«Vous connaissez le chemin le plus court entre deux points? La ligne droite. Et le plus long? Le taxi!» Patrick Timsit
Vous me pardonnerez cette manoeuvre grossière qui a consisté à vous décrire une scène quotidienne de la vie banale d’une cité. Le spectacle qu’offrent consommateurs et commerçants sur cette allée très passante qui mène au tram comme au marché couvert renseigne sur l’état déplorable du système de distribution dans ce coin de banlieue. Les citoyens viennent en groupes au diable Vauvert pour s’approvisionner en produits de toutes sortes. Et c’est une procession qui dure presque toute la journée. Une véritable fourmilière que ce marché où se frottent tous les âges, tous les sexes. Une fois leurs emplettes terminées, les consommateurs rejoignent leur domicile chacun selon ses moyens: les automobilistes se font racketter par d’audacieux jeunes hommes qui s’improvisent en gardiens de parking. Les moins chanceux, leurs sachets en plastique pendus à leurs mains poireautent au soleil, attendant sous le soleil ardent un hypothétique taxi. Ce jour-la, une grosse femme appuyée sur des béquilles provoqua la compassion des vieux retraités: des taxis passaient sans s’arrêter malgré les signes désespérés de l’invalide. Un seul daigna s’arrêter; après une courte discussion avec la dame, il secoua négativement la tête et démarra sur les chapeaux de roue. La dame expliqua à un vieux qui accourut pour essayer d’arrêter un taxi, que le conducteur du taxi précédent avait refusé de l’emmener à Qahouat Chergui, parce qu’il y avait des travaux sur le tronçon routier qui y menait et que cela provoquait durant toute la journée un redoutable embouteillage. Et les chauffeurs de taxi préféraient éviter cette direction.
«A présent, les gens n’ont plus de coeur! C’est terrible! Ils ne pensent qu’à l’argent et pourtant, la mosquée ne désemplit pas!» Ce cri du coeur avait été poussé par Ammi El Hocine qui était touché par la situation de la dame échouée sur le trottoir d’en face. «Ah si Méziane était là! Il l’aurait dépannée!» Méziane est le chauffeur de taxi clandestin du coin: entre deux courses, il venait discuter avec les vieux oisifs. Petit, une tête ronde sympathique percée de deux yeux malicieux, une casquette pareille à celle d’un titi parisien bien qu’il n’eut jamais mis les pieds au pays des droits de l’homme: il était souvent perçu comme une providence. «Tu vois! La nature a horreur du vide! Là où il y a une défaillance quelque part, l’esprit humain y pourvoit. Les transports publics sont défaillants, les chauffeurs de taxi traditionnels se font rares ou font la loi, il y a des petits malins qui se sont improvisés chauffeurs de taxi! Ah! Le gouvernement qui réussira à mettre au pas les chauffeurs de taxi, c’est-à-dire qui réussira à rétablir l’usage du compteur et tous les règlements qui s’appliquaient à cette profession, ce gouvernement sera qualifié de révolutionnaire. Il faut dire que l’on ne s’est jamais soucié du confort des citoyens. Ceux qui sont chargés d’appliquer ou de faire appliquer la loi vivent sur une autre planète: ils ont des voitures de fonction, des chauffeurs, des bons d’essence et tutti quanti! Comment veux-tu qu’ils pensent à ta galère. Ils font semblant de chercher des solutions à la noix de coco: un jour, ils obligent les chauffeurs à porter un uniforme et une casquette, un jour ils décrètent que les taxis doivent arborer des couleurs différentes selon la wilaya où ils opèrent. Une année, ils leur interdisent de prendre des clients en dehors des stations qui leur sont affectées. Aucune de ces mesures n’a été efficiente!»
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21 août 2013
Selim M'SILI