Conflit
Depuis qu’il a épousé Aldjia, il y a maintenant plus de six ans, Omar ne s?est jamais entendu avec sa femme.
Omar est un vieux garçon, marié sur le tard à l’âge de 38 ans à Aldjia (28 ans). S’il a tardé à se marier, c’est qu’il n’en avait pas les moyens.
Non instruit, non diplômé, il est manoeuvre. Il passe sa vie à errer d’un chantier à un autre. Une année seulement après son mariage, naît un garçon qu?il prénomme Ahcène.
Subjugué par son nouveau rôle de père, il se plie désormais en quatre pour chouchouter son bout de chou.
A la deuxième année de mariage naît un autre garçon, Hocine. Omar jubile. Dieu lui a donné deux garçons et il compte leur donner la meilleure éducation.
Le soir, au coin du feu, il aime les mettre sur ses genoux tout en leur caressant les cheveux. Lui, l’analphabète, compte faire de ses deux rejetons, un docteur et un avocat. Ce sont les seules professions dont il rêve.
Si Dieu lui prête vie, jusqu’à un âge avancé, il se soignera chez son fils et se fera défendre par son autre fils. Hocine a maintenant cinq ans et Ahcène six.
Depuis quelque temps, Omar a remarqué des bleus sur tout le corps de ses enfants. Intrigué, il interroge Aldjia, qui lui dit : «Ce sont des gosses, ils foncent dans tout ! C’est normal qu’ils aient des bobos. Je ne peux pas les surveiller continuellement. Je ne peux pas délaisser mon ménage et ton travail ne nous permet pas de nous payer une nourrice !»
Cette dernière remarque lui fait l’effet d’une flèche empoisonnée reçue en plein coeur.
Aldjia, mariée de force par ses parents à Omar, ne l’a jamais aimé et, par voie de conséquence, n’aime pas ses enfants. Aldjia aurait aimé que ses enfants aient pour père Rafik, le jeune commerçant du coin, qui lui avait promis, il y a quelques années, monts et merveilles.
Elle se voyait à côté de lui dans sa belle voiture et voilà, qu’elle se trouve mariée à un manoeuvre qui rentre tous les soirs à la maison fourbu, les vêtements crasseux et sentant la sueur. Ce n’est pas la vie dont elle avait rêvé !
Un jour, profitant de l’absence du contre-maître, Omar s’éclipse du chantier à bord d’un camion et rentre chez lui beaucoup plus tôt que d’habitude.
Arrivé chez lui, il entend des cris d?enfants provenant de l’intérieur de sa demeure. Il colle l’oreille et entend distinctement sa femme dire à ses enfants : «Khoudou ya ouled lah’ram» ! (Prenez enfants du péché), tout en les frappant avec un bout de tuyau d’arrosage.
Comme la porte d?entrée n’était pas verrouillée, Omar fait irruption et surprend Aldjia en flagrant délit de flagellation.
La peau de ses enfants était striée de coups et ils pleuraient à chaudes larmes. Voyant rouge, Omar se précipite sur sa femme et la roue de coups ; sa colère non apaisée, il se rend dans la cuisine, se saisit d’un couteau qu’il plonge à plusieurs reprises dans le corps de l’infortunée Aldjia.
Son forfait accompli, il se rend aux autorités, qui l?inculpent d?homicide volontaire.
7 septembre 2013
Lounès Benredjal