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Alicante Jacques PRÉVERT Recueil : « Paroles »

8 août 2013

Jacques PRÉVERT

Alicante  Jacques PRÉVERT Recueil : Alicante

Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »

Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie.

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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96 Réponses à “Alicante Jacques PRÉVERT Recueil : « Paroles »”

  1. Artisans de l'ombre Dit :

    La guerre déclarée
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    La guerre déclarée
    j’ai pris mon courage
    à deux mains
    et je l’ai étranglé.

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  2. Artisans de l'ombre Dit :

    La lessive
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Oh la terrible et surprenante odeur de viande qui meurt
    c’est l’été et pourtant les feuilles des arbres du jardin
    tombent et crèvent comme si c’était l’automne…
    cette odeur vient du pavillon
    où demeure monsieur Edmond
    chef de famille
    chef de bureau
    c’est le jour de la lessive
    et c’est l’odeur de la famille
    et le chef de famille
    chef de bureau
    dans son pavillon de chef-lieu de canton
    va et vient autour du baquet familial
    et répète sa formule favorite
    Il faut laver son linge sale en famille
    et toute la famille glousse d’horreur
    de honte
    frémit et brosse et frotte et brosse
    le chat voudrait bien s’en aller
    tout cela lui lève le cœur
    le cœur du petit chat de la maison
    mais la porte est cadenassée
    alors le pauvre petit chat dégueule
    le pauvre petit morceau de cœur
    que la veille il avait mangé
    de vieux portefeuilles flottent dans l’eau du baquet
    et puis des scapulaires… des suspensoirs…
    des bonnets de nuit… des bonnets de police…
    des polices d’assurance… des livres de comptes…
    des lettres d’amour où il est question d’argent
    des lettres anonymes où il est question d’amour
    une rosette de la légion d’honneur
    de vieux morceaux de coton à oreille
    des rubans
    une soutane
    un caleçon de vaudeville
    une robe de mariée
    une feuille de vigne
    une blouse d’infirmière
    un corset d’officier de hussards
    des langes
    une culotte de plâtre
    une culotte de peau…
    soudain de longs sanglots
    et le petit chat met ses pattes sur ses oreilles
    pour ne pas entendre ce bruit
    parce qu’il aime la fille
    et que c’est elle qui crie
    c’est à elle qu’on en voulait
    c’est la jeune fille de la maison
    elle est nue… elle crie… elle pleure…
    et d’un coup de brosse à chiendent sur la tête
    le père la rappelle à la raison
    elle a une tache
    la jeune fille de la maison
    et toute la famille la plonge
    et la replonge
    elle saigne
    elle hurle
    mais elle ne veut pas dire le nom…
    et le père hurle aussi
    Que tout ceci ne sorte pas d’ici
    Que tout ceci reste entre nous
    dit la mère
    et les fils les cousins les moustiques
    crient aussi
    et le perroquet sur son perchoir
    répète aussi
    Que tout ceci ne sorte pas d’ici
    honneur de la famille
    honneur du père
    honneur du fils
    honneur du perroquet Saint-Esprit
    elle est enceinte la jeune fille de la maison
    il ne faut pas que le nouveau-né
    sorte d’ici
    on ne connaît pas le nom du père
    au nom du père et du fils
    au nom du perroquet déjà nommé Saint-Esprit
    Que tout ceci ne sorte pas d’ici…
    avec sur le visage une expression surnaturelle
    la vieille grand-mère assise sur le rebord du baquet
    tresse une couronne d’immortelles artificielles
    pour l’enfant naturel…
    et la fille est piétinée
    la famille pieds nus
    piétine piétine et piétine
    c’est la vendange de la famille
    la vendange de l’honneur
    la jeune fille de la maison crève
    dans le fond…
    à la surface
    des globules de savon éclatent
    des globules blancs
    globules blêmes
    couleur d’enfant de Marie…
    et sur un morceau de savon
    un morpion se sauve avec ses petits
    l’horloge sonne une heure et demie
    et le chef de famille et de bureau
    met son couvre-chef sur son chef
    et s’en va
    traverse la place de chef-lieu de canton
    et rend le salut à son sous-chef
    qui le salue…
    les pieds du chef de famille sont rouges
    mais les chaussures sont bien cirées
    Il vaut mieux faire envie que pitié.

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  3. Artisans de l'ombre Dit :

    La morale de l’Histoire
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »

    Brunehaut sous ton image une légende épique
    Précise tes derniers moments chaotiques
    Et traînée par un cheval indompté
    Tu entres dans l’histoire en pièces détachées
    Mais la gravure te représente
    Nue sculpturale séduisante
    Et pourquoi ne pas l’avouer mon Dieu
    Désirable en diable
    Excitante
    Et pourtant Brunehaut
    Tu peux bien le dire maintenant
    Que tu es morte depuis si longtemps
    Quand tu es morte
    Historiquement
    Tu avais bien tout de même dans les quatre-vingts ans
    Et derrière ton fameux cheval indompté
    Tu devais plutôt ressembler
    Pauvre reine mère édentée et détrônée
    A une vieille casserole rouillée
    Attachée à la queue d’un chien
    Par d’impitoyables vauriens
    Qu’à l’image décrite plus haut
    De l’éblouissante Brunehaut
    Mais il faut bien faire un dessin
    Pour rendre l’histoire attachante
    Et le collégien qui se touche
    Évoquant tes fesses et tes seins
    En apprenant l’histoire de France
    Est attaché lui aussi
    Comme l’est le cheval fougueux
    Par la queue à tes faux cheveux
    Attaché à ton image
    Par la queue et par la main
    Désolante caresse de collège
    Minable orgie de patronage
    Dérisoire palais des mirages
    Mais Dieu qui sait prendre les choses de très haut
    Intervient fort judicieusement
    En faveur de son petit chanteur de la manécanterie
    Allez vous rhabiller Brunehaut
    C’est fini pour aujourd’hui le boulot
    Et Brunehaut monte sur son vieux cheval couronné
    Et Dieu monte à son tour et en croupe galamment derrière elle
    Et les voilà partis pour la grande écurie historique catholique apostolique
    Et romaine
    Dieu refermant sagement le livre derrière lui
    L’adolescent alors reprend ses sains esprits
    La chanson de geste est finie
    Et comme un garçon d’honneur qui vient de terminer d’un trait un étourdissant monologue
    Et qui voit soudain la table desservie
    Les lumières éteintes et les bosquets déserts
    Les garçons endormis et la mariée partie
    Il se trouve soudain horriblement gêné
    Et tout ce qu’il y a de plus seul et de plus honteux sur la terre
    Le remarquable et exemplaire bon élève des bons pères
    Tout seul comme un orphelin ordinaire
    Ou comme un veuf
    Tout seul au milieu de la classe
    Dans la pénombre et dans le désarroi
    Et dans une tenue dont le moins qu’on puisse dire
    C’est qu’elle est négligée
    Et il frissonne fébrile et dans tous ses états
    Y compris l’état de péché mortel
    Marié avec lui-même et pour la première fois
    Sans le consentement de ses parents
    Ni de qui d’autre que ce soit
    Et dans ses méninges les échos d’une absurde obscène musique
    résonnent encore
    La musique d’un obscène et triste manège
    Entraînant tournant sur lui-même et sous la pluie
    Dans un absurde paysage sans arbre sans âme qui vive sans maison sans perspective sans horizon
    Et sans rien qui vaille vraiment la peine d’être cité ici
    D’absurdes reines de France sur d’absurdes chevaux de bois mort
    Aux sons de l’absurde et obscène musique
    D’un absurde piano mécanique
    Mis en branle
    C’est précisément le cas de le dire
    Par un absurde chien battu mouillé velléitaire
    L’absurde chien battu du plaisir solitaire
    Traînant après sa queue l’ustensile imbécile
    L’ustensile sacré
    La casserole d’or du remords
    Et le chien affolé fonce dans le brouillard bousculant le décor
    Désespéré dans les couloirs
    Entraînant à sa suite dans une abominable contagion sonore
    Toute la batterie de cuisine du Saint Office des morts.

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  4. Artisans de l'ombre Dit :

    La pêche à la baleine
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
    Disait le père d’une voix courroucée
    A son fils Prosper, sous l’armoire allongé,
    A la pêche à la baleine, à la pêche à la baleine,
    Tu ne veux pas aller,
    Et pourquoi donc?
    Et pourquoi donc que j’irais pêcher une bête
    Qui ne m’a rien fait, papa,
    Va la pépé, va la pêcher toi-même,
    Puisque ça te plaît,
    J’aime mieux rester à la maison avec ma pauvre mère
    Et le cousin Gaston.
    Alors dans sa baleinière le père tout seul s’en est allé
    Sur la mer démontée…
    Voilà le père sur la mer,
    Voilà le fils à la maison,
    Voilà la baleine en colère,
    Et voilà le cousin Gaston qui renverse la soupière,
    La soupière au bouillon.
    La mer était mauvaise,
    La soupe était bonne.
    Et voilà sur sa chaise Prosper qui se désole:
    A la pêche à la baleine, je ne suis pas allé,
    Et pourquoi donc que j’y ai pas été?
    Peut-être qu’on l’aurait attrapée,
    Alors j’aurais pu en manger.
    Mais voilà la porte qui s’ouvre, et ruisselant d’eau
    Le père apparaît hors d’haleine,
    Tenant la baleine sur son dos.
    Il jette l’animal sur la table, une belle baleine aux yeux bleus,
    Une bête comme on en voit peu,
    Et dit d’une voix lamentable :
    Dépêchez-vous de la dépecer,
    J’ai faim, j’ai soif, je veux manger.
    Mais voilà Prosper qui se lève,
    Regardant son père dans le blanc des yeux,
    Dans le blanc des yeux bleus de son père,
    Bleus comme ceux de la baleine aux yeux bleus :
    Et pourquoi donc je dépècerais une pauvre bête qui m’a rien fait?
    Tant pis, j’abandonne ma part.
    Puis il jette le couteau par terre,
    Mais la baleine s’en empare, et se précipitant sur le père
    Elle le transperce de père en part.
    Ah, ah, dit le cousin Gaston,
    On me rappelle la chasse, la chasse aux papillons.
    Et voilà
    Voilà Prosper qui prépare les faire-part,
    La mère qui prend le deuil de son pauvre mari
    Et la baleine, la larme à l’œil contemplant le foyer détruit.
    Soudain elle s’écrie :
    Et pourquoi donc j’ai tué ce pauvre imbécile,
    Maintenant les autres vont me pourchasser en moto- godille
    Et puis ils vont exterminer toute ma petite famille.
    Alors, éclatant d’un rire inquiétant,
    Elle se dirige vers la porte et dit
    A la veuve en passant :
    Madame, si quelqu’un vient me demander,
    Soyez aimable et répondez :
    La baleine est sortie,
    Asseyez-vous,
    Attendez là,
    Dans une quinzaine d’années, sans doute elle reviendra…

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  5. Artisans de l'ombre Dit :

    La rue de Buci maintenant…
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Où est-il parti
    le petit monde fou du dimanche matin
    Qui donc a baissé cet épouvantable rideau de poussière et de fer sur cette rue
    cette rue autrefois si heureuse et si fière d’être rue
    comme une fille heureuse et fi ère d’être nue.
    Pauvre rue
    te voilà maintenant abandonnée dans le quartier
    abandonné lui-même dans la ville dépeuplée. Pauvre rue
    morne corridor menant d’un point mort à un autre point mort
    tes chiens maigres et seuls et ton gros mutilé de guerre
    qui a tellement maigri lui aussi
    et qui passe dans sa petite voiture mécanique
    traversant au hasard sans savoir où aller
    s’arrêtant n’importe où sans même savoir où c’est
    il s’était fait une raison d’homme
    une fois l’autre guerre finie
    une raison avec sa voiture
    une raison avec ses deux jambes arrachées
    et il avait ses petites habitudes
    on lui disait bonjour il connaissait tout le monde
    et tout le monde le connaissait.
    Et il roulait
    il s’arrêtait pour boire un verre il oubliait il plaisantait
    et puis il allait déjeuner
    et voilà qu’encore une fois tout a encore recommencé
    et il roule lentement dans sa rue
    et il ne la reconnaît plus
    et elle ne le reconnaît plus non plus
    et la misère debout fait la queue aux portes du malheur
    aux portes de l’ennui
    et la rue est vide et triste
    abandonnée comme une vieille boîte au lait
    et elle se tait.
    Pauvre rue qui ne veut plus qui ne peut plus rien dire
    pauvre rue dépareillée et sous-alimentée
    on t’a retiré le pain de la bouche
    on t’a arraché les ovaires
    on t’a coupé l’herbe sous le pied
    on t’a rentré tes chansons dans la gorge
    on t’a enlevé ta gaîté
    et le diamant de ton rire s’est brisé les dents
    sur le rideau de fer de la connerie et de la haine
    et les gosses du quartier ne sortent plus de chez le boulanger souriants en mangeant la pesée
    au Cours des Halles les sanguines
    les petits soleils de Valence
    ne roulent plus dans les balances
    dans les filets des ménagères
    abandonnant sur le trottoir
    leurs jolies robes de papier
    avec des toréadors et de belles cigarières
    imprimées de toutes les couleurs
    et puis des noms de villes étrangères
    pour faire rêver les étrangers.
    Et toi citron jaune
    toi qui trônais comme un seigneur au milieu de tes Portugaises vertes
    tu étais l’astre de la misère
    la lumière du repas de midi et demi.
    Où es-tu maintenant
    citron jaune qui venais des autres pays
    et toi vieille cloche qui vendais des crayons
    et qui trouvais dans le vin rouge et dans tes rêves sous les ponts
    d’extraordinaires balivernes des histoires d’un autre monde
    de prodigieuses choses sans nom
    où es-tu
    où sont tes crayons…
    Et vous marchandes à la sauvette
    où sont vos lacets vos oignons
    où est le bleu de la lessive
    où sont les aiguilles et le fil et les épingles de sûreté.
    Et vous filles des quatre saisons
    vous êtes là encore bien sûr
    mais le cœur n’y est plus
    le cœur de ce quartier
    le cœur de ces artères
    le cœur de cette rue
    et vous vendez de mauvaises herbes
    et vous avez beaucoup changé.
    Vos cris n’ont plus la même musique
    dans votre voix quelque chose est brisé…
    Et toi jolie fille
    qui te promenais
    et qui vivais
    autour et alentour de la rue de Buci
    toi qui grandissais dans ce paysage
    toi qui te promenais tous les matins
    avec ton chien
    avec ton pain
    et puis qui es partie
    maintenant tu es revenue
    et toi non plus tu ne reconnais plus ta rue.
    La rue où tu marchais le dimanche matin
    avec ton chien
    et puis ton pain
    tu venais à peine de te réveiller
    tes yeux étaient grands ouverts
    et brillaient
    et tu paraissais nue sous ta robe légère
    et tu souriais
    heureuse qu’on te regarde
    et d’être regardée
    devinée désirée
    caressée du regard par ta rue tout entière
    par ta rue de Buci
    qui fronçait le sourcil
    qui haussait les épaules
    qui faisait celle qui est en colère
    et te montrait du doigt
    et te traitait de tous les noms
    Si ce n’est pas une honte
    à son âge
    avez-vous déjà vu ça…
    et parlait d’en parler à ton père
    ta rue de Buci
    qui faisait l’indignée
    celle qui était en colère
    mais dans le fond
    heureuse et fière
    de ta beauté éblouissante
    de ta provocante jeunesse
    de ta merveilleuse pauvreté
    de ta merveilleuse liberté.

    Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup

  6. Artisans de l'ombre Dit :

    Lanterne magique de Picasso
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Tous les yeux d’une femme joués sur le même tableau
    Les traits de l’être aimé traqué par le destin sous la fleur immobile d’un sordide papier peint
    L’herbe blanche du meurtre dans une forêt de chaises
    Un mendiant de carton éventré sur une table de marbre
    Les cendres d’un cigare sur le quai d’une gare
    Le portrait d’un portrait
    Le mystère d’un enfant
    La splendeur indéniable d’un buffet de cuisine
    La beauté immédiate d’un chiffon dans le vent
    La folle terreur du piège dans un regard d’oiseau
    L’absurde hennissement d’un cheval décousu
    La musique impossible des mules à grelots
    Le taureau mis à mort couronné de chapeaux
    La jambe jamais pareille d’une rousse endormie et la très grande oreille de ses moindres soucis
    Le mouvement perpétuel attrapé à la main
    L’immense statue de pierre d’un grain de sel marin
    La joie de chaque jour et l’incertitude de mourir et le fer de l’amour dans la plaie d’un sourire
    La plus lointaine étoile du plus humble des chiens
    Et salé sur une vitre le tendre goût du pain
    La ligne de chance perdue et retrouvée brisée et redressée parée des haillons bleus de la nécessité
    L’étourdissante apparition d’un raisin de Malaga sur un gâteau de riz
    Un homme dans un bouge assommant à coups de rouge le mal du pays
    Et la lueur aveuglante d’un paquet de bougies
    Une fenêtre sur la mer ouverte comme une huître
    Le sabot d’un cheval le pied nu d’une ombrelle
    La grâce incomparable d’une tourterelle toute seule dans une maison très froide
    Le poids mort d’une pendule et ses moments perdus
    Le soleil somnambule qui réveille en sursaut au milieu de la nuit la Beauté somnolente et soudain éblouie qui jette sur ses épaules le manteau de la cheminée et l’entraîne avec lui dans le noir de fumée masquée de blanc d’Espagne et vêtue de papiers collés
    Et tant de choses encore
    Une guitare de bois vert berçant l’enfance de l’art
    Un ticket de chemin de fer avec tous ses bagages
    La main qui dépayse un visage qui dévisage un paysage
    L’écureuil caressant d’une fille neuve et nue
    Splendide souriante heureuse et impudique
    Surgissant à l’improviste d’un casier à bouteilles ou d’un casier à musique comme une panoplie de plantes vertes vivaces et phalliques
    Surgissant elle aussi à l’improviste du tronc pourrissant
    D’un palmier académique nostalgique et désespérément vieux beau comme l’antique
    Et les cloches à melon du matin brisées par le cri d’un journal du soir
    Les terrifiantes pinces d’un crabe émergeant des dessous d’un panier
    La dernière fleur d’un arbre avec les deux gouttes d’eau du condamné
    Et la mariée trop belle seule et abandonnée sur le divan cramoisi de la jalousie par la blême frayeur de ses premiers maris
    Et puis dans un jardin d’hiver sur le dossier d’un trône une chatte en émoi et la moustache de sa queue sous les narines d’un roi
    La chaux vive d’un regard dans le visage de pierre d’une vieille femme assise près d’un panier d’osier
    Et crispées sur le minium tout frais du garde-fou d’un phare tout blanc les deux mains bleues de froid d’un Arlequin errant qui regarde la mer et ses grands chevaux dormant dans le soleil couchant et puis qui se réveillent les naseaux écumants les yeux phosphorescents affolés par la lueur du phare et ses épouvantables feux tournants
    Et l’alouette toute rôtie dans la bouche d’un mendiant
    Une jeune infirme folle dans un jardin public qui souriant d’un sourire déchiré mécanique en berçant dans ses bras un enfant léthargique trace dans la poussière de son pied sale et nu la silhouette du père et ses profils perdus et présente aux passants son nouveau-né en loques Regardez donc mon beau regardez donc ma belle ma merveille des merveilles mon enfant naturel d’un côté c’est un garçon et de l’autre c’est une fille tous les matins il pleure mais tous les soirs je la console et je les remonte comme une pendule
    Et aussi le gardien du square fasciné par le crépuscule
    La vie d’une araignée suspendue à un fil
    L’insomnie d’une poupée au balancier cassé et ses grands yeux de verre ouverts à tout jamais
    La mort d’un cheval blanc la jeunesse d’un moineau
    La porte d’une école rue du Pont-de-Lodi
    Et les Grands Augustins empalés sur la grille d’une maison dans une petite rue dont ils portent le nom
    Tous les pêcheurs d’Antibes autour d’un seul poisson
    La violence d’un œuf la détresse d’un soldat
    La présence obsédante d’une clef cachée sous un paillasson
    Et la ligne de mire et la ligne de mort dans la main autoritaire et potelée d’un simulacre d’homme obèse et délirant camouflant soigneusement derrière les bannières exemplaires et les crucifix gammés drapés et dressés spectaculairement sur le grand balcon mortuaire du musée des horreurs et des honneurs de la guerre la ridicule statue vivante de ses petites jambes courtes et de son buste long mais ne parvenant pas malgré son bon sourire de Caudillo grandiose et magnanime à cacher les irrémédiables et pitoyables signes de la peur de l’ennui de la haine et de la connerie gravés sur son masque de viande fauve et blême comme les graffiti obscènes de la mégalomanie gravés par les lamentables tortionnaires de l’ordre nouveau dans les urinoirs de la nuit
    Et derrière lui dans le charnier d’une valise diplomatique entr’ouverte le cadavre tout simple d’un paysan pauvre assailli dans son champ à coups de lingots d’or par d’impeccables hommes d’argent
    Et tout à côté sur une table une grenade ouverte avec toute une ville dedans
    Et toute la douleur de cette ville rasée et saignée à blanc
    Et toute la garde civile caracolant tout autour d’une civière
    Où rêve encore un gitan mort
    Et toute la colère d’un peuple amoureux travailleur insouciant et charmant qui soudain éclate brusquement comme le cri rouge d’un coq égorgé publiquement
    Et le spectre solaire des hommes aux bas salaires qui surgit tout sanglant des sanglantes entrailles d’une maison ouvrière tenant à bout de bras la pauvre lueur de la misère la lampe sanglante de Guernica et découvre au grand jour de sa lumière crue et vraie les épouvantables fausses teintes d’un monde décoloré usé jusqu’à la corde vidé jusqu’à la moelle
    D’un monde mort sur pied
    D’un monde condamné
    Et déjà oublié
    Noyé carbonisé aux mille feux de l’eau courante du ruisseau populaire
    Où le sang populaire court inlassablement
    Intarissablement
    Dans les artères et dans les veines de la terre et dans les artères et dans les veines de ses véritables enfants
    Et le visage de n’importe lequel de ses enfants dessiné simplement sur une feuille de papier blanc
    Le visage d’André Breton le visage de Paul Éluard
    Le visage d’un charretier aperçu dans la rue
    La lueur du clin d’œil d’un marchand de mouron
    Le sourire épanoui d’un sculpteur de marrons
    Et sculpté dans le plâtre un mouton de plâtre frisé bêlant de vérité dans la main d’un berger de plâtre debout près d’un fer à repasser
    A côté d’une boîte à cigares vide
    A côté d’un crayon oublié
    A côté des Métamorphoses d’Ovide
    A côté d’un lacet de soulier
    A côté d’un fauteuil aux jambes coupées par la fatigue des années
    A côté d’un bouton de porte
    A côté d’une nature morte où les rêves enfantins d’une femme de ménage agonisent sur la pierre froide d’un évier comme des poissons suffoquant et crevant sur des galets brûlants
    Et la maison remuée de fond en comble par les pauvres cris de poisson mort de la femme de ménage désespérée tout à coup qui fait naufrage soulevée par les lames de fond du parquet et va s’échouer lamentablement sur les bords de la Seine dans les jardins du Vert-Galant
    Et là désemparée elle s’assoit sur un banc
    Et elle fait ses comptes
    Et elle ne se voit pas blanche pourrie par les souvenirs et fauchée comme les blés
    Une seule pièce lui reste une chambre à coucher
    Et comme elle va la jouer à pile ou face avec le vain espoir de gagner un peu de temps
    Un grand orage éclate dans la glace à trois faces
    Avec toutes les flammes de la joie de vivre
    Tous les éclairs de la chaleur animale
    Toutes les lueurs de la bonne humeur
    Et donnant le coup de grâce à la maison désorientée
    Incendie les rideaux de la chambre à coucher
    Et roulant en boule de feu les draps au pied du lit
    Découvre en souriant devant le monde entier
    Le puzzle de l’amour avec tous ses morceaux
    Tous ses morceaux choisis choisis par Picasso
    Un amant sa maîtresse et ses jambes à son cou
    Et les yeux sur les fesses les mains un peu partout
    Les pieds levés au ciel et les seins sens dessus dessous
    Les deux corps enlacés échangés caressés
    L’amour décapité délivré et ravi
    La tête abandonnée roulant sur le tapis
    Les idées délaissées oubliées égarées
    Mises hors d’état de nuire par la joie et le plaisir
    Les idées en colère bafouées par l’amour en couleur
    Les idées terrées et atterrées comme les pauvres rats de la mort sentant venir le bouleversant naufrage de l’Amour
    Les idées remises à leur place à la porte de la chambre à côté du pain à côté des souliers
    Les idées calcinées escamotées volatilisées désidéalisées
    Les idées pétrifiées devant la merveilleuse indifférence d’un monde passionné
    D’un monde retrouvé
    D’un monde indiscutable et inexpliqué
    D’un monde sans savoir-vivre mais plein de joie de vivre
    D’un monde sobre et ivre
    D’un monde triste et gai
    Tendre et cruel
    Réel et surréel
    Terrifiant et marrant
    Nocturne et diurne
    Solite et insolite
    Beau comme tout.

    1944.

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  7. Artisans de l'ombre Dit :

    Le bouquet
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Que faites-vous là petite fille
    Avec ces fleurs fraîchement coupées
    Que faites-vous là jeune fille
    Avec ces fleurs ces fleurs séchées
    Que faites-vous là jolie femme
    Avec ces fleurs qui se fanent
    Que faites-vous là vieille femme
    Avec ces fleurs qui meurent
    J’attends le vainqueur.

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  8. Artisans de l'ombre Dit :

    Le cancre
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Il dit non avec la tête
    mais il dit oui avec le coeur
    il dit oui à ce qu’il aime
    il dit non au professeur
    il est debout
    on le questionne
    et tous les problèmes sont posés
    soudain le fou rire le prend
    et il efface tout
    les chiffres et les mots
    les dates et les noms
    les phrases et les pièges
    et malgré les menaces du maître
    sous les huées des enfants prodiges
    avec les craies de toutes les couleurs
    sur le tableau noir du malheur
    il dessine le visage du bonheur.

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  9. Artisans de l'ombre Dit :

    Le cheval rouge
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Dans les manèges du mensonge
    Le cheval rouge de ton sourire
    Tourne
    Et je suis là debout planté
    Avec le triste fouet de la réalité
    Et je n’ai rien à dire
    Ton sourire est aussi vrai
    Que mes quatre vérités.

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  10. Artisans de l'ombre Dit :

    Le combat avec l’ange
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    A J.-B. Brunius

    N’y va pas
    tout est combiné d’avance
    le match est truqué
    et quand il apparaîtra sur le ring
    environné d’éclairs de magnésium
    ils entonneront à tue-tête le Te Deum
    et avant même que tu te sois levé de ta chaise
    ils te sonneront les cloches à toute volée
    ils te jetteront à la figure l’éponge sacrée
    et tu n’auras pas le temps de lui voler dans les plumes
    ils se jetteront sur toi
    et il te frappera au-dessous de la ceinture
    et tu t’écrouleras
    les bras stupidement en croix
    dans la sciure
    et jamais plus tu ne pourras faire l’amour.

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  11. Artisans de l'ombre Dit :

    Le concert n’a pas été réussi
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Compagnons des mauvais jours
    Je vous souhaite une bonne nuit
    Et je m’en vais.
    La recette a été mauvaise
    C’est de ma faute
    Tous les torts sont de mon côté
    J’aurais dû vous écouter
    J’aurais dû jouer du caniche
    C’est une musique qui plaît
    Mais je n’en ai fait qu’à ma tête
    Et puis je me suis énervé.
    Quand on joue du chien à poil dur
    Il faut ménager son archet
    Les gens ne viennent pas au concert
    Pour entendre hurler à la mort
    Et cette chanson de la Fourrière
    Nous a causé le plus grand tort.
    Compagnons des mauvais jours
    Je vous souhaite une bonne nuit
    Dormez
    Rêvez
    Moi je prends ma casquette
    Et puis deux ou trois cigarettes dans le paquet
    Et je m’en vais…
    Compagnons des mauvais jours
    Pensez à moi quelquefois
    Plus tard…
    Quand vous serez réveillés
    Pensez à celui qui joue du phoque et du saumon fumé
    Quelque part…
    Le soir
    Au bord de la mer
    Et qui fait ensuite la quête
    Pour acheter de quoi manger
    Et de quoi boire…
    Compagnons des mauvais jours
    Je vous souhaite une bonne nuit…
    Dormez
    Rêvez
    Moi je m’en vais.

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  12. Artisans de l'ombre Dit :

    Le contrôleur
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Allons allons
    Pressons
    Allons allons
    Voyons pressons
    Il y a trop de voyageurs
    Trop de voyageurs
    Pressons pressons
    H y en a qui font la queue
    Il y en a partout
    Beaucoup
    Le long du débarcadère
    Ou bien dans les couloirs du ventre de leur mère
    Allons allons pressons
    Pressons sur la gâchette
    Il faut bien que tout le monde vive
    Alors tuez-vous un peu
    Allons allons
    Voyons
    Soyons sérieux
    Laissez la place
    Vous savez bien que vous ne pouvez pas rester là
    Trop longtemps
    Il faut qu’il y en ait pour tout le monde
    Un petit tour on vous l’a dit
    Un petit tour du monde
    Un petit tour dans le monde
    Un petit tour et on s’en va
    Allons allons
    Pressons pressons
    Soyez polis
    Ne poussez pas.

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  13. Artisans de l'ombre Dit :

    Le désespoir est assis sur un banc
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Dans un square sur un banc
    Il y a un homme qui vous appelle quand on passe
    Il a des binocles un vieux costume gris
    Il fume un petit ninas il est assis
    Et il vous appelle quand on passe
    Ou simplement il vous fait signe
    Il ne faut pas le regarder
    Il ne faut pas l’écouter
    Il faut passer
    Faire comme si on ne le voyait pas
    Comme si on ne l’entendait pas
    Il faut passer presser le pas
    Si vous le regardez
    Si vous l’écoutez
    Il vous fait signe et rien ni personne
    Ne peut vous empêcher d’aller vous asseoir près de lui
    Alors il vous regarde et sourit
    Et vous souffrez atrocement
    Et l’homme continue de sourire
    Et vous souriez du même sourire
    Exactement
    Plus vous souriez plus vous souffrez
    Atrocement
    Plus vous souffrez plus vous souriez
    Irrémédiablement
    Et vous restez là
    Assis figé
    Souriant sur le banc
    Des enfants jouent tout près de vous
    Des passants passent
    Tranquillement
    Des oiseaux s’envolent
    Quittant un arbre
    Pour un autre
    Et vous restez là
    Sur le banc
    Et vous savez vous savez
    Que jamais plus vous ne jouerez
    Comme ces enfants
    Vous savez que jamais plus vous ne passerez
    Tranquillement
    Comme ces passants
    Que jamais plus vous ne vous envolerez
    Quittant un arbre pour un autre
    Comme ces oiseaux.

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  14. Artisans de l'ombre Dit :

    Le discours sur la paix
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Vers la fin d’un discours extrêmement important
    le grand homme d’État trébuchant
    sur une belle phrase creuse
    tombe dedans
    et désemparé la bouche grande ouverte
    haletant
    montre les dents
    et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
    met à vif le nerf de la guerre
    la délicate question d’argent.

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  15. Artisans de l'ombre Dit :

    Le droit chemin
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    A chaque kilomètre
    chaque année
    des vieillards au front borné
    indiquent aux enfants la route
    d’un geste de ciment armé.

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  16. Artisans de l'ombre Dit :

    Le discours sur la paix

    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Vers la fin d’un discours extrêmement important
    le grand homme d’État trébuchant
    sur une belle phrase creuse
    tombe dedans
    et désemparé la bouche grande ouverte
    haletant
    montre les dents
    et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
    met à vif le nerf de la guerre
    la délicate question d’argent.

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  17. Artisans de l'ombre Dit :

    Le grand homme
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Chez un tailleur de pierre
    où je l’ai rencontré
    il faisait prendre ses mesures
    pour la postérité.

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  18. Artisans de l'ombre Dit :

    Le jardin
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Des milliers et des milliers d’années
    Ne sauraient suffire
    Pour dire
    La petite seconde d’éternité
    Où tu m’as embrassé
    Où je t’ai embrassée
    Un matin dans la lumière de l’hiver
    Au parc Montsouris à Paris
    A Paris
    Sur la terre
    La terre qui est un astre.

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  19. Artisans de l'ombre Dit :

    Le message
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    La porte que quelqu’un a ouverte
    La porte que quelqu’un a refermée
    La chaise où quelqu’un s’est assis
    Le chat que quelqu’un a caressé
    Le fruit que quelqu’un a mordu
    La lettre que quelqu’un a lue
    La chaise que quelqu’un a renversée
    La porte que quelqu’un a ouverte
    La route où quelqu’un court encore
    Le bois que quelqu’un traverse
    La rivière où quelqu’un se jette
    L’hôpital où quelqu’un est mort.

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  20. Artisans de l'ombre Dit :

    Le Ministre de la guerre
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Le Ministre de la guerre :
    Je poursuis.
    Un hôpital détruit : dix, cent -
    et je suis modeste -
    peuvent être reconstruits
    Et, le projet adopté à l’unanimité,
    la nuit est tombée,
    l’hôpital a sauté avec aux alentours quelques bribes du quartier.
    Le jour se lève sur la ville
    où le rire s’amenuise, se dissipe et disparaît.
    Tout redevient sérieux.
    La vie, comme la Bourse, reprend son cours
    et la mobilisation générale se poursuit de façon normale.

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  21. Artisans de l'ombre Dit :

    Le miroir brisé
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Le petit homme qui chantait sans cesse
    le petit homme qui dansait dans ma tête
    le petit homme de la jeunesse
    a cassé son lacet de soulier
    et toutes les baraques de la fête
    tout d’un coup se sont écroulées
    et dans le silence de cette fête
    j’ai entendu ta voix heureuse
    ta voix déchirée et fragile
    enfantine et désolée
    venant de loin et qui m’appelait
    et j’ai mis ma main sur mon coeur
    où remuaient
    ensanglantés
    les septs éclats de glace de ton rire étoilé.

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  22. Artisans de l'ombre Dit :

    Le paysage changeur
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »

    De deux choses lune
    l’autre c’est le soleil
    les pauvres les travailleurs ne voient pas ces choses
    leur soleil c’est la soif la poussière la sueur le goudron
    et s’ils travaillent en plein soleil le travail leur cache le soleil
    leur soleil c’est l’insolation
    et le clair de lune pour les travailleurs de nuit
    c’est la bronchite la pharmacie les emmerdements les ennuis
    et quand le travailleur s’endort il est bercé par l’insomnie
    et quand son réveil le réveille
    il trouve chaque jour devant son lit
    la sale gueule du travail
    qui ricane qui se fout de lui
    alors il se lève
    alors il se lave
    et puis il sort à moitié éveillé à moitié endormi
    il marche dans la rue à moitié éveillée à moitié endormie
    et il prend l’autobus
    le service ouvrier
    et l’autobus le chauffeur le receveur
    et tous les travailleurs à moitié réveillés à moitié endormis
    traversent le passage figé entre le petit jour et la nuit
    le paysage de briques de fenêtres à courants d’air de corridors
    le paysage éclipse
    le paysage prison
    le paysage sans air sans lumière sans rires ni saisons
    le paysage glacé des cités ouvrières glacées en plein été comme au cœur de l’hiver
    le paysage éteint
    le paysage sans rien
    le paysage exploité affamé dévoré escamoté
    le paysage charbon
    le paysage poussière
    le paysage cambouis
    le paysage mâchefer
    le paysage châtré gommé effacé relégué et rejeté dans l’ombre
    dans la grande ombre
    l’ombre du capital
    l’ombre du profit.
    Sur ce paysage parfois un astre luit
    un seul
    le faux soleil
    le soleil blême
    le soleil couché
    le soleil chien du capital
    le vieux soleil de cuivre
    le vieux soleil clairon
    le vieux soleil ciboire
    le vieux soleil fistule
    le dégoûtant soleil du roi soleil
    le soleil d’Austerlitz
    le soleil de Verdun
    le soleil fétiche
    le soleil tricolore et incolore
    l’astre des désastres
    l’astre de la vacherie
    l’astre de la tuerie
    l’astre de la connerie
    le soleil mort.

    Et le paysage à moitié construit à moitié démoli
    à moitié réveillé à moitié endormi
    s’effondre dans la guerre le malheur et l’oubli
    et puis il recommence une fois la guerre finie
    il se rebâtit lui-même dans l’ombre
    et le capital sourit
    mais un jour le vrai soleil viendra
    un vrai soleil dur qui réveillera le paysage trop mou
    et les travailleurs sortiront
    ils verront alors le soleil
    le vrai le dur le rouge soleil de la révolution
    et ils se compteront
    et ils se comprendront
    et ils verront leur nombre
    et ils regarderont l’ombre
    et ils riront
    et ils s’avanceront
    une dernière fois le capital voudra les empêcher de rire
    ils le tueront
    et ils l’enterreront dans la terre sous le paysage de misère
    et le paysage de misère de profits de poussières et de charbon
    ils le brûleront
    ils le raseront
    et ils en fabriqueront un autre en chantant
    un paysage tout nouveau tout beau
    un vrai paysage tout vivant
    ils feront beaucoup de choses avec le soleil
    et même ils changeront l’hiver en printemps.

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  23. Artisans de l'ombre Dit :

    Le retour au pays

    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    C’est un Breton qui revient au pays natal
    Après avoir fait plusieurs mauvais coups
    Il se promène devant les fabriques à Douarnenez
    Il ne reconnaît personne
    Personne ne le reconnaît
    Il est très triste.
    N entre dans une crêperie pour manger des crêpes
    Mais il ne peut pas en manger
    Il a quelque chose qui les empêche de passer
    Il paye
    Il sort
    Il allume une cigarette
    Mais il ne peut pas la fumer.
    Il y a quelque chose
    Quelque chose dans sa tête
    Quelque chose de mauvais
    Il est de plus en plus triste
    Et soudain il se met à se souvenir :
    Quelqu’un lui a dit quand il était petit
    « Tu finiras sur l’échafaud »
    Et pendant des années
    Il n’a jamais osé rien faire
    Pas même traverser la rue
    Pas même partir sur la mer
    Rien absolument rien.
    Il se souvient.
    Celui qui avait tout prédit c’est l’oncle Grésillard
    L’oncle Grésillard qui portait malheur à tout le monde
    La vache!
    Et le Breton pense à sa sœur
    Qui travaille à, Vaugirard
    A son frère mort à la guerre
    Pense à toutes les choses qu’il a vues
    Toutes les choses qu’il a faites.
    La tristesse se serre contre lui
    Il essaie une nouvelle fois
    D’allumer une cigarette
    Mais il n’a Pas envie de fumer
    Alors il décide d’aller chez l’oncle Grésillard.
    Il y va
    Il ouvre la porte
    L’oncle ne le reconnaît pas
    Mais lui le reconnaît
    Et lui dit :
    « Bonjour oncle Grésillard »
    Et puis il lui tord le cou.
    Et il finit sur l’échafaud à Quimper
    Après avoir mangé deux douzaines de crêpes
    Et fumé une cigarette.

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  24. Artisans de l'ombre Dit :

    Le sultan
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Dans les montagnes de Cachemire
    Vit le sultan de Salamandragore
    Le jour il fait tuer un tas de monde
    Et quand vient le soir il s’endort
    Mais dans ses cauchemars les morts se cachent
    Et le dévorent
    Alors une nuit il se réveille
    En poussant un grand cri
    Et le bourreau tiré de son sommeil
    Arrive souriant au pied du lit
    S’il n’y avait pas de vivants
    Dit le sultan
    Il n’y aurait pas de morts
    Et le bourreau répond D’accord
    Que tout le reste y passe alors
    Et qu’on n’en parle plus
    D’accord dit le bourreau
    C’est tout ce qu’il sait dire
    Et tout le reste y passe comme le sultan l’a dit
    Les femmes les enfants les siens et ceux des autres
    Le veau le loup la guêpe et la douce brebis
    Le bon vieillard intègre et le sobre chameau
    Les actrices des théâtres le roi des animaux
    Les planteurs de bananes les faiseurs de bons mots
    Et les coqs et leurs poules les œufs avec leur coque
    Et personne ne reste pour enterrer quiconque
    Comme ça ça va
    Bit le sultan de Salamandragore
    Mais reste là bourreau
    Là tout près de moi
    Et tue-moi
    Si jamais je me rendors.

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  25. Artisans de l'ombre Dit :

    Le temps des noyaux
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Soyez prévenus vieillards
    soyez prévenus chefs de famille
    le temps où vous donniez vos fils à la patrie
    comme on donne du pain aux pigeons
    ce temps-là ne reviendra plus
    prenez-en votre parti
    c’est fini
    le temps des cerises ne reviendra plus
    et le temps des noyaux non plus
    inutile de gémir
    allez plutôt dormir
    vous tombez de sommeil
    votre suaire est fraîchement repassé
    le marchand de sable va passer
    préparez vos mentonnières
    fermez vos paupières
    le marchand de gadoue va vous emporter
    c’est fini les trois mousquetaires
    voici le temps des égoutiers

    Lorsque avec un bon sourire dans le métropolitain
    poliment vous nous demandiez
    deux points ouvrez les guillemets
    descendez-vous à la prochaine
    jeune homme
    c’est de la guerre dont vous parliez
    mais vous ne nous ferez plus le coup du père Français
    non mon capitaine
    non monsieur un tel
    non papa
    non maman
    nous ne descendrons pas à la prochaine
    ou nous vous descendrons avant
    on vous foutra par la portière
    c’est plus pratique que le cimetière
    c’est plus gai
    plus vite fait
    c’est moins cher

    Quand vous tiriez à la courte paille
    c’était toujours le mousse qu’on bouffait
    mais le temps des joyeux naufrages est passé
    lorsque les amiraux tomberont à la mer
    ne comptez pas sur nous pour leur jeter la bouée
    à moins qu’elle ne soit en pierre
    ou en fer à repasser
    il faut en prendre votre parti
    le temps des vieux vieillards est fini

    Lorsque vous reveniez de la revue
    avec vos enfants sur vos épaules
    vous étiez saouls sans avoir rien bu
    et votre moelle épinière
    faisait la folle et la fière
    devant la caserne de la Pépinière
    vous travailliez de la crinière
    quand passaient les beaux cuirassiers
    et la musique militaire
    vous chatouillait de la tête aux pieds
    vous chatouillait
    et les enfants que vous portiez sur vos épaules
    vous les avez laissés glisser dans la boue tricolore
    dans la glaise des morts
    et vos épaules se sont voûtées
    il faut bien que jeunesse se passe
    vous l’avez laissée trépasser

    Hommes honorables et très estimés
    dans votre quartier
    vous vous rencontrez
    vous vous congratulez
    vous vous coagulez
    hélas hélas cher Monsieur Babylas
    j’avais trois fils et je les ai donnés
    à la patrie
    hélas hélas cher Monsieur de mes deux
    moi je n’en ai donné que deux
    on fait ce qu’on peut
    ce que c’est que de nous…
    avez-vous toujours mal aux genoux
    et la larme à l’œil
    la fausse morve de deuil
    le crêpe au chapeau
    les pieds bien au chaud
    les couronnes mortuaires
    et l’ail dans le gigot
    vous souvenez-vous de l’avant-guerre
    les cuillères à absinthe les omnibus à chevaux
    les épingles à cheveux
    les retraites aux flambeaux
    ah que c’était beau
    c’était le bon temps

    Bouclez-la vieillards
    cessez de remuer votre langue morte
    entre vos dents de faux ivoire
    le temps des omnibus à cheveux
    le temps des épingles à chevaux
    ce temps-là ne reviendra plus
    à droite par quatre
    rassemblez vos vieux os
    le panier à salade
    le corbillard des riches est avancé
    fils de saint Louis montez au ciel
    la séance est terminée
    tout ce joli monde se retrouvera là-haut
    près du bon dieu des flics
    dans la cour du grand dépôt

    En arrière grand-père
    en arrière père et mère
    en arrière grands-pères
    en arrière vieux militaires
    en arrière les vieux aumôniers
    en arrière les vieilles aumônières
    la séance est terminée
    maintenant pour les enfants
    le spectacle va commencer.

    1936

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  26. Artisans de l'ombre Dit :

    Le temps perdu
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Devant la porte de l’usine.
    le travailleur soudain s’arrête
    le beau temps l’a tiré par la veste
    et comme il se retourne
    et regarde le soleil
    tout rouge tout rond
    souriant dans son ciel de plomb
    il cligne de l’œil
    familièrement
    Dis donc camarade Soleil
    tu ne trouves pas
    que c’est plutôt con
    de donner une journée pareille
    à un patron?

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  27. Artisans de l'ombre Dit :

    Accueil > Les poètes > Poèmes et biographie de Jacques PRÉVERT > Les belles familles
    Les belles familles
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Louis I
    Louis II
    Louis III
    Louis IV
    Louis V
    Louis VI
    Louis VII
    Louis VIII
    Louis IX
    Louis X (dit le Hutin)
    Louis XI
    Louis XII
    Louis XIII
    Louis XIV
    Louis XV
    Louis XVI
    Louis XVIII
    et plus personne plus rien…
    Qu’est-ce que c’est que ces gens-là
    qui ne sont pas foutus
    de compter jusqu’à vingt?

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  28. Artisans de l'ombre Dit :

    Les grandes inventions
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Écoutez comme elle craque le soir l’armoire
    la grande armoire à glace
    la grande armoire à rafraîchir
    la grande armoire à glace à rafraîchir la mémoire des lièvres
    Il y a un lièvre dans chaque tiroir
    et chaque lièvre dans le froid rafraîchi
    comme un fruit glacé
    comme un marron glacé
    se trouve comme ça soudain
    plongé dans son passé
    mais ils ne se rappellent rien du tout
    les lièvres
    Mais l’homme savent a beau perfectionner les meubles
    et supplier tremblant de fièvre
    les lièvres
    et faire l’aimable
    Voyons voyons
    je suis le professeur Cocon
    J’ai déjà inventé le ver à. soie
    vous n’allez pas me faire ça à moi
    allons allons rappelez-vous
    d’où venez-vous
    où étiez-vous autrefois
    mais les lièvres ne répondent pas
    Alors le professeur installe
    un grand nouveau système d’horlogerie
    avec un sablier à pédale
    des calendriers à coulisses
    et puis un très petit arbre généalogique
    avec des lapins à musique
    Et puis l’infra-rouge
    et le système bleu
    mais rien ne bouge
    c’est lamentable
    dans la tête des lièvres
    Il a beau se donner un mal de chien
    le pauvre malheureux
    mnémotechnicien
    toutes ces petites bêtes
    ah vraiment c’est trop bête
    n’en font qu’à leur tête
    Alors il tourne autour des meubles
    la tête dans ses mains
    et il pleure
    et il pleure
    Soudain il sent ses mains mouillées per les pleurs
    Tiens et voilà
    que je pleure maintenant
    Hélas! C’est la grande pitié
    des armoires à lièvres de France
    Oh! lièvres
    vous n’allez tout de même pas laisser pleurer un professeur
    allons faites un petit effort
    lièvres souvenez-vous
    descendez-vous du singe
    ou bien du kangourou
    Lièvres
    ne voyez-vous pas
    comme je suis malheureux
    voyons faites un tout petit effort
    ce n’est tout de même pas une affaire
    que de se rappeler
    puisque tout le monde le fait
    Lièvres
    je vous en prie
    souvenez-vous du jour
    du fameux jour
    où la tortue est arrivée avant vous
    Mais du tiroir aux lièvres
    aucune réponse ne vient
    Tristes petits ingrats
    et sales petits vauriens
    pense le professeur
    Et il s’assoit par terre
    la tête dans les deux mains
    Ah vraiment il y a des soirs comme cela
    où on se demande si la terre tourne bien
    et pourtant elle tourne
    Et Dieu la fait tourner
    c’est un fait
    Dieu est bon il fait bien ce qu’il fait
    c’est ce sale petit monde de lièvres
    qui est mauvais
    Et voilà ce bon professeur
    qui rêve d’une machine à perfectionner le civet
    Mais tout de même il se secoue
    il lutte contre le découragement
    Il se répète dans son petit soi-même
    En avant en avant
    En avant en avant
    et il refait ses calculs
    il vérifie la preuve par l’œuf
    et toutes les preuves qu’il faut
    et ses calculs sont justes
    et sans aucun défaut
    Soudain il sursaute et l’inquiétude s’installe dans sa tête
    et la sueur froide
    Mais alors
    si mes calculs sont justes
    c’est sûrement mes lièvres qui sont faux
    Il se précipite vers l’armoire
    mais la glace est fondue
    parce que c’est le printemps
    tous comme un seul homme
    les lièvres ont fichu le camp
    Ne vous désolez pas professeur
    les lièvres s’en vont
    mais les tiroirs restent
    C’est la vie.

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  29. Artisans de l'ombre Dit :

    Les oiseaux du souci

    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Pluie de plumes plumes de pluie
    Celle qui vous aimait n’est plus
    Que me voulez-vous oiseaux
    Plumes de pluie pluie de plumes
    Depuis que tu n’es plus je ne sais plus
    Je ne sais plus où j’en suis
    Pluie de plumes plumes de pluie
    Je ne sais plus que faire
    Suaire de pluie pluie de suie
    Est-ce possible que jamais plus
    Plumes de suie… Allez ouste dehors hirondelles
    Quittez vos nids… Hein? Quoi? Ce n’est pas la saison
    des voyages?…
    Je m’en moque sortez de cette chambre hirondelles du
    matin
    Hirondelles du soir partez… Où? Hein? Alors restez
    c’est moi qui m’en irai…
    Plumes de suie suie de plumes je m’en irai nulle part
    et puis un peu partout
    Restez ici oiseaux du désespoir
    Restez ici… Faites comme chez vous.

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  30. Artisans de l'ombre Dit :

    Les paris stupides
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Un certain Blaise Pascal
    etc… etc…

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  31. Artisans de l'ombre Dit :

    Noces et banquets
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    A William Blake

    Dans les ruines d’une cathédrale
    Un boucher pleure comme un veau
    A cause de la mort d’un oiseau
    Et couchée sur les dalles craquelées
    Une cloche écroulée et fêlée
    Montre son battant rouillé
    On dirait un gros prêtre obscène
    Dont le vent soulève la soutane
    Et dans la sacristie en miettes
    Trois ou quatre drôles en casquette
    Font la quête
    A l’occasion du mariage du Ciel et de l’Enfer
    Cela se passe en Angleterre
    Et aussi en l’honneur de la Révolution française
    Et même de la mort de Louis XVI
    Le garçon d’honneur s’appelle William Blake
    Il est tout nu et très correct
    Mais il garde son chapeau sur la tête
    Parce que le Saint-Esprit est dedans
    C’est le Saint-Esprit de Contradiction
    Quand on lui demande Esprit es-tu là
    Toujours avec un doux sourire cet oiseau répond
    Non
    A la fin de la noce William Blake en fera cadeau au boucher
    Il oubliera défunt son perroquet
    Et s’en retournera tuer les bêtes
    Avec un gros maillet
    Nous ne sommes pas à un oiseau près
    Pense William Blake
    Tout en pensant à autre chose
    C’est-à-dire à rien d’autre qu’à regarder
    Une éblouissante fille invitée à la noce on ne sait pas par qui
    Et qui est là très belle et aussi nue que lui
    Une beauté
    Pense William une beauté d’un calme éclatant
    Pure comme le vin rouge
    Et innocente comme le printemps
    Et il la regarde parce qu’il a envie d’elle
    Elle le regarde aussi parce que peut-être elle aussi elle a envie de lui
    C’est alors qu’arrive avec son petit orgue
    Un grand canard de Barbarie
    Et il joue un air de tous les temps et de tous les pays
    Et la noce commence
    La noce proprement dite
    Précise William Blake
    Car il y a des choses qui sont si mal dites
    Et si malproprement
    C’est pour la messe que vous dites ça
    Demande un vieil homme à tête de prophète ou d’évêque
    Et qui a l’air très contrarié
    Mais William Blake est un gentleman
    Un homme gentil comme on dit en Angleterre
    Et il n’a pas du tout envie de discuter avec un évêque
    Le jour du mariage du Ciel et de l’Enfer
    Et aussi même qui sait peut-être par la même occasion
    Le jour de ses propres noces
    Puisque la jolie fille est si belle
    Et que sans aucun doute il l’aime
    Et que peut-être elle l’aime aussi
    Alors il se contente de dire
    A l’homme à la tête d’évêque ou de prophète ou d’épingle de sûreté

    « De même que la chenille choisit pour y poser ses œufs
    Les feuilles les plus belles ainsi le prêtre pose ses malédictions sur nos plus belles joies »
    Et alors en avant la musique
    Pour la messe nous en reparlerons une autre fois
    Et comme il a dit En avant la musique
    La musique s’avance
    Et derrière elle la fille éblouissante
    Qui sourit à William Blake
    Parce qu’un jour il a dit aussi

    « C’est avec les pierres de la loi qu’on a bâti les prisons
    Et avec les briques de la religion les bordels »

    Et elle lui donne le bras
    Et tout le reste avec
    Et qui est-ce qui est bien content
    C’est William
    William Blake.

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  32. Artisans de l'ombre Dit :

    Osiris ou la fuite en Égypte
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    C’est la guerre c’est l’été
    Déjà l’été encore la guerre
    Et la ville isolée désolée
    Sourit sourit encore
    Sourit sourit quand même
    De son doux regard d’été
    Sourit doucement à ceux qui s’aiment
    C’est la guerre c’est l’été
    Un homme avec une femme
    Marchent dans un musée désert
    Ce musée c’est le Louvre
    Cette ville c’est Paris
    Et la fraicheur du monde
    Est là tout endormie
    Un gardien se réveille en entendant les pas
    Appuie sur un bouton et retombe dans son rêve
    Cependant qu’apparaît dans sa niche de pierre
    La merveille de l’Égypte debout dans sa lumière
    La statue d’Osiris vivante dans le bois mort
    Vivante à faire mourir une nouvelle fois de plus
    Toutes les idoles mortes des églises de Paris
    Et les amants s’embrassent
    Osiris les marie
    Et puis rentre dans l’ombre
    De sa vivante nuit.

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  33. Artisans de l'ombre Dit :

    Page d’écriture
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Deux et deux quatre
    quatre et quatre huit
    huit et huit font seize…
    Répétez! dit le maître
    Deux et deux quatre
    quatre et quatre huit
    huit et huit font seize.
    Mais voilà l’oiseau-lyre
    qui passe dans le ciel
    l’enfant le voit
    l’enfant l’entend
    l’enfant l’appelle:
    Sauve-moi
    joue avec moi
    oiseau!
    Alors l’oiseau descend
    et joue avec l’enfant
    Deux et deux quatre…
    Répétez! dit le maître
    et l’enfant joue
    l’oiseau joue avec lui…
    Quatre et quatre huit
    huit et huit font seize
    et seize et seize qu’est-ce qu’ils font?
    Ils ne font rien seize et seize
    et surtout pas trente-deux
    de toute façon
    et ils s’en vont.
    Et l’enfant a caché l’oiseau
    dans son pupitre
    et tous les enfants
    entendent sa chanson
    et tous les enfants
    entendent la musique
    et huit et huit à leur tour s’en vont
    et quatre et quatre et deux et deux
    à leur tour fichent le camp
    et un et un ne font ni une ni deux
    un à un s’en vont également.
    Et l’oiseau-lyre joue
    et l’enfant chante
    et le professeur crie:
    Quand vous aurez fini de faire le pitre!
    Mais tous les autres enfants
    écoutent la musique
    et les murs de la classe
    s’écroulent tranquillement.
    Et les vitres redeviennent sable
    l’encre redevient eau
    les pupitres redeviennent arbres
    la craie redevient falaise
    le porte-plume redevient oiseau.

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  34. Artisans de l'ombre Dit :

    Paris at night

    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Trois allumettes une à une allumées dans la nuit
    La première pour voir ton visage tout entier
    La seconde pour voir tes yeux
    La dernière pour voir ta bouche
    Et l’obscurité tout entière pour me rappeler tout cela
    En te serrant dans mes bras.

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  35. Artisans de l'ombre Dit :

    Pater noster
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Notre Père qui êtes aux cieux
    Restez-y
    Et nous nous resterons sur la terrre
    Qui est quelquefois si jolie
    Avec ses mystères de New York
    Et puis ses mystères de Paris
    Qui valent bien celui de la Trinité
    Avec son petit canal de l’Ourcq
    Sa grande muraille de Chine
    Sa rivière de Morlaix
    Ses bêtises de Cambrai
    Avec son Océan Pacifique
    Et ses deux bassins aux Tuilleries
    Avec ses bons enfants et ses mauvais sujets
    Avec toutes les merveilles du monde
    Qui sont là
    Simplement sur la terre
    Offertes à tout le monde
    Éparpillées
    Émerveillées elles-même d’être de telles merveilles
    Et qui n’osent se l’avouer
    Comme une jolie fille nue qui n’ose se montrer
    Avec les épouvantables malheurs du monde
    Qui sont légion
    Avec leurs légionnaires
    Aves leur tortionnaires
    Avec les maîtres de ce monde
    Les maîtres avec leurs prêtres leurs traîtres et leurs reîtres
    Avec les saisons
    Avec les années
    Avec les jolies filles et avec les vieux cons
    Avec la paille de la misère pourrissant dans l’acier des canons.

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  36. Artisans de l'ombre Dit :

    Place du carrousel
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Place du Carrousel
    vers la fin d’un beau jour d’été
    le sang d’un cheval
    accidenté et dételé
    ruisselait
    sur le pavé
    Et le cheval était là
    debout
    immobile
    sur trois pieds
    Et l’autre pied blessé
    blessé et arraché
    pendait
    Tout à côté
    debout
    immobile
    il y avait aussi le cocher
    et puis la voiture elle aussi immobile
    inutile comme une horloge cassée
    Et le cheval se taisait
    le cheval ne se plaignait pas
    le cheval ne hennissait pas
    il était là
    il attendait
    et il était si beau si triste si simple
    et si raisonnable
    qu’il n’était pas possible de retenir ses larmes.

    Oh
    jardins perdus
    fontaines oubliées
    prairies ensoleillées
    oh douleur
    splendeur et mystère de l’adversité
    sang et lueurs
    beauté frappée
    Fraternité.

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  37. Artisans de l'ombre Dit :

    Accueil > Les poètes > Poèmes et biographie de Jacques PRÉVERT > Pour faire le portrait d’un oiseau
    Pour faire le portrait d’un oiseau
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Peindre d’abord une cage
    avec une porte ouverte
    peindre ensuite
    quelque chose de joli
    quelque chose de simple
    quelque chose de beau
    quelque chose d’utile
    pour l’oiseau
    placer ensuite la toile contre un arbre
    dans un jardin
    dans un bois
    ou dans une forêt
    se cacher derrière l’arbre
    sans rien dire
    sans bouger …
    Parfois l’oiseau arrive vite
    mais il peut aussi bien mettre de longues années
    avant de se décider
    Ne pas se décourager
    attendre
    attendre s’il le faut pendant des années
    la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
    n’ayant aucun rapport
    avec la réussite du tableau
    Quand l’oiseau arrive
    s’il arrive
    observer le plus profond silence
    attendre que l’oiseau entre dans la cage
    et quand il est entré
    fermer doucement la porte avec le pinceau
    puis
    effacer un à un tous les barreaux
    en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
    Faire ensuite le portrait de l’arbre
    en choisissant la plus belle de ses branches
    pour l’oiseau
    peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
    la poussière du soleil
    et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
    et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
    Si l’oiseau ne chante pas
    c’est mauvais signe
    signe que le tableau est mauvais
    mais s’il chante c’est bon signe
    signe que vous pouvez signer
    Alors vous arrachez tout doucement
    une des plumes de l’oiseau
    et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

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  38. Artisans de l'ombre Dit :

    Pour toi, mon amour
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Je suis allé au marché aux oiseaux
    Et j’ai acheté des oiseaux
    Pour toi
    Mon amour
    Je suis allé au marché aux fleurs
    Et j’ai acheté des fleurs
    Pour toi
    Mon amour
    Je suis allé au marché à la ferraille
    Et j’ai acheté des chaînes
    De lourdes chaînes
    Pour toi
    Mon amour
    Et je suis allé au marché aux esclaves
    Et je t’ai cherchée
    Mais je ne t’ai pas trouvée
    Mon amour

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  39. Artisans de l'ombre Dit :

    Premier jour
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Des draps blancs dans une armoire
    Des draps rouges dans un lit
    Un enfant dans sa mère
    Sa mère dans les douleurs
    Le père dans le couloir
    Le couloir dans la maison
    La maison dans la ville
    La ville dans la nuit
    La mort dans un cri
    Et l’enfant dans la vie.

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  40. Artisans de l'ombre Dit :

    Presque
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    A Fontainebleau
    Devant l’hôtel de l’Aigle Noir
    Il y a un taureau sculpté par Rosa Bonheur
    Un peu plus loin tout autour
    Il y a la forêt
    Et un peu plus loin encore
    Joli corps
    Il y a encore la forêt
    Et le malheur
    Et tout à côté le bonheur
    Le bonheur avec les yeux cernés
    Le bonheur avec des aiguilles de pin dans le dos
    Le bonheur qui ne pense à rien
    Le bonheur comme le taureau
    Sculpté par Rosa Bonheur
    Et puis le malheur
    Le malheur avec une montre en or
    Avec un train à prendre
    Le malheur qui pense à tout …
    A tout
    A tout … à tout … à tout …
    Et à tout
    Et qui gagne « presque » à tous les coups
    Presque.

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  41. Artisans de l'ombre Dit :

    Promenade de Picasso
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelle
    une pomme pose
    face à face avec elle
    un peintre de la réalité
    essaie vainement de peindre
    la pomme telle qu’elle est
    mais
    elle ne se laisse pas faire
    la pomme
    elle a son mot à dire
    et plusieurs tours dans son sac de pomme
    la pomme
    et la voilà qui tourne
    dans son assiette réelle
    sournoisement sur elle-même
    doucement sans bouger
    et comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz parce qu’on veut malgré lui lui tirer le portrait la pomme se déguise en beau fruit déguisé
    et c’est alors
    que le peintre de la réalité
    commence à réaliser
    que toutes les apparences de la pomme sont contre lui
    et
    comme le malheureux indigent
    comme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la merci de n’importe quelle association bienfaisante et charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilité
    le malheureux peintre de la réalité
    se trouve soudain alors être la triste proie
    d’une innombrable foule d’associations d’idées
    Et la pomme en tournant évoque le pommier
    le Paradis terrestre et Ève et puis Adam
    l’arrosoir l’espalier Parmentier l’escalier
    le Canada les Hespérides la Normandie la Reinette et l’Api
    le serpent du Jeu de Paume le serment du Jus de Pomme
    et le péché originel
    et les origines de l’art
    et la Suisse avec Guillaume Tell
    et même Isaac Newton
    plusieurs fois primé à l’Exposition de la Gravitation Universelle
    et le peintre étourdi perd de vue son modèle et s’endort
    C’est alors que Picasso
    qui passait par là comme il passe partout
    chaque jour comme chez lui
    voit la pomme et l’assiette et le peintre endormi
    Quelle idée de peindre une pomme
    dit Picasso
    et Picasso mange la pomme
    et la pomme lui dit Merci
    et Picasso casse l’assiette
    et s’en va en souriant
    et le peintre arraché à ses songes
    comme une dent
    se retrouve tout seul devant sa toile inachevée
    avec au beau milieu de sa vaisselle brisée
    les terrifiants pépins de la réalité.

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  42. Artisans de l'ombre Dit :

    Quartier libre
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    J’ai mis mon képi dans la cage
    et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête
    Alors
    on ne salue plus
    a demandé le commandant
    Non
    on ne salue plus
    a répondu l’oiseau
    Ah bon
    excusez-moi je croyais qu’on saluait
    a dit le commandant
    Vous êtes tout excusé tout le monde peut se tromper
    a dit l’oiseau.

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  43. Artisans de l'ombre Dit :

    Quel jour sommes-nous…

    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Quel jour sommes-nous
    Nous sommes tous les jours
    Mon amie
    Nous sommes toute la vie
    Mon amour
    Nous nous aimons et nous vivons
    Nous vivons et nous nous aimons
    Et nous ne savons pas ce que c’est que la vie
    Et nous ne savons pas ce que c’est que le jour
    Et nous ne savons pas ce que c’est que l’amour.

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  44. Artisans de l'ombre Dit :

    Riviera
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Assise sur une chaise longue
    une dame à la langue fanée
    une dame longue
    plus longue que sa chaise longue
    et très âgée
    prend ses aises
    on lui a dit sans doute que la mer était là
    alors elle la regarde
    mais elle ne la voit pas
    et les présidents passent et la saluent très bas
    c’est la baronne Crin
    la reine de la carie dentaire
    son mari c’est le baron Crin
    le roi du fumier de lapin
    et tous à ses grands pieds sont dans leurs petits souliers
    et ils passent devant elle et la saluent très bas
    de temps en temps
    elle leur jette un vieux cure-dents
    ils le sucent avec ravissement
    en continuant leur promenade
    leurs souliers neufs craquent et leurs vieux os aussi
    et des villas arrive une musique blême
    une musique aigre
    et sure
    comme les cris d’un nouveau-né trop longtemps négligé
    c’est nos fils
    c’est nos fils disent les présidents
    et ils hochent la tête doucement et fièrement
    et leurs petits prodiges
    désespérément
    se jettent à la figure leurs morceaux de piano
    la baronne prête l’oreille
    cette musique lui plaît
    mais son oreille tombe
    comme une vieille tuile d’un toit
    elle regarde par terre
    et elle ne la voit pas
    mais l’aperçoit seulement
    et la prend
    tout bonnement
    pour une feuille morte apportée par le vent
    c’est alors que s’arrête
    la triste clameur des enfants
    que la baronne n’entendait plus d’ailleurs
    que d’une oreille distraite
    et dépareillée
    et que surgissent brusquement
    gambadent dans sa pauvre tête
    en toute liberté
    les vieux refrains puérils méchants et périmés
    de sa mémoire inquiète usée et déplumée
    et comme elle cherche vainement
    pour passer le temps
    qui la menace et qui la guette
    un bon regret bien triste et bien attendrissant
    qui puisse la faire rire aux larmes
    ou même pleurer tout simplement
    elle ne trouve qu’un souvenir incongru inconvenant
    l’image d’une vieille dame assise toute nue
    sur la bosse d’un chameau
    et qui tricote méchamment une omelette au guano.

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  45. Artisans de l'ombre Dit :

    Rue de Seine
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Rue de Seine dix heures et demie
    le soir
    au coin d’une autre rue
    un homme titube… un homme jeune
    avec un chapeau
    un imperméable
    une femme le secoue…
    elle le secoue
    et elle lui parie
    et il secoue la tête
    son chapeau est tout de travers
    et le chapeau de la femme s’apprête à tomber en arrière
    ils sont très pâles tous les deux
    l’homme certainement a envie de partir…
    de disparaître… de mourir…
    mais la femme a une furieuse envie de vivre
    et sa voix
    sa voix qui chuchote
    on ne peut pas ne pas l’entendre
    c’est une plainte…
    un ordre…
    un cri…
    tellement avide cette voix…
    et triste et vivante…
    un nouveau-né malade qui grelotte sur une tombe
    dans un cimetière l’hiver…
    le cri d’un être les doigts pris dans la portière…
    une chanson
    une phrase
    toujours la même
    une phrase
    répétée…
    sans arrêt
    sans réponse…
    l’homme la regarde ses yeux tournent
    il fait des gestes avec les bras
    comme un noyé
    et la phrase revient
    rue de Seine au coin d’une autre rue
    la femme continue
    sans se lasser…
    continue sa question inquiète
    plaie impossible à panser
    Pierre dis-moi la vérité
    Pierre dis-moi la vérité
    je veux tout savoir
    dis-moi la vérité…
    le chapeau de la femme tombe
    Pierre je veux tout savoir
    dis-moi la vérité…
    question stupide et grandiose
    Pierre ne sait que répondre
    il est perdu
    celui qui s’appelle Pierre…
    il a un sourire que peut-être il voudrait tendre
    et répète
    Voyons calme-toi tu es folle
    mais il ne croit pas si bien dire
    mais il ne voit pas
    il ne peut pas voir comment
    sa bouche d’homme est tordue par son sourire.,.
    il étouffe
    le monde se couche sur lui
    et l’étouffé
    il est prisonnier
    coincé par ses promesses…
    on lui demande des comptes…
    en face de lui…
    une machine à compter
    une machine à écrire des lettres d’amour
    une machine à souffrir
    le saisit…
    s’accroche à lui…
    Pierre dis-moi la vérité.

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  46. Artisans de l'ombre Dit :

    Sables mouvants
    Jacques PRÉVERT
    Recueil : « Paroles »
    Démons et merveilles
    Vents et marées
    Au loin déjà la mer s’est retirée
    Démons et merveilles
    Vents et marées
    Et toi
    Comme une algue doucement caressée par le vent
    Dans les sables du lit tu remues en rêvant
    Démons et merveilles
    Vents et marées
    Au loin déjà la mer s’est retirée
    Mais dans tes yeux entrouverts
    Deux petites vagues sont restées
    Démons et merveilles
    Vents et marées
    Deux petites vagues pour me noyer.

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