C’est un journaliste qui se pique d’avoir produit un ouvrage historique assez près de la vérité, tant il fourmille de détails, de noms et de lieux En fait, sa «vérité», résultat d’une «enquête» qu’il a mené, dit-il, durant deux pleines années, surtout auprès de témoins encore vivants (dont Massu, Allaire, Aussaresses, Faulques, Léger et bien d’autres). Mis à part Henri Alleg, aucun Algérien, aucun moudjahid. C’est dire la valeur historique objective du travail présenté qui ressemble beaucoup plus à une «recherche» universitaire passe-partout. En tout cas, l’orientation et la «thèse» est claire. Il fait tout, le choix des archives, des événements, des témoins, des témoignages, des sources, des mots pour désigner les uns et les autres, pour donner le beau rôle à la colonisation, à l’Armée française, aux paras Pour lui, la colonisation, la torture, les Européens favorables à l’Indépendance du pays, les «porteurs de valises», les principes de liberté ça n’existe pas. La France, généreuse, respectueuse des droits de l’homme, compréhensive, si ! Du Courrières sans l’épaisseur de Courrières qui, malgré tout, est allé interroger les sources vraies, toutes les sources.
Avis : A lire par curiosité, mais en mettant des gants, car vous risquez de vous salir les mains. Ça pue l’opportuniste, le parti-pris et le presque-raciste… qui «adore» les paras, et qui excuse toutes leurs dérives. Heureusement, il y a des faits qu’il lui était difficile de contourner ou de dévaloriser, comme les prises de position, du jeune sénateur américain J-F Kennedy.
Extraits: Aucun. Car, dans la m humaine, il est difficile, sinon impossible, de trouver du «consommable» (ndlr).
La Question
De Henri Alleg. Récit historique, suivi de La torture au cœur de la République, par Jean-Pierre Rioux. Hibr éditions. Alger, 2012 (déjà édité en France en 2008, Les Editions de Minuit), 93 pages, 200 dinars.
A noter que l’Anep Editions avait édité, en 2006, l’ouvrage (80 pages, 140 dinars) avec une préface de Louiza Ighilahriz).
Les usines à tortures ont réellement existé durant la guerre de libération nationale. Mises en place par l’armée française et certaines de ses unités dites d’élite (les parachutistes dont beaucoup de légionnaires, pour bien d’entre eux, hommes «de sac et de corde» fuyant la justice de leur pays d’origine ou ayant un problème en France même) auxquelles l’Etat avait confié les pleins pouvoirs (de vie et de mort… sur les Algériens) pour leur soi-disant soutirer des renseignements sur l’organisation et les activités du Fln/Aln. Dans leurs «ateliers», Maurice Audin a disparu sans laisser de traces Aujourd’hui encore, les militaires refusent de donner des informations sur les conditions de sa disparition dans les locaux des parachutistes (élimination physique ?) du 1er RCP à El Biar. Boumendjel et Larbi Ben M’hidi ont été «suicidés». Et d’autres, et d’autres qui n’ont survécu que presque diminués physiquement ou psychologiquement. On ne sort jamais indemnes, après avoir subi «la question» des nouveaux nazis, que la défaite au Vietnam a totalement déglingués.
Tout le monde savait que la torture était pratiquée mais personne ne savait (ou ne voulait savoir, ou savait mais ne pouvait tout dire) qu’existaient de véritables «usines à tortures» dans les villes mêmes. Il a fallu qu’Henri Alleg, arrêté le 12 juin 1957, alors qu’il était dans la clandestinité à Alger, après l’avoir subi, et de quelle manière ! en parlât dans un petit livre de petites pages, imprimées larges : arrêté, emprisonné, humilié, insulté, battu, déshabillé, martyrisé, passé à la «gégène» et à la «baignoire» sa famille menacée, il avait résisté. Puis, il avait témoigné en écrivant.
Un livre achevé d’imprimer le 12 février 1958, tiré en 5 000 exemplaires et mis en vente le 18. Le 27 mars, la censure frappe… Entre temps, la septième ré-édition devait porter sa diffusion à 72 000 exemplaires… Un best-seller pour l’époque. Un livre qui a marqué la conscience universelle en la faisant «tressaillir» et s’indigner. Traduit et commenté dans le monde entier, interdit en France mais lu à la barbe de la police.
Henri Alleg est mort à l’âge de 92 ans, jeudi 18 juillet 2013. Il avait la nationalité algérienne L’Algérie, un pays qui l’avait accueilli en 1939, et il n’avait cessé depuis de lutter pour son indépendance. A noter que le nom de Alleg est emprunté, par hasard et nécessité (vie de clandestin et faux papiers), à une jeune militante communiste, artiste de son état, Alleg Aicha, originaire du Chenoua, qui le présentait comme son frère et qui lui avait fait établir de faux papiers au début des années 40.
Avis : Un tout petit livre, celui de H. Alleg (traduit, après sa première parution en 57, dans un nombre incalculable de langues), un très petit prix, un immmmmmmense bonhomme, un grand combat une lecture difficile car douloureuse, une lecture qui fait se dresser les cheveux sur la tête, mais une lecture absolument nécessaire. Ce témoignage devrait faire partie des livres qui sont à rééditer tous les 5 à 10 ans… pour se souvenir de nos héros, morts et vivants et surtout pour dire à tous ceux qui ont torturé quelle que soit la cause, ceux d’avant-hier ou ceux d’hier, ceux d’ailleurs et ceux d’ici – que l’Histoire les rattrapera un jour ou l’autre. Tout en leur souhaitant une «belle vie» en enfer.
A lire, A re-lire, A faire lire Mais, à ne pas faire lire aux moins de 16 ans !
A noter que dans son ouvrage, Mémoire algérienne. Souvenirs de luttes et d’espérances (un livre qui permet de mieux comprendre l’action des militants communistes en Algérie, tout particulièrement au sein du mouvement national et durant la guerre de libération nationale), paru en 2006, chez Casbah Editions (409 pages, 800 dinars), l’auteur revient sur cette partie douloureuse de sa vie de militant. (Voir,aussi, sur la question sans jeu de mots – le livre Le Camp de Abdelhamid Benzine, un autre journaliste d’Alger Républicain et, pour une période récente de notre Histoire, hélas, trois fois hélas, le petit ouvrage – 61 pages, 200 dinars, Editions Apic, 2005 – de Bachir Hadj Ali, L’Arbitraire, préfacé par Hocine Zahouane et introduit par Mohamed Harbi). La torture, une véritable maladie.
Extraits : «Tu vas parler ! Tout le monde doit parler ici ! On a fait la guerre en Indochine, ça nous a servi pour vous connaître. Ici, c’est la Gestapo ! Tu connais la Gestapo ?», puis, ironique : «Tu as fait des articles sur les tortures, hein, salaud ! Eh bien ! maintenant, c’est la 10è DP qui les fait sur toi» (p 26), «La torture s’inscrit au cœur de la République, sa gangrène pourrit la démocratie et promet des lendemains totalitaires» (P 90).
Hôtel Saint-Georges. Un roman de Rachid Boudjedra. Dar El Gharb. Edition.com, Oran 2007. 179 pages, 500 dinars.
Les livres, comme les personnages, de notre Boudjedra national sont toujours compliqués, tortueux et torturés. Ils sont là, présents, lointains, pleins d’histoires, ayant fait l’histoire (et les méfaits du colonialisme ne sont jamais loin !).
Théâtre principal : le très fameux (et historique, qui plus est !) Hôtel Saint-Georges.
A partir des souvenirs algérois d’un soldat (contre son gré) – ébéniste (faiseur de cercueils pour soldats français tués en Algérie et devant être «rapatriés» et pour les Algériens guillotinés avant de les remettre à leur famille), Boudjedra nous raconte, à sa manière et dans son style, par courtes rafales de mitraillette pourrait-on dire, les dégâts aujourd’hui bien perceptibles, ici et là-bas, d’une guerre coloniale ayant détruit aussi les corps que les âmes et les esprits. Hier, aujourd’hui, français, algériens, harkis perdus, terroristes du Gia, pied -noirs restés au pays, crapules contemporaines, ça se croise et s’entre -croise. Difficile de s’y retrouver. Mais l’essentiel n’est-il pas d’en saisir le sens profond. C’est çà le vrai, le bon Boudjedra.
Avis : La cuvée Boudjedra? A déguster sans modération ! Les écrivaillons, vous aimez ou vous détestez ; vous prenez ou vous laissez. Les grands écrivains, on aime et on déteste. On prend et on laisse. Boudjedra, on aime et on prend. De toutes façons, il le faut, sinon gare à votre matricule. Je plaisante, Ya Si Rachid !
15 août 2013
Belkacem AHCENE DJABALLAH