Progrès scientifiques et progrès moraux n’avancent pas à la même allure !
Loin de contribuer à la création d’un monde pacifique, les avancées scientifiques et technologiques rendent ce monde encore plus violent. Pourtant, progrès scientifique et technique d’un côté, et évolution des valeurs morales de l’autre apparaissent comme allant de pair. Fruits de ces progrès, l’accroissement du niveau culturel de l’humanité, et l’amélioration incontestable, à l’échelle planétaire, de la qualité de la vie, en dépits des disparités sociales entre pays et à l’intérieur de chaque pays, contribuent à créer une certaine uniformité dans les valeurs morales comme dans les modes de vie des peuples, et à effacer les barrières culturelles sources de tant de malentendus et de conflits dans le passé.
Puissance, synonyme de haute moralité ?
La distribution inégale de la puissance liée à la maitrise de la technologie constitue un facteur qui neutralise ces évolutions favorable à la création d’un monde pacifique. La puissance, appuyée par une capacité d’innovation inépuisable, apparait, pour ceux qui la possèdent, comme la conséquence logique des valeurs morales qu’ils embrassent et pratiquent. La faiblesse et la pauvreté deviennent le reflet d’une certaine immoralité, si ce n’est les résultats mêmes de valeurs morales déficitaires.
Les rapports de forces seraient donc, en fait, des rapports dont les fondements sont essentiellement moraux ; d’un côté, il y a ceux qui constituent les forces du bien, et dont la récompense apparait à travers leurs progrès scientifiques et techniques et leur prospérité matérielle, et de l’autre côté, se trouveraient les forces du mal, dont le reflet apparait à travers leur arriération et leur misère.
Tout ce qui font les premiers est moralement justifié et justifiable ; tout ce que font les seconds est frappé d’immoralité. Des premiers, il ne sort et ne peut sortir que du bon ; des seconds il ne peut sortir que du mauvais.
Le droit à l’indignation, privilège des plus puissants ?
Et c’est là qu’apparait l’indignation, qui nait du spectacle de valeurs morales bafouées au vu et au su de tout le monde, et qui appelle à l’action pour faire respecter ces valeurs.
Puisque valeurs morales et puissance matérielle se tiennent la main, seule mérite d’être prise au sérieux l’indignation des puissants de ce monde ; tout évènement, toute action individuelle ou collective qui ne soulève pas leur indignation n’est simplement pas digne d’être condamnée et combattue. Les plus faibles gardent évidemment leur droit de geindre sur les malheurs qui les frappent, mais ils n’ont pas droit à l’indignation et au combat contre ce qui a soulevé ce sentiment de révolte. Ils peuvent, évidemment, se plaindre ; mais cela ne veut pas dire que leurs plaintes soient légitimes et acceptables, parce qu’elles se fonderaient sur un principe moral reconnu universellement.
Une indignation à géométrie variable !
Pour qu’une action soit jugée digne d’indignation, elle doit être soumise à la grille d’analyse des puissants de ce monde, qui peuvent, alors, parce que leurs jugement moraux sont plus » objectifs » que ceux des plus faibles, décider que cette action est digne de soulever l’indignation et de provoquer une réaction de punition des contrevenants à ces règles morales, dont la plus importante est le respect de la vie humaine.
Par exemple, le génocide des différentes ethnies musulmanes, officiellement mené par les autorités birmanes, et exécuté par la hiérarchie monacale bouddhiste du pays, n’est pas digne d’indignation ; aucune puissance n’est disposée à battre les tambours de la guerre pour faire cesser le génocide, pourtant classé comme crime contre l’humanité par les lois internationales.
Autre exemple, la politique de nettoyage ethnique des autorités israéliennes, appliquée au nom du Sionisme, qui exclut, sur ordre expresse de Dieu, du territoire de la Palestine, tout adepte d’une autre religion que le judaisme, n’est pas digne d’indignation ; elle est même l’expression de hautes valeurs humanitaires, car elle touche des populations nettement moins avancées technologiquement et scientifiquement que la population de confession juive. On ne se souvient pas qu’Israël, qui continue sa politique de nettoyage ethnique alors qu’elle négocie la paix avec les Palestiniens, et viole toutes les lois internationales des codes des Nations Unies, se soit jamais vue menacée de représailles militaires. Au contraire, plus elle accélère sa politique de nettoyage ethnique, plus elle est récompensée en appui militaire et financier, et plus elle est glorifiée dans les médias internationaux. Autre exemple, le Sri Lanka est l’objet d’un intérêt sympathique de la part des Etats qui comptent dans ce monde. Pourtant, là aussi, est conduite une politique officielle de violence dirigée autant contre les minorités musulmanes, dont la langue est le Tamil, mais qui n’en sont pas moins ethniquement cinghalaises, que contre la minorité ethniquement tamile de confession hindoue. On n’a pas vu une grande expression d’indignation face à ce totalitarisme bouddhiste qui peu à peu prend les formes extrémistes du bouddhisme birman et aboutira, dans peu de temps, aux mêmes violences anti- minorités que celles que connait la Birmanie et que ne rejette même pas une célèbre prix Nobel de la Paix.
Ce ne sont pas les actes de barbarie qui suscitent l’indignation, mais les calculs politiques !
Donc, l’indignation exprimée devant des actes condamnables, parce que portant atteinte à l’intégrité de l’individu coupable d’être membre de la » mauvaise ethnie » ou de la » mauvaise religion, » n’a pas le caractère systématique qu’appelleraient les critères moraux universels qui la sous-tendent.
Elle est non seulement partielle, parce qu’elle ne couvre pas tous les actes d’inhumanité, quels qu’en soient leurs causes profondes et leurs raisons immédiates, mais également partiale, parce qu’elle ne découle pas de critères moraux, mais de critères ayant des rapports étroits tant avec les intérêts matériels concomitants avec ces actes d’inhumanité, et également des calculs de géopolitique , qui rendent ces actes acceptables pour les » amis » et totalement inacceptables pour les » ennemis, » ou les » non-amis. » Ainsi l’indignation est-elle seulement le déguisement que prennent des calculs politiques circonstanciels dictant soit la sympathie avec les contrevenants aux bonnes règles de moralité internationale, soit la condamnation la plus ferme accompagnée de menaces d’usage de la violence armée contre ceux qui ont commis des actes jugés digne de susciter l’indignation et la condamnation la plus ferme.
Donc, dans l’indignation, l’acte en lui-même qui l’a provoquée n’a pas d’importance. Le jugement moral est un simple paravent. D’ailleurs, si celui qu’on n’aime pas, ou qu’on » a dans le collimateur » depuis longtemps, ne commet aucun acte pouvant provoquer l’indignation et justifier une intervention musclée, on le provoque à sa place.
L’opération « Himmler» un exemple historique d’indignation fabriquée
Ainsi, pour justifier son attaque contre la Pologne, Hitler ordonna-t-il l’organisation d’attaques, par des SS déguisés en soldats polonais, de postes frontières et d’une radio allemande située dans la ville de Gleitwitz (maintenant ville polonaise sous le nom de Gliwice). Les SS exécutèrent même alors des prisonniers polonais qui furent revêtus de l’uniforme de l’armée polonaise, et leurs cadavres furent laissés sur les lieux des attaques. L’indignation créée par ces » attaques injustifiées » donna à Hitler le casus belli nécessaire pour envahir la Pologne et, ainsi, déclencher la seconde guerre mondiale. Cette opération, qui a eu lieu le 22 Août 1939, a été baptisée » opération Himmler » et son organisateur, Alfred Naujocks, la révéla aux juges du Tribunal international de Nuremberg.
Hitler avait alors justifié cette action par cette phrase, prononcée devant ses généraux le jour même de l’attaque :
» Je vais fournir un casus belli de propagande. Peu importe sa crédibilité. On ne demandera jamais à celui qui remporte la victoire s’il a dit la vérité. «
La guerre civile en Syrie, qui attend d’étendre ses flammes à toute la région
Il y a une guerre civile an Syrie depuis maintenant plus de de deux années. On ne peut que regretter que les problèmes politiques qui sont à son origine n’aient pas trouvé leur solution avant son déclenchement. Le fait est que la Syrie est un Etat souverain, dont les dirigeants, quelque soit pas ailleurs l’opinion qu’on a d’eux- et on peut citer des régimes politiques pires que celui qu’ils imposent à leur pays et à leur peuple- défendent leur légitimité avec les moyens militaires qu’ils ont.
Un autre fait est que dans cette guerre civile, les dirigeants, tout comme leurs opposants, ont des alliés extérieurs qui fournissent armement et appui diplomatique et politique. Les Etats qui soutiennent le gouvernement souverain sont connus, tout comme, d’ailleurs, ceux qui ont pris position pour les » rebelles, » quel que soit par ailleurs ce qu’on pense ou qu’on suppose de leur idéologie et de leurs objectifs déclarés ou cachés. On ne peut qu’être horrifié devant les attaques visant des civils, avec usage d’armes interdites internationalement. Dans cette affaire, ceux qui sont partie prenante, et qui tirent les grosses ficelles de cette tragédie, tout en appelant au dialogue politique et à la paix, jettent de l’huile sur un feu qui n’a vraiment plus pas besoin de plus de combustible que celui par lequel ses flammes sont entretenues, ne peuvent également être juges, condamner, en citant des chiffres de victimes que même l’opposition armée syrienne réfute, et se préparer à tirer avant même que l’on connaisse les coupables.
Cette indignation n’est qu’un casus belli dont les motivations morales et juridiques avancées sont trop minces et trop peu sincères pour être crédibles, même faiblement. Il s’agit seulement d’exécuter une politique déjà dans les dossiers et attendant le bon moment pour être mise en œuvre. Assiste-t-on à une opération à la Himmler, qui, circonstance étrange, se serait passée, à un jour prés, à la même date que celle qui a causé la seconde guerre mondiale il y a 74 années de cela ? L’avenir, ou l’histoire, seule le dira.
La France a bien conquis tout le Maghreb par l’indignation : indignation au célèbre, mais non moins faux, coup d’éventail du dey Hussein contre un diplomate français, indignation devant les attaques des Kroumirs tunisiens contre le territoire algérien, indignation devant l’assassinat du docteur Marchand à Marrakech.
En conclusion
L’indignation suscitée à juste titre par un massacre dont, jusqu’à présent les auteurs réels, -selon les observateurs les plus objectifs- ne sont pas connus, ne va-t-elle pas permettre de justifier la soumission définitive et totale de tout le Moyen Orient aux diktats d’un seul groupe de puissances et au profit d’un seul pays de la région au détriment des intérêts nationaux et religieux des autres pays ? La suite des évènements le dira.
Mais qui sait exactement ce qui sortira de cette indignation au cas où elle donne lieu à une escalade militaire ? L’espoir est qu’elle n’aboutisse pas aux mêmes conséquences catastrophiques que l’opération « Himmler » du 22 Août 1939 !
5 septembre 2013
Mourad Benachenhou