Commentant le pique nique kabyle, Omar Khayyâm aurait pu remplacer le verbe boire par manger même si l’un n’exclut pas l’autre: «Sire Juge, nous sommes plus malins que toi – Et, quoique ivres, nous sommes plus sobres que toi.
Tu bois le sang d’autrui- Nous, le jus de la vigne :- Sois juste, qui de nous est le pire, dis-moi ?» Si la Kabylie n’existait pas, il aurait fallu l’inventer pour interrompre de temps en temps l’ennui, faire l’événement, un petit coucou au reste du monde. La Kabylie, ce trublion sans pétrole bourré d’idées ni catholiques ni islamiques semble encaisser toutes les plaies de l’Egypte ancienne. C’est en temps de guerre que les hommes évitent de se suicider et dans la paix ils cherchent à en finir avec la vie. Et il n’y a que la paix qui règne en Algérie, une Algérie mangeuse de mémoires et respectueuse des Pères. Le premier, le Tout-Puissant, le Père des Terriens et extra-Terriens, face à nos limites humaines, on y croit du terroriste à l’athée à chacun sa piété. Le deuxième celui qui partage la couche de la mère, qui nous refile sa moitié d’ADN et qu’on aime de gré ou de force. Le dernier, le pire, l’omniprésent qui parle au nom des deux autres et à qui on ne doit rien. Pourtant, c’est à ce dernier que nous appartenions du berceau à la tombe, c’est lui qui décide de notre conscience de notre estomac de notre O2 et CO2. Pauvres petits mécréants, la terre amazighe ne vous a pas suivis, mais elle a veillé à ce que votre sang ne la souille pas. En souvenir sans doute d’un certain roi Massinissa d’une certaine reine Kahina qui avaient toléré sur ce sol toutes les religions toutes les croyances jusqu’à leur perte croyant dans leur naïveté que la meilleure défense n’était pas l’attaque mais l’embrassade. Pas d’originalité en la matière, tout a été prévu ou pas pour que vous soyez aussi nombreux et si ressemblants aux lilliputiens qui se sont rassemblés Place des Martyrs rêvant d’un printemps algérien et droits-de-l’hommistes. Les mêmes gueules pas trop arabes les mêmes traits creusés le regard d’enfants martyrisés teigneux et le look des troubadours en manque d’inspiration avec ce presque rien qui sépare du clochard, du survivant à une catastrophe nucléaire tel un cafard. En sus des mains trop nues pour se protéger, des poches trop vides pour assurer un repli. Mission facile bien accomplie pour le wali et le ministre qui délivre les passeports du Paradis ; un seul regret, la foule n’a dressé aucun bûcher. D’après l’Histoire, l’étincelle ne vient jamais des lieux du culte, mais de la rue
Le grand philosophe mi américaine mi japonais Fukuyama l’a bien compris quand il disait qu’en politique c’est l’ennemi qui fait la vertu. Ce n’est pas des «enracinés» qui ont déclenché la guerre de libération, mais des «déracinés» avec l’Islam pour idéologie certes, mais les dictateurs à venir ont fait de même, bye-bye l’ennemi. «L’imagination et la force intérieure des scélérats de Shakespeare s’arrêtaient à une dizaine de cadavres. Parce qu’ils n’avaient pas d’idéologie. L’idéologie ! C’est elle qui apporte la justification recherchée à la scélératesse. C’est ainsi que les inquisiteurs s’appuyèrent sur le christianisme, les conquérants sur l’exaltation de la patrie, les colonisateurs sur la civilisation, les nazis sur la race, les Jacobins (d’hier et d’aujourd’hui) sur l’égalité, la fraternité et le bonheur des générations futures
» (1) Il est loin le temps de Boumediene où les boulangers se levaient tôt pour préparer les baguettes de pain avant midi pour des étudiants qui fantasmaient plus sur mai 68 que sur les 70 houris. Certes le Père avait d’autres pilules pour les calmer. Boumediene Nasser Bourguiba, un sacré trio de Pères, des bœufs-tigres reprenant l’expression de Voltaire(1), bêtes comme un bœuf cruels comme un tigre. Mais avec un bœuf un tigre on reste dans le domaine du connu du naturel, on admire on a peur, sentiments normaux
Mais où est la «normalité» quand d’après le discours officiel la stabilité du pays le bonheur de dizaines de millions de personnes dépendent du carême de quelques paumés pour ne pas dire cinglés ? On a jeté la pierre aux amoureux non maries, aux possesseurs de la Bible, aux fausses vraies vierges et nous voilà aux mangeurs du Ramadan, on attend la nouvelle trouvaille de notre Esprit dirigeant avec fébrilité. On raconte qu’avant à Alger au temps des beys deys et janissaires, il y avait un arbre sacré que les femmes honoraient en attachant à ses branches des morceaux de tissus de fils multicolores pour quémander un peu de baraka. Un jour, le spectacle de ces malheureuses suppliant un végétal d’apaiser leurs souffrances a tellement horrifié un raïs qu’il a ordonné à ses serviteurs de le brûler. Or cette coutume, les pauvres Algéroises ignorantes ne l’avaient pas inventée, elle continue à subsister même dans les montagnes sacrées du Tibet. Plus tard, nos islamistes se sont attaqués aux mausolées de nos saints comme les talibans aux statues de Bouddha… Pas de concurrence au Père. L’écrivain et poète argentin Jorge Luis Borges a dit que le plus abominable dans les dictatures c’est qu’elles fomentent l’idiotie. Et on devient idiot en frappant sur plus idiot avec des arguments désormais imbattables puisque sacrés. Mais notre idiotie ne peut gommer ce malaise à taper sur ces «parias» qui doivent subir l’anathème au sein même de leur propre famille à l’image d’Amina la femen. Est-ce là les responsables de notre malédiction : des seins nus et des estomacs gonflés sous le soleil du mois sacré ? C’est vrai que nous sacrifions toujours des agneaux et des moutons pour nos fêtes jamais des loups et des renards. De Staline à Khomeiny, on peut dire que le Père a gagné au change. Or de quoi on parle ? D’une lycéenne qui pique sa «crise» sous la pression des islamistes renforcés par le silence des féministes. Idem pour la «crise» des non-jeûneurs harcelés depuis des années par la police dans l’indifférence totale. Dans les deux cas, ils avaient averti expliqué leur geste sur le net. Si la société civile existait, elle les aurait écoutés, il y aurait eu une foule pour protester ou éclairer au lieu de cette minorité provocatrice égarée vouée illico à la géhenne. Le jeu était réglé comme une montre suisse avant que le réveil du monstre chinois. Amina a été une aubaine pour les islamistes tunisiens comme ces «boulimiques» pour le système algérien. On imagine l’extase : «Regardez croyants ce qu’ils sont capables de faire si on les laissait faire ! Heureusement qu’on est là pour vous assurer la Paradis de l’au-delà quant au bas monde, ce n’est pas de notre faute. À l’origine, dans les textes sacrés, c’était prévu l’enfer pour Adam et Eve.» Merzouki a affirmé, médecine à l’appui, dans Dictateurs en sursis, que la dictature est un fléau social qui a des conséquences visibles sur la santé physique et psychique des populations arabes et que c’est un facteur de morbidité et de mortalité exactement comme la pollution et la pauvreté. Ça rassure un toubib, ça rassure que les malheureux. Quant aux bienheureux, qui sait combien font le carême derrière les murs bien sécurisés de leur palais ou ceux qui s’empressent de le faire en prenant leurs vacances d’été sur des îles paradisiaques. Bien que le jeûne soit un jeu d’enfant quand on ne fout rien, quand on ne sait que se prélasser sur de la soie et du velours, à presser de temps en temps un bouton pour se rassurer du puits qui fonctionne bien afin d’alimenter un compte en devises avant que la sonnerie religieuse ne retentisse et s’empiffrer jusqu’à l’aube d’un festin royal préparé payé et servi par les autres puis sombrer tel un ange dans les bras de Morphée avec le soleil levant. Qui a dit que le génie de la lampe magique est une fable ? On ne peut y répondre tant que le seul livre universel à être censuré est bien le seul chef-d’œuvre des Arabes : les Mille et une nuits.
Hâfez, le plus célèbre des poètes persans, adulé par les Iraniens malgré son amour du vin et des éphèbes à l’image de Khayyâm écrit : «Si la Grâce, de nouveau, nous venait du Saint-Esprit, – On pourrait recommencer les miracles du Messie. À quoi servent, demandai-je, les boucles de nos idoles ? Il me répondit : «Hâfez ! Mais,
à enchaîner les fous
»
(1) Soljenitsyne (l’Archipel du Goulag)
(2)Voltaire (L’Affaire Calas)
15 août 2013
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