«Il faut une longue vie pour surmonter les séquelles de l’éducation». Jan Greshoff
La rentrée scolaire 2013/2014 s’est faite à son accoutumée dans un climat tout à fait ordinaire. La surcharge des classes, l’insuffisance des infrastructures et les 8 millions d’élèves ne peuvent motiver la débâcle scolaire ou le mal de l’éducation nationale. » Le bac algérien est tombé dans le domaine du trabendo » a bien martelé le Premier ministre lors de la dernière conférence nationale dédiée à l’éducation. Il poursuivra « On a inculqué à ces jeunes la culture de la triche. » Dur réquisitoire. Mais c’est qui ce » on » ? Personne. Ni l’Etat, ni le ministre encore moins l’enseignant. La main étrangère peut-être ?
Une école inhospitalière
En ce dimanche, l’ensemble des établissements, à l’exception de quelques uns parmi les écoles primaires, ne semble être en fête. Les alentours sont sales, pas de fanions, ni de signes extérieurs qui augurent une belle année. Pas même une banderole de bienvenue ou de chaleureux accueil. A voir certains d’entre eux, les élèves sont vite repoussés par un sentiment de rejet de cet espace lugubre et peu hospitalier. A voir aussi les façades encore tachées par ces affiches électorales lacérées d’un scrutin oublié, l’élève après une longue absence est bousculé malgré lui à y retourner. Rien ne lui suggère l’envie d’y être une année encore. Pas un seul coup de ravalement de façades ou d’entretien du portail grinçant et mal fermant. Les graffitis de l’année dernière subsistent et résistent à l’insouciance d’un proviseur qui se raréfie en ces jours d’audiences. Le poste de police, tenant lieu de loge, pris d’assaut par des parents ou élèves soucieux et désemparés n’est qu’un abri insalubre où flottent des demi-bouteilles d’eau minérales, un tapis de prière, des claquettes d’ablutions et quelques poussières garnissant les encoignures, les coins et recoins. Le préposé, mal en point, hirsute à l’accueil n’est pas apte à vous faciliter la tache. Il doit être mis au parfum de l’objet de votre visite, de votre audience auprès du chef d’établissement ou encore vous orienter et vous conseiller, de revenir, de faire ceci ou cela. L’image idéale et éblouissante de la plantocratie, quoi ! L’APC oublie ces écoles et ces lycées en termes d’hygiène et de propreté sauf ; si ceux-ci sont à transformer en bureaux de vote. Là ; toute volonté y est totalement mise.
La blouse, dans les lycées est vite retirée du cartable (cartable dites-vous ? c’est un objet disparu depuis des lustres) d’un sac ou d’un quelconque contenant ; juste à la rentrée du portail. Déboutonnée, froissée, apposée sur les frêles épaules, elle ne sert en fait que d’une carte d’accès. L’égalité qu’elle est sensée produire n’est qu’un égalitarisme dénué de tout sens. A l’école primaire, le tablier continue à évoquer une belle période, mais dans les lycées, chez les terminalistes ; ces hommes et ces femmes ne mettent pas trop de cœur dans cette » camisole «
Une école poudrière
Le mal de l’école algérienne est très profond, voire lointain. Ce syndrome d’être pris s’étend jusqu’aux portes cochères des lycées. Ce mal contusionnait les lycéens. Des quatre points cardinaux, ils gueulent, crient et vocifèrent le cartable et son contenu, ils maudissent l’avenir qui va s’éclore à la naissance de toute nouvelle année scolaire jusqu’à celle où ; ils iront remplir des amphithéâtres sans bagages autres qu’un Bac précaire ou s’agglutiner dans les rues et jeter le feu aux poudres. C’est dans nos écoles que se favorisent les conditions idoines de la résurgence embryonnaire émeutière. Ceci ne nécessite nullement un dispositif de forces spéciales. Juste une petite égalité, voire une parité entre les générations.
Il est de droit que l’allégement des programmes souhaité rentre directement dans une plate-forme usuelle de revendications. Mais le rythme accéléré pour finir en si peu de temps, ce faramineux programme, qui n’est que théorique, ne peut recueillir une sourde oreille. La terminale est une année scolaire entière, vacances comprises. Et non des grèves illimitées, des enseignants fuyards, des écoles malades, un ministre indéterminé néanmoins gentil. Comme le Bac et sa charge ne peuvent être emballés furtivement dans quelques mois à peine, à plein emploi. La réapparition de l’éternel embarras du bornage du seuil des programmes est devenue chronique, tant que la tutelle tergiverse, d’une année à une autre, et d’un règne à son corollaire. Quand une disposition avantage les uns, pourquoi en frustrer les autres d’en tirer profit ? Question mercuriale. Le droit de ces candidats-otages s’apparente selon l’équité pédagogique et l’égalité des chances, à un droit fortement acquis s’il ne l’est pas de droit.
Cette course exaltée vers l’avantage ponctuel d’une session par rapport à sa précédente, démontre l’immensité du travail à faire en amont. Le problème est-il en somme, une complexité de cursus, de vœux d’aisance (faciliter l’examen) ou de simple gestion ?
Qui du ministre, des enseignants ou des élèves à tord ? Personne, chacun a ses raisons. Sauf les têtes adolescentes.
Cet amas de vigueur, de cheveux hérissés et gelés, de blue-jeans et de sacoches en bandoulière, pris dans les serres imparables de leur désarroi ne vont pas baisser les bras, même s’ils les croisent à longueur de classes.
Ce cri d’élève, il fallait l’entendre, pas comme un reniement, ni une insouciance juvénile mais juste comme un mal qui fissure le ventre d’un enfant. 2013 aura été une année de prise d’otages. Si la principale est maintenant résolue dans la dorure des dunes ondulées, celle qui guette nos mômes, est pire. Un commando didactique est utile pour encore exécrer un assaut final. Au sein des lycées, dans l’embryon du Bac. Mieux dans l’égalité des chances.
Un ministère et des incapacités
Abdellatif Baba Ahmed est un gars sympa. Une somme considérable de douceur, à sa bonhomie. Il est à son tour otage d’un ministère miné. Avoir entre les mains cette chose monstrueuse, dévoreuse d’innocents écoliers, peu attentive à ses travailleurs et de surcroit marquée d’un seul sceau doublement décennal n’est pas de l’apanage de quiconque. C’est à une révolution qu’il faudrait recourir pour sauver l’école des reformes qui la hantent. Tous les manuels, le programme, le contenu, les dates, les vacances, l’enseignant, les cours sont appelés à faire la mue, une régénérescence. Le ministre, pourtant enfant de cette école, enfin de l’ancêtre de celle-ci et dirigeant de ses universités a du pain sur la planche, l’estrade. Il doit à peine d’être éjecté, passer à l’offensive. Oser, casser de la baraque. L’incapacité de l’institution à franchir le cap de l’inertie et de la mauvaise pédagogie est flagrante.
Un lourd passif devait se faire cueillir par un ministre qui loin d’être rompu aux arcanes des coulisses et de la complexité du secteur ; est un comportement éducationnel exemplaire. Le monsieur est très gentil. Que pourra-t-il faire face à ces syndicats, qui ne lui auraient donné aucun répit juste à son installation ? Eh bien voilà qu’une cinglante réponse lui est toute assurée, courant 2013. C’est grave ce qui s’est produit comme tricherie. C’est un scandale dont le ministre est éducationnellement responsable. Qui en était toutefois derrière ? Tout le monde semble le deviner. Devant une telle inégalité, rien en ce moment ne sert de blâmer une partie ou une autre, juste laisser faire une enquête déjà hypothétique car l’auteur est concerné. Que pouvait-il faire en face d’un héritage alourdi d’une année à une autre par des reformes qui n’ont jamais été l’une et l’autre testée ? Son premier Bac a été ainsi mis en situation ubuesque. La difficulté de certains sujets, leur longueur et le choix parfois fortement hésitant allaient être un handicap dans le nivellement du taux de réussite par rapport à celui tout le temps réalisé par son prédécesseur. L’académicien qu’il est, sans le vouloir savait être mis en défi de ne pas dépasser le Bac de Benbouzid. Ce sera celle-là l’autre duplicité dans laquelle l’on vaudrait qu’il s’y installe. Le jeu est clair, au plan du challenge. Les parents d’élèves, les syndicats l’ont bien compris et suggéraient en sourdine la levée de pied dans la correction. La mention » a triché » faisait son apparition comme observation d’échec. Nonobstant ceci les tricheurs n’ont été que partiellement punis leur permettant ainsi de n’enjamber qu’une année d’exclusion.
Baba Ahmed pourra-t-il se rattraper ? Aura-t-il la didactique politique nécessaire et intrépide d’ajuster les chances à tous les candidats, entre récalcitrants, tricheurs émeutiers et autres tranquilles et encore crédules ?
L’année en cours ? Outre la crédibilité d’un examen pas comme les autres, rendu sacralisé, il est de la sienne d’en pâtir si jamais la faute, l’erreur, la fatalité, l’inconscience ou la volonté délibérée, le complot et la conspiration en sont les causes. Personne n’en saura une chose. Et voilà que l’autre aspire à faire au RND ce qu’il a fait à l’école.
La performance individuelle des enseignants
L’évaluation des enseignants face à celle des élèves n’est pas une tare ou une boutade à l’égard de ce prestigieux corps qui malgré les couacs socioprofessionnels et certaines outrances a pu quand bien même assurer du moins des scolarités constantes. Elle ne doit pas être une note qui sanctionne, mais un processus qui ira droitement pour permettre une amélioration du service à fournir. Et si jamais l’on introduit le concept de la performance ? Ainsi chaque enseignant sera apprécié en fonction des résultats obtenus par ses élèves. Un schéma directeur avec des indicateurs dans l’ingénierie pédagogique, bien réfléchi, murement érigé serait d’un apport considérable dans la motivation et l’élévation dans le rang hiérarchique. Si toute une classe, option Bac langues obtenait un moins 6 en matière de philo, la difformité pense-t-on ne serait pas dans le corps de la matière, mais bel et bien dans son producteur. Ces matières considérées par les élèves comme activités » parasitaires » par rapport à l’essentiel du programme doivent être réévaluées et ceci ne peut se faire que par ceux-là même et celles-ci qui les enseignent. L’introduction d’un système approprié à l’évaluation – c’est aux syndicats de le stimuler- devra permettre de mesurer la capacité de l’enseignant à répondre aux attentes tant de la faim en connaissances de l’élève que de remplir un devoir moral. Finir un programme par dictée, textes polycopiés, exposés copier-coller n’est pas assurément une mission accomplie. En feuilletant, par exemple le livre d’histoire d’une classe terminale, on y trouve des informations formidables – rappelez-vous le livre d’histoire terminale (le monde contemporain) des années 70 – en questionnant l’élève sur ce qu’il en a récolté c’est la pauvreté générale. Sa caisse de réception ou ses facultés d’assimilation ne fonctionnent pas naturellement. Elles le font au virtuel. Il a besoin d’une calculatrice, d’un micro-ordinateur, d’un mini-appareil photo pour copier au lieu d’écrire ses leçons. En évaluant l’enseignant c’est out le système éducatif qui passe sous le contrôle selon des normes scientifiques prédéfinies. Ce contrôle de productivité individuelle n’est pas sans aller de concert avec la globalité des autres acteurs. Lorsqu’on mesure la capacité d’une classe, on est en présence de mesurer le niveau global atteint par l’élève dans son pallier d’études. Par conséquent l’évaluation globale est un résultat d’addition des appréciations individuelles. Les enseignants d’hier ont donné de leur mieux dans un temps, leur jeunesse et toute leur prouesse. Ceux de ce jour doivent accélérer la cadence et se mettre au niveau des exigences du développement normatif et scientifique. Ceci n’est qu’une suggestion d’un parent d’élève en phase finale et terminale de l’être. Enfin l’idée est à creuser. Ailleurs ceci se pratique depuis longtemps.
Des syndicats ou des conseils scientifiques ?
Le rôle élémentaire d’un syndicat se confine dans la défense des droits et intérêts moraux et matériels des travailleurs. Que dire si jamais le syndicat national des douanes exige comme revendication la baisse ou la hausse des quotités tarifaires ? Que dire si le syndicat des praticiens de la santé exige comme revendication le classement en maladies chroniques d’une grippe saisonnière ou d’une toux quinteuse? Que dire aussi si le syndicat des ports exige comme revendication l’extension des eaux territoriales ou de la zone contiguë?
Les différentes organisations syndicales affilées au secteur de l’éducation nationale se doivent de maintenir leur pression sur la tutelle pour la prise en charge de leurs doléances sans pour autant cavalcader ou aller paitre dans un domaine liée intimement aux sciences pédagogiques. Ils ne sont pas les représentants des élèves pour parler de leur avenir ou en leurs noms. La construction des infrastructures scolaires relève des attributions des walis de concert avec la tutelle. Pour tout ce qui se rattache au volet des programmes, horaires, cursus, contenu, approches didactiques, seuls les enseignants es-qualités ont le droit d’intervenir. C’est comme en politique, lorsqu’on voit un ministre tantôt parler en tant que membre du gouvernement, tantôt en sa qualité de chef de parti ; l’on se perd en conjectures. Mohamed Saïd en est un cas. Les conseils scientifiques sont installés à cet effet, au moment où les syndicats sont constitués pour un autre : la défense des droits des travailleurs. Les professionnels de l’éducation doivent se pencher sur les dérives et les dysfonctionnements constatés dans l’exécution de l’école algérienne. C’est aux pédagogues et éducateurs spécialisés, en dehors d’un cadre confédératif et corporatiste d’élucider le débat. Quant aux syndicalistes, liberté leur est donnée d’agir au mieux de l’intérêt du travailleur du secteur. Leur lutte est légitime autant que de l’amélioration sérieuse des conditions générales de l’enseignant dépend celle de l’école. Sans toutefois que cette action ne puisse, désavantager encore l’élève, cet otage d’un système. Si l’enseignant est pourvu de plusieurs syndicats, pourquoi priver l’élève d’avoir son propre syndicat représenté par ses parents ? Là aussi, ces nébuleuses associations dites de parents d’élèves doivent se soumettre à une profonde reforme. Au stade de leur fonctionnement actuel, loin de règlements qui les régissent, elles ne servent qu’à boucher les lacunes matérielles, colmater les fissures, ou se peiner d’avoir de l’eau dans une école dépourvue. Ce sont, en fait une espèce de Samu social. Ces associations, si elles étaient multiples, sans être fédérées, auraient à avoir un mot dans la résolution de toute la tragédie scolaire. Le motif du souci d’un unique interlocuteur est d’emblée à bannir, sinon la pluralité syndicale sera également une entorse à cette unicité d’interlocuteur. Une question mérite toutefois d’être posée : est-il du droit d’un syndicat de l’éducation nationale de débattre du système éducatif ? Si oui, le syndicat des impôts est aussi habileté à débattre de la reforme fiscale. Idem pour l’UGTA, dans sa complexité d’organisation syndicale ou formation politique ; de revendiquer un système constitutionnel prolétaire.
Souvenances d’une rentrée d’antan
C’était presque une fête. On devait mettre des habits neufs, du moins, choisir parmi le pauvre lot d’effets vestimentaire les moins usés, les retoucher, les raccommoder, les rapiécer et bonne rentrée ! L’approche de la rentrée dégageait une odeur. La craie et l’encre sont toujours la mémoire olfactive d’une période à jamais révolue. A regarder, dans les lointaines souvenances nos maitres, nos pions, nos surveillants, nos censeurs et nos proviseurs ; la mémoire retient à cet effet que nous développions l’envie d’être comme eux, d’avoir la même étoffe, le même punch, la même démarche, l’identique comportement. Toute cette culture d’être, cette haute personnalité, la leur, cet orgueil positif nous embarquaient dans les rêveries les plus suaves.
On voulait à l’époque les imiter, les calquer. Ils étaient des modèles impérissables pour nos pauvres crânes de chérubins et de potaches. Qui de nos enfants ou petits-enfants nourrit actuellement le rêve de ressembler à son instituteur ou a son proviseur ? Pourtant les nôtres, ne connaissaient pas le régime indemnitaire, comme nous, nous n’avions pas le transport scolaire. Il n’y avait pas d’association de parents d’élèves, mais il y avait des parents tout court. Il n’y avait pas de reformes de l’école, mais l’école tout simplement. L’éducation nationale.
13 septembre 2013
El Yazid Dib