Jeudi 15 Aout 2013
«Le taxi est comme le prêt bancaire, rare quand on a besoin de lui.» José Artur
Beaucoup de gens diront: pourquoi écrire une série sur un chauffeur de taxi clandestin? Je leur répondrai tout simplement qu’il y a eu déjà un film sur un chauffeur de taxi normal (je dirai même deux films si on compte Hassan taxi) et qu’il est de tradition dans le monde audiovisuel de transformer en série tout film qui a eu un certain succès. Qu’est-ce que c’est qu’un chauffeur de taxi «normal»? Cela se voit qu’il y a toute une génération, peut-être deux, qui n’ont pas connu un chauffeur de taxi normal, quelqu’un qui gagne honnêtement sa vie à la sueur de son dos toujours calé dans une voiture impeccablement tenue, astiquée tous les jours avec soin, lui faisant subir régulièrement tous les contrôles d’usage… Je ne sais pas si vous gardez en mémoire ces voitures élégantes et spacieuses qui portent sur le toit une plaque où est écrit «taxi» et qui arbore sur la gauche un compteur numérique qui indique au client la somme qu’il devra payer au chauffeur une fois le but atteint. Il y a combien de temps que vous n’avez pas vu de compteur? C’est si loin que le passage des Beni Hilal semble plus contemporain. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts d’El Harrach depuis la disparition de cet accessoire qui interdit tout marchandage entre le client et le prestataire de service. Comme toute séquelle du colonialisme, cet impartial arbitre conçu par un esprit cartésien et légaliste, a disparu de la circulation et remisé au grenier au rayon des accessoires d’une époque où le client était respecté. Ceux qui n’ont pas connu cette époque où la loi était scrupuleusement respectée, où la peur du gendarme ou de l’agent de police balisait la conduite des simples citoyens. Je ne vous parlerai pas de ces chauffeurs de taxi qui empruntaient leurs rares clients sur les pistes poussiéreuses de campagne, quand la prestation représentait une part importante du budget d’un journalier qui préférait emprunter les inconfortables «services des marchés» que de louer les services onéreux du taxi… Que de souvenirs sur les silhouettes élégantes des fameuses Tractions, Chambord ou Versailles qui empruntaient rarement la seule rue bitumée du village qui finit en cul-de-sac sur une étroite place aux abords du vieux cimetière. La première fois que j’ai vu un chauffeur de taxi transgresser les règles de bonne conduite, c’était par un chaude après-midi du mois de juillet 1961: adolescent, je promenais mon ennui sur cet étroit chemin d’Hydra, entre le monastère des Soeurs de saint Vincent de Paul et l’Institut ménager agricole. Un taxi roulait très doucement, trop doucement sur ce chemin peu fréquenté: le conducteur tenait d’une main le volant et de l’autre enlaçait une superbe créature. Torride! Une civilisation plus loin, c’était en 1980, c’était à l’époque des mémorables manifestations du Printemps berbère. Ayant pris un matin, un taxi qui avait déjà un client à son bord, je fus, dès mon arrivée à destination, éjecté du véhicule par le conducteur qui m’avait demandé un tarif fantaisiste bien supérieur à celui inscrit sur le compteur en m’abreuvant de termes méprisants parce que je l’avais invité à me suivre au commissariat du coin. C’est depuis ce temps-là, comme le dit si bien une chanson familière à mon oreille, que j’ai pris en grippe cette corporation qui avait scrupuleusement suivi la courbe descendante du respect des lois. Mon mépris ne fit qu’augmenter quand, un triste jour enfin (c’est une autre chanson sur un autre air), ces gens sans aveux se mirent à défiler en trompetant de tous leurs klaxons pour soutenir le parti dissous.
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21 août 2013
Selim M'SILI