soi la froideur, le mépris, la colère. On finit par ressembler au pouvoir que l’on déteste à cause du club de pins que l’on se construit inconsciemment. D’autres se lamentent et disent que rien ne sert à rien. C’est une conclusion juste. Mais c’est celle des morts. Elle ne me servira à rien sauf à me pendre pour conclure. Il y a aussi la solution de l’enrichissement : avec de l’argent on peut tenir le mauvais monde à distance et voyager et se laver les mains de tous. Cela est vrai mais un voyage coûte cher à l’aller et, pire encore, au retour. Car on revient toujours. Il y a enfin la solution du compromis : je ne peux pas changer le pays ou changer de pays, alors je m’applique, dans le sacerdoce discret de mon engagement, à corriger la souffrance que je rencontre et à aider l’homme que je croise. C’est honorable mais low cost.
Alors la question reste posée sur nos têtes 88 comme un corbeau : quel est notre but à nous ici ? On est de moins en moins nombreux, on est épars, on n’a pas l’argent du Golfe, on n’a pas de religion qui tue et on est désespéré et on n’a qu’un seul bras et même pas une chaise roulante. Alors que faire ? Faire un choix de vie et l’assumer face aux autres. Le régime veut le régime et les islamistes veulent le califat. Les deux se battent pour des veaux d’or. Nous, on le fait pour nos enfants. Et pour que nos enfants aient un pays et pas seulement un souvenir de pays. Tous ceux qui ont essayé de coloniser ce pays et de traire la vache aux orphelins ont fini par partir et être vaincus. C’est la loi du pays. Ceux qui veulent le 4ème mandat et ceux qui veulent le 5ème calife ne mourront jamais à ma place. Ils ne vivront donc jamais à ma place, ici. Ils sont un produit dérivé du pétrole et moi je suis l’enfant de mes ancêtres. Selon le manuel de survie de l’Algérien face à l’Algérie, «résister n’est peut-être pas gagner la guerre, mais c’est toujours ne pas tout perdre».
7 octobre 2013
Kamel Daoud