Ensuite, il y a le syndrome Mellouk. L’homme qui a été tué dix mille fois pour avoir dénoncé dix mille anciens faux moujahiddidines, ou faux magistrats ou faux dinars ou faux départs. On ne s’en souvient même pas mais on se souvient que cela ne sert à rien ou au pire, contre soi et les siens. Un homme qui a les preuves d’une corruption est un homme qui se trouve brusquement seul, errant dans un désert qui lui tourne le dos et l’entoure à la fois, perd sa voix, ses amis, son répertoire, ses liens sociaux, ses ligaments et la possibilité de prouver sa propre vie. « Dénoncer qui et auprès de qui ? ». Dieu ne parle plus aux hommes depuis Mohammed. Bouteflika est lui-même accusé de corrompre le sens de la vie, ceux qui usent de lui ou ceux qu’il use pour lui-même. Les « Services » ? D’abord cela ne veut rien dire et ensuite un homme qui met le doigt dans ce milieu y perd la main puis la trace de ses propres pas.
Les corps constitués ? Encore faut-il en situer la tête, l’oreille ou la bouche. Dénoncer auprès des walis ? Par quels moyens ? Auprès des journaux ? Cela bénéficiera aux journaux pas au don Quichotte. Auprès des juges ? Autant s’appeler Mellouk et en finir.
Il n’y pas d’issue en général. La loi ne protège pas le dénonciateur de corruption. Le peuple ne le protège pas et ne l’admire guère ou jamais. Le dénonciateur est un homme solitaire, un prophète qui veut dénoncer des dieux. Mellouk le sait. Et le peuple se complait dans la facilité du « par qui commencer ? », conséquence de « tous pourris » qui donne lieu à l’intime « cela ne sert donc à rien». Vrai ? Non. On lutte contre la corruption par l’exemple, à peine deux ou trois qui prouvent qu’il y a volonté.
La solution est dans l’addition : il faut faire en sorte que dénoncer la corruption rapporte plus que la corruption elle-même. En argent ou en bonne conscience. Pour le moment ce n’est pas le cas. Mellouk le sait. Il ne sera jamais ministre et encore moins sous Bouteflika.
22 septembre 2013
Kamel Daoud