Alicante
Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie.
8 août 2013
Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie.
Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui
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J'ai couvé un oeuf de colombe, Luther en a fait sortir un serpent.
Citations de Erasme
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Ces réflexions sur la guerre ramènent à mon esprit cette éloquente citation de jean Rostand: »on tue un homme, on est un assassin, on tue de milliers d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu » les dieux de la guerre n’ont pas d’humanité la guerre est le pire cauchemar des enfants, leur bête noire .une endémie qui dissèque les familles, y sème la dissension et fabrique des veuves et des orphelins en série
Ces réflexions sur la guerre ramènent à mon esprit cette éloquente citation de jean Rostand: »on tue un homme, on est un assassin, on tue de milliers d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu » les dieux de la guerre n’ont pas d’humanité la guerre est le pire cauchemar des enfants, leur bête noire .une endémie qui dissèque les familles, y sème la dissension et fabrique des veuves et des orphelins en série
Le docteur Mekki Yahia est praticien au laboratoire de virologie à l’hôpital Edouard Herriot et à la faculté Claude Bernard de médecine à Lyon, chef de service sérologie virale, membre de la commission du diagnostic prénatal des affections virales chez la femme enceinte, membre de l’association de suivi des transplantés d’organes et des greffes de tissus à Lyon.
Bediar Bouharket
Bédiar Bouharket est un modeste sculpteur originaire de la région de Sougueur . Il est ingénieur en physique de formation mais grand amateur de beaux-arts, il a d’ailleurs suivi une formation dans ce domaine dans les années 94/96 dans la ville italienne berceau de l’art, Florence
Kelouche Mohamed Kheir Eddine
Né le 17 décembre 1966 à Sougueur
http://nadorculture.unblog.fr/2008/08/24/kelouche-mohamed-kheir-eddine/
Zami Mohamed
Né le 25 janvier 1972 à Sougueur.
http://nadorculture.unblog.fr/2008/12/31/zami-mohamed-cv/
Né en 1970 à Mostaganem, Kamel Daoud est journaliste au Quotidien d'Oran. Il y tient la chronique « Raïna Raïkoum », réputée pour son franc-parler et la clarté de ses analyses.
, شكرا جزيلا على زيارتكم و نتمنى عودتكم
8 août 2013 à 16 04 58 08588
La guerre déclarée
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
La guerre déclarée
j’ai pris mon courage
à deux mains
et je l’ai étranglé.
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8 août 2013 à 17 05 05 08058
La lessive
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Oh la terrible et surprenante odeur de viande qui meurt
c’est l’été et pourtant les feuilles des arbres du jardin
tombent et crèvent comme si c’était l’automne…
cette odeur vient du pavillon
où demeure monsieur Edmond
chef de famille
chef de bureau
c’est le jour de la lessive
et c’est l’odeur de la famille
et le chef de famille
chef de bureau
dans son pavillon de chef-lieu de canton
va et vient autour du baquet familial
et répète sa formule favorite
Il faut laver son linge sale en famille
et toute la famille glousse d’horreur
de honte
frémit et brosse et frotte et brosse
le chat voudrait bien s’en aller
tout cela lui lève le cœur
le cœur du petit chat de la maison
mais la porte est cadenassée
alors le pauvre petit chat dégueule
le pauvre petit morceau de cœur
que la veille il avait mangé
de vieux portefeuilles flottent dans l’eau du baquet
et puis des scapulaires… des suspensoirs…
des bonnets de nuit… des bonnets de police…
des polices d’assurance… des livres de comptes…
des lettres d’amour où il est question d’argent
des lettres anonymes où il est question d’amour
une rosette de la légion d’honneur
de vieux morceaux de coton à oreille
des rubans
une soutane
un caleçon de vaudeville
une robe de mariée
une feuille de vigne
une blouse d’infirmière
un corset d’officier de hussards
des langes
une culotte de plâtre
une culotte de peau…
soudain de longs sanglots
et le petit chat met ses pattes sur ses oreilles
pour ne pas entendre ce bruit
parce qu’il aime la fille
et que c’est elle qui crie
c’est à elle qu’on en voulait
c’est la jeune fille de la maison
elle est nue… elle crie… elle pleure…
et d’un coup de brosse à chiendent sur la tête
le père la rappelle à la raison
elle a une tache
la jeune fille de la maison
et toute la famille la plonge
et la replonge
elle saigne
elle hurle
mais elle ne veut pas dire le nom…
et le père hurle aussi
Que tout ceci ne sorte pas d’ici
Que tout ceci reste entre nous
dit la mère
et les fils les cousins les moustiques
crient aussi
et le perroquet sur son perchoir
répète aussi
Que tout ceci ne sorte pas d’ici
honneur de la famille
honneur du père
honneur du fils
honneur du perroquet Saint-Esprit
elle est enceinte la jeune fille de la maison
il ne faut pas que le nouveau-né
sorte d’ici
on ne connaît pas le nom du père
au nom du père et du fils
au nom du perroquet déjà nommé Saint-Esprit
Que tout ceci ne sorte pas d’ici…
avec sur le visage une expression surnaturelle
la vieille grand-mère assise sur le rebord du baquet
tresse une couronne d’immortelles artificielles
pour l’enfant naturel…
et la fille est piétinée
la famille pieds nus
piétine piétine et piétine
c’est la vendange de la famille
la vendange de l’honneur
la jeune fille de la maison crève
dans le fond…
à la surface
des globules de savon éclatent
des globules blancs
globules blêmes
couleur d’enfant de Marie…
et sur un morceau de savon
un morpion se sauve avec ses petits
l’horloge sonne une heure et demie
et le chef de famille et de bureau
met son couvre-chef sur son chef
et s’en va
traverse la place de chef-lieu de canton
et rend le salut à son sous-chef
qui le salue…
les pieds du chef de famille sont rouges
mais les chaussures sont bien cirées
Il vaut mieux faire envie que pitié.
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8 août 2013 à 17 05 06 08068
La morale de l’Histoire
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Brunehaut sous ton image une légende épique
Précise tes derniers moments chaotiques
Et traînée par un cheval indompté
Tu entres dans l’histoire en pièces détachées
Mais la gravure te représente
Nue sculpturale séduisante
Et pourquoi ne pas l’avouer mon Dieu
Désirable en diable
Excitante
Et pourtant Brunehaut
Tu peux bien le dire maintenant
Que tu es morte depuis si longtemps
Quand tu es morte
Historiquement
Tu avais bien tout de même dans les quatre-vingts ans
Et derrière ton fameux cheval indompté
Tu devais plutôt ressembler
Pauvre reine mère édentée et détrônée
A une vieille casserole rouillée
Attachée à la queue d’un chien
Par d’impitoyables vauriens
Qu’à l’image décrite plus haut
De l’éblouissante Brunehaut
Mais il faut bien faire un dessin
Pour rendre l’histoire attachante
Et le collégien qui se touche
Évoquant tes fesses et tes seins
En apprenant l’histoire de France
Est attaché lui aussi
Comme l’est le cheval fougueux
Par la queue à tes faux cheveux
Attaché à ton image
Par la queue et par la main
Désolante caresse de collège
Minable orgie de patronage
Dérisoire palais des mirages
Mais Dieu qui sait prendre les choses de très haut
Intervient fort judicieusement
En faveur de son petit chanteur de la manécanterie
Allez vous rhabiller Brunehaut
C’est fini pour aujourd’hui le boulot
Et Brunehaut monte sur son vieux cheval couronné
Et Dieu monte à son tour et en croupe galamment derrière elle
Et les voilà partis pour la grande écurie historique catholique apostolique
Et romaine
Dieu refermant sagement le livre derrière lui
L’adolescent alors reprend ses sains esprits
La chanson de geste est finie
Et comme un garçon d’honneur qui vient de terminer d’un trait un étourdissant monologue
Et qui voit soudain la table desservie
Les lumières éteintes et les bosquets déserts
Les garçons endormis et la mariée partie
Il se trouve soudain horriblement gêné
Et tout ce qu’il y a de plus seul et de plus honteux sur la terre
Le remarquable et exemplaire bon élève des bons pères
Tout seul comme un orphelin ordinaire
Ou comme un veuf
Tout seul au milieu de la classe
Dans la pénombre et dans le désarroi
Et dans une tenue dont le moins qu’on puisse dire
C’est qu’elle est négligée
Et il frissonne fébrile et dans tous ses états
Y compris l’état de péché mortel
Marié avec lui-même et pour la première fois
Sans le consentement de ses parents
Ni de qui d’autre que ce soit
Et dans ses méninges les échos d’une absurde obscène musique
résonnent encore
La musique d’un obscène et triste manège
Entraînant tournant sur lui-même et sous la pluie
Dans un absurde paysage sans arbre sans âme qui vive sans maison sans perspective sans horizon
Et sans rien qui vaille vraiment la peine d’être cité ici
D’absurdes reines de France sur d’absurdes chevaux de bois mort
Aux sons de l’absurde et obscène musique
D’un absurde piano mécanique
Mis en branle
C’est précisément le cas de le dire
Par un absurde chien battu mouillé velléitaire
L’absurde chien battu du plaisir solitaire
Traînant après sa queue l’ustensile imbécile
L’ustensile sacré
La casserole d’or du remords
Et le chien affolé fonce dans le brouillard bousculant le décor
Désespéré dans les couloirs
Entraînant à sa suite dans une abominable contagion sonore
Toute la batterie de cuisine du Saint Office des morts.
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8 août 2013 à 17 05 19 08198
La pêche à la baleine
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Disait le père d’une voix courroucée
A son fils Prosper, sous l’armoire allongé,
A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
Tu ne veux pas aller,
Et pourquoi donc?
Et pourquoi donc que j’irais pêcher une bête
Qui ne m’a rien fait, papa,
Va la pépé, va la pêcher toi-même,
Puisque ça te plaît,
J’aime mieux rester à la maison avec ma pauvre mère
Et le cousin Gaston.
Alors dans sa baleinière le père tout seul s’en est allé
Sur la mer démontée…
Voilà le père sur la mer,
Voilà le fils à la maison,
Voilà la baleine en colère,
Et voilà le cousin Gaston qui renverse la soupière,
La soupière au bouillon.
La mer était mauvaise,
La soupe était bonne.
Et voilà sur sa chaise Prosper qui se désole:
A la pêche à la baleine, je ne suis pas allé,
Et pourquoi donc que j’y ai pas été?
Peut-être qu’on l’aurait attrapée,
Alors j’aurais pu en manger.
Mais voilà la porte qui s’ouvre, et ruisselant d’eau
Le père apparaît hors d’haleine,
Tenant la baleine sur son dos.
Il jette l’animal sur la table, une belle baleine aux yeux bleus,
Une bête comme on en voit peu,
Et dit d’une voix lamentable :
Dépêchez-vous de la dépecer,
J’ai faim, j’ai soif, je veux manger.
Mais voilà Prosper qui se lève,
Regardant son père dans le blanc des yeux,
Dans le blanc des yeux bleus de son père,
Bleus comme ceux de la baleine aux yeux bleus :
Et pourquoi donc je dépècerais une pauvre bête qui m’a rien fait?
Tant pis, j’abandonne ma part.
Puis il jette le couteau par terre,
Mais la baleine s’en empare, et se précipitant sur le père
Elle le transperce de père en part.
Ah, ah, dit le cousin Gaston,
On me rappelle la chasse, la chasse aux papillons.
Et voilà
Voilà Prosper qui prépare les faire-part,
La mère qui prend le deuil de son pauvre mari
Et la baleine, la larme à l’œil contemplant le foyer détruit.
Soudain elle s’écrie :
Et pourquoi donc j’ai tué ce pauvre imbécile,
Maintenant les autres vont me pourchasser en moto- godille
Et puis ils vont exterminer toute ma petite famille.
Alors, éclatant d’un rire inquiétant,
Elle se dirige vers la porte et dit
A la veuve en passant :
Madame, si quelqu’un vient me demander,
Soyez aimable et répondez :
La baleine est sortie,
Asseyez-vous,
Attendez là,
Dans une quinzaine d’années, sans doute elle reviendra…
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8 août 2013 à 17 05 22 08228
La rue de Buci maintenant…
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Où est-il parti
le petit monde fou du dimanche matin
Qui donc a baissé cet épouvantable rideau de poussière et de fer sur cette rue
cette rue autrefois si heureuse et si fière d’être rue
comme une fille heureuse et fi ère d’être nue.
Pauvre rue
te voilà maintenant abandonnée dans le quartier
abandonné lui-même dans la ville dépeuplée. Pauvre rue
morne corridor menant d’un point mort à un autre point mort
tes chiens maigres et seuls et ton gros mutilé de guerre
qui a tellement maigri lui aussi
et qui passe dans sa petite voiture mécanique
traversant au hasard sans savoir où aller
s’arrêtant n’importe où sans même savoir où c’est
il s’était fait une raison d’homme
une fois l’autre guerre finie
une raison avec sa voiture
une raison avec ses deux jambes arrachées
et il avait ses petites habitudes
on lui disait bonjour il connaissait tout le monde
et tout le monde le connaissait.
Et il roulait
il s’arrêtait pour boire un verre il oubliait il plaisantait
et puis il allait déjeuner
et voilà qu’encore une fois tout a encore recommencé
et il roule lentement dans sa rue
et il ne la reconnaît plus
et elle ne le reconnaît plus non plus
et la misère debout fait la queue aux portes du malheur
aux portes de l’ennui
et la rue est vide et triste
abandonnée comme une vieille boîte au lait
et elle se tait.
Pauvre rue qui ne veut plus qui ne peut plus rien dire
pauvre rue dépareillée et sous-alimentée
on t’a retiré le pain de la bouche
on t’a arraché les ovaires
on t’a coupé l’herbe sous le pied
on t’a rentré tes chansons dans la gorge
on t’a enlevé ta gaîté
et le diamant de ton rire s’est brisé les dents
sur le rideau de fer de la connerie et de la haine
et les gosses du quartier ne sortent plus de chez le boulanger souriants en mangeant la pesée
au Cours des Halles les sanguines
les petits soleils de Valence
ne roulent plus dans les balances
dans les filets des ménagères
abandonnant sur le trottoir
leurs jolies robes de papier
avec des toréadors et de belles cigarières
imprimées de toutes les couleurs
et puis des noms de villes étrangères
pour faire rêver les étrangers.
Et toi citron jaune
toi qui trônais comme un seigneur au milieu de tes Portugaises vertes
tu étais l’astre de la misère
la lumière du repas de midi et demi.
Où es-tu maintenant
citron jaune qui venais des autres pays
et toi vieille cloche qui vendais des crayons
et qui trouvais dans le vin rouge et dans tes rêves sous les ponts
d’extraordinaires balivernes des histoires d’un autre monde
de prodigieuses choses sans nom
où es-tu
où sont tes crayons…
Et vous marchandes à la sauvette
où sont vos lacets vos oignons
où est le bleu de la lessive
où sont les aiguilles et le fil et les épingles de sûreté.
Et vous filles des quatre saisons
vous êtes là encore bien sûr
mais le cœur n’y est plus
le cœur de ce quartier
le cœur de ces artères
le cœur de cette rue
et vous vendez de mauvaises herbes
et vous avez beaucoup changé.
Vos cris n’ont plus la même musique
dans votre voix quelque chose est brisé…
Et toi jolie fille
qui te promenais
et qui vivais
autour et alentour de la rue de Buci
toi qui grandissais dans ce paysage
toi qui te promenais tous les matins
avec ton chien
avec ton pain
et puis qui es partie
maintenant tu es revenue
et toi non plus tu ne reconnais plus ta rue.
La rue où tu marchais le dimanche matin
avec ton chien
et puis ton pain
tu venais à peine de te réveiller
tes yeux étaient grands ouverts
et brillaient
et tu paraissais nue sous ta robe légère
et tu souriais
heureuse qu’on te regarde
et d’être regardée
devinée désirée
caressée du regard par ta rue tout entière
par ta rue de Buci
qui fronçait le sourcil
qui haussait les épaules
qui faisait celle qui est en colère
et te montrait du doigt
et te traitait de tous les noms
Si ce n’est pas une honte
à son âge
avez-vous déjà vu ça…
et parlait d’en parler à ton père
ta rue de Buci
qui faisait l’indignée
celle qui était en colère
mais dans le fond
heureuse et fière
de ta beauté éblouissante
de ta provocante jeunesse
de ta merveilleuse pauvreté
de ta merveilleuse liberté.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
8 août 2013 à 17 05 27 08278
Lanterne magique de Picasso
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Tous les yeux d’une femme joués sur le même tableau
Les traits de l’être aimé traqué par le destin sous la fleur immobile d’un sordide papier peint
L’herbe blanche du meurtre dans une forêt de chaises
Un mendiant de carton éventré sur une table de marbre
Les cendres d’un cigare sur le quai d’une gare
Le portrait d’un portrait
Le mystère d’un enfant
La splendeur indéniable d’un buffet de cuisine
La beauté immédiate d’un chiffon dans le vent
La folle terreur du piège dans un regard d’oiseau
L’absurde hennissement d’un cheval décousu
La musique impossible des mules à grelots
Le taureau mis à mort couronné de chapeaux
La jambe jamais pareille d’une rousse endormie et la très grande oreille de ses moindres soucis
Le mouvement perpétuel attrapé à la main
L’immense statue de pierre d’un grain de sel marin
La joie de chaque jour et l’incertitude de mourir et le fer de l’amour dans la plaie d’un sourire
La plus lointaine étoile du plus humble des chiens
Et salé sur une vitre le tendre goût du pain
La ligne de chance perdue et retrouvée brisée et redressée parée des haillons bleus de la nécessité
L’étourdissante apparition d’un raisin de Malaga sur un gâteau de riz
Un homme dans un bouge assommant à coups de rouge le mal du pays
Et la lueur aveuglante d’un paquet de bougies
Une fenêtre sur la mer ouverte comme une huître
Le sabot d’un cheval le pied nu d’une ombrelle
La grâce incomparable d’une tourterelle toute seule dans une maison très froide
Le poids mort d’une pendule et ses moments perdus
Le soleil somnambule qui réveille en sursaut au milieu de la nuit la Beauté somnolente et soudain éblouie qui jette sur ses épaules le manteau de la cheminée et l’entraîne avec lui dans le noir de fumée masquée de blanc d’Espagne et vêtue de papiers collés
Et tant de choses encore
Une guitare de bois vert berçant l’enfance de l’art
Un ticket de chemin de fer avec tous ses bagages
La main qui dépayse un visage qui dévisage un paysage
L’écureuil caressant d’une fille neuve et nue
Splendide souriante heureuse et impudique
Surgissant à l’improviste d’un casier à bouteilles ou d’un casier à musique comme une panoplie de plantes vertes vivaces et phalliques
Surgissant elle aussi à l’improviste du tronc pourrissant
D’un palmier académique nostalgique et désespérément vieux beau comme l’antique
Et les cloches à melon du matin brisées par le cri d’un journal du soir
Les terrifiantes pinces d’un crabe émergeant des dessous d’un panier
La dernière fleur d’un arbre avec les deux gouttes d’eau du condamné
Et la mariée trop belle seule et abandonnée sur le divan cramoisi de la jalousie par la blême frayeur de ses premiers maris
Et puis dans un jardin d’hiver sur le dossier d’un trône une chatte en émoi et la moustache de sa queue sous les narines d’un roi
La chaux vive d’un regard dans le visage de pierre d’une vieille femme assise près d’un panier d’osier
Et crispées sur le minium tout frais du garde-fou d’un phare tout blanc les deux mains bleues de froid d’un Arlequin errant qui regarde la mer et ses grands chevaux dormant dans le soleil couchant et puis qui se réveillent les naseaux écumants les yeux phosphorescents affolés par la lueur du phare et ses épouvantables feux tournants
Et l’alouette toute rôtie dans la bouche d’un mendiant
Une jeune infirme folle dans un jardin public qui souriant d’un sourire déchiré mécanique en berçant dans ses bras un enfant léthargique trace dans la poussière de son pied sale et nu la silhouette du père et ses profils perdus et présente aux passants son nouveau-né en loques Regardez donc mon beau regardez donc ma belle ma merveille des merveilles mon enfant naturel d’un côté c’est un garçon et de l’autre c’est une fille tous les matins il pleure mais tous les soirs je la console et je les remonte comme une pendule
Et aussi le gardien du square fasciné par le crépuscule
La vie d’une araignée suspendue à un fil
L’insomnie d’une poupée au balancier cassé et ses grands yeux de verre ouverts à tout jamais
La mort d’un cheval blanc la jeunesse d’un moineau
La porte d’une école rue du Pont-de-Lodi
Et les Grands Augustins empalés sur la grille d’une maison dans une petite rue dont ils portent le nom
Tous les pêcheurs d’Antibes autour d’un seul poisson
La violence d’un œuf la détresse d’un soldat
La présence obsédante d’une clef cachée sous un paillasson
Et la ligne de mire et la ligne de mort dans la main autoritaire et potelée d’un simulacre d’homme obèse et délirant camouflant soigneusement derrière les bannières exemplaires et les crucifix gammés drapés et dressés spectaculairement sur le grand balcon mortuaire du musée des horreurs et des honneurs de la guerre la ridicule statue vivante de ses petites jambes courtes et de son buste long mais ne parvenant pas malgré son bon sourire de Caudillo grandiose et magnanime à cacher les irrémédiables et pitoyables signes de la peur de l’ennui de la haine et de la connerie gravés sur son masque de viande fauve et blême comme les graffiti obscènes de la mégalomanie gravés par les lamentables tortionnaires de l’ordre nouveau dans les urinoirs de la nuit
Et derrière lui dans le charnier d’une valise diplomatique entr’ouverte le cadavre tout simple d’un paysan pauvre assailli dans son champ à coups de lingots d’or par d’impeccables hommes d’argent
Et tout à côté sur une table une grenade ouverte avec toute une ville dedans
Et toute la douleur de cette ville rasée et saignée à blanc
Et toute la garde civile caracolant tout autour d’une civière
Où rêve encore un gitan mort
Et toute la colère d’un peuple amoureux travailleur insouciant et charmant qui soudain éclate brusquement comme le cri rouge d’un coq égorgé publiquement
Et le spectre solaire des hommes aux bas salaires qui surgit tout sanglant des sanglantes entrailles d’une maison ouvrière tenant à bout de bras la pauvre lueur de la misère la lampe sanglante de Guernica et découvre au grand jour de sa lumière crue et vraie les épouvantables fausses teintes d’un monde décoloré usé jusqu’à la corde vidé jusqu’à la moelle
D’un monde mort sur pied
D’un monde condamné
Et déjà oublié
Noyé carbonisé aux mille feux de l’eau courante du ruisseau populaire
Où le sang populaire court inlassablement
Intarissablement
Dans les artères et dans les veines de la terre et dans les artères et dans les veines de ses véritables enfants
Et le visage de n’importe lequel de ses enfants dessiné simplement sur une feuille de papier blanc
Le visage d’André Breton le visage de Paul Éluard
Le visage d’un charretier aperçu dans la rue
La lueur du clin d’œil d’un marchand de mouron
Le sourire épanoui d’un sculpteur de marrons
Et sculpté dans le plâtre un mouton de plâtre frisé bêlant de vérité dans la main d’un berger de plâtre debout près d’un fer à repasser
A côté d’une boîte à cigares vide
A côté d’un crayon oublié
A côté des Métamorphoses d’Ovide
A côté d’un lacet de soulier
A côté d’un fauteuil aux jambes coupées par la fatigue des années
A côté d’un bouton de porte
A côté d’une nature morte où les rêves enfantins d’une femme de ménage agonisent sur la pierre froide d’un évier comme des poissons suffoquant et crevant sur des galets brûlants
Et la maison remuée de fond en comble par les pauvres cris de poisson mort de la femme de ménage désespérée tout à coup qui fait naufrage soulevée par les lames de fond du parquet et va s’échouer lamentablement sur les bords de la Seine dans les jardins du Vert-Galant
Et là désemparée elle s’assoit sur un banc
Et elle fait ses comptes
Et elle ne se voit pas blanche pourrie par les souvenirs et fauchée comme les blés
Une seule pièce lui reste une chambre à coucher
Et comme elle va la jouer à pile ou face avec le vain espoir de gagner un peu de temps
Un grand orage éclate dans la glace à trois faces
Avec toutes les flammes de la joie de vivre
Tous les éclairs de la chaleur animale
Toutes les lueurs de la bonne humeur
Et donnant le coup de grâce à la maison désorientée
Incendie les rideaux de la chambre à coucher
Et roulant en boule de feu les draps au pied du lit
Découvre en souriant devant le monde entier
Le puzzle de l’amour avec tous ses morceaux
Tous ses morceaux choisis choisis par Picasso
Un amant sa maîtresse et ses jambes à son cou
Et les yeux sur les fesses les mains un peu partout
Les pieds levés au ciel et les seins sens dessus dessous
Les deux corps enlacés échangés caressés
L’amour décapité délivré et ravi
La tête abandonnée roulant sur le tapis
Les idées délaissées oubliées égarées
Mises hors d’état de nuire par la joie et le plaisir
Les idées en colère bafouées par l’amour en couleur
Les idées terrées et atterrées comme les pauvres rats de la mort sentant venir le bouleversant naufrage de l’Amour
Les idées remises à leur place à la porte de la chambre à côté du pain à côté des souliers
Les idées calcinées escamotées volatilisées désidéalisées
Les idées pétrifiées devant la merveilleuse indifférence d’un monde passionné
D’un monde retrouvé
D’un monde indiscutable et inexpliqué
D’un monde sans savoir-vivre mais plein de joie de vivre
D’un monde sobre et ivre
D’un monde triste et gai
Tendre et cruel
Réel et surréel
Terrifiant et marrant
Nocturne et diurne
Solite et insolite
Beau comme tout.
1944.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
8 août 2013 à 20 08 38 08388
Le bouquet
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Que faites-vous là petite fille
Avec ces fleurs fraîchement coupées
Que faites-vous là jeune fille
Avec ces fleurs ces fleurs séchées
Que faites-vous là jolie femme
Avec ces fleurs qui se fanent
Que faites-vous là vieille femme
Avec ces fleurs qui meurent
J’attends le vainqueur.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
8 août 2013 à 20 08 46 08468
Le cancre
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Il dit non avec la tête
mais il dit oui avec le coeur
il dit oui à ce qu’il aime
il dit non au professeur
il est debout
on le questionne
et tous les problèmes sont posés
soudain le fou rire le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec les craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur.
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8 août 2013 à 20 08 56 08568
Le cheval rouge
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Dans les manèges du mensonge
Le cheval rouge de ton sourire
Tourne
Et je suis là debout planté
Avec le triste fouet de la réalité
Et je n’ai rien à dire
Ton sourire est aussi vrai
Que mes quatre vérités.
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8 août 2013 à 23 11 53 08538
Le combat avec l’ange
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A J.-B. Brunius
N’y va pas
tout est combiné d’avance
le match est truqué
et quand il apparaîtra sur le ring
environné d’éclairs de magnésium
ils entonneront à tue-tête le Te Deum
et avant même que tu te sois levé de ta chaise
ils te sonneront les cloches à toute volée
ils te jetteront à la figure l’éponge sacrée
et tu n’auras pas le temps de lui voler dans les plumes
ils se jetteront sur toi
et il te frappera au-dessous de la ceinture
et tu t’écrouleras
les bras stupidement en croix
dans la sciure
et jamais plus tu ne pourras faire l’amour.
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8 août 2013 à 23 11 56 08568
Le concert n’a pas été réussi
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Compagnons des mauvais jours
Je vous souhaite une bonne nuit
Et je m’en vais.
La recette a été mauvaise
C’est de ma faute
Tous les torts sont de mon côté
J’aurais dû vous écouter
J’aurais dû jouer du caniche
C’est une musique qui plaît
Mais je n’en ai fait qu’à ma tête
Et puis je me suis énervé.
Quand on joue du chien à poil dur
Il faut ménager son archet
Les gens ne viennent pas au concert
Pour entendre hurler à la mort
Et cette chanson de la Fourrière
Nous a causé le plus grand tort.
Compagnons des mauvais jours
Je vous souhaite une bonne nuit
Dormez
Rêvez
Moi je prends ma casquette
Et puis deux ou trois cigarettes dans le paquet
Et je m’en vais…
Compagnons des mauvais jours
Pensez à moi quelquefois
Plus tard…
Quand vous serez réveillés
Pensez à celui qui joue du phoque et du saumon fumé
Quelque part…
Le soir
Au bord de la mer
Et qui fait ensuite la quête
Pour acheter de quoi manger
Et de quoi boire…
Compagnons des mauvais jours
Je vous souhaite une bonne nuit…
Dormez
Rêvez
Moi je m’en vais.
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9 août 2013 à 0 12 01 08018
Le contrôleur
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Allons allons
Pressons
Allons allons
Voyons pressons
Il y a trop de voyageurs
Trop de voyageurs
Pressons pressons
H y en a qui font la queue
Il y en a partout
Beaucoup
Le long du débarcadère
Ou bien dans les couloirs du ventre de leur mère
Allons allons pressons
Pressons sur la gâchette
Il faut bien que tout le monde vive
Alors tuez-vous un peu
Allons allons
Voyons
Soyons sérieux
Laissez la place
Vous savez bien que vous ne pouvez pas rester là
Trop longtemps
Il faut qu’il y en ait pour tout le monde
Un petit tour on vous l’a dit
Un petit tour du monde
Un petit tour dans le monde
Un petit tour et on s’en va
Allons allons
Pressons pressons
Soyez polis
Ne poussez pas.
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9 août 2013 à 0 12 04 08048
Le désespoir est assis sur un banc
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Dans un square sur un banc
Il y a un homme qui vous appelle quand on passe
Il a des binocles un vieux costume gris
Il fume un petit ninas il est assis
Et il vous appelle quand on passe
Ou simplement il vous fait signe
Il ne faut pas le regarder
Il ne faut pas l’écouter
Il faut passer
Faire comme si on ne le voyait pas
Comme si on ne l’entendait pas
Il faut passer presser le pas
Si vous le regardez
Si vous l’écoutez
Il vous fait signe et rien ni personne
Ne peut vous empêcher d’aller vous asseoir près de lui
Alors il vous regarde et sourit
Et vous souffrez atrocement
Et l’homme continue de sourire
Et vous souriez du même sourire
Exactement
Plus vous souriez plus vous souffrez
Atrocement
Plus vous souffrez plus vous souriez
Irrémédiablement
Et vous restez là
Assis figé
Souriant sur le banc
Des enfants jouent tout près de vous
Des passants passent
Tranquillement
Des oiseaux s’envolent
Quittant un arbre
Pour un autre
Et vous restez là
Sur le banc
Et vous savez vous savez
Que jamais plus vous ne jouerez
Comme ces enfants
Vous savez que jamais plus vous ne passerez
Tranquillement
Comme ces passants
Que jamais plus vous ne vous envolerez
Quittant un arbre pour un autre
Comme ces oiseaux.
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9 août 2013 à 0 12 12 08128
Le discours sur la paix
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Vers la fin d’un discours extrêmement important
le grand homme d’État trébuchant
sur une belle phrase creuse
tombe dedans
et désemparé la bouche grande ouverte
haletant
montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d’argent.
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9 août 2013 à 0 12 36 08368
Le droit chemin
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A chaque kilomètre
chaque année
des vieillards au front borné
indiquent aux enfants la route
d’un geste de ciment armé.
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9 août 2013 à 0 12 36 08368
Le discours sur la paix
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Vers la fin d’un discours extrêmement important
le grand homme d’État trébuchant
sur une belle phrase creuse
tombe dedans
et désemparé la bouche grande ouverte
haletant
montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d’argent.
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9 août 2013 à 0 12 37 08378
Le grand homme
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Chez un tailleur de pierre
où je l’ai rencontré
il faisait prendre ses mesures
pour la postérité.
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9 août 2013 à 0 12 40 08408
Le jardin
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Des milliers et des milliers d’années
Ne sauraient suffire
Pour dire
La petite seconde d’éternité
Où tu m’as embrassé
Où je t’ai embrassée
Un matin dans la lumière de l’hiver
Au parc Montsouris à Paris
A Paris
Sur la terre
La terre qui est un astre.
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9 août 2013 à 0 12 48 08488
Le message
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
La porte que quelqu’un a ouverte
La porte que quelqu’un a refermée
La chaise où quelqu’un s’est assis
Le chat que quelqu’un a caressé
Le fruit que quelqu’un a mordu
La lettre que quelqu’un a lue
La chaise que quelqu’un a renversée
La porte que quelqu’un a ouverte
La route où quelqu’un court encore
Le bois que quelqu’un traverse
La rivière où quelqu’un se jette
L’hôpital où quelqu’un est mort.
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9 août 2013 à 0 12 59 08598
Le Ministre de la guerre
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Le Ministre de la guerre :
Je poursuis.
Un hôpital détruit : dix, cent -
et je suis modeste -
peuvent être reconstruits
Et, le projet adopté à l’unanimité,
la nuit est tombée,
l’hôpital a sauté avec aux alentours quelques bribes du quartier.
Le jour se lève sur la ville
où le rire s’amenuise, se dissipe et disparaît.
Tout redevient sérieux.
La vie, comme la Bourse, reprend son cours
et la mobilisation générale se poursuit de façon normale.
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9 août 2013 à 1 01 02 08028
Le miroir brisé
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Le petit homme qui chantait sans cesse
le petit homme qui dansait dans ma tête
le petit homme de la jeunesse
a cassé son lacet de soulier
et toutes les baraques de la fête
tout d’un coup se sont écroulées
et dans le silence de cette fête
j’ai entendu ta voix heureuse
ta voix déchirée et fragile
enfantine et désolée
venant de loin et qui m’appelait
et j’ai mis ma main sur mon coeur
où remuaient
ensanglantés
les septs éclats de glace de ton rire étoilé.
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9 août 2013 à 1 01 03 08038
Le paysage changeur
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
De deux choses lune
l’autre c’est le soleil
les pauvres les travailleurs ne voient pas ces choses
leur soleil c’est la soif la poussière la sueur le goudron
et s’ils travaillent en plein soleil le travail leur cache le soleil
leur soleil c’est l’insolation
et le clair de lune pour les travailleurs de nuit
c’est la bronchite la pharmacie les emmerdements les ennuis
et quand le travailleur s’endort il est bercé par l’insomnie
et quand son réveil le réveille
il trouve chaque jour devant son lit
la sale gueule du travail
qui ricane qui se fout de lui
alors il se lève
alors il se lave
et puis il sort à moitié éveillé à moitié endormi
il marche dans la rue à moitié éveillée à moitié endormie
et il prend l’autobus
le service ouvrier
et l’autobus le chauffeur le receveur
et tous les travailleurs à moitié réveillés à moitié endormis
traversent le passage figé entre le petit jour et la nuit
le paysage de briques de fenêtres à courants d’air de corridors
le paysage éclipse
le paysage prison
le paysage sans air sans lumière sans rires ni saisons
le paysage glacé des cités ouvrières glacées en plein été comme au cœur de l’hiver
le paysage éteint
le paysage sans rien
le paysage exploité affamé dévoré escamoté
le paysage charbon
le paysage poussière
le paysage cambouis
le paysage mâchefer
le paysage châtré gommé effacé relégué et rejeté dans l’ombre
dans la grande ombre
l’ombre du capital
l’ombre du profit.
Sur ce paysage parfois un astre luit
un seul
le faux soleil
le soleil blême
le soleil couché
le soleil chien du capital
le vieux soleil de cuivre
le vieux soleil clairon
le vieux soleil ciboire
le vieux soleil fistule
le dégoûtant soleil du roi soleil
le soleil d’Austerlitz
le soleil de Verdun
le soleil fétiche
le soleil tricolore et incolore
l’astre des désastres
l’astre de la vacherie
l’astre de la tuerie
l’astre de la connerie
le soleil mort.
Et le paysage à moitié construit à moitié démoli
à moitié réveillé à moitié endormi
s’effondre dans la guerre le malheur et l’oubli
et puis il recommence une fois la guerre finie
il se rebâtit lui-même dans l’ombre
et le capital sourit
mais un jour le vrai soleil viendra
un vrai soleil dur qui réveillera le paysage trop mou
et les travailleurs sortiront
ils verront alors le soleil
le vrai le dur le rouge soleil de la révolution
et ils se compteront
et ils se comprendront
et ils verront leur nombre
et ils regarderont l’ombre
et ils riront
et ils s’avanceront
une dernière fois le capital voudra les empêcher de rire
ils le tueront
et ils l’enterreront dans la terre sous le paysage de misère
et le paysage de misère de profits de poussières et de charbon
ils le brûleront
ils le raseront
et ils en fabriqueront un autre en chantant
un paysage tout nouveau tout beau
un vrai paysage tout vivant
ils feront beaucoup de choses avec le soleil
et même ils changeront l’hiver en printemps.
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9 août 2013 à 1 01 06 08068
Le retour au pays
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
C’est un Breton qui revient au pays natal
Après avoir fait plusieurs mauvais coups
Il se promène devant les fabriques à Douarnenez
Il ne reconnaît personne
Personne ne le reconnaît
Il est très triste.
N entre dans une crêperie pour manger des crêpes
Mais il ne peut pas en manger
Il a quelque chose qui les empêche de passer
Il paye
Il sort
Il allume une cigarette
Mais il ne peut pas la fumer.
Il y a quelque chose
Quelque chose dans sa tête
Quelque chose de mauvais
Il est de plus en plus triste
Et soudain il se met à se souvenir :
Quelqu’un lui a dit quand il était petit
« Tu finiras sur l’échafaud »
Et pendant des années
Il n’a jamais osé rien faire
Pas même traverser la rue
Pas même partir sur la mer
Rien absolument rien.
Il se souvient.
Celui qui avait tout prédit c’est l’oncle Grésillard
L’oncle Grésillard qui portait malheur à tout le monde
La vache!
Et le Breton pense à sa sœur
Qui travaille à, Vaugirard
A son frère mort à la guerre
Pense à toutes les choses qu’il a vues
Toutes les choses qu’il a faites.
La tristesse se serre contre lui
Il essaie une nouvelle fois
D’allumer une cigarette
Mais il n’a Pas envie de fumer
Alors il décide d’aller chez l’oncle Grésillard.
Il y va
Il ouvre la porte
L’oncle ne le reconnaît pas
Mais lui le reconnaît
Et lui dit :
« Bonjour oncle Grésillard »
Et puis il lui tord le cou.
Et il finit sur l’échafaud à Quimper
Après avoir mangé deux douzaines de crêpes
Et fumé une cigarette.
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9 août 2013 à 1 01 08 08088
Le sultan
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Dans les montagnes de Cachemire
Vit le sultan de Salamandragore
Le jour il fait tuer un tas de monde
Et quand vient le soir il s’endort
Mais dans ses cauchemars les morts se cachent
Et le dévorent
Alors une nuit il se réveille
En poussant un grand cri
Et le bourreau tiré de son sommeil
Arrive souriant au pied du lit
S’il n’y avait pas de vivants
Dit le sultan
Il n’y aurait pas de morts
Et le bourreau répond D’accord
Que tout le reste y passe alors
Et qu’on n’en parle plus
D’accord dit le bourreau
C’est tout ce qu’il sait dire
Et tout le reste y passe comme le sultan l’a dit
Les femmes les enfants les siens et ceux des autres
Le veau le loup la guêpe et la douce brebis
Le bon vieillard intègre et le sobre chameau
Les actrices des théâtres le roi des animaux
Les planteurs de bananes les faiseurs de bons mots
Et les coqs et leurs poules les œufs avec leur coque
Et personne ne reste pour enterrer quiconque
Comme ça ça va
Bit le sultan de Salamandragore
Mais reste là bourreau
Là tout près de moi
Et tue-moi
Si jamais je me rendors.
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9 août 2013 à 1 01 13 08138
Le temps des noyaux
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Soyez prévenus vieillards
soyez prévenus chefs de famille
le temps où vous donniez vos fils à la patrie
comme on donne du pain aux pigeons
ce temps-là ne reviendra plus
prenez-en votre parti
c’est fini
le temps des cerises ne reviendra plus
et le temps des noyaux non plus
inutile de gémir
allez plutôt dormir
vous tombez de sommeil
votre suaire est fraîchement repassé
le marchand de sable va passer
préparez vos mentonnières
fermez vos paupières
le marchand de gadoue va vous emporter
c’est fini les trois mousquetaires
voici le temps des égoutiers
Lorsque avec un bon sourire dans le métropolitain
poliment vous nous demandiez
deux points ouvrez les guillemets
descendez-vous à la prochaine
jeune homme
c’est de la guerre dont vous parliez
mais vous ne nous ferez plus le coup du père Français
non mon capitaine
non monsieur un tel
non papa
non maman
nous ne descendrons pas à la prochaine
ou nous vous descendrons avant
on vous foutra par la portière
c’est plus pratique que le cimetière
c’est plus gai
plus vite fait
c’est moins cher
Quand vous tiriez à la courte paille
c’était toujours le mousse qu’on bouffait
mais le temps des joyeux naufrages est passé
lorsque les amiraux tomberont à la mer
ne comptez pas sur nous pour leur jeter la bouée
à moins qu’elle ne soit en pierre
ou en fer à repasser
il faut en prendre votre parti
le temps des vieux vieillards est fini
Lorsque vous reveniez de la revue
avec vos enfants sur vos épaules
vous étiez saouls sans avoir rien bu
et votre moelle épinière
faisait la folle et la fière
devant la caserne de la Pépinière
vous travailliez de la crinière
quand passaient les beaux cuirassiers
et la musique militaire
vous chatouillait de la tête aux pieds
vous chatouillait
et les enfants que vous portiez sur vos épaules
vous les avez laissés glisser dans la boue tricolore
dans la glaise des morts
et vos épaules se sont voûtées
il faut bien que jeunesse se passe
vous l’avez laissée trépasser
Hommes honorables et très estimés
dans votre quartier
vous vous rencontrez
vous vous congratulez
vous vous coagulez
hélas hélas cher Monsieur Babylas
j’avais trois fils et je les ai donnés
à la patrie
hélas hélas cher Monsieur de mes deux
moi je n’en ai donné que deux
on fait ce qu’on peut
ce que c’est que de nous…
avez-vous toujours mal aux genoux
et la larme à l’œil
la fausse morve de deuil
le crêpe au chapeau
les pieds bien au chaud
les couronnes mortuaires
et l’ail dans le gigot
vous souvenez-vous de l’avant-guerre
les cuillères à absinthe les omnibus à chevaux
les épingles à cheveux
les retraites aux flambeaux
ah que c’était beau
c’était le bon temps
Bouclez-la vieillards
cessez de remuer votre langue morte
entre vos dents de faux ivoire
le temps des omnibus à cheveux
le temps des épingles à chevaux
ce temps-là ne reviendra plus
à droite par quatre
rassemblez vos vieux os
le panier à salade
le corbillard des riches est avancé
fils de saint Louis montez au ciel
la séance est terminée
tout ce joli monde se retrouvera là-haut
près du bon dieu des flics
dans la cour du grand dépôt
En arrière grand-père
en arrière père et mère
en arrière grands-pères
en arrière vieux militaires
en arrière les vieux aumôniers
en arrière les vieilles aumônières
la séance est terminée
maintenant pour les enfants
le spectacle va commencer.
1936
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9 août 2013 à 1 01 29 08298
Le temps perdu
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Devant la porte de l’usine.
le travailleur soudain s’arrête
le beau temps l’a tiré par la veste
et comme il se retourne
et regarde le soleil
tout rouge tout rond
souriant dans son ciel de plomb
il cligne de l’œil
familièrement
Dis donc camarade Soleil
tu ne trouves pas
que c’est plutôt con
de donner une journée pareille
à un patron?
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9 août 2013 à 1 01 30 08308
Accueil > Les poètes > Poèmes et biographie de Jacques PRÉVERT > Les belles familles
Les belles familles
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Louis I
Louis II
Louis III
Louis IV
Louis V
Louis VI
Louis VII
Louis VIII
Louis IX
Louis X (dit le Hutin)
Louis XI
Louis XII
Louis XIII
Louis XIV
Louis XV
Louis XVI
Louis XVIII
et plus personne plus rien…
Qu’est-ce que c’est que ces gens-là
qui ne sont pas foutus
de compter jusqu’à vingt?
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9 août 2013 à 5 05 46 08468
Les grandes inventions
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Écoutez comme elle craque le soir l’armoire
la grande armoire à glace
la grande armoire à rafraîchir
la grande armoire à glace à rafraîchir la mémoire des lièvres
Il y a un lièvre dans chaque tiroir
et chaque lièvre dans le froid rafraîchi
comme un fruit glacé
comme un marron glacé
se trouve comme ça soudain
plongé dans son passé
mais ils ne se rappellent rien du tout
les lièvres
Mais l’homme savent a beau perfectionner les meubles
et supplier tremblant de fièvre
les lièvres
et faire l’aimable
Voyons voyons
je suis le professeur Cocon
J’ai déjà inventé le ver à. soie
vous n’allez pas me faire ça à moi
allons allons rappelez-vous
d’où venez-vous
où étiez-vous autrefois
mais les lièvres ne répondent pas
Alors le professeur installe
un grand nouveau système d’horlogerie
avec un sablier à pédale
des calendriers à coulisses
et puis un très petit arbre généalogique
avec des lapins à musique
Et puis l’infra-rouge
et le système bleu
mais rien ne bouge
c’est lamentable
dans la tête des lièvres
Il a beau se donner un mal de chien
le pauvre malheureux
mnémotechnicien
toutes ces petites bêtes
ah vraiment c’est trop bête
n’en font qu’à leur tête
Alors il tourne autour des meubles
la tête dans ses mains
et il pleure
et il pleure
Soudain il sent ses mains mouillées per les pleurs
Tiens et voilà
que je pleure maintenant
Hélas! C’est la grande pitié
des armoires à lièvres de France
Oh! lièvres
vous n’allez tout de même pas laisser pleurer un professeur
allons faites un petit effort
lièvres souvenez-vous
descendez-vous du singe
ou bien du kangourou
Lièvres
ne voyez-vous pas
comme je suis malheureux
voyons faites un tout petit effort
ce n’est tout de même pas une affaire
que de se rappeler
puisque tout le monde le fait
Lièvres
je vous en prie
souvenez-vous du jour
du fameux jour
où la tortue est arrivée avant vous
Mais du tiroir aux lièvres
aucune réponse ne vient
Tristes petits ingrats
et sales petits vauriens
pense le professeur
Et il s’assoit par terre
la tête dans les deux mains
Ah vraiment il y a des soirs comme cela
où on se demande si la terre tourne bien
et pourtant elle tourne
Et Dieu la fait tourner
c’est un fait
Dieu est bon il fait bien ce qu’il fait
c’est ce sale petit monde de lièvres
qui est mauvais
Et voilà ce bon professeur
qui rêve d’une machine à perfectionner le civet
Mais tout de même il se secoue
il lutte contre le découragement
Il se répète dans son petit soi-même
En avant en avant
En avant en avant
et il refait ses calculs
il vérifie la preuve par l’œuf
et toutes les preuves qu’il faut
et ses calculs sont justes
et sans aucun défaut
Soudain il sursaute et l’inquiétude s’installe dans sa tête
et la sueur froide
Mais alors
si mes calculs sont justes
c’est sûrement mes lièvres qui sont faux
Il se précipite vers l’armoire
mais la glace est fondue
parce que c’est le printemps
tous comme un seul homme
les lièvres ont fichu le camp
Ne vous désolez pas professeur
les lièvres s’en vont
mais les tiroirs restent
C’est la vie.
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9 août 2013 à 12 12 50 08508
Les oiseaux du souci
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Pluie de plumes plumes de pluie
Celle qui vous aimait n’est plus
Que me voulez-vous oiseaux
Plumes de pluie pluie de plumes
Depuis que tu n’es plus je ne sais plus
Je ne sais plus où j’en suis
Pluie de plumes plumes de pluie
Je ne sais plus que faire
Suaire de pluie pluie de suie
Est-ce possible que jamais plus
Plumes de suie… Allez ouste dehors hirondelles
Quittez vos nids… Hein? Quoi? Ce n’est pas la saison
des voyages?…
Je m’en moque sortez de cette chambre hirondelles du
matin
Hirondelles du soir partez… Où? Hein? Alors restez
c’est moi qui m’en irai…
Plumes de suie suie de plumes je m’en irai nulle part
et puis un peu partout
Restez ici oiseaux du désespoir
Restez ici… Faites comme chez vous.
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9 août 2013 à 13 01 01 08018
Les paris stupides
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Un certain Blaise Pascal
etc… etc…
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9 août 2013 à 13 01 20 08208
Noces et banquets
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A William Blake
Dans les ruines d’une cathédrale
Un boucher pleure comme un veau
A cause de la mort d’un oiseau
Et couchée sur les dalles craquelées
Une cloche écroulée et fêlée
Montre son battant rouillé
On dirait un gros prêtre obscène
Dont le vent soulève la soutane
Et dans la sacristie en miettes
Trois ou quatre drôles en casquette
Font la quête
A l’occasion du mariage du Ciel et de l’Enfer
Cela se passe en Angleterre
Et aussi en l’honneur de la Révolution française
Et même de la mort de Louis XVI
Le garçon d’honneur s’appelle William Blake
Il est tout nu et très correct
Mais il garde son chapeau sur la tête
Parce que le Saint-Esprit est dedans
C’est le Saint-Esprit de Contradiction
Quand on lui demande Esprit es-tu là
Toujours avec un doux sourire cet oiseau répond
Non
A la fin de la noce William Blake en fera cadeau au boucher
Il oubliera défunt son perroquet
Et s’en retournera tuer les bêtes
Avec un gros maillet
Nous ne sommes pas à un oiseau près
Pense William Blake
Tout en pensant à autre chose
C’est-à-dire à rien d’autre qu’à regarder
Une éblouissante fille invitée à la noce on ne sait pas par qui
Et qui est là très belle et aussi nue que lui
Une beauté
Pense William une beauté d’un calme éclatant
Pure comme le vin rouge
Et innocente comme le printemps
Et il la regarde parce qu’il a envie d’elle
Elle le regarde aussi parce que peut-être elle aussi elle a envie de lui
C’est alors qu’arrive avec son petit orgue
Un grand canard de Barbarie
Et il joue un air de tous les temps et de tous les pays
Et la noce commence
La noce proprement dite
Précise William Blake
Car il y a des choses qui sont si mal dites
Et si malproprement
C’est pour la messe que vous dites ça
Demande un vieil homme à tête de prophète ou d’évêque
Et qui a l’air très contrarié
Mais William Blake est un gentleman
Un homme gentil comme on dit en Angleterre
Et il n’a pas du tout envie de discuter avec un évêque
Le jour du mariage du Ciel et de l’Enfer
Et aussi même qui sait peut-être par la même occasion
Le jour de ses propres noces
Puisque la jolie fille est si belle
Et que sans aucun doute il l’aime
Et que peut-être elle l’aime aussi
Alors il se contente de dire
A l’homme à la tête d’évêque ou de prophète ou d’épingle de sûreté
« De même que la chenille choisit pour y poser ses œufs
Les feuilles les plus belles ainsi le prêtre pose ses malédictions sur nos plus belles joies »
Et alors en avant la musique
Pour la messe nous en reparlerons une autre fois
Et comme il a dit En avant la musique
La musique s’avance
Et derrière elle la fille éblouissante
Qui sourit à William Blake
Parce qu’un jour il a dit aussi
« C’est avec les pierres de la loi qu’on a bâti les prisons
Et avec les briques de la religion les bordels »
Et elle lui donne le bras
Et tout le reste avec
Et qui est-ce qui est bien content
C’est William
William Blake.
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9 août 2013 à 13 01 23 08238
Osiris ou la fuite en Égypte
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
C’est la guerre c’est l’été
Déjà l’été encore la guerre
Et la ville isolée désolée
Sourit sourit encore
Sourit sourit quand même
De son doux regard d’été
Sourit doucement à ceux qui s’aiment
C’est la guerre c’est l’été
Un homme avec une femme
Marchent dans un musée désert
Ce musée c’est le Louvre
Cette ville c’est Paris
Et la fraicheur du monde
Est là tout endormie
Un gardien se réveille en entendant les pas
Appuie sur un bouton et retombe dans son rêve
Cependant qu’apparaît dans sa niche de pierre
La merveille de l’Égypte debout dans sa lumière
La statue d’Osiris vivante dans le bois mort
Vivante à faire mourir une nouvelle fois de plus
Toutes les idoles mortes des églises de Paris
Et les amants s’embrassent
Osiris les marie
Et puis rentre dans l’ombre
De sa vivante nuit.
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9 août 2013 à 13 01 26 08268
Page d’écriture
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize…
Répétez! dit le maître
Deux et deux quatre
quatre et quatre huit
huit et huit font seize.
Mais voilà l’oiseau-lyre
qui passe dans le ciel
l’enfant le voit
l’enfant l’entend
l’enfant l’appelle:
Sauve-moi
joue avec moi
oiseau!
Alors l’oiseau descend
et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre…
Répétez! dit le maître
et l’enfant joue
l’oiseau joue avec lui…
Quatre et quatre huit
huit et huit font seize
et seize et seize qu’est-ce qu’ils font?
Ils ne font rien seize et seize
et surtout pas trente-deux
de toute façon
et ils s’en vont.
Et l’enfant a caché l’oiseau
dans son pupitre
et tous les enfants
entendent sa chanson
et tous les enfants
entendent la musique
et huit et huit à leur tour s’en vont
et quatre et quatre et deux et deux
à leur tour fichent le camp
et un et un ne font ni une ni deux
un à un s’en vont également.
Et l’oiseau-lyre joue
et l’enfant chante
et le professeur crie:
Quand vous aurez fini de faire le pitre!
Mais tous les autres enfants
écoutent la musique
et les murs de la classe
s’écroulent tranquillement.
Et les vitres redeviennent sable
l’encre redevient eau
les pupitres redeviennent arbres
la craie redevient falaise
le porte-plume redevient oiseau.
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9 août 2013 à 13 01 48 08488
Paris at night
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Trois allumettes une à une allumées dans la nuit
La première pour voir ton visage tout entier
La seconde pour voir tes yeux
La dernière pour voir ta bouche
Et l’obscurité tout entière pour me rappeler tout cela
En te serrant dans mes bras.
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9 août 2013 à 14 02 14 08148
Pater noster
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Notre Père qui êtes aux cieux
Restez-y
Et nous nous resterons sur la terrre
Qui est quelquefois si jolie
Avec ses mystères de New York
Et puis ses mystères de Paris
Qui valent bien celui de la Trinité
Avec son petit canal de l’Ourcq
Sa grande muraille de Chine
Sa rivière de Morlaix
Ses bêtises de Cambrai
Avec son Océan Pacifique
Et ses deux bassins aux Tuilleries
Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
Avec toutes les merveilles du monde
Qui sont là
Simplement sur la terre
Offertes à tout le monde
Éparpillées
Émerveillées elles-même d’être de telles merveilles
Et qui n’osent se l’avouer
Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer
Avec les épouvantables malheurs du monde
Qui sont légion
Avec leurs légionnaires
Aves leur tortionnaires
Avec les maîtres de ce monde
Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres
Avec les saisons
Avec les années
Avec les jolies filles et avec les vieux cons
Avec la paille de la misère pourrissant dans l’acier des canons.
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9 août 2013 à 14 02 31 08318
Place du carrousel
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Place du Carrousel
vers la fin d’un beau jour d’été
le sang d’un cheval
accidenté et dételé
ruisselait
sur le pavé
Et le cheval était là
debout
immobile
sur trois pieds
Et l’autre pied blessé
blessé et arraché
pendait
Tout à côté
debout
immobile
il y avait aussi le cocher
et puis la voiture elle aussi immobile
inutile comme une horloge cassée
Et le cheval se taisait
le cheval ne se plaignait pas
le cheval ne hennissait pas
il était là
il attendait
et il était si beau si triste si simple
et si raisonnable
qu’il n’était pas possible de retenir ses larmes.
Oh
jardins perdus
fontaines oubliées
prairies ensoleillées
oh douleur
splendeur et mystère de l’adversité
sang et lueurs
beauté frappée
Fraternité.
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9 août 2013 à 14 02 43 08438
Accueil > Les poètes > Poèmes et biographie de Jacques PRÉVERT > Pour faire le portrait d’un oiseau
Pour faire le portrait d’un oiseau
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile
pour l’oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l’arbre
sans rien dire
sans bouger …
Parfois l’oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s’il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
n’ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
s’il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
Faire ensuite le portrait de l’arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l’oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
Si l’oiseau ne chante pas
c’est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s’il chante c’est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l’oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
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9 août 2013 à 14 02 48 08488
Pour toi, mon amour
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Je suis allé au marché aux oiseaux
Et j’ai acheté des oiseaux
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché aux fleurs
Et j’ai acheté des fleurs
Pour toi
Mon amour
Je suis allé au marché à la ferraille
Et j’ai acheté des chaînes
De lourdes chaînes
Pour toi
Mon amour
Et je suis allé au marché aux esclaves
Et je t’ai cherchée
Mais je ne t’ai pas trouvée
Mon amour
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9 août 2013 à 15 03 10 08108
Premier jour
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Des draps blancs dans une armoire
Des draps rouges dans un lit
Un enfant dans sa mère
Sa mère dans les douleurs
Le père dans le couloir
Le couloir dans la maison
La maison dans la ville
La ville dans la nuit
La mort dans un cri
Et l’enfant dans la vie.
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9 août 2013 à 15 03 17 08178
Presque
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A Fontainebleau
Devant l’hôtel de l’Aigle Noir
Il y a un taureau sculpté par Rosa Bonheur
Un peu plus loin tout autour
Il y a la forêt
Et un peu plus loin encore
Joli corps
Il y a encore la forêt
Et le malheur
Et tout à côté le bonheur
Le bonheur avec les yeux cernés
Le bonheur avec des aiguilles de pin dans le dos
Le bonheur qui ne pense à rien
Le bonheur comme le taureau
Sculpté par Rosa Bonheur
Et puis le malheur
Le malheur avec une montre en or
Avec un train à prendre
Le malheur qui pense à tout …
A tout
A tout … à tout … à tout …
Et à tout
Et qui gagne « presque » à tous les coups
Presque.
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9 août 2013 à 15 03 21 08218
Promenade de Picasso
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelle
une pomme pose
face à face avec elle
un peintre de la réalité
essaie vainement de peindre
la pomme telle qu’elle est
mais
elle ne se laisse pas faire
la pomme
elle a son mot à dire
et plusieurs tours dans son sac de pomme
la pomme
et la voilà qui tourne
dans son assiette réelle
sournoisement sur elle-même
doucement sans bouger
et comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz parce qu’on veut malgré lui lui tirer le portrait la pomme se déguise en beau fruit déguisé
et c’est alors
que le peintre de la réalité
commence à réaliser
que toutes les apparences de la pomme sont contre lui
et
comme le malheureux indigent
comme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la merci de n’importe quelle association bienfaisante et charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilité
le malheureux peintre de la réalité
se trouve soudain alors être la triste proie
d’une innombrable foule d’associations d’idées
Et la pomme en tournant évoque le pommier
le Paradis terrestre et Ève et puis Adam
l’arrosoir l’espalier Parmentier l’escalier
le Canada les Hespérides la Normandie la Reinette et l’Api
le serpent du Jeu de Paume le serment du Jus de Pomme
et le péché originel
et les origines de l’art
et la Suisse avec Guillaume Tell
et même Isaac Newton
plusieurs fois primé à l’Exposition de la Gravitation Universelle
et le peintre étourdi perd de vue son modèle et s’endort
C’est alors que Picasso
qui passait par là comme il passe partout
chaque jour comme chez lui
voit la pomme et l’assiette et le peintre endormi
Quelle idée de peindre une pomme
dit Picasso
et Picasso mange la pomme
et la pomme lui dit Merci
et Picasso casse l’assiette
et s’en va en souriant
et le peintre arraché à ses songes
comme une dent
se retrouve tout seul devant sa toile inachevée
avec au beau milieu de sa vaisselle brisée
les terrifiants pépins de la réalité.
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9 août 2013 à 15 03 26 08268
Quartier libre
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
J’ai mis mon képi dans la cage
et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête
Alors
on ne salue plus
a demandé le commandant
Non
on ne salue plus
a répondu l’oiseau
Ah bon
excusez-moi je croyais qu’on saluait
a dit le commandant
Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
a dit l’oiseau.
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9 août 2013 à 15 03 56 08568
Quel jour sommes-nous…
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Quel jour sommes-nous
Nous sommes tous les jours
Mon amie
Nous sommes toute la vie
Mon amour
Nous nous aimons et nous vivons
Nous vivons et nous nous aimons
Et nous ne savons pas ce que c’est que la vie
Et nous ne savons pas ce que c’est que le jour
Et nous ne savons pas ce que c’est que l’amour.
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9 août 2013 à 15 03 57 08578
Riviera
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Assise sur une chaise longue
une dame à la langue fanée
une dame longue
plus longue que sa chaise longue
et très âgée
prend ses aises
on lui a dit sans doute que la mer était là
alors elle la regarde
mais elle ne la voit pas
et les présidents passent et la saluent très bas
c’est la baronne Crin
la reine de la carie dentaire
son mari c’est le baron Crin
le roi du fumier de lapin
et tous à ses grands pieds sont dans leurs petits souliers
et ils passent devant elle et la saluent très bas
de temps en temps
elle leur jette un vieux cure-dents
ils le sucent avec ravissement
en continuant leur promenade
leurs souliers neufs craquent et leurs vieux os aussi
et des villas arrive une musique blême
une musique aigre
et sure
comme les cris d’un nouveau-né trop longtemps négligé
c’est nos fils
c’est nos fils disent les présidents
et ils hochent la tête doucement et fièrement
et leurs petits prodiges
désespérément
se jettent à la figure leurs morceaux de piano
la baronne prête l’oreille
cette musique lui plaît
mais son oreille tombe
comme une vieille tuile d’un toit
elle regarde par terre
et elle ne la voit pas
mais l’aperçoit seulement
et la prend
tout bonnement
pour une feuille morte apportée par le vent
c’est alors que s’arrête
la triste clameur des enfants
que la baronne n’entendait plus d’ailleurs
que d’une oreille distraite
et dépareillée
et que surgissent brusquement
gambadent dans sa pauvre tête
en toute liberté
les vieux refrains puérils méchants et périmés
de sa mémoire inquiète usée et déplumée
et comme elle cherche vainement
pour passer le temps
qui la menace et qui la guette
un bon regret bien triste et bien attendrissant
qui puisse la faire rire aux larmes
ou même pleurer tout simplement
elle ne trouve qu’un souvenir incongru inconvenant
l’image d’une vieille dame assise toute nue
sur la bosse d’un chameau
et qui tricote méchamment une omelette au guano.
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9 août 2013 à 15 03 59 08598
Rue de Seine
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Rue de Seine dix heures et demie
le soir
au coin d’une autre rue
un homme titube… un homme jeune
avec un chapeau
un imperméable
une femme le secoue…
elle le secoue
et elle lui parie
et il secoue la tête
son chapeau est tout de travers
et le chapeau de la femme s’apprête à tomber en arrière
ils sont très pâles tous les deux
l’homme certainement a envie de partir…
de disparaître… de mourir…
mais la femme a une furieuse envie de vivre
et sa voix
sa voix qui chuchote
on ne peut pas ne pas l’entendre
c’est une plainte…
un ordre…
un cri…
tellement avide cette voix…
et triste et vivante…
un nouveau-né malade qui grelotte sur une tombe
dans un cimetière l’hiver…
le cri d’un être les doigts pris dans la portière…
une chanson
une phrase
toujours la même
une phrase
répétée…
sans arrêt
sans réponse…
l’homme la regarde ses yeux tournent
il fait des gestes avec les bras
comme un noyé
et la phrase revient
rue de Seine au coin d’une autre rue
la femme continue
sans se lasser…
continue sa question inquiète
plaie impossible à panser
Pierre dis-moi la vérité
Pierre dis-moi la vérité
je veux tout savoir
dis-moi la vérité…
le chapeau de la femme tombe
Pierre je veux tout savoir
dis-moi la vérité…
question stupide et grandiose
Pierre ne sait que répondre
il est perdu
celui qui s’appelle Pierre…
il a un sourire que peut-être il voudrait tendre
et répète
Voyons calme-toi tu es folle
mais il ne croit pas si bien dire
mais il ne voit pas
il ne peut pas voir comment
sa bouche d’homme est tordue par son sourire.,.
il étouffe
le monde se couche sur lui
et l’étouffé
il est prisonnier
coincé par ses promesses…
on lui demande des comptes…
en face de lui…
une machine à compter
une machine à écrire des lettres d’amour
une machine à souffrir
le saisit…
s’accroche à lui…
Pierre dis-moi la vérité.
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9 août 2013 à 16 04 00 08008
Sables mouvants
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s’est retirée
Démons et merveilles
Vents et marées
Et toi
Comme une algue doucement caressée par le vent
Dans les sables du lit tu remues en rêvant
Démons et merveilles
Vents et marées
Au loin déjà la mer s’est retirée
Mais dans tes yeux entrouverts
Deux petites vagues sont restées
Démons et merveilles
Vents et marées
Deux petites vagues pour me noyer.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup