Par Kaddour M’HAMSADJI
Une salle de lecture de la bibliothèque municipale de Birkhadem
SI LE DEVOIR de mémoire est respecté, la parole de l’homme vivant est respectable.
Dans les livres que beaucoup ont résolu d’écrire «pour l’histoire», combien ont-ils réussi à contourner l’écueil si fréquent lorsqu’ils naviguent à vue, c’est-à-dire sans formation, sans documents, sans «annexes», – ces sortes de cartes indispensables leur servant à conjurer un destin contraire. Autrement dit, c’est comme un navigateur qui chercherait ses sources vitales en mer! Et c’est devenu «sottise d’époque», mais «sottise exquise» que de se faire valoir aux yeux des proches, car qui renoncerait à «écrire» lui-même, et eût-il, a priori quelque qualité, l’histoire de son propre destin? Toutefois, la méfiance est, ici et là, fort audacieuse et même obsessionnellement vindicative! «Écrire pour l’histoire», quel sujet magnifique à débattre au coeur d’une Algérie libre, indépendante et cultivée, ouverte au monde du progrès et de la tolérance!…
Et il y a toute une jeunesse algérienne s’intéressant à son pays, attentive aux écrits éveilleurs de conscience, des écrits de tout genre, de poésie aussi et peut-être surtout de la poésie qui fait rêver nos ingénieurs et nos chercheurs de poser le pied, un jour, eux aussi, et nous ensuite, sur une planète encore inaccessible. N’est-ce pas ce qui incite à ne jamais cesser d’animer et d’enrichir nos bibliothèques? L’illustration, réalisée pour moi et envoyée par mon ami constant M.Hamza Ould Mohand, en témoigne humblement par telle salle de lecture de la bibliothèque municipale de Birkhadem… Mais je vais trop loin dans ce que je voudrais évoquer à mi-voix et à demi-mot et qui nécessite compétence et sagesse et qui ne fait appel ni au professeur d’histoire ni, moins encore, au «spécialiste» de l’événementiel – cette nouvelle profession inventée ailleurs pour ceux qui ignorent l’histoire de leur pays – dont il cultive intensément le champ mis en jachère par ses propriétaires… Abandonnons cette réflexion inattendue sur le seuil de notre Petite bibliothèque de l’été, et approchons-nous des rayons de livres… Si nous savons lire, cherchons soigneusement un livre pour son authenticité.
ALGÉRIE, LES RAPPELS DE L’HISTOIRE de Rabah Mahiout (Casbah éditions, Alger, 2012, 286 p.):«L’auteur est servi par son militantisme très actif au FLN qu’il a rejoint en mai 1956, puis, à l’indépendance, par sa formation universitaire (Institut d’études juridiques, économiques et politiques d’Alger), par son expérience aux barreaux d’Alger et de Paris et, tout particulièrement, par le journalisme enrichi de diverses activités de reporter dans le domaine de la presse écrite et audiovisuelle. Aussi, faut-il mesurer combien il a été perspicace dans son observation de certains phénomènes socioculturels, et politiques aussi, qui ont parfois fortement dénaturé la juste vision générale de la jeune génération algérienne au sujet de l’histoire de l’Algérie.»
LA BELLE ET LE POÈTE d’Amèle El Mahdi (Casbah Éditions, Alger, 2012, 187 p.):«L’auteur a pu, lors d’un périple dans le Sud algérien, rapporter de Laghouat la célèbre et fascinante histoire d’amour du grand poète populaire Abdallah Ben Kerriou (1869-1921), fils de bâche-Âdel, pour la belle Fatna «Zaanounia» fille du bachagha Ali Ben Salem, descendant de la tribu de Beni Hilal. [...] Cet amour impossible, et du fait de l’interdit qui le manoeuvre, est une histoire«simple» tout comme celle, à peine différente, de Qays ibn el-moullawwah et sa cousine Laylâ el-amiriya (ou Madjnoûn Laylâ) à l’époque préislamique. Amèle El Mahdi a su en saisir les faits et les nuances pour en faire un roman agréable à lire et autant intéressant. Il semble même qu’en lisant ce livre, l’histoire d’amour du poète et de sa belle, si bien connue pourtant, prend un nouveau départ, mais entendons-nous bien, ce n’est pas forcément une nouveauté totale. Ce qui est plaisant, réjouissant même, la femme auteur, tout en se passionnant pour nous faire aimer son récit, a fait oeuvre d’humilité et de chercheur.»
MANIFESTE CONTRE LE RACISME de Mohand Tazerout (Éditions Subervie, Rodez (France), 1963, 232 p.):«Quel bonheur de retrouver ce livre, ce souvenir qui me ramène au début de l’Indépendance, au début d’un cinquantenaire d’une identité retrouvée! L’éditeur, qui était aussi le mien en 1959, me l’a envoyé, dès sa parution, à mon adresse permanente en Algérie. Ému et éprouvant le devoir sacré, déjà à l’époque, de faire connaître les auteurs algériens, j’en ai immédiatement rédigé et publié une note de lecture et de présentation dans la page hebdomadaire Lettres-Arts-Sciences du journal Le Peuple du dimanche 8 décembre 1963, p. 4. [...] Mohand Tazerout, professeur honoraire lauréat de l’Institut de France, est né en 1893, en Kabylie, chez les Ait-Djemaâ, pieux musulmans, au lieu-dit «Tazerout», près d’Azazga. Il est décédé en novembre 1973 à Tanger au Maroc. Sa biographie reste incomplète. [...] Ailleurs, il y a quelque temps, j’ai écrit: «La richesse de notre littérature se mesure dans le coeur du seul Algérien, auteur ou lecteur.» Sans doute est-ce une évidence, mais il est bon de ne jamais oublier, cette évidence. De même, au besoin, comme dit l’esprit populaire algérien: Mâ yahoukklak illâ dhafrak wa mâ yabkî alayk illâ chafrak, tu ne peux te gratter qu’avec ton doigt et il n’y a que ton oeil qui puisse verser des larmes pour toi! Je tiens enfin à rappeler ou à confirmer que Mohand Tazerout a adhéré à la toute première Union des écrivains algériens, dès sa création, le 28 octobre 1963.»
JUSTICE POUR LA PALESTINE! Tribunal Russell sur la Palestine [Préface de Stéphane Hessel] (Éditions Média-Plus, Constantine, 2013. 200 p.):«En somme, ce livre de 200 pages, est un panorama riche en informations précises sur les objectifs du Tribunal Russell sur la Palestine et très éclairant sur ses animateurs à la fois compétents, actifs et particulièrement motivés. Il est vrai, ainsi que l’un d’eux (Noam Chomsky, théoricien du langage, fin linguiste au Massachusetts) l’affirme vivement, leur engagement n’est pas seulement dans la lutte du peuple palestinien pour la liberté et l’égalité, [c'est aussi] «la lutte pour les droits humains fondamentaux et le droit à vivre une vie digne et décente. Parce que tous ces droits et bien d’autres, comme le droit national à l’autodétermination, sont niés et piétinés par l’occupation israélienne qui implique l’annexion des territoires et ressources palestiniennes, le terrorisme étatique exercé par Israël avec la complicité des pays occidentaux, la répression sanglante de gens ordinaires et leurs arrestations arbitraires.» [...] Bien que l’ouvrage Justice pour la Palestine! – Tribunal Russell sur la Palestine soit paru aux Éditions de l’Herne, Paris, mars 2013, il me plaît de souligner l’intérêt de le lire dans l’édition proposée par Médias-Plus, Constantine, 2013 dont l’éditeur, Saïd Hannachi, à l’évidence, n’omet pas de mettre à la disposition des lecteurs algériens des documents importants à connaître absolument.»
LES MEKNASSAS DE L’OUARSENIS de Noureddine Benamara (Ouvrage édité à compte d’auteur, Alger, 2013, 448 p.):«L’émotion est immense, pleine et instructive, celle que met en nous l’auteur. [...] Remontons l’Histoire de l’unité essentielle du peuple algérien en quinze chapitres ponctués de plusieurs exergues et appuyés de nombreuses notes, illustrés par des photos et des cartes, accompagnés de textes choisis, suivis d’une chronologie et d’une bibliographie que l’on pourrait compléter encore aisément par des titres qui font autorité dans le domaine de la recherche de cette tranche d’histoire. Il faut lire ces chapitres [...] Sincèrement, c’est à cette catégorie d’ouvrages que je tiens. Ils nous permettent, si j’ose dire, d’avancer dans notre passé. Aussi, Noureddine Benamara a-t-il parfaitement raison de «chercher notre vérité par nous-mêmes» et de nous mettre sous les yeux une histoire d’Algérie qui revivifie notre mémoire. La nôtre a tellement été bourrée d’étranges histoires conçues par le système scolaire colonial qu’elle reste encore assez sclérosée et se tient même méfiante des écrits de certains auteurs si bien affidés qu’ils aient été à la colonisation française de 1830 à 1962, – cela dit, évidemment, «sauf le respect dû à ceux qui ne méritent pas cette remarque»..
(La Petite bibliothèque de l’été 2013 (VI suite et fin) dans Le Temps de lire de mercredi prochain).
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8 septembre 2013
Kaddour M'HAMSADJI