Tout comme Alain Deloin, Krik Douglas, Julio Eswiglace ou encore Brad Frite-omelette, James Blond est algérien. Plus précisément, il est natif du côté de Ammi Moussa, wilaya de Relizane, rendue célèbre par les tueries qui s’y sont produites dans les années 90. Né en 1988, les premiers cris de James Blond, de père fellah autogéré et de mère nombreuse, sont couverts par ceux des suppliciés d’Octobre. A 4 ans, sa famille passe ses vacances chez un lointain cousin à Annaba. Son père, militant fléniste par héritage, l’emmena assister au discours du président de la République. James Blond, Majid pour l’état civil, somnola dans la salle, n’écoutant que d’une oreille distraite le discours d’un homme apparemment inquiet, jusqu’à ce que le rideau bouge et qu’un sous-lieutenant décide de déchirer la feuille de vie de celui qui fut. Revenu dans leur hameau, James Blond commença à apprendre les dures réalités d’une vie dans l’arrière-pays. Une région dominée par la pauvreté et la rudesse du climat et bientôt par la peur. Parfois, lorsqu’il va faire paître les trois chèvres et cinq moutons de la maison, il lui arrivait de croiser des hommes en armes. Quand il demandait des explications, son père regardait ailleurs, préférant éluder le sujet. Les mois passèrent poussifs avec des murmures de massacres portés par le vent froid et, une nuit, James Blond fut réveillé par des cris d’horreur, il n’eut que le temps de se glisser dehors avant que l’enfer n’embrase sa famille. Au lever du jour, son père, sa mère, cinq de ses frères et sœurs avaient rejoint leur Créateur. Sa sœur aînée fut kidnappée et il n’entendit jamais plus parler d’elle. De cette expérience, il perdit toute confiance en l’espèce humaine et ses jours se confondirent avec ses nuits de cauchemar. Recueilli dans un centre spécialisé, James Blond n’oublia pas ses cicatrices et s’enferma dans un profond mutisme. A l’âge de 14 ans, il fugua et ses pas le portèrent le long des lignes continues de la seule route nationale qu’il connaissait. Vivant de petits larcins et de mendicité, il est arrêté dans la grande ville où il connut un autre centre, celui de rééducation pour mineur. Là, il se fit la main et s’endurcit au contact des autres détenus. Relâché, il tombe dans la colle, dort sur les trottoirs et mange en fouillant dans les poubelles. A la nuit tombée, James Blond aimait à regarder les lumières derrière les fenêtres fermées et imaginer ce qu’aurait été sa vie si son nom avait été autre. A 17 ans, il décide de partir ailleurs, derrière la mer pour voir si Dieu serait plus clément. Il travaille pendant six mois dans un chantier et s’achète son billet de départ. Direction l’inconnu, mais c’est mieux qu’ici, répétait-il en écho dans sa tête. Ils étaient douze à embarquer mais la malchance ne voulait plus lâcher James Blond et le bateau fut arraisonné par les gardes-côtes. Débarqué et présenté devant un juge, on le relâcha après l’avoir sermonné. Oublié de tous, et devant des portes hermétiquement closes, James Blond se débrouilla et avec 200 DA acheta trois litres d’essence et partit sur la trace des lignes continues de la seule route nationale qu’il connût tout au long de son éphémère existence. Fatigué d’avoir marché et pleuré, James Blond s’aspergea d’essence, fit craquer une allumette au-dessus de sa tête et sourit à la vie.
Vie et mort de James Blond l’algérien par Moncef Wafi
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26 août 2013
Moncef Wafi