1er partie
Par : Yasmine HANANE
Parler de la révolution de novembre 1954, c’est remonter à coup sûr dans les dédales du temps, pour revivre cette période marquante de notre histoire.
La guerre de Libération nationale avait incité tout le peuple à s’unir, pour faire face aux ennemis internes et externes du pays.
Une leçon pour les nations du monde, qui pensaient que l’Algérie n’était plus qu’un prolongement de la France en Afrique.
Les uns se frottèrent les mains à cette perspective, et les autres se pincèrent les lèvres. Pour les premiers, il n’y avait aucun doute que les richesses naturelles de ce pays allaient les combler, et les propulser sur le devant de la scène politique internationale, tandis que pour les seconds, l’Algérie était cette vache laitière dont ils avaient longtemps rêvé, mais qui leur avait échappé.
Mais ne voilà-t-il pas que les jeux sont faussés… L’Algérie n’était pas encore anéantie…Elle vivait dans le cœur et l’âme de ses enfants.
Les événements du 8 mai 1945 rallumèrent la flamme patriotique dans les esprits. Les promesses non tenues en révoltèrent plus d’un, et l’arme est vite retournée contre l’ennemi et vers un seul et ultime objectif : libérer l’Algérie.
L’histoire témoignera longtemps encore des événements vécus et subis… Des souvenirs marqués au fer rouge et soulignés de sang. Le sang pur des martyrs de la révolution.
Mon père, un maquisard de la première heure
Mon père n’aimait pas trop évoquer ces événements qui lui faisaient très mal. Se rappeler certains de ses compagnons tombés au champ d’honneur le torturait. C’est la larme à l’œil qu’il consentait, de temps à autre, à nous raconter la révolution… Il était jeune, beau, et portait dans son cœur l’amour de la patrie.
à l’instar de plusieurs jeunes de sa génération qui avaient déserté les bancs de l’école, il avait déserté la caserne de Sfax en Tunisie pour répondre à l’appel des siens.
Des hommes de confiance l’avaient chargé d’une mission dont il s’acquittera avec brio… Un test, puis c’est l’escapade… La fierté de servir le pays et de semer les premières graines de la liberté, il mettra son savoir et son avenir au service de la patrie.
étant lettré et très au fait de la politique mondiale, il contribuera tout d’abord à la rédaction des tracts et des correspondances, puis il s’initiera au paramédical. Il venait de boucler ses vingt ans !
Mon père n’avait jamais manipulé une arme ou transporté des balles. Les carabines, les mitraillettes et tous les autres joujoux de guerre, il ne les avait vus qu’au cinéma. à la caserne de Sfax, où il avait été affecté d’office par les autorités coloniales, il n’avait pas eu le temps de se familiariser avec une vie militaire officielle…Non… C’était juste un passage… Son apprentissage ne commencera que plus tard, auprès de ses compagnons d’armes.
Il secondait un médecin de camp…
Pour démontrer sa volonté, il avait redoublé d’effort et appris, en un laps de temps très court, les multiples facettes des soins d’urgence avec des moyens rudimentaires.
Le médecin lui apprendra en une semaine comment désinfecter une blessure, suturer une plaie, faire un pansement, juguler une hémorragie, faire une injection, et j’en passe. Car à la longue, il avait même appris à “opérer” à vif, et à extraire des balles des corps blessés, sans anesthésie, et presque sans antibiotiques. à cette époque, la médecine par les herbes avait repris sa place d’honneur, et c’est parfois avec des feuilles de vigne qu’il recouvrait les lésions purulentes.
Il avait aussi appris à transformer en poudre désinfectante ou cicatrisante quelques plantes que des vieilles femmes dans certains villages lui avaient montrées. Il connaissait enfin le secret des anciens dans ce domaine et remerciait souvent la Providence de mettre sur son chemin ces “médicaments” de fortune qui lui permettaient de s’acquitter de sa tâche.
Le médecin Si Ahmed le talonnait. Quand les balles commençaient à siffler, mon père ne résistait pas à l’envie de tirer quelques rafales… Il voulait démontrer qu’il n’avait pas peur de se mettre sur le devant de la scène et de s’offrir aux tirs ennemis sans crainte.
Lui et ses compagnons avaient apprivoisé la mort. Ils l’affrontaient quotidiennement, et elle, elle les frôlait sans relâche.
Dans la Wilaya III ou ailleurs, ils étaient tous ces lions qui faisaient peur par leurs rugissements, et réveillaient les consciences par leur esprit omniprésent dans tous les villages où ils se rendaient.
Il y avait aussi des femmes : Kheira, Fatiha, Malika, etc. Kheira était couturière. Elle était chargée de rapiécer les tenues et de veiller aux munitions. Malika faisait la cuisine et veillait les blessés. Elle savait lire et écrire et n’était pas de trop. Fatiha était la femme à tout faire. Elle n’hésitait pas à se rendre dans les villages mitoyens pour récupérer des vivres ou des médicaments. Mieux encore, lorsqu’un blessé grave était impossible à transporter, elle veillait sur lui jusqu’à ce qu’une famille le récupère.
22 septembre 2013 à 7 07 47 09479
La révolution de mon père 2e partie
Par : Yasmine HANANE
Ces femmes étaient à la fleur de l’âge. Elles étaient jeunes et belles et voulaient vivre dans la dignité et le respect. Pour cela, elles sacrifièrent leur jeunesse et quittèrent leur famille pour répondre à l’appel du devoir.
On les admirait bien sûr… Elles étaient les pionnières et un exemple de courage et de fierté. D’autres femmes finirent par rejoindre la cause… À travers tout le pays, des infirmières, des enseignantes, des femmes au foyer… enfilèrent le treillis. Les photos publiées dans la presse de l’époque témoignaient du rôle de ces femmes qui, faisant fi des tabous, s’initièrent au combat… Elles étaient pour la plupart montrées du doigt par les autorités coloniales, et leurs portraits étaient publiés dans les grands quotidiens de l’époque.
Recherchées ou pas, le mot d’ordre, pour elles, était le même : combattre l’ennemi et contribuer au recouvrement de la dignité de l’Algérie.
Tigresses, elles ne connaissaient ni la peur ni le recul. Des nuits entières, elles veillèrent sur les blessés et allèrent même jusqu’à chanter des berceuses pour adoucir les derniers moments d’un compagnon.
D’autres femmes étaient restées dans les villages ou les grandes villes. Tant qu’elles n’étaient pas suspectées, elles pouvaient circuler librement et sans crainte. Glanant des renseignements, ramassant de l’argent, des vivres ou des médicaments, elles avaient pour mission de remettre à des agents spéciaux leur butin et de surveiller certains “vendus”.
Souvent aussi, on leur confiait des missions assez spéciales, qui consistaient à transporter des bombes et à les déposer dans des endroits désignés.
Mais dès que la mèche était vendue, elles montaient sans attendre au maquis.
Hélas, ce n’était pas le cas de toutes. Car si les soupçons étaient fondés, elles étaient prises, les mains dans les filets, jetées en prison, torturées, humiliées, violées, avant de passer à trépas.
Malgré tout, l’honneur était sauf… Elles n’avaient pas vendu leurs compagnons ni livré les secrets de guerre à l’ennemi.
Ces femmes-courage étaient dignes de la plus grande considération. Rien ne pouvait faire oublier leur abnégation, leur sacrifice et leur bravoure. Plus d’une avait laissé son tortionnaire sur sa faim, ou admiratif devant ses exploits.
Mon père pousse un soupir :
-Pourquoi veux-tu me faire rappeler tout ça ? Ces souvenirs me font très mal, ma fille.
-Je sais papa… Mais j’aimerais tout connaître… Tout ce qu’on a pu écrire jusqu’à ce jour sur l’histoire de la révolution est insuffisant… Rien ne pourra décrire les atrocités vécues… Et puis… j’aimerais que tu me racontes ce qui s’est réellement passé dans ces maquis que tu as traversés… Sept années, c’est long.
Nous allons procéder par étapes si tu veux.
Il passe la main sur son visage, et ses yeux brillèrent d’une étrange lueur.
-C’était affreux, horrible, un cauchemar… J’ai vécu des scènes dignes de la science-fiction.
-Raconte-moi tout…
-Tout ? C’est facile à dire… Je n’ai pas un ordinateur dans mon cerveau… Il y a des choses que je me rappelle bien et d’autres…
-Je comprends… Tu n’aimes pas évoquer celles qui te font mal.
Il secoue la tête :
-Peut-être… Comme l’histoire de Baya et bien d’autres.
-Baya ?
-Oui… Une jolie fille de Kabylie, une jolie blonde au teint frais et au regard d’un bleu azur. On la prenait souvent pour une Française.
-Tu ne m’as jamais parlé d’elle… Que faisait-elle ?
-Elle était infirmière.
-Ah… Je crois saisir, elle travaillait avec toi.
-Pas au début. Elle était trop jeune lorsqu’elle avait rejoint la cause, 17 ans à peine… On avait tué ses parents lors d’un ratissage, ainsi que la moitié des habitants de son village… Elle n’avait dû son salut qu’à notre intervention… Alors elle décida de se joindre à nous et nous proposa ses services. Les chefs hésitèrent, puis finirent par l’accepter dans nos rangs. Tout au début, ils la confièrent à Kheïra, qui s’occupa d’elle et lui apprit à coudre et à faire la cuisine. Un jour, alors que j’étais loin de notre campement, et que le médecin n’était pas présent non plus, un blessé frôla la mort, et ne dut son salut qu’à cette “petite” comme on l’appelait. On apprendra alors que Baya avait entamé une formation paramédicale qu’elle avait dû interrompre, car elle craignait le pire pour ses parents restés dans leur village. C’était la guerre, et elle savait que des patrouilles militaires faisaient régulièrement des rondes dans ce patelin de Fort-National.
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22 septembre 2013 à 7 07 47 09479
La révolution de mon père 3e partie
Par : Yasmine HANANE
… De Baya…
-Ensuite… ?
-Ensuite, nous l’avions récupérée, et grâce à ses connaissances, elle nous sera plus d’une fois d’un précieux renfort.
-Où est Baya aujourd’hui ? est-elle encore vivante ?
Mon père repasse une main sur son visage :
-Tu poses trop de questions ma fille. Je… je me sens dans l’obligation de te donner certaines informations mai vois-t cela réveille mes blessures internes.
-Désolée papa… mais je dois écrire quelque chose sur notre révolution… Ne serait-ce qu’un passage…
Tout ce que tu pourras me raconter aujourd’hui sera d’un précieux apport pour l’histoire de notre pays et pour les futures générations.
Il pousse un autre soupir et s’enfonce plus profondément dans son fauteuil, avant de prendre un mouchoir et de le passer sur son front brillant de sueur.
-Baya est une légende vivante.
C’était une héroïne.
Un exemple de bravoure, d’abnégation, et d’honneur… Une fille extraordinaire.
- Papa, je t’en prie, raconte-moi son histoire en détails.
-D’accord mais promets-moi de publier intégralement mes dires.
-Promis, juré, tout ce que tu voudras sera dit.
-Alors écoute bien : lorsque j’ai rejoint la cause nationale, je n’étais encore qu’un adolescent.
Vingt ans est toujours un âge qui permet tous les rêves. Je n’avais d’ailleurs pas arrêté de rêver à une belle carrière dans la marine, à faire des projets avec mes frères, qui eux étaient déjà dans la navigation.
J’aimais leur uniformes immaculé, leur port altier, et surtout j’étais curieux de découvrir tout comme eux ces horizons lointains, dont ils me parlaient tant. Moi aussi je voulais voir le monde. Quitter ce quartier de la vieille ville où j’étais né et où mon père était né. Derrière la balustrade des balcons de notre grande maison j’aimais imaginer un monde où les pays vivaient en paix sous le soleil de la liberté.
Les cartes postales qu’on recevait régulièrement de l’étranger ne faisaient qu’aiguiser mes appétits aventuriers et alimentaient mes fantasmes.
Comme j’étais un fanatique de la lecture, je ne pouvais non plus rester insensible devant ces textes qui décrivaient des sites paradisiaques et des contrées lointaines qui me faisaient rêver. L’amour de l’aventure et de la découverte en poupe, j’ai opté pour la navigation au grand dam de ma mère qui voulait me garder auprès d’elle… J’étais le benjamin, et mes ainés étaient déjà partis.
Rien à faire… les larmes et les supplications de ma maternelle, ne réussirent pas à me faire lâcher prise. Je voulais voyager, courir vers ces pays qui m’attiraient, découvrir le monde et ses secrets.
À 16 ans, et toujours sur mon insistance, mes frères acceptèrent que je m’inscrive dans une école maritime, et c’est le cœur léger que je me préparais à entamer la carrière dont j’ai toujours rêvé.
Quatre années plus tard, je décrochais mon diplôme et m’apprêtais à embarquer sur un bateau de croisière lorsqu’une convocation des autorités militaires refroidira mes ardeurs. J’étais convoqué au bureau de recrutement pour effectuer mon service national.
Ne pouvant m’y dérober, je rejoins la ville de Sfax en Tunisie, où je fus tout de suite enrôlé dans les rangs de l’armée française.
Je ne me sentais pas à l’aise à vrai dire… J’étais persuadé que je ne ferais pas long feu dans cette caserne, et qu’un matin, je quitterais les lieux sans crier gare.
L’occasion ne tardera pas à se présenter. Chaque week-end, je sortais de la caserne pour une virée en ville.
Parmi mes compagnons, il y avait de jeunes Algériens de ma génération, et nous aimions tous ensemble évoquer le pays et suivre les évènements politiques qui s’y déroulaient.
Quelques semaines passent. J’avais entamé mon instruction militaire, sans pour autant me familiariser avec l’armée.
Mon esprit était ailleurs. Je voulais rentrer au pays…
Le mépris des Français à notre égard me torturait. Même sous les drapeaux, nous les “Indigènes” étions toujours tenus à l’œil…
On nous humiliait, on nous traitait de tous les noms, et à la moindre incartade, on était jetés au cachot. Et encore, ce n’était que le début.
À maintes reprises, j’assistais à des scènes dignes de films d’horreur. Le moindre soupçon à notre égard déchaînait le déluge…
C’était tout de suite les coups de pied, les coups de poing, et les longues journées sans la moindre nourriture.
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22 septembre 2013 à 7 07 48 09489
La révolution de mon père 4e partie
Par : Yasmine HANANE
Nous étions ainsi soumis à ce régime de “prisonniers militaires” et, pourtant, c’était parmi les militaires algériens que la France avait formé ses armées pour les envoyer au front durant la Seconde Guerre mondiale.
Mais comme tout le monde le sait, la France n’était pas chez nous pour nous servir… Nous étions plutôt ses serviteurs, et aucun officier français n’avait ne serait-ce qu’un petit égard envers nous.
Un jour, un capitaine nous avait même avoué que s’il avait à choisir entre une meute de chiens et nous, il aurait choisi les chiens.
Je crois que parfois il faut faire abstraction de certaines situations… Car ne ressentent les brûlures des braises que ceux qui marchent dessus… Nous étions nous-mêmes révoltés…Les braises brûlaient au fond de chacun de nous… Si bien qu’à la première occasion, nous n’avons pas hésité à déserter la caserne pour rejoindre le maquis.
Cela s’est passé un dimanche… C’était notre jour de repos… Nous avions pour habitude de nous réunir à chaque fois que cela nous était possible chez un certain Hamoud, un restaurateur tunisien qui nous faisait rire aux éclats et nous préparait de succulents plats, suivi du fameux thé aux beignets. Nous étions cinq amis réunis par la force du destin… Nous étions des Algériens sous l’autorité française… Nous aimions donc nous rencontrer durant quelques heures, avant de rejoindre la caserne, où nous serions obligés de nous aligner dans les rangs sans pouvoir échanger le moindre mot. Pis encore, nous partagions le dortoir avec d’autres soldats français qui nous tenaient à l’œil…
Si Lakhdar, un quinquagénaire qui prenait régulièrement ses repas chez Hamoud, nous donnait à chaque fois des nouvelles du bled. Tout au début, il était pour nous juste cette relation qui nous permettait d’avoir des nouvelles fraîches. Il disait faire souvent la navette pour s’approvisionner en matériaux de construction. Nous avions donc compris qu’il était dans la maçonnerie… Un métier qui était très répandu à cette époque où la misère incitait les gens à chercher du travail loin de leur famille.
Nous nous regroupions alors souvent autour de lui pour siroter un thé et entamer une conversation sur les événements que traversait notre pays.
Nous étions loin de nous douter que Si Lakhdar était un chef militaire et un agent secret.
Bien sûr, au début il ne pouvait nous faire confiance au point de nous dévoiler ses activités. Mais au fur et à mesure que les semaines passaient, nous nous sentions de plus en plus attirés par cet homme à la carrure imposante dont les gestes et la voix reflétaient un fort caractère.
Il dégageait aussi beaucoup de calme et de sérénité. Lorsqu’il parlait, on entendait les mouches voler. Il avait le don de se faire écouter et respecter.
Pour un maçon, nous le trouvions plutôt autoritaire. Mais personne ne disait rien là-dessus. Nous tentions d’en savoir davantage sur la politique et les derniers exploits des maquisards. La révolution venait d’éclater, et les journaux regorgeaient d’articles sur cette dernière… L’ennemi ne croyait pas du tout à ces “quelques embuscades dans les montagnes”. Pour les Français, c’était juste une bande de voyous qui s’amusait à jouer à faire éclater quelques pétards. Rien ne pourra faire reculer la France, ne cessaient-ils de répéter, et l’Algérie était française.
Nous lisions tous ensemble et régulièrement ces articles où on parlait de bombes et d’affrontements. Un nouveau mot était cependant entré dans le jargon journalistique : “Terroristes”… Les poseurs de bombes et les maquisards étaient considérés comme tels.
On oubliait que le terrorisme, c’est plutôt l’autre camp qui en était l’initiateur.
Depuis plus d’un siècle, on avait tué, pillé, violé, humilié et tenté d’effacer l’identité d’un peuple dont les origines sont enracinées dans cette terre plusieurs fois millénaire.
Nous étions les autochtones… Nous étions les habitants authentiques de l’Afrique du Nord, des Berbères, des Méditerranéens… Mais pour eux, nous devenions ces terroristes qui massacrent et détruisent tout ce qui se trouve sur leur chemin, tout simplement parce que cette révolution leur faisait déjà peur et qu’ils tentaient de tuer dans l’œuf tout ce qui pouvait s’y référer.
Nous lisions ces extraits avec Si Lakhdar, sans nous étonner que ce dernier soit lettré et maîtrisant la langue de Molière comme pas un. Mieux encore, il avait toujours un mot ou une expression qui tombait à point, pour commenter un article ou analyser un thème.
Le maçon s’avérait de plus en plus savant, et nous étions suspendus à ses lèvres, tels des assoiffés à une fontaine.
Les jours passaient. La révolution prenait de plus en plus d’ampleur. Dans les cœurs et les esprits, c’était déjà l’indépendance qui pointait. Jamais, au grand jamais, le peuple n’avait autant cru à cette alternative
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22 septembre 2013 à 7 07 49 09499
La révolution de mon père 5e partie
Par : Yasmine HANANE
On recommençait à évoquer, avec plus de conviction, les batailles d’autrefois. On parlait plus souvent de l’Émir Abdelkader, de cheikh Bouamama, d’El-Mokrani, de cheikh Ahaddad, de Fadhma n’Soumer… Femmes et hommes, les familles, se réunissaient chaque soir pour commenter et évaluer les dernières informations qui arrivaient du front. Soudé autour d’un noyau de solidarité, le peuple vivait une révolution, dont le mot d’ordre était : “Tahya El-Djazaïr”.
Si Lakhdar nous rapportait toutes ces nouvelles sans sourciller. Il disait avoir confiance en ces hommes qui avaient su prendre les initiatives requises à un soulèvement révolutionnaire, qui mènera à coup sûr le pays vers la victoire.
Nous buvions ses paroles… Nous étions fiers nous aussi de savoir que le pays avait enfanté des héros… Des hommes dotés de bon sens, instruits et capables de faire éclater une guerre.
Rien ne les fera reculer, et nous devions tous être auprès d’eux… Avec le cœur, avec l’esprit, avec tous les moyens possibles.
Si Lakhdar, infatigable, continuait chaque week-end à nous remonter le moral… Nous étions maintenant si habitués à le voir auprès de nous, que son absence nous paraissait inadmissible.
Nous avions oublié qu’il était maçon et qu’il devait travailler.
Non… Il n’était pas maçon… Pour nous, c’était l’homme qui pouvait tout faire. Il était là uniquement pour nous soutenir et nous faire oublier nos misères quotidiennes.
Un jour, je lui avoue que nous le considérions plus comme un père que comme un compagnon. Il en sera heureux et nous confiera à son tour qu’il nous avait toujours considérés comme ses propres enfants. Nous lui demandons alors s’il n’avait pas de famille, une femme, des enfants, etc.
Ses yeux s’embuèrent… Je remarquais discrètement le tremblement de ses mains. Cet homme cachait en lui de profondes souffrances.
Il prend une longue inspiration avant de nous répondre :
-J’avais une famille, une femme et des enfants… Des enfants qui auraient pu avoir votre âge aujourd’hui.
Intrigué par cette réponse, nous gardons un silence sacré en attendant qu’il daigne poursuivre ses confidences.
Il garde le silence, puis relève la tête pour demander à Hamoud un autre thé, avant de revenir sur le sujet :
-Vous êtes curieux de connaître mon passé, n’est-ce pas ?
Je m’enhardis à répondre :
-Non… Pas curieux… Nous voulions juste vous connaître un peu plus… Vous êtes si bon avec nous.
Il lève la main pour m’interrompre :
-Je fais juste un devoir envers des compatriotes… Vous êtes tous tellement jeunes…
-Nous vous remercions du fond du cœur pour tout ce que vous faites pour nous.
-Ce n’est rien, je vous assure… Vous payer de temps un autre un thé ou un sandwich, ou partager une cigarette est un plaisir pour moi. Seulement, maintenant que vous voulez tout connaître de moi, je sens que je vais m’attacher davantage à vous.
-Si cela doit raviver vos souffrances, nous nous en excusons et…
Il pousse un long soupir :
-Mes souffrances font partie de mon quotidien, mon fils… Rien ne pourra guérir mes plaies, ni atténuer la douleur qui a pris racine en moi depuis ce jour fatidique où j’ai tout perdu.
Il relève les yeux, et nous regarde un par un avant de lancer :
-J’avais une femme très affectueuse, trois garçons entre 15 et 20 ans, et deux filles de 14 et 12 ans. Nous vivions tous dans la grande maison de mon père… Ce dernier avait été assassiné lors des manifestations du 8 mai 1945… Il avait été enrôlé dans l’armée française et revenait du front où il avait perdu l’usage d’un bras et un œil.
Tout comme ses compagnons, il était outré par la réaction des autorités françaises à l’égard de l’Algérie. On nous avait leurrés. La France avait fait des promesses qu’elle n’avait pas tenues.
Loin s’en faut, elle n’avait pas hésité à réagir d’une manière impulsive en tirant sur les manifestants… Résultat : 45 000 martyrs. Mon père était parmi eux.
Mais la vie continuait. À l’instar des autres familles algériennes, la mienne vivait au jour le jour. Ma mère qui vivait auprès de nous prenait de l’âge et pouvait à peine se tenir sur ses jambes. Mais son esprit était vif.
Elle avait gardé une bonne mémoire, et nous racontait chaque soir une nouvelle version sur les tortures et les humiliations que notre famille avait subies et subissait encore de la part des militaires français.Comme notre village n’était pas loin de la frontière, nous vivions l’enfer quotidien des descentes militaires.Un soir, alors que j’étais loin de chez moi, un nouveau convoi est envoyé au village pour perquisitionner. On soupçonnait des réunions clandestines avec des politiciens, et souvent les villageois étaient la première cible de la colère ennemie.
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27 septembre 2013 à 10 10 18 09189
La révolution de mon père 6e partie
Par : Yasmine HANANE
.Cette fois-ci, il n’avait pas fallu longtemps aux soldats pour s’introduire dans les maisons et saccager tout ce qui se trouvait à portée de leur main. Puis ce fut au tour des femmes de subir l’humiliation. Ayant peur pour les enfants et pour ma mère, ma femme se saisira du fusil familial que je cachais sous une botte de foin dans l’écurie, et se met à tirer sur tous ceux qui s’approchaient de la maison.
Mal lui en pris, car les mitraillettes se mirent à crépiter dans tous les sens. Elle est tuée sur le champ. Puis ce sera autour des enfants et de ma mère de subir le même destin.
À mon retour le lendemain, je ne pouvais qu’assister impuissant à l’enterrement de cette famille qui était tout pour moi… C’étaient les seuls êtres que j’avais au monde, et ils n’étaient plus là… La France l’avait voulu !
Des jours durant, j’errais comme une âme en peine à travers les champs et les clairières en n’ayant qu’un seul but en tête : la vengeance.
J’échafaudais des plans… Je traçais des itinéraires… Je ne pouvais plus respirer sans sentir en moi ce poids qui me torturait jour et nuit… Je ne pouvais aspirer à vivre en paix sans avoir assouvi ma vengeance.
Tous les jours je voyais passer des convois, et tous les jours je tentais de trouver le moyen d’anéantir ces ennemis de Dieu.
Les semaines et les mois passent. Je pris mon mal en patience.
J’avais entendu parler, comme tout le monde, de cette révolution qu’on préparait dans l’ombre mais qui n’allait pas tarder à éclater.
De fil en aiguille, je pus tomber sur des gens qui me guidèrent vers des hommes de confiance.
Ils vivaient cachés au fond des montagnes. Leur combat pour la liberté avait déjà commencé. Ils étaient pour la plupart issus de familles pauvres et n’avaient pas hésité à répondre à l’appel de leurs aînés pour former des groupes soudés qui s’entraînaient tous les jours sous la houlette de quelques rescapés de la Seconde Guerre mondiale.
J’entendis aussi parler de ces agents de liaison qui traversaient le pays de long en large pour recueillir des informations et récolter des fonds. Mieux encore, des émigrés d’Europe participaient à leur manière à cette révolution en remettant régulièrement de l’argent, des vêtements, des vivres et des médicaments à des missionnaires qui vivaient dans l’Hexagone, mais qui étaient, pour la plupart, introduits dans des groupes politiques. On ramassait tout ce qu’on pouvait, et on envoyait tous ces dons au front.
J’étais vraiment étonné de cette organisation. Je ne m’attendais vraiment pas à trouver autant de volonté et de solidarité parmi les frères.
On me reçut avec beaucoup de sympathie. Un des chefs écouta mon histoire jusqu’au bout, et fut touché par mon malheur.
À la fin de mon récit, il me tapota l’épaule et me demanda si je voulais réellement rejoindre la cause.
Je lui assure que cette seule idée me réconforterait. Alors, il redevint sérieux et se met à m’énumérer les conditions requises.
J’acceptais sans rechigner. Mon combat auprès des miens, et pour une cause aussi sacrée que celle de recouvrer l’honneur de mon pays, était la chose la plus noble que je pouvais entreprendre. D’autant plus que c’était là le moyen de venger ma famille et de retrouver la paix de l’âme.
On me charge alors d’une première mission. Elle consistait à déposer une bombe dans une auberge, non loin de la frontière, où se rendaient souvent des militaires en déplacement.
Je connaissais bien l’endroit pour y avoir à maintes reprises fait des travaux de maçonnerie.
J’accepte donc avec joie cette mission, et me rendit à cette auberge en plein jour. Comme je connaissais bien le propriétaire, je n’eus aucun mal à lui faire admettre que son sous-sol nécessitait quelques “retouches”.
Une fois à l’intérieur, je me mets à chercher un emplacement sûr et dépose ma bombe entre deux piliers sans problème aucun.
Quelques heures plus tard, la bombe explose. Nous apprendrons, le lendemain, que plus d’une quinzaine de militaires avaient été tués. Un avertissement pour tous ceux qui pensaient que la révolution n’était que chimère.
Contents de moi, les frères m’acceptèrent enfin comme membre actif dans leur clan.
Si Lakhdar hoche la tête devant notre étonnement :
-Oui mes enfants… j’ai assez confiance en vous aujourd’hui pour vous révéler mes activités et vous inviter à suivre mon exemple.
-Vous… voulez dire qu’on doit rejoindre le maquis ?
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27 septembre 2013 à 10 10 18 09189
La révolution de mon père 7e partie
Par : Yasmine HANANE
Il hoche la tête :
-Pourquoi pas… Vous êtes jeunes, volontaires, et vous êtes en train de perdre du temps dans cette caserne où je suis certain qu’on vous maltraite à tout bout de champ.
-Exact ! Nous sommes traités comme des esclaves. Parfois pire.
-Alors vaut mieux mourir en héros que subir l’humiliation de l’ennemi.
Nous nous regardions tous un moment. Monter au maquis ! L’idée, si elle ne nous a jamais effleurés, nous ravisait… Mais comment faire ? Nous étions sous les drapeaux français…
-C’est simple, nous dit-il, nous allons nous rencontrer comme à nos habitudes dans ce restaurant… Je vais tâcher de préparer votre mission le plus tôt possible. Vous allez vous débrouiller aussi pour ramener avec vous un maximum de nourriture, de vêtements, de médicaments et tout ce qui pourra servir dans un maquis, comme des couvertures, des draps, des serviettes, etc. Vous m’avez compris…
Nous gardons le silence un moment, avant de nous décider à lui répondre :
-Nous serons fiers de servir la cause nationale, mais vous êtes sûr que les chefs ne vont pas refuser ?
Il sourit :
-Les frères… ? (dans les maquis, on est tous frères). Non, ils ne vont pas refuser de jeunes volontaires comme vous. Vous êtes l’avenir de la nation mes enfants.
Pris au dépourvu, nous ne réalisons pas encore ce que Si Lakhdar nous proposait. Nous étions très jeunes, encore un peu immatures, mais nous avions compris que monter au maquis, c’était prendre en main l’avenir de notre pays…Le libérer de l’ennemi. Accepter de se sacrifier et de verser notre sang pour la patrie.
Quelque chose avait remué en chacun de nous. Une chaleur réchauffait les cœurs, et les joues devinrent rouges…
Nous étions fiers… Fiers de la proposition de Si Lakhdar. Si fiers que le chemin du retour vers la caserne se fera dans une ambiance jamais égalée. On s’étonnera d’ailleurs de notre euphorie, qu’on mettra plutôt sur un week-end bien arrosé. Désormais, nous ne vivrons plus que dans l’attente. Une attente de plusieurs jours sera nécessaire avant que Si Lakhdar ne daigne nous donner les premières directives. Dans l’intervalle, nous nous sommes préparés à “faire nos bagages”.
Deux semaines passent. Si Lakhdar revient enfin. Cette fois-ci, il était accompagné d’un autre homme. Un certain Belkacem. Ce dernier était encore jeune mais bien avisé.
Il discutera avec nous à bâtons rompus. Répondra à nos questions et balayera nos dernières hésitations. Belkacem semblait bien connaître la région. Il était originaire du centre du pays, mais avait déjà sillonné les villes algériennes et les montagnes du Nord. Il nous proposera d’ailleurs de nous préparer à le suivre dès le lendemain. Stupéfaits, nous ne réalisions pas encore l’honneur qu’il nous faisait en nous intimant ce premier ordre. Nous demeurions un moment sans bouger ni même respirer. Puis j’ose demander :
-Heu… vous êtes sûr que nous serions à la hauteur de cette noble mission.
Il rit :
-Qui d’autre pourrait l’être mieux que vous…Vous avez la jeunesse, du courage et des ambitions… Je lis même dans vos yeux beaucoup de fierté. N’êtes-vous pas l’avenir du pays ?
-Heu… oui, nous… nous serions très honorés de vous suivre mais… est-ce… est-ce que nous allons monter directement avec vous au maquis ?
-Oui, mais auparavant nous devrions nous arrêter dans un village pour voir quelques blessés…Je dois aussi vous avertir qu’il serait inutile pour vous de reparler de ce sujet. Vous vivez dans une caserne, et le moindre mot pourrait déclencher un déluge… Pas un mot, hein ?
Nous hochions silencieusement la tête. L’heure était grave. Nous sentions tout au fond de nous-mêmes que la mission ne sera pas de tout repos. Mais quelle mission ! Nous étions choisis et triés sur le volet pour servir notre patrie !
Rien ne pouvait égaler notre bonheur ce jour-là.
Nous prîmes rendez-vous avec notre interlocuteur pour le lendemain à 10h. C’était un dimanche et, comme par hasard, aucun soldat de notre groupe n’était de permanence.
Nous nous hâtions de retourner dans nos dortoirs et de nous préparer à la grande évasion.
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27 septembre 2013 à 10 10 23 09239
La révolution de mon père 8e partie
Par : Yasmine HANANE
Dans nos sacs à dos, nous emportons quelques calepins, des boîtes de médicaments, des bandages, de la nourriture, quelques draps, etc.
À l’heure indiquée et à l’endroit convenu, nous retrouvons Belkacem. Si Lakhdar continuera sa mission entre les frontières pour le recrutement d’autres volontaires.
Belkacem sourit à notre vue, et nous désigne de son menton la longue route qui s’étirait devant nous :
-Vous allez devoir emprunter un long chemin mes amis… Pour cela, vous allez mettre au vestiaire toutes vos préoccupations personnelles et oublier jusqu’à vos familles. Au maquis, vous aurez fort à faire… Ce n’est pas le paradis, mais nous tentons tous de nous rassurer, en nous répétant que désormais nous avons un objectif à atteindre : libérer le pays, notre pays… Vous entendez ? Cette terre de nos ancêtres… Nous devons la libérer de l’ennemi afin que nos descendants voient le jour dans un pays libre. Alors vous êtes prêts ?
Nous nous tenions serrés l’un contre l’autre sans prononcer un mot. Mais Belkacem avait compris que notre silence renseignait sur nos émotions.
Et ce fut le grand départ !
La marche s’avéra longue et très difficile. Nous empruntions des chemins escarpés, des clairières, des ravins… Vers le milieu de l’après-midi, nous nous sentions si épuisés que Belakcem eut pitié de nous. Il nous permettra de nous reposer et de grignoter les quelques fruits et les bouts de pain que nous avions emportés.
Lui par contre paraissait en superbe forme. Ni la chaleur ni les chemins sinueux ne semblaient l’incommoder
-C’est une question d’habitude, nous dit-il pour nous rassurer… Même si vous n’étiez pas avec moi aujourd’hui, votre service militaire aurait exigé autant d’efforts, voire peut-être bien plus… Les exercices périlleux et les longs trajets en forêt font partie d’un entraînement d’endurance. Vous allez vite vous apercevoir que ce qui vous semble dur aujourd’hui n’est rien comparé avec ce qui vous attend.
Nous ne savions pas encore en quoi consisteraient nos différentes missions au front, mais nous savions que cela n’allait pas être facile pour nous, les débutants.
Mais nos moustaches naissantes ne nous permettaient pas de répliquer. Nous tentions de nous reposer quelques instants et d’oublier les affres de ce premier périple… Belkacem n’avait pas menti. Au fur et à mesure que le jour déclinait, nous nous sentions las et fatigués, mais rien ne pouvait nous arrêter. Nous nous trouvions à quelques kilomètres de la frontière algérienne et nous devions tenir le coup, si nous voulions arriver au camp sans trop de mal.
Nous traversâmes la frontière à la nuit tombée. Nous avions bien sûr eu chaud… Il n’était pas aisé pour nous de passer sous des fils de fer barbelés, ou de marcher sur la pointe des pieds durant de long kilomètres. Mais nous étions chez nous enfin, et il ne nous restait qu’à rejoindre le camp.
Nous traversons un premier village, puis un second. Belkacem qui ouvrait la marche se retourne vers nous et lance :
-Vous voyez ces maisons au toit rouge ? C’est là où nous allons nous rendre… Ce village est très accueillant, et ses gens sont pour la plupart nos alliés. Nous allons rendre visite à quelques blessés et passer la nuit ici.
Nous acquiesçons. Nous n’arrivions plus à tenir sur nos pieds, et cette trêve était pour nous le paradis.
à l’entrée du village, un vieil homme nous reçoit. Il jette un coup d’œil à Belkacem qui hoche la tête, puis nous souhaite la bienvenue et nous précéde vers sa maison.
Nous nous laissons alors tomber sur un tapis en paille et nous attendions les instructions de notre guide.
Belkacem souriait. Il était vraisemblablement satisfait de sa mission :
-Alors les enfants, vous vous sentez comment ?
Nous nous regardions sans réaliser encore que nous avions déserté la caserne, et qu’à l’heure actuelle, l’alerte avait sûrement été donnée sur notre disparition.
-Nous, nous sommes encore tout remués, mais satisfaits tout comme toi Belkacem.
Il rit :
-Nous allons devoir faire tout d’abord honneur à l’hospitalité de nos hôtes, puis nous allons tenter de nous reposer quelques heures, avant de reprendre le chemin.
-Est-ce encore loin ?, demande Mustapha.
Belkacem hoche la tête :
-Assez loin, et le relief est abrupt mais vous êtes jeunes et forts.
Nous gardons le silence. En fait, c’était la fatigue qui reprenait le dessus, et nos paupières se refermaient toutes seules.
Notre hôte dépose devant nous un grand plat de couscous garni de légumes et de viande, un pichet de petit-lait, de la galette toute chaude et des fruits.Nous nous rendions alors compte que nous étions affamés. Le sommeil s’envole, et nous attaquons notre repas sans attendre.
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27 septembre 2013 à 10 10 24 09249
La révolution de mon père 9e partie
Par : Yasmine HANANE
C’était bon d’avoir enfin quelque chose dans son estomac.
Après le dîner, le vieil homme nous sert un café, et nous discutions de tout et de rien avec Belkacem.
Au bout d’un moment, ce dernier se lève et lance :
- Je vais rendre visite à quelques-uns de nos blessés… Qui veut m’accompagner ?
Nous nous levons tous en même temps :
- Nous t’accompagnons.
Il rit :
- Voilà ce que j’appellerais un esprit d’équipe.
Nous ne savions pas qu’un village aussi petit pouvait abriter des maisons dotés de refuges souterrains et d’abris.
Les blessés, pour la plupart dans un état assez grave, gardaient le moral. À notre vue, leur regard s’éclaira et l’espoir revint. Nous nous agenouillâmes près d’eux, et tentions d’engager une première conversation avec ces hommes qui avaient déjà eu à affronter directement l’ennemi.
Ce premier contact approfondira davantage notre conviction. Un pays a besoin de tous ses hommes… de tout son peuple… Personne ne devrait se sentir à l’écart de la cause nationale.
À l’aube, nous reprenons notre chemin. Nous avions pu dormir quelques heures, et prendre un petit-déjeuner assez consistant, avant d’entamer le dernier quart de notre périple.
Il faisait chaud, et nos vêtements nous collaient à la peau. Belkacem nous donne à boire, sans pour autant nous permettre de nous reposer. Il fallait arriver au camp avant la fin du jour. D’autres obligations l’attendaient. Il nous rassure en nous disant, que tant que nous n’avions pas rencontré des soldats français, nous n’avions rien à craindre… Nous étions hors circuit, et nous devrions atteindre le camp sans trop de mal.
Le jour commençait à décliner. Je commençais à me demander où se trouvait ce camp et quand nous allons l’atteindre, lorsqu’un homme surgissant de nulle part, vint à notre rencontre.
Il sourit à la vue de Belkacem avant de se jeter dans ses bras :
- Enfin tu es là… Nous étions tous si inquiets.
Belkacem nous présente, nous échangeons avec lui une poignée de main :
- Vous devez être fatigués… Venez, tout le monde vous attend au camp.
En guise de camp, nous sommes introduits à l’intérieur d’une grotte glaciale, où se trouvaient déjà plusieurs djounoud. Quelques-uns portaient le treillis, d’autres étaient en kachabia.
- Soyez les bienvenus, nous lance un homme aux sourcils en broussaille, et à la moustache fournie.
- C’est Da Belaïd, nous dit Belkacem. C’est lui notre chef.
L’homme ébauche un sourire :
- Je suis le chef. Oui… Mais juste pour la forme. À la guerre comme à la guerre, je suis moi aussi soumis au règlement du camp.
- Le règlement du camp…?
J’étais sidéré… Même dans cette forêt, il y a un règlement !
- Bien sûr mon fils. Tout organisation nécessite un règlement. Nous ne pouvons pas y faire exception.
Il sourit encore :
- Venez donc vous asseoir la jeunesse… Je vois que vous êtes très fatigués… Ce soir, nous allons vous laisser en paix, mais dès demain vous commencerez les entraînements…
Nous mangeons un morceau, et nous nous allongeons à même les couvertures étalées çà et là sur le sol. Sur les hauteurs, il faisait un froid de canard, et nous nous serrâmes les uns contre les autres pour nous réchauffer, et faire aussi de la place au reste des djounoud. Ils étaient tous chargés d’une mission spécifique. Les uns surveillaient les alentours, les autres gardaient les lieux, d’autres encore nettoyaient les armes ou vérifiaient ce qui restait comme nourriture ou médicaments.
Je ne pus fermer les yeux de la nuit. Je ne cessai de me demander si ce qui m’arrivait n’était pas un rêve.
Mohamed qui dormait à mes côtés me pince :
- Boualem… On est au maquis… Tu te rends compte ?
- Oui… Je n’arrive pas encore à le croire.
Ce n’est que vers l’aube que je pus enfin fermer les paupières. Je plongeais dans un sommeil profond et sans rêves. Quelqu’un me secouait… Je tentais de tirer la couverture sur moi et de me retourner dans ma couche pour replonger dans les bras de Morphée. Mais la main ferme ne voulait pas lâcher prise.
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5 octobre 2013 à 0 12 15 101510
La révolution de mon père 10e partie
Par : Yasmine HANANE
J’entendis des bruits, et quelqu’un qui parlait à haute voix. Une autre voix s’élevait… On donnait des ordres, et on courait de tous les côtés. J’ouvris les yeux et me demandais où j’étais, lorsqu’un homme m’intime l’ordre de me lever :
-Et toi le novice, tu n’es pas dans un hôtel… Ici on ne dort presque pas, et tu as eu largement ton dû pour ce premier jour.
Je me redresse sur mon séant en me frottant les yeux. Je réalise soudain où j’étais !
Je me relève promptement, et ramasse ma couverture, avant de rejoindre le groupe à l’entrée de la grotte.
On parlait d’un accrochage qui avait eu lieu dans une forêt non loin de là… Cela s’était passé aux premières heures du matin, et un agent de liaison était venu nous avertir.
Da Belaïd avait les sourcils froncés et le front bas. Il était assis par terre et traçait quelque chose.
Un plan probablement.
-C’est par là que nous devrions passer, nous allons monter vers le mont des réfugiés. Je crois me souvenir de l’itinéraire, n’est-ce pas Belkacem ?
Belkacem habillé d’un treillis répondit d’une voix ferme :
-Oui Da Belaïd… Je me rappelle très bien les chemins escarpés que nous avons empruntés… Je pense me retrouver facilement.
-Alors ne perdons pas de temps…
Que chacun se saisisse de ses affaires et nous suive.
Comme le reste de mes camarades, je portais encore ma tenue militaire. C’était un miracle si personne ne nous avait repérés dans cet uniforme lors de notre escapade la veille.
-Allez Boualem, allez Mustapha, il n’y a pas une minute à perdre.
Nous nous demandions où se trouvait le mont dont on parlait, sûrement bien plus haut que l’endroit où nous étions.
Je m’empresse de remettre mes godasses. La veille au soir, alors que je tentais de me déchausser, je constatai que mes pieds étaient en sang. Mohamed aussi avait les orteils irrités et le talons écorchés…
Ce n’était encore rien par rapport à ce qui nous attendait.
Da Belaïd donne le signal.
Nous le suivons. La journée était belle, et le soleil matinal commençait à réchauffer nos os.
Un frère me met la main sur l’épaule :
-Ne crains rien… Tes appréhensions disparaîtront vite, une fois que tu te mettras dans le bain… C’est un peu difficile au début, quand on ne connaît pas encore le maquis et les armes, mais cela viendra… Vous serez tous immunisés dans quelques jours…
Il ne terminera pas sa phrase… Des balles sifflèrent de tous côtés. L’homme me plaque par terre. Da Belaïd avait vu juste, le danger nous guettait.
Belkacem et tous ceux qui ouvraient la marche ripostèrent par des tirs de fusils. Quelqu’un dégoupille une grenade et la balance aussi loin que possible.
Un déluge de balles y répondit, et des cris de blessés nous parvinrent.
-Ils ne sont pas loin, mais nous les tenons à distance, lance Da Belaïd… Allez vous autres, en avant… Montez… Montez aussi vite que possible au mont… Nous vous couvrons. Nous n’étions pas armés, mes camarades et moi. Personne n’avait jugé opportun de nous donner des armes, parce que tout simplement nous ne savions pas nous en servir encore. Je jurais en mon for intérieur de me rattraper et le plus tôt possible. Nous nous remettions à escalader la montagne, alors que Da Belaïd, Belkacem et les autres tiraient comme des forcenés sur tout ce qui bougeait. Au bout d’un moment, le bruit des balles cesse. Quelqu’un me tire par la manche.
-Ce n’est que partie remise… L’ennemi recule pour mieux attaquer.
Nous arrivons au mont en fin d’après-midi. D’autres moudjahidine se trouvaient là en nombre plus important.
Da Belaïd et Belkacem nous rejoignirent avec le reste de la troupe. Dieu avait été clément avec nous. Aucun blessé n’était à déplorer. Et pourtant, l’ennemi était mieux armé.
Nous nous reposons un moment, avant de nous réunir autour d’un feu à l’intérieur d’une grotte. Par prudence, on avait fermé l’entrée par des branches d’arbres.
Da Belaïd ôte sa kachabia et s’assoit dessus. Il relève le menton d’un air résigné et lance :
-Cette fois-ci, nous l’avons échappé belle. Mais ce ne sera pas tous les jours fête… La prochaine fois, les roumis seront mieux avertis.
La patrouille d’aujourd’hui n’était pas nombreuse, c’est pour cela que le combat n’avait pas trop duré.
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5 octobre 2013 à 0 12 16 101610
La révolution de mon père 11e partie
Par : Yasmine HANANE
Un homme lève la main pour l’interrompre :
-Nous savons tous que les maquis sont infestés de militaires… Il ne fallait pas vous aventurer en plein jour…
-Il le fallait, s’écrira Da Belaïd… On nous avait signalé un accrochage dans la forêt environnante.
-Certes, mais vous étiez à l’abri.
-À l’abri… ? De quel abri parles-tu donc ? Au maquis c’est la jungle mon vieux.
Quelques hommes se mettent à nettoyer leurs armes.
-Nous avons des mitraillettes, quelques grenades et des fusils de chasse… Je ne voulais pas utiliser les mitraillettes… Je ne voulais pas que l’ennemi découvre que nous avons reçu des munitions.
-Bien. Mais êtes-vous sûr que personne ne vous a suivis.
-J’en suis certain… Je ne suis pas né de la dernière pluie, Amar.
Amar était le chef du camp des réfugiés. Un autre homme se tenait à côté de lui. C’était Si Ahmed, le toubib.
Ce dernier semblait plus calme et demande s’il y avait un infirmier parmi nous.
Devant notre silence, il se lève et me désigne d’office :
-à compter d’aujourd’hui, je te nomme infirmier du camp.
Je devins écarlate :
-Mais… Mais je ne connais pas…
Il hoche la tête et m’interrompt :
-Je sais… Tu ne connais pas le paramédical, ni quoi que ce soit à la médecine. Mais au maquis mon fils, tous les métiers sont permis…Tu seras bientôt forgé, ne t’en fais donc pas.
Je garde le silence. Mustapha me pince le bras :
-Toi au moins, tu as déjà un rôle bien spécifique.
-Oh ! Arrête… Je veux combattre moi aussi, et non pas rester à l’arrière des troupes comme une femme.
à peine avais-je terminé ma phrase, qu’une femme se dressa devant nous :
-Bonsoir, je suis Fatiha… Je suis chargée de la pharmacie du camp. Veux-tu m’accompagner ? Je vais te montrer les médicaments de première nécessité.
Pris au dépourvu, je demeure un moment sans voix. Mustapha me pousse tout doucement en me chuchotant à l’oreille :
-Il ne fallait pas parler de femmes mon vieux…
Tu viens de provoquer le destin. Va donc avec elle, qu’attends-tu pour la suivre ?
Je me lève tel un automate, et suis Fatiha qui se dirigeait vers le fond de la grotte. Elle ouvrit une petite malle et me dit :
-Il y a tout ce qu’il faut là-dedans pour les urgences et les premiers soins. Nous avons de l’eau oxygénée, de l’alcool, de la poudre de pénicilline, du mercurochrome, des comprimés d’aspirine, des bandages et quelques seringues… Ce n’est pas une pharmacie bien sûr, me lance t-elle d’une voix grave… Nous n’avons rien. Absolument rien pour des soins sérieux… Parfois les blessés meurent d’infection… C’est la guerre… Je descends en ville parfois pour récupérer ce que je peux…
-Que suis-je censé faire ?
- Prendre soin de ce petit “trésor” et exécuter les ordres de Si Ahmed le médecin. C’est un brave homme, et tu seras vite content de travailler avec lui.
-Je ne sais même pas cautériser une plaie.
-Tu apprendras vite… Nous sommes tous des novices dans tous les domaines. Mais la guerre forme toujours les hommes.
Fatiha s’éloigne en entortillant sa tresse. Elle devait avoir la trentaine. C’était une femme très posée et très intelligente… J’apprendrais par la suite qu’elle avait décidé de rejoindre le maquis suite à l’assassinat de son mari par les militaires français. Ce dernier était collecteur de fonds en France et était intervenu à maintes reprises dans des situations assez complexes pour sauver plusieurs frères.
Nous sommes en avril 1955. La neige avait fondu…
Les montagnes étaient verdoyantes. Cela faisait deux jours depuis que nous étions sur le mont… Au fait, on l’appelait le mont des réfugiés… C’était un titre non officiel bien sûr, mais plutôt un code entre les combattants…
Je profitais du temps passé auprès du médecin Si Ahmed pour m’initier au paramédical. Si ma mère apprenait que son fils avait non seulement déserté la caserne, mais s’apprêtait aussi à devenir infirmier, elle n’en reviendrait pas.
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5 octobre 2013 à 0 12 17 101710
La révolution de mon père 12e partie
Par : Yasmine HANANE
Pauvre maman, me dis-je…Elle, qui ne voulait même pas me voir dans la marine civile, saura maintenant que je suis au maquis, et que je risque de ne plus la revoir.
Je chasse mes idées noires, et reprends mes notes. Si Ahmed, avait inscrit sur un calepin, la première procédure pour traiter une urgence. Il faut toujours tenter de calmer le patient, lui parler tout doucement tout en nettoyant ses plaies et en cherchant à juguler une hémorragie avec un bandeau ou dans le pire des cas, avec un fin fil de fer.
Eh oui ! C’est la guerre…Nous n’avions pas une pharmacie, ni un hôpital….Je crois que c’est bien plus tard, que l’idée de créer clandestinement un hôpital militaire avait germé…Sur le champ, j’apprenais tant bien que mal mes premières leçons dans le domaine du secourisme.
Entre mes cours, je me pliais aux règles strictes du camp. Nous avions tous les jours des entraînements assez rigoureux. Mes camarades s’initiaient au tir et au combat. Je ne savais pas qu’une mitraillette pouvait peser aussi lourd, mais je ne savais pas non plus que lorsqu’on tire des balles, on a aussi cette étrange impression d’être plus puissant que l’ennemi.
On nous apprenait à tuer…L’innocence de mon âge s’ajoutait à mon ignorance des arts de la guerre. Au camp, on parlait de trêve. Depuis des jours, nous n’avions entendu aucun son de balle ennemie.
Hélas, cela ne devait pas durer. Nous savions tous que les patrouilles militaires qui ratissaient les montagnes, n’allaient pas tarder à nous débusquer.
Et c’était le cas….
Un jour, à l’aube, nous sommes réveillés par un bruit assourdissant. C’était un hélicoptère.
Nous avions entendu aussi quelques coups de feu lointains. Tous comme nous étions, nous nous redressons sur nos couches tout en gardant le silence.
Da Belaïd et Si Amar tendaient l’oreille, et cherchaient leurs armes dans l’obscurité.
Nous nous emparons chacun d’un fusil ou d’une mitraillette.
Mes mains tremblaient. Je sentais la sueur inonder mon corps. Mustapha s’agrippa à mon épaule.
L’ennemi rôdait. Nous entendons l’aboiement d’un chien…Quelques ordres sont aussi donnés et tout d’un coup une explosion. Quelqu’un avait balancé une grenade non loin de nous.
Da Belaïd donne l’alerte :
-En avant….N’attendez pas de rôtir comme des poulets dans ce rocher…Sortez tous….
Je sentais mes membres trembler. Mais ne voulant pas démontrer ma frayeur, je pris exemple sur les autres. Après tout, nous sommes là pour mourir, me dis-je….
Mustapha me chuchote à l’oreille :
-Si on s’en sort cette fois-ci, on s’en sortira toujours.
-Pourquoi donc me racontes-tu çà, lui demandais-je tout en rechargeant mon fusil.
-Eh bien, parce que nous ne sommes encore que des bleus, tu imagines qu’il y a à peine quelque jours, nous ne connaissions encore rien aux armes.
C’était la vérité.
Nous sortons de notre abri, et nous nous mettons derrière des bosquets. Les plus avertis et les plus rodés, étaient déjà au-devant de la scène…C’était tellement émouvant ce premier affrontement auquel je participais.
Nous laissons faire nos aînés. Ils avaient tous un lien stratégique entre eux. Quand l’un d’entre eux tire un coup de feu, un autre en faisait de même, pour faire croire à l’ennemi qu’on était plus nombreux.
Da Belaïd, se retire, et nous intime l’ordre d’avancer :
-Et surtout pas de bêtises…Tirez sur tout ce qui bouge devant…..Tirez…Oubliez votre peur…Si vous ne tirez pas, vous êtes morts.
Nous nous mettons à tirer vers l’endroit où nous entendions des rafales de mitraillettes. Des balles sifflaient dans tous les sens…J’avais l’impression de vivre sur un brasier ou de traverser une forêt fantasmagorique où tous les arbres ressemblaient à des silhouettes humaines.
Le jour commençait à se lever. Mais les tirs n’avaient pas cessé. Pis encore, l’hélicoptère avait repris sa ronde. On commençait à transporter quelques blessés. Si Ahmed, qui se trouvait non loin de moi, me fait signe de retourner au rocher.
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5 octobre 2013 à 0 12 17 101710
La révolution de mon père
Par : Yasmine HANANE
Je ne me le fais pas répéter deux fois. Fatiha avait déjà pris les devants. Je la trouvais agenouillée devant un blessé en train de lui bander le bras.
Comme il est jeune lui aussi !, me dis-je en le regardant…
-Il a tout juste 16 ans, me dit Fatiha à mi-voix comme si elle lisait dans mes pensées.
16 ans !
Non… Je n’avais sûrement pas bien entendu. Pourtant, le garçon était encore imberbe.
Malgré sa blessure, il m’adresse un sourire :
-Je m’appelle Malek…
-Et moi Boualem… Tu veux un peu d’eau ?
Il refuse :
-Non, occupe-toi des autres, moi j’ai juste une égratignure.
Quel courage !
On venait de déposer deux autres blessés. Je retrousse mes manches et passe un peu d’alcool sur mes mains avant de m’occuper du premier qui avait reçu une balle dans la jambe et saignait abondamment :
-Ne t’en fais-pas… Je vais m’occuper de toi.
Une nausée me soulève l’estomac… C’était la première fois que je voyais autant de sang. Je devais soigner cet homme. Lui faire oublier sa douleur… Traiter sa blessure… Je ne sais plus…
Je me retourne et me soulage l’estomac dans un coin.
Fatiha me regarde :
-Ce n’est rien… Tu t’y habitueras Boualem… Nous sommes tous passés par là. Pense donc à ce blessé qui attend des soins.
Quelle sagesse, cette femme !
Je me relève et me dirige vers mon blessé… Un autre arrivait, et l’endroit commençait à empester.
Je tentais de ne plus respirer… De ne plus penser à ces balles qui écorchaient le rocher, et à l’ennemi qui risquait de nous anéantir.
Mon blessé m’attendait sans broncher. Il avait fermé les yeux et respirait bruyamment.
Je déchire son pantalon, avant de commencer à nettoyer sa plaie avec une compresse alcoolisée.
S’il souffrait, l’homme ne le montra pas. Je tente de retrouver la balle au fond de sa blessure… Il y avait un trou assez profond pour glisser mes deux doigts… Je me rappelle qu’il faut tout d’abords juguler l’hémorragie… Je prends alors ma propre ceinture et en fais un garrot.
Si Ahmed arrive :
-C’est bien Boualem… Mais il va falloir que tu m’aides. Je dois retirer la balle sinon la blessure va s’infecter. Prend donc un couteau et met le sur le feu jusqu’à ce qu’il rougisse. Il y a aussi quelques pinces à épiler dans la pharmacie…Fais-en de même.
-Vous allez l’opérer ?
-Oui… Avec les moyens de bord mon fils… le couteau…
Mon Dieu !, me dis-je… On va torturer tous ces blessés !
Mais les frères subissaient leur sort sans broncher. La douleur n’était rien à côté de l’ennemi.
Si Ahmed se faisait aider par Fatiha pour extraire les balles des blessures, puis me tendait les outils pour les stériliser… Je veux dire les passer au feu.
Je regardais… Je tentais d’apprendre vite et bien… Il faut faire quelque chose, me dis-je… Je ne suis pas là en simple spectateur.
Je prends alors quelques bandages et des flacons de mercurochrome et les tendit à Fatiha, qui travaillait sans relâche :
-C’est bien Boualem… Tu es très prévenant…Essuie donc mon front, je suis en nage.
Je m’exécute et m’approchais même de Si Ahmed pour lui demander si je pouvais faire quelque chose.
Il était en train de suturer une plaie, et il me sourit :
-Regarde donc comment je procède… La prochaine fois, tu vas toi-même suturer les plaies.
-Moi ?
-Oui… Comment donc ! Tu es mon infirmier… C’est à toi de procéder après les opérations…Moi je ne ferai plus que la chirurgie.
Je regarde les mains du toubib. Il avait enfilé des gants et travaillait rapidement et habilement. Le blessé avait fermé les yeux… Il semblait dormir, mais tous, nous savions qu’il était conscient et qu’il avait subi le calvaire sans un geste ni un cri. Un exemple… Un exemple, me répétais-je tout en ayant honte de moi, qui avait rejeté le contenu de mes tripes rien qu’à l’odeur du sang.
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5 octobre 2013 à 0 12 18 101810
La révolution de mon père 14e partie
Par : Yasmine HANANE
Les tirs avaient cessé. Nous étions cernés peut-être… Mais ce n’était pas le cas. L’hélicoptère s’était éloigné, nous ne l’entendions plus… Pourquoi ?
Des combattants revinrent avec Da Belaïd et Amar.
-Nous avons pu les tenir à distance… Ils ne connaissent pas bien l’endroit mais cela ne veut pas dire qu’ils s’éloignent… C’est peut-être juste une trêve. Tenez-vous toujours prêts à riposter mes frères, nous dit Da Belaïd.
Il s’approche des blessés et demande à Si Ahmed :
-Comment vont-ils ?
-Assez bien si on en juge par les moyens qu’on a. Il me faut encore de la pénicilline. Je n’en ai presque plus…
Il se retourne vers moi :
-Tu vas surveiller les blessés et prendre leur pouls et leur température… Ce n’est pas sorcier… C’est très simple, Fatiha va t’aider… Moi je vais tenter de rejoindre le village le plus proche… Peut-être trouverais-je un agent de liaison.
-Laisse, je m’en charge.
C’était Fatiha qui venait de parler.
Si Ahmed se retourne vers elle :
-Tu veux bien ?
-Bien sûr… Je vais tenter de trouver un peu de nourriture et si possible des bandages et des médicaments… Il y a toujours nos relations dans ces villages.
-Bien… alors fais très attention, il ne faut pas qu’on te repère… Quelqu’un va t’accompagner jusqu’à la lisière de la forêt.
Fatiha se débarrasse de sa casquette et enfile une gandoura sur son treillis, un foulard sur la tête, elle dissimule son arme au creux de sa poitrine et prend un panier :
-Je pars mes frères…
-Que Dieu te protège.
Je n’avais pas fait un geste. J’étais toujours assis à côté du blessé et tentais de seconder Si Ahmed en lui tendant les cotons imbibés d’alcool ou les bandages.
Fatiha était partie. Je me sentais comme orphelin…
Cette femme savait remonter le moral par son air calme et serein et surtout par son courage.
Et si jamais on est attaqués avant son retour ?
Je jette un coup d’œil à Si Ahmed. Il avait le geste sûr et son sourire réchauffait le cœur des blessés.
-Fatiha est partie…
-Oui… Elle reviendra tout à l’heure.
Da Belaïd et Amar discutaient à voix basse, et les autres se reposaient.
On avait préparé du café, et une cigarette circulait entre les fumeurs.
-Tu as eu peur, Boualem ?
-Heu… Non… Pas peur… Je… je ne suis pas encore habitué… Fatiha m’a rassuré.
-Tu trouves du réconfort auprès d’elle comme nous tous. Ne t’en fais donc pas… Elle connaît son chemin, et elle connaît aussi l’ennemi. C’est une brave femme. Elle nous retrouvera où que nous soyons.
Je déglutis. Si cette femme est arrêtée, je ne sais pas ce qui m’arriverait. Je me sentirais comme… comme perdu.
Moi, un homme !
Je secoue la tête et me remets au travail tout en jetant un regard circulaire aux armes déposées tout près de chaque combattant. Tout le monde était prêt à l’assaut… Tout le monde était sur ses gardes… Et moi j’avais peur.
Non… Non… Ce n’est pas de la peur, me dis-je en cherchant du regard Mustapha ou Mohamed.
Mes deux camarades étaient allongés l’un à côté de l’autre et discutaient probablement de cette première attaque à laquelle ils ont participé. Ils avaient l’air heureux. Et la peur donc ? Elle n’existait plus pour eux ? Était-elle juste en moi ?
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10 octobre 2013 à 9 09 57 105710
La révolution de mon père 15e partie
Par : Yasmine HANANE
Mustapha me fait un clin d’œil et me sourit. Mohamed relève la tête et me désigne son arme de son menton. Un dilemme… Ils avaient choisi… Nous avions choisi, alors autant aller jusqu’au bout.
Je termine le bandage des plaies, et donne aux blessés un peu d’eau. Ils étaient au nombre de cinq. C’est-à-dire cinq de moins sur le front à la prochaine attaque.
Il va falloir donc pallier ce manque et redoubler d’efforts.
Si Ahmed met une main sur mon bras :
-C’est bon mon fils, tu as fait du bon travail.
-Moi ? Je n’ai rien fait…
-Mais si… tu as su t’occuper des blessés et m’aider dans ma tâche… Pour une première fois, c’est un coup de maître… Plus d’un dans ton cas aurait pris la poudre d’escampette à la vue du sang.
-Mais j’ai vomi…
-Qu’à cela ne tienne, tu as su te maîtriser et surmonter tes émotions. Fatiha sera fière de toi.
Je souris :
-C’est vrai ?
-Bien sûr… Tu as aussi été un peu son élève, n’est ce pas ?
-Si on veut, mais je vous assure que je n’ai encore rien appris, rien fait.
-Eh bien, à la prochaine, on verra si tu as appris davantage, mon fils.
J’étais ému. Si Ahmed m’appelait mon fils. Pour moi qui n’avais jamais connu mon père, c’était vraiment très motivant.
-Heu… vous m’avez appelé mon fils… Merci Si Ahmed.
Il hausse les épaules :
-Une façon de m’adresser à toi… Tu vas travailler avec moi de manière permanente, alors autant nous apprivoiser.
-Je n’ai pas connu mon père, et en m’appelant mon fils, vous m’en voyez ravi.
Il me prend par les épaules :
-J’ai deux garçons… Ils sont avec leur mère. Cela fait des mois que je ne les ai pas vus…Veux-tu donc devenir mon fils, et me faire l’honneur de m’appeler papa ?
-Hein ?
Mes yeux s’embuèrent. Je n’ai jamais appelé quelqu’un papa…
-Allez Boualem… Ne sois pas intimidé… Appelle-moi donc papa et cela ira beaucoup mieux entre nous.
Ne pouvant dominer mes émotions, je me jette dans ses bras et me met à pleurer tout doucement.
-Allons, allons… les hommes ne pleurent pas…Heu… tu es djoundi… Les faiblesses ne sont pas permises pour nous.
Mais lui-même essuyait ses yeux.
Il me donne une tape dans le dos et me somme d’aller prendre un peu de repos.
Dans la nuit, j’entendais encore l’hélicoptère tournoyer dans le ciel. À vrai dire, nous savions tous que ce n’était pour l’ennemi qu’une question de temps. On va sûrement repérer notre poste, et découvrir le rocher.
Par précaution, des agents montaient la garde un peu plus loin. Nous étions tous inquiets. Fatiha n’était pas revenue.
J’entendais quelques blessés gémir dans la nuit. Ils demandaient soit de l’eau, soit de l’aide.
Hélas, on n’y pouvait rien. Nous n’avions absolument pas de quoi les soulager. Si Ahmed m’ordonne de leur donner un peu d’eau sucrée, et de tenter de les rassurer en leur parlant. Je m’exécute, avant de revenir auprès de lui pour m’enquérir de son état. En dévalant la pente, il avait marché sur un débris de verre, et s’était écorché le pied.
-Ce n’est rien, me dit-il, alors que je tentais de panser sa blessure.
-Le sang s’est coagulé dessus, mais le risque d’infection n’est pas à écarter.
Il se met à rire en m’entendant parler :
-Tu apprends vite Boualem. Tu connais déjà les conséquences d’une blessure mal traitée et les risques qu’on pourrait encourir… C’est bien, fiston… Je pense que tu vas vite acquérir des connaissances plus approfondies, et plus utiles… La médecine au maquis est bien différente de ce qu’on apprend dans les universités, voire plus intéressante puisqu’on s’attaque directement à la pratique, sans passer par la théorie…
- Fatiha, mumurais-je, Fatiha n’est pas encore revenue…
-Oui, je sais… Elle n’est pas encore là… Ne t’inquiète donc pas… Elle connaît le chemin.
Je me mets à ranger quelques flacons de médicaments dans le coffre au fond du rocher. Dans la forêt, un loup pousse un cri lugubre, et nous entendons l’aboiement d’un chien.
-Le signal, murmure Da Belaïd.
Je n’en crus pas mes oreilles… Le loup… Ce n’était ni le loup, ni le chien… C’étaient nos hommes qui lançaient un appel entre eux.
Le premier avait vu des militaires monter vers le mont, et le second demandait du renfort.
-Vite… tout le monde dehors …
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10 octobre 2013 à 9 09 59 105910
La révolution de mon père 16e partie
Par : Yasmine HANANE
Je me lève, mais Si Ahmed me tire par l’épaule :
-Toi, tu restes ici avec les blessés… Ils auront besoin d’une assistance.
-Pourquoi pas toi ?
Il me montre son arme :
-Tu ne manipules pas encore les armes aussi bien que moi… Ton tour viendra bien vite. Heu… n’oublie surtout par d’éteindre le feu.
Je revins vers les blessés alors que les frères se dirigeaient l’un derrière l’autre vers la sortie.
On referme l’entrée du rocher avec des branches d’arbres et des pierres.
J’éteins le feu, et l’obscurité s’empare des lieux. Le loup continuait de pousser son cri qui glaçait les os, relayé par les aboiements du chien qui apparemment avait décodé quelque chose, et tentait à son tour de le transmettre.
Je revins vers les blessés. L’un d’eux faisait sûrement un cauchemar. Il parlait dans son sommeil et semblait agité. Je m’approchais de lui en tâtonnant.
Il avait de la fièvre… Il délirait… Je ne savais pas quoi faire. Après quelques hésitations, je me mets à essuyer son corps dégoulinant de sueur, et lui donne un peu d’eau. Je n’y voyais rien. Mais je repérais les recoins du rocher en suivant les courbes du sol.
Le blessé pousse un soupir et s’assoupit. Les autres semblaient dormir. Au moins ils étaient à l’abri.
Je savais qu’ils souffraient tous… Ils faisaient peut-être semblant de dormir, me dis-je en m’approchant de certains pour toucher leur front.
Les uns avaient de la fièvre, et les autres se mordaient les lèvres jusqu’au sang pour supporter la douleur.
Je leur parle tout doucement comme j’ai vu Fatiha le faire. Ils m’en seront reconnaissants plus tard.
J’entendais des tirs puis des explosions… L’ennemi était revenu… Nos combattants ripostaient à l’attaque… Étaient-ils assez nombreux ?
Les tirs continuaient. Je sentais mon sang givrer dans mes veines. Si jamais les militaires français remontaient jusqu’à l’abri, ils n’en feraient qu’une bouchée… une seule grenade suffira à nous exterminer moi et mes blessés.
J’entendis un léger bruit. Quelqu’un était là. L’intrus devait connaître l’entrée car il soulevait une par une les branches des arbres… Je sentais qu’il les remettait au fur et à mesure qu’il s’approchait… Il était à l’intérieur… Il était près de moi… J’entendais même sa respiration.
-Boualem… tu es là ?
Mon cœur battait la chamade… Cette voix… ? Oh ! mon Dieu. C’était Fatiha ! Elle était revenue, et avait rampé dans la forêt avant d’arriver jusqu’au rocher… Qui d’autre qu’elle pouvait reconnaître l’entrée et remettre les branches d’arbre à leur place sans faire le moindre bruit ?
-Boualem, pourquoi ne réponds-tu pas ?
Je reprends mes esprits, et lance d’une voix apeurée :
-Oui… je suis là… avec les blessés. J’ai eu vraiment chaud !
-Je comprends. Tu n’es pas encore habitué à tout ce remue-ménage. La bataille fait rage dans les bosquets… Je pense que les frères sont assez loin…
-Tu crois ?
-Oui, ils respectent une stratégie… On doit s’éloigner au maximum du rocher pour ne pas attirer l’attention… À chaque embuscade, on tente de détourner l’ennemi…
-Il y avait ce loup avec son cri lugubre puis le chien…
-Oui… Ce sont nos hommes… Un signal aux autres pour se préparer… Je n’ai pas d’armes sur moi, sinon je les aurais rejoins… Heu… tu as faim ?
Faim ? Le mot me parut saugrenu. Comment peut-on avoir faim dans une telle fournaise ?
-Heu… Je… je ne vois rien, et je ne sens rien…
Fatiha fait craquer une allumette :
-Je vais faire un petit feu dans un coin.
-Mais… et si on nous repérait ?
-Ne crains donc rien, je ne vais pas allumer un brasier, juste de quoi éclairer les lieux. Comment vont donc nos blessés ?
-Ils souffrent, mais ils sont très courageux.
-Je n’en doute pas.
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15 octobre 2013 à 8 08 59 105910
La révolution de mon père 17e partie
Par : Yasmine HANANE
Elle portait un grand sac en bandoulière et avait mis un tas de choses dans ses poches.
-J’ai ramené quelques médicaments… Juste de quoi prévenir encore les infections… Je pense qu’on ne va pas avoir grand-chose avant longtemps. Par contre pour la nourriture, j’ai pu avoir des victuailles assez consistantes.
Elle dépose son sac et l’ouvre :
-Tu vois… J’ai de la galette, du petit lait, de l’huile d’olive, du miel, des olives, des œufs, des figues sèches et même de la semoule et du couscous. Quelqu’un m’a remis des légumes et des fruits… J’ai aussi deux poulets fraîchement égorgés.
Elle dépose le tout dans un endroit frais, et me tend une figue sèche et un morceau de galette :
-Tiens, mange… Tu ne te rends peut-être pas compte, mais ton corps a besoin de reprendre des forces…
Je jette un coup d’œil aux blessés. Elle suit mon regard et lance d’une voix émue :
-Je ne peux rien leur donner tant que le toubib n’est pas là… Heu… Juste peut-être un peu d’eau…
-C’est fait… Mais il y a encore des fiévreux…
-Cela va de soi… Ils ont tous subi des opérations assez délicates… Heureux encore si d’ici demain, les blessures ne s’infectent pas.
Je vins m’asseoir près d’elle. Elle avait le geste prompt et le mot qu’il faut pour chacun.
-Et toi, tu ne manges pas Fatiha… ?
-J’ai déjà mangé au village… J’ai fait le plein… Laissons donc un peu aux autres.
Je mordis dans le morceau de galette. Aucune nourriture au monde ne m’aurait paru aussi délicieuse… Je me rendais compte alors que mon estomac gargouillait… La figue sèche et sucrée me parut succulente. J’avale rapidement ce repas improvisé, avant de demander :
-Cela va durer longtemps ?
-Quoi ? Les tirs ?
Elle secoue la tête :
-Tout dépendra de la résistance des uns et de l’obstination des autres. Prions pour nos frères qui font face à l’ennemi avec un courage indéniable.
-Que Dieu soit avec nous tous…
Elle passe la main sur mon épaule :
-Tu es jeune, Boualem… Ta vie n’a pas encore commencé… Tu vas devoir scarifier toutes tes ambitions et reléguer tes projets aux calendes grecques.
-Peu importe… Je suis là et j’y reste.
-Et si la guerre dure dix années ou même plus ?
Je sentis quelque chose remuer en moi :
-La guerre durera le temps qu’il faudra… Je ne lâcherai pas, Fatiha. Ces quelques heures passées parmi vous m’ont déjà beaucoup appris, sur le courage et l’abnégation de nos vaillants combattants.
Fatiha garde le silence. Un bruit venait de se produire et nous entendions un échange de tirs fournis.
Soudain, je réalisais que j’étais là à l’abri de tout, et que mes camarades affrontaient l’ennemi. J’eus alors honte de moi. Oui… J’eus honte de moi, et je ne pus que me rendre compte de mon inutilité.
Je me lève et demande :
-Tu as une arme, Fatiha… ?
Elle me regarde curieusement avant de répondre :
-Pourquoi donc… ?
-Je veux rejoindre les autres… Tu es là, tu pourras t’occuper des blessés…
-Mais tu es fou ou quoi… ? On t’a intimé l’ordre de veiller sur les blessés et de garder les lieux.
- Tu es revenue… Ma présence ici n’est pas nécessaire. Je veux combattre l’ennemi moi aussi.
-Tu ne sais pas encore bien manipuler une arme…
-Raison de plus… Je veux apprendre à tirer… Mustapha, Mohamed et les autres sont déjà avec les pionniers, et moi je suis là à tourner en rond…
Nous étions un peu à l’écart des blessés, et nous ne savions pas si ces derniers nous écoutaient… Pourtant l’un d’eux m’interpelle :
-Viens un peu par là, toi…
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15 octobre 2013 à 9 09 01 100110
La révolution de mon père 18e partie
Par : Yasmine HANANE
Fatiha me pousse :
-Va voir ce qu’il veut…
-Heu… je… oui… je vais voir…
Je m’approche de l’homme et
m’agenouille auprès de lui dans la pénombre :
-Oui, mon frère… tu as besoin de quelque chose ?
Il tendit son bras valide et me tint par l’épaule :
-Je t’entendais parler jeune homme. J’ai surpris quelques bribes de ta conversation… Tu es très courageux… Mais te jeter ainsi en pâture à l’ennemi n’est pas une bonne chose. écoute…
Il tente de s’asseoir, et y parvint difficilement.
-Lorsque j’avais ton âge, la guerre était encore loin. J’étais un jeune homme plein de vie, et j’avais un tas d’ambitions. Mais juste après la Seconde Guerre mondiale, je me rendis compte que si la France restait chez nous, nous n’irions pas loin. Après les événements du 8 mai 1945, beaucoup d’Algériens ont compris que s’ils ne bougeaient pas, ils allaient rater l’indépendance.
C’est ainsi que beaucoup d’hommes de ma génération décidèrent de se rallier à la cause armée. Seulement, il faut comprendre une chose mon fils : ce n’est pas uniquement par les armes qu’on combat l’ennemi… Toi tu viens d’arriver, et on t’a tout de suite initié aux soins médicaux… Une noble mission pour un débutant… Mais si tu t’entêtes à vouloir porter tout de suite une arme et à rejoindre le front, tu ne seras pas utile trop longtemps… Tu risques d’y laisser la vie et de nous abandonner aussi… Nous avons tous besoin de ton aide Boualem… D’autres blessés ne tarderont pas à arriver… Tu vois bien que la guerre n’est pas clémente, et qu’à chaque minute on risque de passer de vie à trépas. Sois donc courageux et prend ta mission à cœur… Tôt ou tard, tu seras obligé de prendre les armes et de rejoindre les autres. Mais en attendant, tu dois respecter les consignes de Si Ahmed et attendre le retour de nos camarades.
Je garde le silence. L’homme disait vrai. Son bras gauche saignait et je dus changer son pansement. Il se rallonge et je m’éloigne un peu de lui. Fatiha était occupée à découper des bandages et à les enrouler :
-Viens m’aider… Nous aurons sûrement besoin de tout ça dans un moment… Les blessés vont affluer, et nous ferions mieux de nous préparer.
Elle avait vu juste. Quelques heures plus tard, nos camarades revinrent… Enfin pas tous… On déplorait trois morts… Les blessés étaient au nombre de huit. Les uns avaient reçu plusieurs balles, et on avait dû les transporter sur des civières de fortune, d’autres avaient préféré prendre leur courage à deux mains et remontèrent jusqu’au mont en s’aidant d’un bâton, ou en s’appuyant sur des épaules charitables.
Si Ahmed, à peine remonté, se débarrasse de son arme et de ses vêtements pour revêtir sa blouse et s’occuper des blessés. Il fut content de revoir Fatiha, et encore plus heureux de constater qu’elle avait pu ramener des médicaments, et que tout était déjà prêt pour le traitement des blessés.
Je retrousse mes manches et rallume le feu. Les djounoud s’affalèrent sur le sol et s’emparèrent des outres d’eau ou des cruches… Tout le monde était en nage.
Fatiha me demande de seconder Si Ahmed, ce que je compris en la voyant se lever pour aller s’occuper des autres.
Elle distribue des morceaux de galette et des olives, puis fait passer le bocal de petit-lait.
On devait économiser au maximum les vivres… Une consigne qu’on se répétait à tout bout de champ.
Elle revint enfin vers nous. Si Ahmed découpait, nettoyait, passait ses doigts dans les blessures pour extraire les balles, avant de me tendre le fil pour suturer les blessures ou les pansements pour couvrir les plaies.
Je travaillais sans relâche. La sueur avait inondé mon corps. Je me rendis compte avec une joie démesurée que mes mains ne tremblaient plus, et que la confiance revenait en moi. Mes gestes étaient sûrs et précis, et je pouvais me vanter de reconnaître déjà une blessure infectée de celle qui ne l’est pas.
Nous avons travaillé toute la nuit. Les blessés ne pouvaient même pas crier. Rien ne devrait attirer l’attention de l’ennemi sur nous. L’attaque avait été prompte, mais comme on l’attendait, on avait pu y répondre avec autant de promptitude. Da Belaïd se reposait. Il avait le teint blafard et le regard vide. Amar était triste. Trois morts… Trois vaillants soldats…
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15 octobre 2013 à 9 09 02 100210
La révolution de mon père 19e partie
Par : Yasmine HANANE
Nous avions travaillé toute la nuit. Amar était triste. Nous avions perdu trois frères.
Il se passait la main sur le front en poussant des soupirs qui renseignaient autant sur sa tristesse que sur son inquiétude. On devrait enterrer les morts dès le lever du jour dans une fosse commune, puis envoyer quelqu’un prévenir leurs familles…Une mission fort délicate.
Bien sûr, c’est Belkacem qui en sera chargé… Il se trouvait dans un village mitoyen depuis la veille. Cette fois-ci, il devait récupérer des documents et un peu d’argent chez des paysans qui avaient reçu des mandats de France.
Personne ne parlait. Les blessés mettaient des mouchoirs dans leur bouche ou mordaient dans des bouts de bois pour retenir leurs cris.
Le toubib travaillait vite et bien. Fatiha le secondait maintenant. Elle connaissait bien la chirurgie et s’occupa comme une grande des autres blessés non encore traités.
Le jour se levait. Nous étions tous épuisés…Mais personne n’avait le cœur à dormir ou à dire quoi que ce soit. La bataille avait été dure pour tous…
Je ne pouvais qu’admirer le courage de “papa”.
Si Ahmed ne s’est arrêté que lorsque tous les blessés furent examinés et traités.
Fatiha prépare des œufs au miel et du café pour tout le monde. C’était assez revigorant, et tous les blessés purent au moins mettre quelque chose dans leur estomac.
Da Belaïd était soucieux… Il repensait aux morts qu’il faudra enterrer avant le milieu de la matinée. Il chargera deux frères de cette tâche. Je me sentais aussi concerné que les autres par cette perte. Certes, je ne connaissais pas encore tout le monde, mais je pouvais aisément deviner le chagrin de perdre des êtres chers. Ces hommes avaient des familles : une mère, une femme, des enfants… qui attendaient leur retour. Hélas ! La guerre est un ogre sans nom.
N’ayant pas dormi, je me sentais de plus en plus las. Fatiha s’était retirée dans un coin sombre et s’était laissé tomber sur une couverture. Nous lui devions tous une fière chandelle. Non seulement elle avait su nous procurer des médicaments et de la nourriture, mais elle avait contribué largement à notre bon moral.
Amar s’approche de moi :
-Alors jeune homme, on s’y habitue ?
-Fort bien… Je le dois d’ailleurs, on n’est pas dans un hôtel ici.
-Bien dit Boualem… Tes amis sont tous revenus, grâce à Dieu… La perte de l’un d’eux t’aurait sûrement dérouté.
Je hoche la tête :
-C’est évident… Mais je suis aussi triste pour les autres.
Il pousse un soupir :
-Je le suis aussi… Que Dieu ait leur âme. Nous sommes tous désolés pour eux. Mais la mort est devenue une seconde nature chez nous… Nous l’affrontons tous les jours… Alors autant l’apprivoiser.
Il me regarde un moment avant demander :
-Tu veux te joindre aux combats, n’est-ce pas ?
-Oui… Oh oui ! Je me sentais si inutile ici, alors que vous étiez tous au front.
Il sourit :
-Je comprends tes motivations, mais sache aussi que tu n’as pas du tout été inutile pour nous. Si Ahmed a bien fait de te désigner au paramédical.
-Je ferais de mon mieux pour soulager mes frères.
Il me donne une tape dans le dos :
-Sois prêt… Toujours prêt… Dans quelques jours, nous serons obligés de quitter ce refuge… Les Français ne tarderont pas à le découvrir… Nous avons juste le temps de reprendre le maquis et d’affronter notre destin.
-Mais… et les blessés ?
-Ils seront acheminés dans un des villages limitrophes.
Je repense au village où on avait fait escale avec Belkacem, et aux blessés qu’on y avait rencontrés.
Amar poursuit :
-Une fois assez remis, ils nous rejoindront…Nous gardons un contact permanent avec tous les villages du secteur. C’est une sorte de chaîne de solidarité qui s’est tissée entre nous tous. Nous n’avons pas eu à trop les solliciter. La légendaire générosité de nos compatriotes ne s’est pas fait attendre. Tout le monde a répondu présent à l’appel de la Révolution, et par tous les moyens possibles.
Tandis que Amar parlait, je sentais mes paupières se refermer.
Je tentais de résister encore mais c’était peine perdue. Amar me sourit :
-Va dormir un peu… Nous sommes tous là…Profites-en pour te reposer. Au besoin, nous te réveillerons.
Je ne me le fais pas répéter. Une fois allongé, je sombre dans un profond sommeil.
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