Par Kaddour M’HAMSADJI
QUAND DES AMIS deviennent [des] Frères, l’Humanité peut s’enorgueillir de servir des causes justes.
D’une telle Cause Juste, la guerre de Libération nationale algérienne (1954-1962), aussi bien que d’autres révolutions populaires à travers le monde contre l’oppression et l’occupation étrangère, pour la liberté et l’indépendance, témoigne honorablement.
L’Algérien Rachid Khettab, doctorant en Anthropologie sociale et Culturelle à l’EHESS de Paris, vient à sa façon concrétiser cette humaine et généreuse observation dans son ouvrage, impeccablement façonné, Les Amis Des Frères, Dictionnaire biographique des soutiens internationaux à la lutte de libération nationale algérienne (*).
Je crois pouvoir dire que cet auteur, qui plus est éditeur passionné du labeur quoi qu’il lui en coûte, milite pour l’oeuvre dont le thème est essentiel à l’esprit exigeant de l’Algérien d’aujourd’hui. À cet effet, il lui propose ce qu’il a lui-même, durant une longue période, puisé dans les sources les plus diverses et qui contribuerait, espère-t-il, quelque peu à sa formation intellectuelle la plus large, la plus complète et la plus variée possible, soit donc une part de richesse de notre patrimoine en histoire, en politique, en philosophie, en sociologie, en littérature,… le tout exprimant avec une évidente raison l’amour de la Connaissance par le Livre. En d’autres termes, Rachid Khettab met à la disposition du public – vrai lecteur – des éléments documentaires de premier ordre étudiés, vérifiés et analysés, traitant de sujets caractérisant la Vérité d’un haut fait historique algérien.
Le peuple algérien n’oublie pas
Ici, dans Les Amis Des Frères, Rachid Khettab nous présente des histoires de vies authentiques, celles des femmes et des hommes qui ne sont pas Algériens de nationalité mais qui, dans un mouvement fort empreint du sens de leur fraternité humaine exceptionnelle, sont naturellement devenus – et parmi eux des Français – des frères et des soeurs des Algériennes et des Algériens qui luttent «contre l’ennemi commun des libertés algériennes et des libertés françaises (J.-P. Sartre)». Ces Français se sont exposés à tous les dangers par un engagement sans conditions aux côtés de nos militants nationalistes, nos hommes politiques et nos valeureux moudjâhidine. La cause algérienne a été la leur et celle de nombreux Amis appartenant à d’autres nations; tous, différemment mais totalement, ils l’ont défendue en quelque lieu qu’ils se soient trouvés: en France même, en Algérie même, dans le Moyen-Orient, partout en Europe (y compris les pays de l’Est à l’époque), partout dans les deux Amériques, en Asie, en Afrique… Combien ont-ils été, ces Amis devenus Frères? Quel est aussi le nombre de ceux qui ont prêté, au peuple algérien en lutte pour sa liberté et l’indépendance de son pays, main forte et intelligence solidaire dans la plus grande discrétion, dans le plus grand anonymat? Ils ont été autant de consciences humaines libres ayant agi en faveur des consciences humaines en proie au colonialisme. «La guerre de libération nationale algérienne, écrit Rachid Khettab dans l’Introduction à son ouvrage, était l’oeuvre des Algériens, mais sa réussite n’était possible que grâce à l’élan de solidarité internationale qu’elle a suscité à travers le monde et au mouvement d’opposition qu’elle a déclenché en Europe, en Algérie, et même auprès de Français.» (Peut-être aurait-on préféré supprimer la forme négative et aimé ajouter «aussi» après «possible».) Et, par conséquent, qu’il est émouvant de constater, en ce Cinquantenaire de l’Indépendance de l’Algérie, que le peuple algérien n’oublie pas le soutien du peuple français ni la solidarité des peuples progressistes à travers le monde!
Aussi, dans son présent «Dictionnaire biographique des soutiens internationaux à la lutte de libération nationale algérienne», Rachid Khettab essaie-t-il de rappeler quelques-uns de ces grands et nombreux amis de l’Algérie combattante. Néanmoins, bien qu’il soit volumineux, ce Dictionnaire reste à l’évidence modeste encore, et d’autant qu’il n’est pas sûr que «Les Amis Des Frères» ne soient tous recensés quelque part. Honneur donc et reconnaissance à «ceux qui ont risqué leur vie, brisé leur carrière ou compromis leur vie familiale», ainsi que l’écrit Mohamed Harbi (Cité par Rachid Khettab).
Des noms fort connus
Et s’appuyant sur des documents de première main et sur de longues et difficiles enquêtes menées par lui-même «auprès de quelques acteurs encore vivants du mouvement national qui ont eu des rapports avec ces soutiens», Rachid Khettab note: «Notre travail est une contribution à cette réévaluation non seulement pour les Français métropolitains connus selon l’expression de Jean-Paul Sartre de «Porteurs de valises», mais aussi d’autres amis appartenant à d’autres nations. Citer toutes ces femmes et tous ces hommes à travers les continents et les pays est une tâche titanesque que nous ne pouvons jamais réaliser.» Il ajoute: «Pour rendre plus compréhensible les actions de ces acteurs, il fallait éclaircir l’environnement dans lequel se baignaient ces «amis», ce qui nous a amené à nous intéresser aux institutions, groupes (partis, comités, syndicats, associations, etc.) et à la presse.» On y relève des noms fort connus de ces «Amis Des Frères» (par exemple, J. Vergès, Henri Curiel, Aimé Césaire, Vincent Monteil, Abbé Pierre, Edgar Morin, Konrad Frielinghaus «Djeloul», Enrico Mattei, Heinz Beinhert, Isaac Deutcher, Pierre Vidal-Naquet, Roland Barthes, Marina Vlady,…) et des comités de soutiens dont «Le Réseau Jeanson», – il y en a plus de trois ou quatre dans chaque pleine page du volume qui en compte 432. On découvrira ces héroïques acteurs avec émotion et, en fonction des informations recueillies, plus ou moins aisément, plus ou moins complètes, la remarquable biographie de chacun d’eux. J’y retrouve le nom de Jean Subervie, heureusement rappelé (pp. 136-138 et p. 358). Ce digne héritier, en 1953, d’une imprimerie paternelle «qui joua un rôle considérable pendant la Résistance française à l’occupation nazie (H.Nacer-Khodja, in Un éditeur en guerre d’Algérie: Jean Subervie.)», l’a mise au service de la cause algérienne. Jean Subervie est honorable à plus d’un titre, et il m’est cher pour avoir édité, entre autres ouvrages algériens de grande valeur culturelle et historique, Le Silence des cendres, le premier roman en tant que tel sur la guerre d’Algérie, – l’événement tragique qu’il décrit s’est déroulé à Soûr El Ghouzlâne et sa région… Dans ce Dictionnaire, suit une importante bibliographie, en Annexe, est reproduite la fameuse «Lettre au Tribunal du ´´Procès Jeanson´´ par Jean-Paul Sartre» et sont disposées plusieurs photos de ces «Amis» et de ces «Frères».
Dans son ouvrage Les Amis Des Frères, (Dictionnaire biographique des soutiens internationaux à la lutte de libération nationale algérienne), Rachid Khettab nous propose effectivement un rappel historique indispensable. Il le présente comme, à la fois, le don de soi d’un Algérien et celui de tout le peuple, celui d’hier et celui d’aujourd’hui, celui des vivants, celui des moudjâhidine et celui des chouhadâ dont le souvenir est sacré. Ce résultat de recherche est non seulement un sincère hommage rendu aux «Justes» qui, de toute nationalité et de toute conscience religieuse ou non, des femmes et des hommes, se sont dressés contre l’injustice de la France coloniale en Algérie et l’ont fait sans hésitation, mais il est également et surtout l’expression des Algériens en guise de reconnaissance à tous leurs Frères et parmi eux «Les Français», c’est-à-dire ceux que Jean-Paul Sartre évoqua dans sa Lettre au tribunal, «… Les Français qui aident le F.L.N. ne sont pas seulement poussés par des sentiments généreux à l’égard d’un peuple opprimé et ils ne se mettent pas non plus au service d’une cause étrangère, ils travaillent pour eux-mêmes, pour leur liberté et pour leur avenir. Ils travaillent pour l’instauration en France d’une vraie démocratie.»
(*) Les Amis Des Frères de Rachid Khettab (Ouvrage relié et cartonné), Éditions Dar Khettab, Boudouaou-Alger, 2012, 432 pages.
12 août 2013
Kaddour M'HAMSADJI