le 17.08.13 | 10h00
Brillant avocat mais controversé, défenseur de personnages les plus polémiques comme les Khmers rouges, le sanguinaire nazi Klaus Barbie, le mercenaire vénézuélien Carlos ou les ex-présidents ivoirien Laurent Gbagbo et yougoslave Slobodan Milosevic, Jacques Vergèsest mort jeudi soir à Paris, d’une cause naturelle, à l’âge de 88 ans.
Selon Christian Charrière-Boumazel, président du Conseil national des barreaux (CNB) et ami de l’avocat, Me Vergès était très affaibli ces derniers jours à cause d’une chute.
Il marchait très lentement mais avait gardé néanmoins son esprit vif intact.
A l’annonce de sa mort, de nombreuses réactions de confrères au sein des barreaux français ont rendu hommage à celui qu’ils considèrent comme un avocat «exceptionnel», «courageux» et «brillant». C’est le cas de maître Georges Kiejman, avocat et ancien ministre sous Mitterrand, qui a toujours considéré Vergès comme son «meilleur ennemi» dans les tribunaux. «Jacques Vergès était un homme fascinant et mystérieux. Sa dimension intellectuelle dépassait le cadre judiciaire. Il faisait partie des deux ou trois avocats extraordinaires de ma génération», a-t-il expliqué. Et d’ajouter : «Pendant la guerre d’Algérie, il a été physiquement très courageux. Il a risqué sa vie en rejoignant le FLN. Ce fut sans doute la période la plus glorieuse de sa vie.»
L’incarnation de la rébellion
Pour sa part, Me Gilbert Collard qui, entre temps, a quitté les prétoires pour devenir député du Front national, a estimé que Jacques Vergès incarnera toujours «la rébellion». «C’était d’abord et avant tout un rebelle et c’est ce qui a fait son honneur. Il avait d’autant plus d’honneurs que d’ennemis. Il était toujours du côté de la solitude, c’est là où l’on est grand et lui, il fut souvent grand de ce point de vue-là.»
Né le 5 mars 1925 en Thaïlande d’un père réunionnais qui était consul et d’une mère vietnamienne, il a fait ses classes de lycée à la Réunion, à côté d’un autre briscard de la politique française, aujourd’hui décédé, Raymond Barre, ancien Premier ministre. Attiré très jeune par la politique et sensible aux injustices qu’il voyait, Jacques Vergèsvoyage beaucoup, notamment en Europe et au Maghreb. En 1945, il adhère au Parti communiste français et devient un puissant pourfendeur du colonialisme, au Quartier latin à Paris, avec d’autres copains, étudiants à la Sorbonne. Mais c’est en 1957 que son destin va réellement basculer du côté de ceux qui luttent pour leur liberté et leur dignité.
Algérien et mari de Djamila Bouhired
Appelé d’Alger par le FLN pour défendre l’héroïne Djamila Bouhired, il tombe amoureux de l’Algérie puis de Djamila Bouhired. Elle deviendra plus tard son épouse. Condamné à mort, Jacques Vergès radicalise ses positions vis-à-vis du système colonialiste français. Il dénonce un simulacre de procès, le qualifiant de «meeting pour assassinat».
Son courage et son franc-parler lui causeront la suspension du barreau pour un an en 1961. Et si pour l’Etat colonial français, Vergès n’était qu’un traître, pour le FLN, en revanche, c’était un héros.
Après l’indépendance de l’Algérie, il deviendra Algérien et sera baptisé «Mansour» (le vainqueur). Mais quelques mois avant la fin de la guerre, il fut envoyé au Maroc où il devint conseiller du ministre chargé des Affaires africaines de l’époque.
Défenseur des indéfendables
Converti à l’islam après 1962, il devient citoyen d’honneur de la jeune République algérienne naissante. Cependant, si le combat de Jacques Vergès en faveur de l’indépendance algérienne est considéré comme un acte de bravoure et de courage, il n’en est pas de même pour tous les autres personnages qu’il a défendus durant sa vie d’avocat.
Ses détracteurs et adversaires lui reprochent d’avoir défendu un criminel nazi, Klaus Barbie, surnommé «le boucher de Lyon», ou encore les Khmers rouges responsables de plusieurs milliers de morts au Cambodge, sans oublier des présidents et dictateurs africains tels que Omar Bongo, Idriss Deby, Denis Sassou-Nguessou ou Laurent Gbagbo. En prenant ainsi la défense de tout ce «beau» monde, Jacques Vergès aurait terni son image auprès de l’opinion publique française et internationale et se serait fait beaucoup d’ennemis dans le monde politique et judiciaire. Sauf que pour l’intéressé lui-même, tout le monde a le droit d’être défendu. «Défendre, ce n’est pas excuser. L’avocat ne juge pas, il ne condamne pas, il n’acquitte pas, il essaye juste de comprendre», a-t-il un jour expliqué, non sans oublier de préciser qu’il aurait même pu «défendre Hitler»…
Me Jacques Vergès : «Entre les Algériens et moi, ce fut le coup de foudre»
Entre les Algériens et moi, ce fut le coup de foudre», avait lancé l’avocat anticolonialiste Jacques Vergès, alors qu’il venait de «débarquer» en Algérie pour défendre l’emblématique moudjahida et militante du FLN, Djamila Bouhired. Le mois d’avril 1957 marque, selon des historiens et des biographes, un tournant dans la carrière du jeune avocat français, qui n’a que dix-huit mois d’expérience lorsqu’il est appelé en Algérie pour défendre la jeune militante algérienne.
D’abord militant du Parti communiste français qu’il quitta pour l’avoir jugé «tiède», à l’époque, sur la question algérienne, il rejoint le FLN au sein duquel il milite sous le nom de «Mansour». Son attachement à l’Algérie, il le manifeste à l’orée de l’indépendance en prenant la nationalité d’un pays qu’il a tant chéri. Il deviendra même responsable au cabinet du ministre des Affaires étrangères.
En janvier dernier à Paris, il a été honoré par l’Algérie pour ses «nobles actions» envers la cause nationale et son engagement en faveur du combat libérateur du pays. Une attestation de reconnaissance ainsi qu’une médaille honorifique lui ont été remises, au nom du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, par le consul général d’Algérie à Paris, Rachid Ouali, lors d’une cérémonie à l’occasion de la double célébration du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954 et du cinquantenaire de l’indépendance nationale.
Un «chevalier de la défense»
Hier, au lendemain de son décès, la corporation des avocats français saluait un «chevalier» de la défense «courageux» et «indépendant». Pour l’avocat Georges Kiejman, feu Vergès était un «géant» du barreau de Paris. Son collègue Me Charrière-Bournazel a salué un «très brillant avocat», «courageux» et «indépendant».
«Un avocat, ce n’est pas un mercenaire. C’est un chevalier et Jacques Vergès était un chevalier», a opiné le président de la conférence des bâtonniers. A ceux qui le qualifiaient de «défenseur des causes perdues», son confrère Me Paul Lombard, autre ténor du barreau, a répondu en affirmant retenir de feu Vergès un message : «Personne n’est indéfendable et tout le monde a droit à un avocat quel que soit le passif qui pèse sur lui.»
Me Rémi Boniface a, lui, rendu hommage à un avocat «hors du commun par sa conscience». «Nous perdons un avocat hors du commun par sa conscience, son intelligence et son courage. On peut parler à l’infini des qualités et des défauts d’un homme — il avait les deux — et c’est ce qui me marque concernant cette personne assez extraordinaire», a-t-il témoigné.
(APS)
Message de condoléances du conseil de l’Ordre du barreau d’Alger :
Le conseil de l’Ordre, au nom de l’ensemble de la corporation du barreau d’Alger, profondément affecté par le décès de son confrère maître Jacques Vergès, présente à la famille du regretté défunt ses sincères condoléances et l’assure de son entière sympathie.
La corporation des avocats d’Algerie se souviendra toujours de l’inlassable combat mené par Me Mansour Vergès dans le cadre de la défense des militants de la cause nationale. La force de conviction avec laquelle il a défendu les justes idéaux de liberté et d’indépendance de la Révolution nationale n’a d’égal que son indéfectible engagement en faveur des principes de l’autodétermination des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Il a su donner, aux côtés de ses confrères algériens, un éclat à la noble cause nationale, notamment au plan de sa lutte en faveur de la promotion des droits de l’homme et des libertés et une orientation d’avant-garde aux droits de la défense, tout particulièrement au plan de la rupture avec le système judiciaire colonial qui confondait les combattants révolutionnaires avec de vulgaires criminels.
L’apport de cet avocat d’exception dans la défense des causes justes restera dans l’esprit de ses confrères algériens, pour avoir appartenu au même barreau, l’une des figures emblématiques des droits de la défense
et l’une des prestigieuses paroles qui ont su porter haut les messages de liberté et des droits fondamentaux, valeurs sur la base desquelles s’est projetée avec rayonnement et éclat notre glorieuse Révolution.
Le bâtonnier Abdelmadjid Silini
Yacine Farah
© El Watan
19 août 2013
Les amis d'Algérie, Non classé