Par Kaddour M’HAMSADJI
La nouvelle bibliothèque municipale de Soûr El Ghouzlâne, baptisée du nom du chahîd Boukrâa Rabah
Soit, mais qui s’y regarde est qui? – Un homme qui réfléchit!
En fait, n’est-ce pas là le problème qui tourmente notre gent littéraire au sujet d’écrire et de publier un livre, de savoir de quelle fonction celui-ci devrait-il être chargé et comment en inscrire au mieux l’esprit dans celui du lecteur supposé facile ou difficile et qui se bute quand on s’avise de lui conseiller un livre ou simplement de lire?… Or le livre est un guide, il ouvre bien des chemins à suivre et bien des chemins à s’en écarter; il donne de l’esprit à ceux qui en veulent; c’est un lieu de partage du savoir; c’est un vieil ami… Enfin le moteur du livre est le SENS, c’est-à-dire le bon sens, le bon sens paysan, qui me semble plus naturel que le sens critique.
Aussi, une pensée me vient-elle tout de go. À l’instant où je m’apprête à rappeler quelques livres dans la Petite bibliothèque de l’été 2013, l’image de la toute nouvelle bibliothèque municipale de Soûr El Ghouzlâne, baptisée du nom du chahid Boukrâa Rabah, s’impose à moi. Mon jeune ami, Abdelkrim Mansouri, photographe de talent et bénévole m’en a envoyé la photo. J’aimerais aller visiter cette bibliothèque et la voir, même au cours de l’été, bel et bien ouverte, pleine de lecteurs de tout âge se rafraîchissant l’esprit à l’abri de la chaleur estivale, tout en se nourrissant de savoir…
LA FEMME DU CAÏD de Fatéma Bakhaï, (Éditions Alpha, Alger, 2012, 301 p.): «La Première Guerre mondiale est déclarée. Le caïd est mobilisé pour aller combattre sous le drapeau français. Le temps passe, les événements se succèdent aux événements, la société et les idées avancent, bons ou difficiles. Pendant ce temps, Talia prend une grande place dans la famille, d’autant que Lalla Khadoudja, l’épouse du caïd, victime de démence, a disparu. [...] Fatéma Bakhaï est une oeuvre dense, instructive, parfaitement lisible et libératrice de certains préjugés accolés par le système colonial afin de brouiller notre miroir intérieur. Je note aussi la fidélité de la romancière à ses constantes essentielles de pensée, d’unité d’action et d’écriture, chaque fois reprises dans ses ouvrages. En somme, La Femme du caïd est une oeuvre d’une femme algérienne, non seulement jalouse de ses racines et de ses droits mais encore infiniment fière de produire pour les siens.»
LE CHANT DE LA SITELLE de Djoher Amhis-Ouksel (Espace Libre, Alger, 2012, 144 p.): «Voici le temps où commence l’histoire de Titem, une «autobiographie» en fragments de confession de la femme-poète Djoher (littéral. «la Somptueuse», ses «tantes affectueusement disaient: Djouhou») et dont les poèmes sont chargés de symboles brillants et efficaces, contrairement à ce que Goethe a pu écrire dans Le Second Faust, V, «Tout ce qui passe n’est que symbole.» Et qu’ils sont beaux ses poèmes, respectueux des règles de la prosodie, simples, alertes, en mouvement constant, créateurs d’harmonie en poésie, sans sombrer dans l’abus de licences que permet, croit-on, le vers libre moderne et dont tant de poètes chez nous et ailleurs s’enivrent, ignorant la valeur suggestive et pittoresque des rythmes, des coupes et des sons! La poésie est l’engagement d’un rêveur de lumière pour ses semblables. [...] Son ouvrage est alors conçu en deux parties complémentaires où sont développés les éléments phares éclairant sa «mémoire» sur tous les fronts de sa vie, des flashes éblouissants: son enfance, ses parents, ses études, sa formation, l’École normale, sa première paye, ses rencontres, ses prédilections, la société à l’époque coloniale, la place de la femme dans l’espérance d’une humanité libre et indépendante,… enfin la parole de la femme reconnue et respectée!…»
LA VIE DU CHAHID BENFLIS TOUHAMI DIT SI BELGACEM, biographie du chahid 1900-1957 par la Famille Benflis Touhami (Houma Éditions, Alger, 2012, 227 p.): «Mettre à l’honneur sa famille – son père, Touhami dit Sî Belgacem, éducateur en chef et qui plus est chahid, ainsi que son frère aîné Amar dit Tahar, également chahid (1934-1957) – n’est pas aisé, face à tant d’émotions suscitées. Mais c’est parfaitement noble et respectable. Chez nous, c’est chose sacrée. Dans nos traditions musulmanes et, à plus forte raison dans notre conscience nationaliste, l’amour filial ne se prouve pas: il se sent. Ali Benflis s’est attaché humblement à faire un retour sur soi: une vie commencée avec un père et une famille nombreuse formée à l’accomplissement d’actes de dévouement pour la patrie et pour ses semblables. [...] L’intérêt de ce devoir de mémoire est de fixer, pour la jeune génération algérienne, des images fortes et des faits patriotiques incontestables de l’Histoire de l’Algérie sous la colonisation. De chaque ouvrage, où l’intention, généreuse et juste, est de revivifier la conscience historique pour aller de l’avant, pour sa propre existence et pour la reconnaissance de l’Autre dans tous les domaines des relations libres et humaines, il y a des leçons à extraire, à apprendre et à assumer, ce sont autant de leçons de vaillance, de foi, de vertu souveraine des héros et des hommes de bien de l’Algérie de tous les temps, chacun d’eux est mort pour l’Algérie. La vie de chacun d’eux est un exemple et une lumière.»
UN HOMME DU PEUPLE de Youcef Khider Louelh (El Dar El Othmania Éditions, Alger, 2012, 312 p.): «L’auteur, dont, au reste nous découvrons l’humour, le goût du langage expressif et surtout l’écriture simple, agréable, sans fioriture, sans recherche de forme littéraire, tient à cette première et significative information: «D’après mon père, émigré en France durant de longues années, j’ai vu le jour dans la nuit du 18 au 19 septembre 1936. On attendra pourtant le 13 janvier de l’année suivante pour me déclarer au service de l’état civil de la mairie de mon village. Cette date va demeurer officiellement celle de ma naissance.» Et elle restera son repère indélébile, sa référence identitaire: le droit du sol, le droit d’existence, le droit de pensée, le droit de liberté… et faut-il le mentionner, le droit à la misère et à l’exclusion dans son propre pays. Il remonte le fil de sa mémoire. Nous le suivons sur plus de 285 pages de texte serré, si nous comptons, et il le faut, «Les instantanés d’un parcours militant» (un cahier de seize pages de photos-souvenirs du parcours) et une annexe comprenant, explique-t-il, «des extraits du courrier d’une vingtaine de pages (auquel je fais référence dans mon récit) que j’avais adressé de Paris en 1980 à la direction du P.A.G.S., en Algérie.» [...] Un Homme du peuple est à considérer comme un témoignage émouvant, un document d’une grande sincérité de pensée et d’écriture, un message que la jeunesse d’aujourd’hui devrait mesurer en toute équité et clairvoyance, – du fait même que l’auteur, riche de son expérience et plein d’humilité, n’hésite pas à déclarer spontanément: «Par mon récit, je n’ai voulu – ou ne veux – régler de comptes avec personne, sauf peut-être avec moi-même. Aujourd’hui, une nouvelle existence a commencé pour moi.»
JEAN AMROUCHE, L’ÉTERNEL EXILÉ de Tassadit Yacine (Casbah-Éditions, Alger, 2012, 132 p.): «Dans son ouvrage, Tassadit Yacine a réuni «des textes de critique littéraire déjà publiés peu accessibles au lecteur.» Cependant, on connaît de lui [Jean Amrouche] Cendre (1934), Étoile Secrète et Chants berbères de Kabylie (1939). Jean Amrouche ayant peu publié, les textes présentés par Tassadit Yacine permettent de mieux connaître la pensée permanente de cet authentique algérien et l’apprécier pour sa passion des lettres françaises «sans renoncer pour autant à la littérature de son pays. [...] Le reste de l’ouvrage Jean Amrouche, l’éternel exilé est consacré précisément à ce thème constant comme un spectre exceptionnel et… familier. Le texte L’Éternel Jugurtha, propositions sur le génie africain, écrit en 1943 et publié dans L’Arche (Alger) en 1946 est d’une étonnante actualité. «Je sais bien où m’attend Jugurtha: il est partout présent, partout insaisissable; il n’affirme jamais mieux qui il est que lorsqu’il se dérobe. Il prend toujours le visage d’autrui, mimant à la perfection son langage et ses moeurs; mais tout à coup les masques les mieux ajustés tombent et nous voici affrontés au masque premier: le visage nu de Jugurtha; inquiet, aigu, désemparé.» Voilà une étude qui, resituée dans son contexte originel, incite toujours au débat, un de plus et interminable, de l’Occident dit avancé et l’oeuvre de progrès nécessaire des pays en voie de développement (ou anciennement colonisés).»
À suivre: La Petite bibliothèque de l’été 2013 dans Le Temps de lire de mercredi prochain.
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8 septembre 2013
Kaddour M'HAMSADJI