Les balles sifflent sur la place Ramsès. Ce lieu mythique du Caire se confond avec la gare centrale, anciennement Bab El Hadid, qui depuis que les grilles en fer qui l’entouraient ont été enlevées s’est métamorphosée en gare centrale de la capitale égyptienne. Et la présence de la mosquée Al-Feth dont l’enceinte a été profanée en cette matinée du 17 août 2013 par des soldats en armes. Les morts se comptent désormais par milliers. Il faut bien liquider une partie de l’élite égyptienne. Comme cela plus personne ne pourra réfléchir à l’avenir. Ni pour l’avenir. Bab El Hadid n’est plus cette quête de Quénawi pour une bouchée de pain quotidienne dans une gare à la vie trépidante, ni son amour fou pour la belle Hanouma. Ni encore cette eau limpide qui coulait dans le bassin situé au pied de la statue de Ramsès. Non Bab El Hadid n’est plus le souvenir de ce film de Youcef Chahine qui en 1958 signait l’une de ses plus importantes œuvres cinématographiques. Bab El Hadid où se rencontrent chaque jour des dizaines de milliers de voyageurs en partance où en provenance du Delta et de la haute Egypte affiche ses couleurs, exhibe sa profonde chaleur humaine et grouille de ses vendeurs ambulants et de ses taxis collectifs qui proposent leurs produits et services. Bab El Hadid a d’abord été le terminus de cette première ligne de chemin de fer d’Egypte, mise en service en 1856, qui a permis de relier Alexandrie au Caire. Mais Bab El Hadid, c’est aussi les cris hirsutes de ces personnes en délire qui crient vengeance. Vengeance ? De qui ? De ceux qui ont eu la naïveté de croire que l’on pouvait accéder au pouvoir par des moyens pacifiques. Démocratiques. De ceux qui ont remporté les élections. De ce Président légitime mis aux arrêts. Non, il aura fallu remettre les compteurs à zéro. Remonter l’histoire. Revenir au passé. Illusions, chimères ! Mais le sang a coulé sur la place Bâb El Hadid. L’Egypte pleure et enterre ses morts. Et l’occident fait semblant de compatir. Mais l’on n’est jamais mieux trahi que par ses proches, par ceux que l’on protège et que l’on investit de sa confiance. L’ombre de Quénawi n’hantera plus cette place célèbre, ni son amour fou pour la belle Hanouma. Et ces personnages connus qui ont perdu leur honneur, se sont compromis, ont apporté leur soutien puis se sont rétractés et ont fui face au carnage et à la répression sanglante. L’Egypte ne méritait pas ce gâchis. Et ces morts, ces blessés et ces personnes arrêtées. Mais souvent, à l’aube venue, lorsqu’affaibli par tes blessures, vidé de ton sang, le visage tuméfié, la peau tatouée par la marque de tes geôliers, le visage livide, la gorge nouée par les sanglots, tu trébucheras, saches qu’une petite lumière blanche sera toujours là pour veiller sur toi. Et même s’ils te toisent, te croisent, t’épient, te surveillent, te torturent, te tuent, te trahissent, t’emprisonnent ou t’abandonnent, saches aussi qu’un petit ange t’aidera à te relever et à continuer ta route. Et il en sera toujours ainsi de même. Et lorsque tu verras le premier vol des hirondelles, tu sauras que le printemps est déjà prés de toi et que tu pourras toujours te rassasier de soleil et ta vue se ravivera du bourgeonnement des arbres, des premières fleurs, de la fonte des neiges et des oiseaux qui exhiberont pour toi leur interminable ballet et égaieront ton ciel. Et quant tu auras soulagé ta peine, tu n’auras pas besoin de chrysanthèmes et tu pourras t’en aller l’âme apaisée et le cœur en berne, et Dieu sera là pour toi et tu sauras toujours que la confusion ne sera jamais ton épitaphe. Oui l’Egypte ne méritait pas ce gâchis. Et l’ombre de Quénaoui plane toujours sur Bab El Hadid !
20 août 2013
Salim Metref