Dimanche, 18 Août 2013
Par : Rédaction Nationale
Une des paroles les plus prestigieuses, qui s’élevaient dans les prétoires de la justice coloniale, vient de s’éteindre.
Jeune et brillant avocat des justes causes du tiers-monde émergeant des décennies 1950 et 1960, Jacques Vergès sut très tôt mettre son exceptionnelle éloquence au service des damnés de la terre. Mais, avec l’Algérie, ce fut la fusion d’un grand talent avec un moment décisif de la décolonisation en marche.
Aussi, allait-il prendre à bras-le-corps la défense des militants et moudjahidine en France et en Algérie.
Vergès est au banc de la défense dans les affaires les plus graves, le procès les plus périlleux, ceux de Djamila Bouhired, de l’attentat de Jacques Soustelle, de l’organisation spéciale dans les attaques des raffineries de Mourepiane, de l’usine à gaz de Rouen, des commissariats de Paris, comme dans le procès du réseau Jeanson, où se côtoient militants algériens et “porteurs de valises” français. Sur les deux rives de la Méditerranée, ses plaidoiries mettront en difficulté les magistrats des tribunaux permanents des forces armées qui, face à lui, se comporteront moins en juge qu’en ennemis.
Par les incidents d’audience et leur habile médiatisation, il sauvera de l’échaffaud nombre de condamnés, ce qui ne le sauvera pas lui-même des poursuites pour atteinte à la sûreté de l’État français, des diverses interdictions de plaider et d’expulsions d’Algérie. Après les comportements de nombreux magistrats pour leur manière de mener des procès biaisés où l’Algérien inculpé est condamné comme malfaiteur alors qu’il revendique sa qualité de combattant et prisonnier de guerre, Vergès inaugure une défense nouvelle et radicale ; le “procès de rupture”. À l’inverse de ce qu’il qualifie “procès de connivence”, il soutient désormais que son client, soldat d’une armée en guerre, ne saurait être soumis qu’aux lois de la guerre. Il revendique l’application des conventions de Genève dont la France est signataire. Aussi, ce soldat ne peut être condamné ni à la prison ni encore moins à la scandaleuse décapitation, dont les juridictions de l’époque firent un usage révoltant. Vergès, avec ses confrères du collectif des avocats du FLN en France — comme Benabdallah, Bendimerad et Oussedik — n’ont jamais cessé de dénoncer à la conscience du peuple français et à l’opinion mondiale, la sinistre parodie de justice qui alimentait en victimes algériennes, l’effroyable guillotine.
Et ce n’est là qu’un aperçu de l’œuvre multiforme de Jacques Vergès, militant de la cause algérienne, celle de son pays d’adoption : l’Algérie. Sa maîtrise du débat judiciaire et la mise en évidence des incohérences de ces juridictions d’exception, l’étendue de ses connaissances, son style flamboyant et incisif, en firent un redoutable avocat. Ses réparties sont imparables. À un adversaire qui lui reprochait son indifférence au racisme pour n’avoir pas porté l’“étoile jaune”, il répond du tac au tac : “Ma mère était jaune de la tête aux pieds.” Né en Thaïlande d’un père réunionnais, et d’une mère vietnamienne, sa réplique est on ne peut plus fondée.
L’on retiendra que Vergès aura su transformer le tribunal en tribune où l’on ne pouvait occulter la torture et les horreurs de la guerre, où les justes aspirations du peuple algérien, trouvaient, malgré les faux-fuyants et interdits de la procédure du moment, le lieu idéal d’expression.
Aujourd’hui, grande est la peine de ceux qui ont été ses compagnons du combat judiciaire et de sa lutte clandestine. On s’en souviendra longtemps : par sa maîtrise du débat judiciaire, Jacques Vergès aura marqué la défense du FLN devant les tribunaux de l’ordre colonial.
OMAR BOUDAOUD et ALI HAROUN
19 août 2013
Les amis d'Algérie