Tout a disparu des anciens palabres de la tribu et des plus vieux. Les vieilles légendes remplacées par les récits des Chouyoukh Satellites. Les récits antiques devenus inutiles face à Errissala. Les histoires d’autrefois. Notre monde se meurt et s’en va. Et il se fait remplacer par des talk-shows et des palmiers et les prêches. C’est donc assis face aux siens, dans le rite des rencontres et des retrouvailles, que l’on distingue l’Algérie de demain qui est celle d’avant-hier du Hedjaz. Que s’est-il donc passé ? Pourquoi avons-nous échoué à nous souvenir de nous-mêmes ? A être le centre de notre monde et pas la périphérie de celui des autres ? A construire une culture qui ne soit pas déni et renoncement ? Beaucoup de réponses dont certaines sont déjà vraies et que l’on connaît ou tente d’ignorer. Mais cela ne change pas le réel : à écouter les conversations des Algériens, dans l’espace intime de la rencontre et de la famille, on est frappé par la pauvreté du sens, le fatalisme devenu culte, le soupir, le refus du corps et du désir comme moteur de la vie, l’envie de ne pas travailler ou soulever un caillou, en attendant le Paradis. Comme si tout le monde attendait une mort imminente ou se sentait coupable de on ne sait quel parricide ou avait hâte d’en finir avec une corvée de vivre. Frappante veillée du jugement dernier dont on collectionne les signes comme preuves de ses convictions.
L’espace familial algérien s’est donc « kaboulisé » un peu partout. Et il ne s’agit pas de religion mais d’une défaite plus intime, une perte de désir. Quelque chose qui est de l’ordre de la peur, face à la vie compensée par un courage, face à la mort. Et que le règne des chouyoukhs et des satellites investit par ses hadiths, versets, interprétations et manipulations.
La fatwa a donc remplacé le conte, tué Djeha et l’humour, le rire et les souvenirs et les anciens ancêtres et les récits cachés des femmes.
« Dieu a dit » a fait que tout le monde parle à sa place, en même temps. Bonne vacances.
10 août 2013
Kamel Daoud