Connaître l’histoire pour agir
Par Kaddour M’HAMSADJI
se remémorer le passé, plutôt peut-être que se mettre à une écriture laborieuse de l’histoire, c’est parfois la seule grande vertu dans l’urgence pour se prémunir contre l’oubli.
L’ouvrage Algérie, les rappels de l’histoire (*) de Rabah Mahiout nous ramène, me semble-t-il, à considérer directement et positivement la réflexion ci-dessus puisque l’écriture de l’Histoire est, à la fois, une tâche de longue haleine et, surtout, de professionnel. Il reste, cependant, si l’on a du coeur, du sens, de l’expérience et quelque savoir-faire, l’inviolable liberté de publier ce qui règle un fort caractère citoyen à vouloir contribuer à mieux faire connaître, aux jeunes et à ceux qui le souhaitent, l’Histoire de leur pays, notamment en ces temps difficiles qui ne cessent d’agacer, coup après coup, certains de nos esprits et ébranler le moral de beaucoup. L’attaque terroriste du 16 janvier 2013, ayant ciblé le complexe gazier d’In Amenas (point d’eau, «Source», Aïn et «Mère des gens», Oum en-Nâs, de l’arabe et du tamashek?) au sud-est de l’Algérie et révélé, en conséquence, l’attitude franchement négative de quelques pays à l’égard du nôtre, confirme l’urgence d’enseigner à nos enfants l’Histoire et les bienfaits de leur patrie, sans verbalisme, ni vanité, ni erreurs et, par contre, avec passion, pédagogie et respect de la vérité historique.
Une tâche de militant
À l’évidence, Rabah Mahiout connaît parfaitement le sujet qu’il a abordé dans son présent ouvrage: élever la conscience des jeunes en leur rappelant le passé qui leur donne assez de dignité pour préparer leur avenir. L’auteur est servi par son militantisme très actif au FLN qu’il a rejoint en mai 1956, puis, à l’indépendance, par sa formation universitaire (Institut d’études juridiques, économiques et politiques d’Alger), par son expérience aux barreaux d’Alger et de Paris et, tout particulièrement, par le journalisme enrichi de diverses activités de reporter dans le domaine de la presse écrite et audiovisuelle. Aussi, faut-il mesurer combien il a été perspicace dans son observation de certains phénomènes socioculturels, et politiques aussi, qui ont parfois fortement dénaturé la juste vision générale de la jeune génération algérienne au sujet de l’histoire de l’Algérie. Comme sur beaucoup, sur lui également, le constat de l’ignorance, sinon de la déculturation de nos jeunes, l’a profondément heurté. Il s’est attelé à cette tâche de militant convaincu de son rôle nouveau, modestement, habilement, objectivement. Muni d’une plume de journaliste éclairé et rompu aux bons moyens de la communication, il a entrepris, sans tirer gloriole, de faire des rappels de l’Histoire, simplement, méthodiquement, à ceux qui le souhaitent… Il a à coeur d’établir des points d’ancrage, de faire retrouver les repères appréciés hier et pourquoi pas de les faire partager librement encore maintenant par ceux d’ici et par ceux de là-bas: «Alger se trouve à deux heures d’avion de Paris, et la côte algérienne est située à une heure seulement de la côte française.» Rabah Mahiout sait que la tâche est difficile, mais il a la volonté de l’accomplir comme un devoir absolu de militant nationaliste de raconter l’Histoire de l’Algérie.
Et, avant d’aborder la problématique posée dans son intervention, c’est-à-dire la nécessité de rappeler «aux uns et aux autres» (Algériens et Français) l’histoire de l’Algérie, l’auteur a pu écrire en des lignes très pertinentes qui, à la suite de l’actualité tragique du 16 janvier dernier, incitent aujourd’hui à bien comprendre la prémonition générale et permanente des Algériens: «L’Algérie occupe fréquemment les devants de l’actualité. Elle l’a fait tragiquement, au cours de la dernière décennie du vingtième siècle. Durant toute cette période, elle a été, de façon quasi quotidienne, le théâtre d’événements sanglants perpétrés par le terrorisme, enfant maudit de l’islamisme et de l’intégrisme. La situation à l’intérieur du pays était, non seulement trouble et confuse, mais aussi, et surtout, dangereuse et instable. On en était arrivé au point de se demander où se trouvait le pouvoir. L’Algérie, dont l’action diplomatique et la notoriété dans le monde suscitaient le respect et faisaient la fierté de ses citoyens, a vu son influence déchoir inexorablement et totalement. [...] Cette dégradation était perceptible jusque dans les pays qui semblaient les plus liés avec l’Algérie. Ils se sont eux aussi résolus à prendre leurs distances avec un pays suspecté de nourrir, lui-même, le terrorisme qui y sévissait. Au lieu de l’aider à le combattre, ils l’ont boudé, et s’en sont éloignés. Certains sont allés plus loin et n’ont pas hésité à l’accuser d’entretenir lui-même les événements qui tourmentaient ses populations. Il a fallu attendre la terrible et sanglante attaque terroriste aérienne du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, pour comprendre que le terrorisme, qui sévissait en Algérie, représente, également, une menace pour le monde entier. Il a fallu cette monstrueuse tragédie pour convenir que la lutte antiterroriste est un combat commun et solidaire à toutes les nations éprises de paix.» Il faut lire toute l’introduction de Rabah Mahiout pour comprendre à quel point «la prise d’otages au complexe gazier d’In Amenas» ne pouvait ne pas être programmée dans la chaîne des attentats terroristes contre l’Algérie.
Place aux jeunes
Cela exposé, l’auteur a raison d’évoquer les relations historiques entre l’Algérie et la France par la proximité des deux pays, précisant: «Malgré des aléas aussi épisodiques que multiples, ces relations n’ont jamais cessé de s’amplifier et de se densifier. Toutefois, et très paradoxalement, l’Histoire de l’Algérie est très peu ou mal connue. D’abord des Français eux-mêmes, mais, aussi, et tout autant, de tous ceux qui sont d’origine algérienne ou, tout simplement, algériens et qui vivent en France ou en Algérie. Ce constat se vérifie d’une façon générale et tout particulièrement auprès des plus jeunes générations. L’école algérienne y est sans doute, pour quelque chose (entre autres raisons); mais ceci est une autre question.»
En somme, Rabah Mahiout s’évertue à clarifier l’objet de sa «contribution. Elle est destinée à mieux faire connaître l’histoire générale de l’Algérie, pour améliorer la connaissance des uns et des autres sur ce pays.» À cet effet, il développe des faits marquants dans son travail conçu en deux parties: «La première est consacrée à la période avant l’indépendance (elle commence par Il y a 7000 ans…), puis La Régence d’Alger, puis La colonisation, Les revendications nationalistes, La guerre d’Algérie, L’indépendance le 5 juillet 1962. La seconde partie «est consacrée tout naturellement à l’Algérie indépendante de 1962 à nos jours.» De nombreux dirigeants y sont présentés «parce que chacun d’eux y a laissé, ou tenté de laisser, une empreinte personnelle indissolublement liée à l’histoire du pays.» Enfin, «quelques réflexions sur la situation générale du pays» et une esquisse de «quelques perspectives d’avenir» donnent une vue d’ensemble sur «Le cheminement tortueux de la démocratie» tout en expliquant ici les raisons, là les causes «qui freinent, selon lui, et entravent l’instauration de la démocratie en Algérie. [...] Le pays est sorti du «centralisme démocratique». Il ne faut pas, à présent, qu’il s’enferme dans le «centralisme tout court». Suivent des notes utiles, des biographies suffisantes de quelques personnalités (pour mémoire, et photos en encart) de premier ordre dans l’histoire de la résistance et la liste complète du «Groupe des 22» et du «Comité des Six». On relève aisément la passion de Rabah Mahiout d’oeuvrer pour mettre au net l’histoire de l’Algérie avec le ferme espoir que, par ainsi, la jeunesse algérienne apprendra et respectera le riche passé de sa seule patrie pour construire son propre avenir sur des bases dignes d’un pays qui a toujours donné beaucoup à ses enfants. Place aux jeunes, car ils constituent la seule richesse authentique pour tout pays, et chez nous, dès l’aube de la toute première étoile d’espoir de liberté, ils se sont illustrés aux avant-postes des actions héroïques historiques, sociales et culturelles. Il faut prendre conscience que la jeunesse est l’avenir de l’Algérie.
(*) Algérie, les rappels de l’histoire de Rabah Mahiout, Casbah Éditions, Alger, 2012, 286 pages.
19 août 2013
Kaddour M'HAMSADJI