Les musicologues et les critiques traitant le plus fréquemment de la musique populaire contemporaine, algérienne à succès artistique pérenne, se réfèrent d’abord essentiellement à s’y perdre aux mélange des genres , à ces poètes populaires d’une q’sida , interprètes et compositeurs éparpillés, les plus anciens impliqués dans la chanson d’antan, des différents terroirs . Du tout terrain, que la mémoire collective n’a cessé ici et là d’entretenir par des rites coutumiers d’orgueil. Aller chercher loin des repères tous azimuts, dans la plus grandes des diversités, à s’en mêler les pinceaux. Avec cette propension à dénaturer, fossiliser la révélation d’un véritable art populaire , autrement singulier, pourtant naturellement labélisé, de fait devenu majeur en soi : le chaâbi qasbaoui algérois ! ( et non pas kasabadji = artisan de la transformation du roseau ) .
Bien sûr, nécessaire l’arrimage retro à la géographie et l’histoire de l’unité nationale évidente. Mais pas suffisant, ce lointain survol ne permettant de situer le genre dans son cadre de vie autrement singularisé , à l’essentiel en un approche sociologique. Mais encore dans les limites d’un laps de temps qui fut particulier, bien sûr ou justement décisif.
A l’image du jazz, rock, musiques universelles de notoriété, comme un carcan de spécificités inaliénables, imprescriptibles !
Ensuite le chââbi qasbaoui est parfois considéré par le musicologue ignorant du fait ‘qasba d’Alger’ , comme une simple adaptation conséquente à deux plus anciennes pratiques : l’une du genre M’edh d’essence religieuse musulmane et l’autre de l’école musicale d’Andalousie arabo-musulmane spécifique . Ajoutons de notre propos, qu’il s’agit de genre ou école, de deux lointaines pratiques usitées selon que la géographie humaine mélomane ait été rurale ou citadine. Ce qui n’est pas remarqué et précisé par les « érudits ». Et autre évidence, la porosité entre les deux pratiques s’est exercée pour le chaâbi urbain souvent à sens unique, vers les villes essentiellement, par ouverture relai du M’edh à l’andalou !
Le chââbi étant à l’évidence un tant soit peu, conséquent à deux sources de ce patrimoine qui se perd dans le temps et l’espace d’un tout socioculturel, voilà pour l’emballage du dessus du panier consensuel. Mais de là à considérer le genre comme une poudre de perlimpinpin qui guérit les plaies d’un cœur ……!
Bien entendu un enracinement, mais pas décisif.
Enfin selon les spécialistes en vue, la constitution du genre populaire chââbi qui nous intéresse, devrait aussi son succès à l’utilisation contemporaine d’instruments modernes de musique ( banjo, piano….) , une orchestration qui a enrichi l’harmonie . Sans oublier la formidable introduction de la derbouka qui a sublimé la rythmique de l’interprétation algérienne. Au goût populaire. Accents africains, berbères.
Forcément la novation, mais comme un plus, accessoire .
Voilà au prétexte que le vocable « populaire » devait concerner toute la géographie humaine algérienne, – (souvent dans un souci unitaire d’idéologie politique, ou encore de redistribuer largement l’usufruit, ou enfin parvenir de partout au secours du succès culturel déjà assuré ) , le phénomène spécifique a été gommé, ignoré . Donc au souci que le terme « populaire » devrait prendre source dans des éléments identitaires les plus largement prédéterminés , donc du fait que les précurseurs aient été légion de représentation régionale et autres singulières, en définitive la consistance et le caractère de ce genre musical particulier qu’est le chââbi algérois , pourrait avoir été dénaturés .
Ni fondements précis, ni localisation spécifique, ni surtout approche sociologique, on pourrait faire dans le déni de paternité. Et ceci même du fait qu’il ne fut qu’un genre unique , même de toute son « algérianité » originellement et seulement algérois, prenant source en la qasba . Essentiellement entre les années 1940 et 1960. Et çà transpire cette tranche de vie , ou de survie !
Pourquoi la dilution ?
Or les écoles de renoms les plus illustres, s’identifient souvent à une ville : Vienne, New-Orléans, Le Caire, Londres, Oran du raïï ,…
Nous voulons parler du cachet indélébile et le label qui fructifient l’art local révélé, les apprentissages à demeure, les échanges, pas moins. Et avec , la ville matrice , le quartier déterminé , livrant sa spécialité pour le bonheur des adeptes étrangers , le pèlerinage au source des puristes ..Et pareil pour les arts majeurs, peinture, sculpture, Barbizon, Paris, Aix, Etretat, l’Afrique de partout ….
Pour faire simple disons le chââbi dont il est question , n’est ni un une mangeaille dénuée de caractère et livré aux appétits de goinfres , ni un bien vacant à traiter comme l’on été ls logements du patrimoine architectural d’Alger, mégalopole en péril .
La chansonnette d’aujourd’hui, doit s’élever . Se référer à M’rizek, El Anka, Guerouabi, Fekkai, M’naouar, El Achab, El Ankis qui ont su créer un art populaire, issu d’un mode de vie circoncis dans le temps, l’espace , typiquement algérois . Admirable, génial, un produit spécifique , d’expression poétique, bien localisée , d’un peuplement autochtone multiculturel comme tel, mélomane . La qasba ce (haut) lieu où la difficulté de vivre ou simplement survivre d’une population recluse, soumise à la domination étrangère, à la guerre , cette condition humaine de circonstances était habitée de rêves et le choses de la vie d’alors et de toujours . Une existence qui a livré des messages déclamés par un langage codé du verbe et de la chanson / musique .
Dans le contexte, tout cela ne pouvait se dire que par la chanson populaire « qasbaouie », entre et pour les qasbaouis , sensibles au genre, perceptibles à la construction d’un art du cru . Tout comme le foot musulman où hommes de culture, anonymes, gens prétendus « voyoux» , mais hommes de cœur de convictions, hommes imbus de patrie et liberté, ont fait l’unité et la ferveur derrière le jeu du ballon ! Encore un thème en friche !
En somme, au cœur de la sociologie du phénomène chââbi, commande la qasba d’Alger, son brassage populaire particulier , son parler et ses codes comportementaux , ses rites et mœurs mêlés et multiples, la façon pour dire la musique nouvelle avec les moyens de bord . Et la faire partager autour de soi avec souci de perfection…
Voilà pour le populaire.
Ce chââbi là , cet art révélé savamment du savoir populaire situé ici et pas là-bas ni ailleurs , se pratique de moins en moins , parce qu’ il reste tributaire de textes d’auteurs lyriques, épiques du parler dialectal , de musiques élaborées aux accents délimités à son terroir, d’interprètes à voix surdoués et maitres de la diction et de la rythmique, de brassage humain approprié, d’un contexte culturel de faveur culturelle éphémère . Pas une petite affaire désormais ! Et puis il demeure un art d’humilité qui ne s’accommode ni de falsification et du commerce, ni de pub’ artificielle, un art pudique que l’on lève à tempérament ( el kh’mira – levain ) pour demeurer vrai !
Et l’expression d’un état d’âme particulier .
Ce fut là par la particularité, peu ou prou construite, la réussite d’un genre porté à perfection de la chanson populaire, et son succès à demeure .
Il y a lieu peut-être de concentrer la recherche pointue, les études plus élaborées de cette école musicale multiculturelle de la qasba d’Alger. Créatrice en elle, mère du chaâbi algérois .
Ou plancher sur la sociologie d’époque et du lieu qui ont produit le chââbi algérois. Sans nous disperser . Sans intérêt identitaire autre qu’artistique.
Faire vraiment œuvre d’école bien délimitée, labélisée, afin de pouvoir maintenir et régénérer cet art populaire dans ses caractères singuliers, remarquables qui , hélas pourraient s’effriter, disparaitre , faute de sagacité et d’honnêteté intellectuelle .
FT -
23 août 2013
Farid Talbi