Alicante
Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie.
8 août 2013
Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et toi dans mon lit
Doux présent du présent
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie.
Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui
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J'ai couvé un oeuf de colombe, Luther en a fait sortir un serpent.
Citations de Erasme
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Ces réflexions sur la guerre ramènent à mon esprit cette éloquente citation de jean Rostand: »on tue un homme, on est un assassin, on tue de milliers d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu » les dieux de la guerre n’ont pas d’humanité la guerre est le pire cauchemar des enfants, leur bête noire .une endémie qui dissèque les familles, y sème la dissension et fabrique des veuves et des orphelins en série
Ces réflexions sur la guerre ramènent à mon esprit cette éloquente citation de jean Rostand: »on tue un homme, on est un assassin, on tue de milliers d’hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est un dieu » les dieux de la guerre n’ont pas d’humanité la guerre est le pire cauchemar des enfants, leur bête noire .une endémie qui dissèque les familles, y sème la dissension et fabrique des veuves et des orphelins en série
Le docteur Mekki Yahia est praticien au laboratoire de virologie à l’hôpital Edouard Herriot et à la faculté Claude Bernard de médecine à Lyon, chef de service sérologie virale, membre de la commission du diagnostic prénatal des affections virales chez la femme enceinte, membre de l’association de suivi des transplantés d’organes et des greffes de tissus à Lyon.
Bediar Bouharket
Bédiar Bouharket est un modeste sculpteur originaire de la région de Sougueur . Il est ingénieur en physique de formation mais grand amateur de beaux-arts, il a d’ailleurs suivi une formation dans ce domaine dans les années 94/96 dans la ville italienne berceau de l’art, Florence
Kelouche Mohamed Kheir Eddine
Né le 17 décembre 1966 à Sougueur
http://nadorculture.unblog.fr/2008/08/24/kelouche-mohamed-kheir-eddine/
Zami Mohamed
Né le 25 janvier 1972 à Sougueur.
http://nadorculture.unblog.fr/2008/12/31/zami-mohamed-cv/
Né en 1970 à Mostaganem, Kamel Daoud est journaliste au Quotidien d'Oran. Il y tient la chronique « Raïna Raïkoum », réputée pour son franc-parler et la clarté de ses analyses.
, شكرا جزيلا على زيارتكم و نتمنى عودتكم
8 août 2013 à 5 05 10 08108
Au hasard des oiseaux
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
J’ai appris très tard à aimer les oiseaux
je le regrette un peu
mais maintenant tout est arrangé
on s’est compris
ils ne s’occupent pas de moi
je ne m’occupe pas d’eux
je les regarde
je les laisse faire
tous les oiseaux font de leur mieux
ils donnent l’exemple
pas l’exemple comme par exemple Monsieur Glacis
qui s’est remarquablement courageusement conduit pendant la guerre ou l’exemple du petit Paul qui était si pauvre et tellement honnête avec ça et qui est devenu plus tard le grand Paul si riche et si vieux si honorable et si affreux et si avare et si charitable et si pieux
ou par exemple cette vieille servante qui eut une vie et une mort exemplaires jamais de discussions pas ça l’ongle claquant sur la dent pas ça de discussion avec monsieur ou avec madame au sujet de cette affreuse question des salaires
non
les oiseaux donnent l’exemple
l’exemple comme il faut
exemple des oiseaux
exemple des oiseaux
exemple les plumes les ailes le vol des oiseaux
exemple le nid les voyages et les chants des oiseaux
exemple la beauté des oiseaux
exemple le cœur des oiseaux
la lumière des oiseaux.
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8 août 2013 à 5 05 12 08128
Aux champs…
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Il y a
paraît-il
dans une roseraie
une rose
qu’on appelle Veuve inconsolable du regretté Président Doumergue
c’est triste
c’est regrettable
il y a
ou plutôt
il y a eu
un homme qui a écrit ces mots
Demain sur nos tombeaux les blés seront plus beaux
c’est triste
c’est regrettable
parce que le blé ne pousse pas
précisément
sur les tombeaux des hommes qui sont tombés
pour que monte ou descende
le cours du blé
ou même le cours de la pensée du charbon ou des fleurs
et pourtant on peut voir
gravée par de très honorables graveurs
sur l’effroyable billet de banque
sur l’épouvantable billet de faveur
la stupide gravure en couleur
l’affligeante et provocante image de labeur
où malgré lui le travailleur
est soigneusement représenté
tout joyeux le rire sur les lèvres
et l’outil à la main
ou bien
éclatant de santé
dans un ravissant paysage d’été
et fauchant en chantant alertement les blés
mais on ne voit jamais
l’image simple et vraie
le travailleur en sueur et fauché comme les blés
c’est triste
c’est regrettable
mais les gerbes sont liées
le travailleur aussi
avec leurs grands billets les grands favorisés
se sont payé sa tête
et son corps tout entier
avec tout le travail de toutes ses années
toutes les gerbes sont liées
chaque grain est compté
chaque geste capté
chaque fleur arrachée
le blé monte et descend
en même temps que l’argent
en même temps que le sucre
en même temps que l’acier
et le compte du travailleur
est sagement réglé
à l’octroi de Profit
la guerre est déclarée
et sur la terre encore fraîchement remuée
dans les ruines des villes par eux-mêmes bâties
ceux qui étaient les plus vivants et les plus forts
les plus gais
les meilleurs
restent là immobiles couchés aux champs d’honneur
la tête dans la mort et la fleur au fusil
la mémorable fleur de leur si simple vie
et la fleur à son tour
doucement se pourrit
la fleur des amours la fleur des amis
et sur ce champ d’honneur
d’honneurs et de profits
un peu plus tard
sur ce champ d’honneur soigneusement nivelé
toute seule
la fleur artificielle
la rose invraisemblable
la fleur à faire vomir
la fleur à faire hurler
la veuve inconsolable du Président untel
blême et rose chou-fleur atrocement greffé
ignoble végétal stupidement simulé
encore une fois
de force
et avec le concours assuré de la musique militaire
est accrochée épinglée rivée
à la boutonnière de la terre
de la terre abîmée
de la terre solitaire
de la terre saccagée bafouée et désolée
désespérée
endimanchée.
1936
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8 août 2013 à 5 05 15 08158
Barbara
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t’ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même jour-là
N’oublie pas
Un homme sous un porche s’abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t’es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m’en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j’aime
Même si je ne les ai vus qu’une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s’aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N’oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l’arsenal
Sur le bateau d’Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu’es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d’acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n’est plus pareil et tout est abimé
C’est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n’est même plus l’orage
De fer d’acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l’eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.
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8 août 2013 à 5 05 17 08178
Cet amour
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blémir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l’avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleillé
C’est le tien
C’est le mien
Celui qui a été
Cette chose toujours nouvelles
Et qui n’a pas changé
Aussi vraie qu’une plante
Aussi tremblante qu’un oiseau
Aussi chaude aussi vivante que l’été
Nous pouvons tous les deux
Aller et revenir
Nous pouvons oublier
Et puis nous rendormir
Nous réveiller souffrir vieillir
Nous endormir encore
Rêver à la mort
Nous éveiller sourire et rire
Et rajeunir
Notre amour reste là
Têtu comme une bourrique
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir
Froid comme le marbre
Beau comme le jour
Fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
Et moi j’écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te supplie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s’aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne connais pas
Reste là
Là où tu es
Là où tu étais autrefois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t’en va pas
Nous qui sommes aimés
Nous t’avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n’avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
Et n’importe où
Donne-nous signe de vie
Beaucoup plus tard au coin d’un bois
Dans la forêt de la mémoire
Surgis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous.
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8 août 2013 à 5 05 30 08308
Chanson dans le sang
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Il y a de grandes flaques de sang sur le monde
où s’en va-t-il tout ce sang répandu
Est-ce la terre qui le boit et qui se saoule
drôle de saoulographie alors
si sage… si monotone…
Non la terre ne se saoule pas
la terre ne tourne pas de travers
elle pousse régulièrement sa petite voiture ses quatre saisons
la pluie… la neige…
le grêle… le beau temps…
jamais elle n’est ivre
c’est à peine si elle se permet de temps en temps
un malheureux petit volcan
Elle tourne la terre
elle tourne avec ses arbres… ses jardins… ses maisons…
elle tourne avec ses grandes flaques de sang
et toutes les choses vivantes tournent avec elle et saignent…
Elle elle s’en fout
la terre
elle tourne et toutes les choses vivantes se mettent à hurler
elle s’en fout
elle tourne
elle n’arrête pas de tourner
et le sang n’arrête pas de couler…
Où s’en va-t-il tout ce sang répandu
le sang des meurtres… le sang des guerres…
le sang de la misère…
et le sang des hommes torturés dans les prisons…
le sang des enfants torturés tranquillement par leur papa et leur maman…
et le sang des hommes qui saignent de la tête
dans les cabanons…
et le sang du couvreur
quand le couvreur glisse et tombe du toit
et le sang qui arrive et qui coule à grands flots
avec le nouveau-né… avec l’enfant nouveau…
la mère qui crie… l’enfant pleure…
le sang coule… la terre tourne
la terre n’arrête pas de tourner
le sang n’arrête pas de couler
Où s’en va-t-il tout ce sang répandu
le sang des matraqués… des humiliés…
des suicidés… des fusillés… des condamnés…
et le sang de ceux qui meurent comme ça… par accident.
Dans la rue passe un vivant
avec tout son sang dedans
soudain le voilà mort
et tout son sang est dehors
et les autres vivants font disparaître le sang
ils emportent le corps
mais il est têtu le sang
et là où était le mort
beaucoup plus tard tout noir
un peu de sang s’étale encore…
sang coagulé
rouille de la vie rouille des corps
sang caillé comme le lait
comme le lait quand il tourne
quand il tourne comme la terre
comme la terre qui tourne
avec son lait… avec ses vaches…
avec ses vivants… avec ses morts…
la terre qui tourne avec ses arbres… ses vivants… ses maisons…
la terre qui tourne avec les mariages…
les enterrements…
les coquillages…
les régiments…
la terre qui tourne et qui tourne et qui tourne
avec ses grands ruisseaux de sang.
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8 août 2013 à 5 05 34 08348
Chanson de l’oiseleur
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
L’oiseau qui vole si doucement
L’oiseau rouge et tiède comme le sang
L’oiseau si tendre l’oiseau moqueur
L’oiseau qui soudain prend peur
L’oiseau qui soudain se cogne
L’oiseau qui voudrait s’enfuir
L’oiseau seul et affolé
L’oiseau qui voudrait vivre
L’oiseau qui voudrait chanter
L’oiseau qui voudrait crier
L’oiseau rouge et tiède comme le sang
L’oiseau qui vole si doucement
C’est ton coeur jolie enfant
Ton coeur qui bat de l’aile si tristement
Contre ton sein si dur si blanc
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8 août 2013 à 12 12 27 08278
Chanson des escargots qui vont à l’enterrement
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A l’enterrement d’une feuille morte
Deux escargots s’en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s’en vont dans le soir
Un très beau soir d’automne
Hélas quand ils arrivent
C’est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voila le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le coeur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L’autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C’est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l’oeil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C’est triste et pas joli
Reprenez vous couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent a chanter
A chanter a tue-tête
La vrai chanson vivante
La chanson de l’été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C’est un très joli soir
Un joli soir d’été
Et les deux escargots
S’en retournent chez eux
Ils s’en vont très émus
Ils s’en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais la haut dans le ciel
La lune veille sur eux.
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8 août 2013 à 13 01 38 08388
Chanson du geôlier
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Où vas-tu beau geôlier
Avec cette clé tachée de sang
Je vais délivrer celle que j’aime
S’il en est encore temps
Et que j’ai enfermée
Tendrement cruellement
Au plus secret de mon désir
Au plus profond de mon tourment
Dans les mensonges de l’avenir
Dans les bêtises des serments
Je veux la délivrer
Je veux qu’elle soit libre
Et même de m’oublier
Et même de s’en aller
Et même de revenir
Et encore de m’aimer
Ou d’en aimer un autre
Si un autre lui plaît
Et si je reste seul
Et elle en allée
Je garderai seulement
Je garderai toujours
Dans mes deux mains en creux
Jusqu’à la fin des jours
La douceur de ses seins modelés par l’amour.
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8 août 2013 à 13 01 50 08508
Chasse à l’enfant
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Qu’est-ce que c’est que ces hurlements
Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Il avait dit j’en ai assez de la maison de redressement
Et les gardiens à coup de clefs lui avaient brisé les dents
Et puis ils l’avaient laissé étendu sur le ciment
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Maintenant il s’est sauvé
Et comme une bête traquée
Il galope dans la nuit
Et tous galopent après lui
Les gendarmes les touristes les rentiers les artistes
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
C’est la meute des honnêtes gens
Qui fait la chasse à l’enfant
Pourchasser l’enfant, pas besoin de permis
Tous le braves gens s’y sont mis
Qu’est-ce qui nage dans la nuit
Quels sont ces éclairs ces bruits
C’est un enfant qui s’enfuit
On tire sur lui à coups de fusil
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Tous ces messieurs sur le rivage
Sont bredouilles et verts de rage
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !
Rejoindras-tu le continent rejoindras-tu le continent !
Au-dessus de l’île on voit des oiseaux
Tout autour de l’île il y a de l’eau.
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8 août 2013 à 13 01 53 08538
Chez la fleuriste
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Un homme entre chez une fleuriste
et choisit des fleurs
la fleuriste enveloppe les fleurs
l’homme met la main à sa poche
pour chercher l’argent
l’argent pour payer les fleurs
mais il met en même temps
subitement
la main sur son cœur
et il tombe
En même temps qu’il tombe
l’argent roule à terre
et puis les fleurs tombent
en même temps que l’homme
en même temps que l’argent
et la fleuriste reste là
avec l’argent qui roule
avec les fleurs qui s’abîment
avec l’homme qui meurt
évidemment tout cela est très triste
et il faut qu’elle fasse quelque chose
la fleuriste
mais elle ne sait pas comment s’y prendre
elle ne sait pas
par quel bout commencer
Il y a tant de choses à faire
avec cet homme qui meurt
ces fleurs qui s’abîment
et cet argent
cet argent qui roule
qui n’arrête pas de rouler.
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8 août 2013 à 13 01 54 08548
Complainte de Vincent
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A Paul Éluard
A Arles où roule le Rhône
Dans l’atroce lumière de midi
Un homme de phosphore et de sang
Pousse une obsédante plainte
Comme une femme qui fait son enfant
Et le linge devient rouge
Et l’homme s’enfuit en hurlant
Pourchassé par le soleil
Un soleil d’un jaune strident
Au bordel tout près du Rhône
L’homme arrive comme un roi mage
Avec son absurde présent
Il a le regard bleu et doux
Le vrai regard lucide et fou
De ceux qui donnent tout à la vie
De ceux qui ne sont pas jaloux
Et montre à la pauvre enfant
Son oreille couchée dans le linge
Et elle pleure sans rien comprendre
Songeant à de tristes présages
Et regarde sans oser le prendre
L’affreux et tendre coquillage
Où les plaintes de l’amour mort
Et les voix inhumaines de l’art
Se mêlent aux murmures de la mer
Et vont mourir sur le carrelage
Dans la chambre où l’édredon rouge
D’un rouge soudain éclatant
Mélange ce rouge si rouge
Au sang bien plus rouge encore
De Vincent à demi mort
Et sage comme l’image même
De la misère et de l’amour
L’enfant nue toute seule sans âge
Regarde le pauvre Vincent
Foudroyé par son propre orage
Qui s’écroule sur le carreau
Couché dans son plus beau tableau
Et l’orage s’en va calmé indifférent
En roulant devant lui ses grands tonneaux de sang
L’éblouissant orage du génie de Vincent
Et Vincent reste là dormant rêvant râlant
Et le soleil au-dessus du bordel
Comme une orange folle dans un désert sans nom
Le soleil sur Arles
En hurlant tourne en rond.
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8 août 2013 à 13 01 56 08568
Complainte du fusillé
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles
Ils m’ont tiré au mauvais sort
par pitié
J’étais mauvaise cible
le ciel était si bleu
Ils ont levé les yeux
en invoquant leur dieu
Et celui qui s’est approché
seul
sans se hâter
tout comme eux
un petit peu a tiré à côté
à côté du dernier ressort
à la grâce des morts
à la grâce de dieu.
Ils m’ont tiré au mauvais sort
par les pieds
et m’ont jeté dans la charrette des morts
des morts tirés des rangs
des rangs de leur vivant
numéroté
leur vivant hostile à la mort
Et je suis là près d’eux
vivant encore un peu
tuant le temps de mon mal
tuant le temps de mon mieux.
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8 août 2013 à 14 02 02 08028
Composition française
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Tout jeune Napoléon était très maigre
et officier d’artillerie
plus tard il devint empereur
alors il prit du ventre et beaucoup de pays
et le jour où il mourut il avait encore
du ventre
mais il était devenu plus petit.
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8 août 2013 à 14 02 03 08038
Conversation
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Le porte-monnaie :
Je suis d’une incontestable utilité c’est un fait
Le porte-parapluie :
D’accord mais tout de même il faut bien reconnaître
Que si je n’existais pas il faudrait m’inventer
Le porte-drapeau :
Moi je me passe de commentaires
Je suis modeste et je me tais
D’ailleurs je n’ai pas le droit de parler
Le porte-bonheur :
Moi je porte bonheur parce que c’est mon métier
Les trois autres (hochant la tête) :
Jolie mentalité!
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8 août 2013 à 14 02 12 08128
Dans ma maison
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Dans ma maison vous viendrez
D’ailleurs ce n’est pas ma maison
Je ne sais pas à qui elle est
Je suis entré comme ça un jour
Il n’y avait personne
Seulement des piments rouges accrochés au mur blanc
Je suis resté longtemps dans cette maison
Personne n’est venu
Mais tous les jours et tous les jours
Je vous ai attendue
Je ne faisais rien
C’est-à-dire rien de sérieux
Quelquefois le matin
Je poussais des cris d’animaux
Je gueulais comme un âne
De toutes mes forces
Et cela me faisait plaisir
Et puis je jouais avec mes pieds
C’est très intelligent les pieds
Ils vous emmènent très loin
Quand vous voulez aller très loin
Et puis quand vous ne voulez pas sortir
Ils restent là ils vous tiennent compagnie
Et quand il y a de la musique ils dansent
On ne peut pas danser sans eux
Faut être bête comme l’homme l’est si souvent
Pour dire des choses aussi bêtes
Que bête comme ses pieds gai comme un pinson
Le pinson n’est pas gai
Il est seulement gai quand il est gai
Et triste quand il est triste ou ni gai ni triste
Est-ce qu’on sait ce que c’est un pinson
D’ailleurs il ne s’appelle pas réellement comme ça
C’est l’homme qui a appelé cet oiseau comme ça
Pinson pinson pinson pinson
Comme c’est curieux les noms
Martin Hugo Victor de son prénom
Bonaparte Napoléon de son prénom
Pourquoi comme ça et pas comme ça
Un troupeau de bonapartes passe dans le désert
L’empereur s’appelle Dromadaire
Il a un cheval caisse et des tiroirs de course
Au loin galope un homme qui n’a que trois prénoms
Il s’appelle Tim-Tam-Tom et n’a pas de grand nom
Un peu plus loin encore il y a n’importe qui
Beaucoup plus loin encore il y a n’importe quoi
Et puis qu’est-ce que ça peut faire tout ça
Dans ma maison tu viendras
Je pense à autre chose mais je ne pense qu’à ça
Et quand tu seras entrée dans ma maison
Tu enlèveras tous tes vêtements
Et tu resteras immobile nue debout avec ta bouche rouge
Comme les piments rouges pendus sur le mur blanc
Et puis tu te coucheras et je me coucherai près de toi
Voilà
Dans ma maison qui n’est pas ma maison tu viendras.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
8 août 2013 à 14 02 15 08158
Déjeuner du matin
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis
Son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré.
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8 août 2013 à 14 02 37 08378
Dimanche
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Entre les rangées d’arbres de l’avenue des Gobelins
Une statue de marbre me conduit par la main
Aujourd’hui c’est dimanche les cinémas sont pleins
Les oiseaux dans les branches regardent les humains
Et la statue m’embrasse mais personne ne nous voit
Sauf un enfant aveugle qui nous montre du doigt.
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8 août 2013 à 14 02 39 08398
Écritures Saintes
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A Paul et Virginie
au tenon et à la mortaise
à la chèvre et au chou
à la paille et à la poutre
au-dessus et au-dessous du panier
à Saint-Pierre et à Miquelon
à la une et à la deux
à la mygale et à la fourmi
au zist et au zest
à votre santé et à la mienne
au bien et au mal
à Dieu et au Diable
à Laurel et à Hardy.
Dieu est un grand lapin
il habite plus haut que la terre
tout en haut là-haut dans les cieux
dans son grand terrier nuageux.
Le diable est un grand lièvre rouge
avec un fusil tout gris
pour tirer dans l’ombre de la nuit
mais Dieu est un gros lapin
il a l’oreille du monde
il connaît la musique
une fois il a eu un grand fils
un joyeux lapin
et il l’a envoyé sur la terre
pour sauver les lapins d’en bas
et son fils a été rapidement liquidé
et on l’a appelé civet.
Évidemment il a passé de bien mauvais moments
et puis il a repris du poil de la bête
il s’est remis les os en place
les reins le râble la tête et tout
et il a fait un bond prodigieux
et le voilà maintenant rude lapin
bondissant dans les cieux
à la droite et à la gauche
du grand lapin tout-puissant.
Et le diable tire dans l’ombre
et revient bredouille chaque nuit
rien dans son charnier
rien à se mettre sous la charnière
et il pique de grandes colères
il arrache sa casquette de sur sa tête
et il la piétine dans la poussière
et après il est bien avancé
et il est obligé de mettre
tous les jours que le lapin fait
son chapeau des dimanches.
Mais son chapeau des dimanches
c’est un fantôme de lapin
un feu follet des fabriques
et il fait des facéties
c’est pour cela que le diable
n’a jamais son chapeau sur la tête
pas même les jours de fête
mais à côté de sa tête
au-dessus de sa tête
ou même comme ça derrière la tête
oui
exactement à dix ou quinze centimètres
derrière sa tête
et il attrape tout le temps des migraines
de la grêle du vent
et des otites dans les oreilles.
Quand il rencontre Dieu
il est très embêté
parce qu’il doit le saluer
c’est réglementaire
puisque c’est Dieu le fondateur
du ciel et de la terre
lui il est seulement l’inventeur
de la pierre à feu
et Dieu lui dit
Je vous en prie mon ami restez couvert
mais le diable ne peut pas
mettez-vous à sa place
puisque son chapeau ne tient pas en place
alors il se rend compte
qu’il est légèrement ridicule
et il s’en retourne chez lui en courant
il allume un grand feu en pleurant
et il se regarde dans son armoire à glace
en faisant des grimaces
et puis il jette l’armoire dans le feu
et quand l’armoire se met à pétiller
à craquer à crier
il devient tout à coup très joyeux
et il se couche sur le brasier
avec une grande flamme blanche
comme oreiller
et il ronronne tout doucement
comme le feu
comme les chats quand ils sont heureux
et il rêve aux bons tours
qu’il va jouer au bon Dieu.
Dieu est aussi un prêteur sur gage
un vieil usurier
il se cache dans une bicoque
tout en haut de son mont-de-piété
et il prête à la petite semaine
au mois au siècle et à l’éternité
et ceux qui redescendent avec un peu d’argent
en bas dans la vallée le diable les attend
il leur fauche leur fric
il leur fout une volée
et s’en va en chantant la pluie et le beau temps.
Dieu est aussi un grand voyageur
et quand il voyage
pas moyen de le faire tenir en place
il s’installe dans tous les wagons
et il descend dans tous les hôtels à la fois
à ces moments-là
tous les voyageurs marchent à pied
et couchent dehors
et le diable passe
et crie
Oreillers couvertures
et tous appellent
Pst… Pst… Pst…
mais lui dit ça simplement comme ça
pour les emmerder un peu plus
il a autre chose à faire
que de s’occuper vraiment de ces gens-là
il est seulement un peu content
parce qu’ils prennent froid.
Dieu est aussi une grosse dinde de Noël
qui se fait manger par les riches
pour souhaiter la fête à son fils.
Alors les coudes sur la sainte table
le Diable regarde Dieu en face
avec un sourire de côté
et il fait du pied aux anges et Dieu est bien embêté.
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8 août 2013 à 15 03 04 08048
Écritures Saintes
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A Paul et Virginie
au tenon et à la mortaise
à la chèvre et au chou
à la paille et à la poutre
au-dessus et au-dessous du panier
à Saint-Pierre et à Miquelon
à la une et à la deux
à la mygale et à la fourmi
au zist et au zest
à votre santé et à la mienne
au bien et au mal
à Dieu et au Diable
à Laurel et à Hardy.
Dieu est un grand lapin
il habite plus haut que la terre
tout en haut là-haut dans les cieux
dans son grand terrier nuageux.
Le diable est un grand lièvre rouge
avec un fusil tout gris
pour tirer dans l’ombre de la nuit
mais Dieu est un gros lapin
il a l’oreille du monde
il connaît la musique
une fois il a eu un grand fils
un joyeux lapin
et il l’a envoyé sur la terre
pour sauver les lapins d’en bas
et son fils a été rapidement liquidé
et on l’a appelé civet.
Évidemment il a passé de bien mauvais moments
et puis il a repris du poil de la bête
il s’est remis les os en place
les reins le râble la tête et tout
et il a fait un bond prodigieux
et le voilà maintenant rude lapin
bondissant dans les cieux
à la droite et à la gauche
du grand lapin tout-puissant.
Et le diable tire dans l’ombre
et revient bredouille chaque nuit
rien dans son charnier
rien à se mettre sous la charnière
et il pique de grandes colères
il arrache sa casquette de sur sa tête
et il la piétine dans la poussière
et après il est bien avancé
et il est obligé de mettre
tous les jours que le lapin fait
son chapeau des dimanches.
Mais son chapeau des dimanches
c’est un fantôme de lapin
un feu follet des fabriques
et il fait des facéties
c’est pour cela que le diable
n’a jamais son chapeau sur la tête
pas même les jours de fête
mais à côté de sa tête
au-dessus de sa tête
ou même comme ça derrière la tête
oui
exactement à dix ou quinze centimètres
derrière sa tête
et il attrape tout le temps des migraines
de la grêle du vent
et des otites dans les oreilles.
Quand il rencontre Dieu
il est très embêté
parce qu’il doit le saluer
c’est réglementaire
puisque c’est Dieu le fondateur
du ciel et de la terre
lui il est seulement l’inventeur
de la pierre à feu
et Dieu lui dit
Je vous en prie mon ami restez couvert
mais le diable ne peut pas
mettez-vous à sa place
puisque son chapeau ne tient pas en place
alors il se rend compte
qu’il est légèrement ridicule
et il s’en retourne chez lui en courant
il allume un grand feu en pleurant
et il se regarde dans son armoire à glace
en faisant des grimaces
et puis il jette l’armoire dans le feu
et quand l’armoire se met à pétiller
à craquer à crier
il devient tout à coup très joyeux
et il se couche sur le brasier
avec une grande flamme blanche
comme oreiller
et il ronronne tout doucement
comme le feu
comme les chats quand ils sont heureux
et il rêve aux bons tours
qu’il va jouer au bon Dieu.
Dieu est aussi un prêteur sur gage
un vieil usurier
il se cache dans une bicoque
tout en haut de son mont-de-piété
et il prête à la petite semaine
au mois au siècle et à l’éternité
et ceux qui redescendent avec un peu d’argent
en bas dans la vallée le diable les attend
il leur fauche leur fric
il leur fout une volée
et s’en va en chantant la pluie et le beau temps.
Dieu est aussi un grand voyageur
et quand il voyage
pas moyen de le faire tenir en place
il s’installe dans tous les wagons
et il descend dans tous les hôtels à la fois
à ces moments-là
tous les voyageurs marchent à pied
et couchent dehors
et le diable passe
et crie
Oreillers couvertures
et tous appellent
Pst… Pst… Pst…
mais lui dit ça simplement comme ça
pour les emmerder un peu plus
il a autre chose à faire
que de s’occuper vraiment de ces gens-là
il est seulement un peu content
parce qu’ils prennent froid.
Dieu est aussi une grosse dinde de Noël
qui se fait manger par les riches
pour souhaiter la fête à son fils.
Alors les coudes sur la sainte table
le Diable regarde Dieu en face
avec un sourire de côté
et il fait du pied aux anges et Dieu est bien embêté.
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8 août 2013 à 15 03 20 08208
Et la fête continue
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Debout devant le zinc
Sur le coup de dix heures
Un grand plombier zingueur
Habillé en dimanche et pourtant c’est lundi
Chante pour lui tout seul
Chante que c’est jeudi
Qu’il n’ira pas en classe
Que la guerre est finie
I* le travail aussi
Que la vie est si belle
Et les filles si jolies
Et titubant devant le zinc
Mais guidé par son fil à plomb
Il s’arrête pile devant le patron
Trois paysans passeront et vous paieront
Puis disparaît dans le soleil
Sans régler les consommations
Disparaît dans le soleil tout en continuant sa chanson.
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8 août 2013 à 15 03 28 08288
Événements
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Une hirondelle vole dans le ciel
vole vers son nid
son nid où il y a des petits
elle leur apporte une ombrelle
des vers de vase des pissenlits
un tas de choses pour amuser les enfants
dans la maison où il y a le nid
un jeune malade crève doucement dans son lit
dans son lit
sur le trottoir devant la porte
sur le trottoir devant la porte
il y a un type qui est noir et qui débloque
derrière la porte un garçon embrasse une fille
un peu plus loin au bout de la rue
un pédéraste regarde un autre pédéraste
et lui fait adieu de la main
l’un des deux pleure
l’autre fait semblant
il a une petite valise
il tourne le coin de la rue
et dès qu’il est seul il sourit
l’hirondelle repasse dans le ciel
et le pédéraste la voit
Tiens unh hirondelle…
et il continue son chemin
dans son lit le jeune malade meurt
l’hirondelle passe devant la fenêtre
regarde à travers le carreau
Tiens un mort…
elle vole un étage plus haut
et voit à travers la vitre
un assassin la tête dans les mains
la victime est rangée dans un coin
repliée sur elle-même
Encore un mort dit l’hirondelle…
l’assassin la tête dans les mains
se demande comment il va sortir de là
il se lève et prend une cigarette
et se rassoit
l’hirondelle le voit
dans son bec elle tient une allumette
elle frappe au carreau avec son bec
l’assassin ouvre la fenêtre
prend l’allumette
Merci hirondelle…
et il allume sa cigarette
Il n’y a pas de quoi dit l’hirondelle
c’est la moindre des choses
et elle s’envole à tire-d’aile…
l’assassin referme la fenêtre
s’assied sur une chaise et fume
la victime se lève et dit
C’est embêtant d’être mort
on est tout froid
Fume ça te réchauffera
l’assassin lui donne la cigarette
et la victime dit Je vous en prie
C’est la moindre des choses dit l’assassin
je vous dois bien ça
il prend son chapeau il le met sur la tête
et il s’en va
il marche dans la rue
soudain il s’arrête
il pense à une femme qu’il a beaucoup aimée
c’est à cause d’elle qu’il a tué
cette femme il ne l’aime plus
mais jamais il n’a osé le lui dire
il ne veut pas lui faire de la peine
de temps en temps il tue quelqu’un pour elle
ça lui fait tellement plaisir
à cette femme
lui il mourrait plutôt que de la faire souffrir
il s’en fout de souffrir l’assassin
mais quand c’est les autres qui souffrent
il devient fou
sonné
cinglé
hors de lui
il fait n’importe quoi n’importe où n’importe quand
et puis après il fout le camp
chacun son métier
y en a qui tuent
d’autres qui sont tués
il faut bien que tout le monde vive
Si t’appelles ça vivre
l’assassin a parlé tout haut
et le type qui l’interpelle
est assis sur le trottoir
c’est un chômeur
il reste là du matin au soir
assis sur le trottoir
il attend que ça change
Tu sais d’où je viens lui dit l’assassin
l’autre secoue la tête
Je viens de tuer quelqu’un
Il faut bien que tout le monde meure
répond le chômeur
et soudain à brûle-pourpoint
Avez-vous des nouvelles?
Des nouvelles de quoi?
Des nouvelles du monde
des nouvelles du monde… il paraît qu’il va changer
la vie va devenir très belle
tous les jours on pourra manger
il y aura beaucoup de soleil
tous les hommes seront grandeur naturelle
et personne ne sera humilié
mais voilà l’hirondelle qui revient
l’assassin s’en va
le chômeur reste là
et il se tait
il écoute les bruits
il entend des pas
et il les compte
pour passer le temps machinalement
1 2 3 4 5 etc… etc…
jusqu’à cent… plusieurs fois…
c’est un homme qui fait les cent pas
au rez-de-chaussée
dans une chambre remplie de paperasses
il a une grosse tête de penseur
des lunettes en écaille
une grosse tête de roseau bien pensant
il fait les cent pas et il cherche
il cherche quelque chose qui le fera devenir quelqu’un
et quand on frappe à sa porte il dit
Je n’y suis pour personne
il cherche
il cherche quelque chose qui le fera devenir quelqu’un
le monde entier pourrait bien frapper à sa porte
le monde entier pourrait bien se rouler sur le paillasson
et gémir
et pleurer
et supplier
demander à boire
à boire ou à manger
qu’il n’ouvrirait pas…
il cherche
il cherche la fameuse machine à peser les balances
lorsqu’il l’aura trouvée
la fameuse machine à peser les balances
il sera l’homme le plus célèbre de son pays
le roi des poids et mesures
des poids et mesures de la France
et en lui-même il pousse de petits cris
vive papa
vive moi
vive la France
soudain il se cogne l’orteil contre le pied du lit
c’est dur le pied d’un lit
plus dur que le pied d’un génie
et voilà le roseau pensant sur le tapis
berçant son pauvre pied endolori
dehors le chômeur hoche la tête
sa pauvre tête bercée par l’insomnie
près de lui un taxi s’arrête
des êtres humains descendent ils sont en deuil
en larmes et sur leur trente et un
l’un d’eux paie le chauffeur
le chauffeur s’en va
avec son taxi
un autre humain l’appelle donne une adresse et monte
le taxi repart 25 rue de Châteaudun
le chauffeur a l’adresse dans la mémoire
il la garde juste le temps qu’il faut
mais c’est tout de même un drôle de boulot…
et quand il a la fièvre
quand il est noir quand il est couché le soir
des miniers et des milliers d’adresses
arrivent à toute vitesse et se bagarrent dans sa mémoire
il a la tête comme un bottin
comme un plan
alors il prend cette tête entre ses mains
avec le même geste que l’assassin
et il se plaint tout doucement
222 rue de Vaugirard
33 rue de Ménilmontant
Grand Palais
Gare Saint-Lazare
rue des derniers des Mohicans
c’est fou ce que l’homme invente
pour abîmer l’homme
et comme tout ça se passe tranquillement
l’homme croit vivre et pourtant il est déjà presque mort
et depuis très longtemps
il va et il vient dans un triste décor
couleur de vie de famille
couleur de jour de l’an
avec le portrait de la grand-mère
du grand-père et de l’oncle Ferdinand
celui qui puait tellement des oreilles
et qui n’avait plus qu’une seule dent
l’homme se balade dans un cimetière
et promène en laisse son ennui
il n’ose rien dire
il n’ose rien faire
il a hâte que ça soit fini
aussi quand arrive la guerre
il est fin prêt pour être crôni
et celui qu’on assassine
une fois sa terreur passée
il fait ouf et dit Je vous remercie
me voilà bien débarrassé
………………………………………………
ainsi l’assassiné roule sur soi-même
et baignant dans son sang
il est très calme
et ça fait plaisir à voir
ce cadavre bien rangé dans un coin
dans ce coquet petit logement
il y a un silence de mort
On se croirait à l’église dit une mouche en entrant
c’est émouvant
et toutes les mouches réunies font entendre un pieux bourdonnement
puis elles s’approchent de la flaque
de la grande flaque de sang
mais la doyenne des mouches leur dit
Halte là mes enfants
remercions le bon dieu des mouches de ce festin improvisé
et sans une fausse note toutes les mouches entonnent le bénédicité
l’hirondelle passe et fronce les sourcils
elle a horreur de ces simagrées
les mouches sont pieuses
l’hirondelle est athée
elle est vivante
elle est belle
elle vole vite
il y a un bon Dieu pour les mouches
un bon Dieu pour les mites
pour les hirondelles il n’y a pas de bon Dieu
elles n’en ont pas besoin…
l’hirondelle continue son chemin et voit
à travers les brise-bise d’une autre fenêtre
autour du jeune mort toute la famille assise
elle est arrivée en taxi
en larmes en deuil et sur son trente et un
elle veille le mort
elle reste là
si la famille ne restait pas là
le mort s’enfuirait peut-être
ou bien peut-être qu’une autre famille viendrait
et le prendrait
quand on a un mort on y tient
et quand on n’en a pas on en voudrait bien un
Les gens sont tellement mesquins
n’est-ce pas oncle Gratien
A qui le dites-vous
les gens sont jaloux
ils nous prendraient notre mort
notre mort à nous
ils pleureraient à notre place
c’est ça qui serait déplacé
et chacun dans l’armoire à glace
chacun se regarde pleurer…
un chômeur assis sur le trottoir
un taxi sur un boulevard
un mort
un autre mort
un assassin
un arrosoir
une hirondelle qui va et vient
dans le ciel couleur de ciel
un gros nuage éclate enfin
la grêle…
des grêlons gros comme le poing
tout le monde respire
Ouf
il ne faut pas se laisser abattre
il faut se soutenir
manger
les mouches lapent
les petits de l’hirondelle mangent le pissenlit
la famille la mortadelle
l’assassin une botte de radis
le chauffeur de taxi au rendez-vous des chauffeurs
rue de Tolbiac
mange une escalope de cheval
tout le monde mange sauf les morts
tout le monde mange
les pédérastes… les hirondelles…
les girafes… les colonels…
tout le monde mange
sauf le chômeur
le chômeur qui ne mange pas parce qu’il n’a rien à manger
il est assis sur le trottoir
il est très fatigué
depuis le temps qu’il attend que ça change
il commence à en avoir assez
soudain il se lève
soudain il s’en va
à la recherche des autres
des autres
des autres qui ne mangent pas parce qu’ils n’ont rien à manger
des autres tellement fatigués
des autres assis sur les trottoirs
et qui attendent
qui attendent que ça change et qui en ont assez
et qui s’en vont à la recherche des autres
tous les autres
tous les autres tellement fatigués
fatigués d’attendre
fatigués…
Regardez dit l’hirondelle à ses petits
ils sont des milliers
et les petits passent la tête hors du nid
et regardent les hommes marcher
S’ils restent bien unis ensemble
ils mangeront dit l’hirondelle
mais s’ils se séparent ils crèveront
Restez ensemble hommes pauvres
restez unis
crient les petits de l’hirondelle
Restez ensemble hommes pauvres
restez unis
crient les petits
quelques hommes les entendent
saluent du poing
et sourient.
1937
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8 août 2013 à 15 03 38 08388
Familiale
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
La mère fait du tricot
Le fils fait la guerre
Elle trouve ça tout naturel la mère
Et le père qu’est-ce qu’il fait le père?
Il fait des affaires
Sa femme fait du tricot
Son fils la guerre
Lui des affaires
Il trouve ça tout naturel le père
Et le fils et le fils
Qu’est-ce qu’il trouve le fils?
Il ne trouve rien absolument rien le fils
Le fils sa mère fait du tricot son père des affaires lui la guerre
Quand il aura fini la guerre
Il fera des affaires avec son père
La guerre continue la mère continue elle tricote
Le père continue il fait des affaires
Le fils est tué il ne continue plus
Le père et la mère vont au cimetière
Ils trouvent ça naturel le père et la mère
La vie continue la vie avec le tricot la guerre les affaires
Les affaires la guerre le tricot la guerre
Les affaires les affaires et les affaires
La vie avec le cimetière..
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8 août 2013 à 15 03 41 08418
Fête foraine
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Heureux comme la truite remontant le torrent
Heureux le cœur du monde
Sur son jet d’eau de sang
Heureux le limonaire
Hurlant dans la poussière
De sa voix de citron
Un refrain populaire
Sans rime ni raison
Heureux les amoureux
Sur les montagnes russes
Heureuse la fille rousse
Sur son cheval blanc
Heureux le garçon brun
Qui l’attend en souriant
Heureux cet homme en deuil
Debout dans sa nacelle
Heureuse la grosse dame
Avec son cerf-volant
Heureux le vieil idiot
Qui fracasse la vaisselle
Heureux dans son carrosse
Un tout petit enfant
Malheureux les conscrits
Devant le stand de tir
Visant le cœur du monde
Visant leur propre cœur
Visant le cœur du monde
En éclatant de rire.
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8 août 2013 à 15 03 43 08438
Fille d’acier
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Fille d’acier je n’aimais personne dans le monde
Je n’aimais personne sauf celui que j’aimais
Mon amant mon amant celui qui m’attirait
Maintenant tout a changé est-ce lui qui a cessé de
m’aimer
Mon amant qui a cessé de m’attirer est-ce moi?
Je ne sais pas et puis qu’est-ce que ça peut faire tout ça?
Maintenant je suis couchée sur la paille humide de
l’amour
Toute seule avec tous les autres toute seule désespérée
Fille de fer-blanc fille rouillée
O mon amant mon amant mort ou vivant
Je veux que tu te rappelles autrefois
Mon amant celui qui m’aimait et que j’aimais.
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8 août 2013 à 16 04 00 08008
Fleurs et couronnes
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Homme
Tu as regardé la plus triste la plus morne de toutes les fleurs de la terre
Et comme aux autres fleurs tu lui as donné un nom
Tu l’as appelée Pensée.
Pensée
C’était comme on dit bien observé
Bien pensé
Et ces sales fleurs qui ne vivent ni ne se fanent jamais
Tu les as appelées immortelles…
C’était bien fait pour elles…
Mais le lilas tu l’as appelé lilas
Lilas c’était tout à fait ça
Lilas… Lilas…
Aux marguerites tu as donné un nom de femme
Ou bien aux femmes tu as donné un nom de fleur
C’est pareil.
L’essentiel c’était que ce soit joli
Que ça fasse plaisir…
Enfin tu as donné les noms simples à toutes les fleurs simples
Et la plus grande la plus belle
Celle qui pousse toute droite sur le fumier de la misère
Celle qui se dresse à côté des vieux ressorts rouilles
A côté des vieux chiens mouillés
A côté des vieux matelas éventrés
A côté des baraques de planches où vivent les sousalimentés
Cette fleur tellement vivante
Toute jaune toute brillante
Celle que les savants appellent Hélianthe
Toi tu l’as appelée soleil
…Soleil…
Hélas! hélas! hélas et beaucoup de fois hélas!
Qui regarde le soleil hein?
Qui regarde le soleil?
Personne ne regarde plus le soleil
Les hommes sont devenus ce qu’ils sont devenus
Des hommes intelligents…
Une fleur cancéreuse tubéreuse et méticuleuse à leur boutonnière
Ils se promènent en regardant par terre
Et ils pensent au ciel
Ils pensent… Ils pensent… ils n’arrêtent pas de penser…
Ils ne peuvent plus aimer les véritables fleurs vivantes
Ils aiment les fleurs fanées les fleurs séchées
Les immortelles et les pensées
Et ils marchent dans la boue des souvenirs dans la boue des regrets…
Ils se traînent
A grand-peine
Dans les marécages du passé
Et ils traînent… ils traînent leurs chaînes
Et ils traînent les pieds au pas cadencé…
Ils avancent à grand-peine
Enlisés dans leurs champs-élysées
Et ils chantent à tue-tête la chanson mortuaire
Oui ils chantent
A tue-tête
Mais tout ce qui est mort dans leur tête
Pour rien au monde ils ne voudraient l’enlever
Parce que
Dans leur tête
Pousse la fleur sacrée
La sale maigre petite fleur
La fleur malade
La fleur aigre
La fleur toujours fanée
La fleur personnelle…
…La pensée…
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8 août 2013 à 16 04 03 08038
Histoire du cheval
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Braves gens écoutez ma complainte
écoutez l’histoire de ma vie
c’est un orphelin qui vous parle
qui vous raconte ses petits ennuis
hue donc…
Un jour un général
ou bien c’était une nuit
un général eu donc
deux chevaux tués sous lui.
ces deux chevaux c’étaient
hue donc…
que la vie est amère
c’étaient mon pauvre père
et puis ma pauvre mère
qui c’étaient cachés sous le lit
sous le lit du général qui
qui s’était caché à l’arrière
dans une petite ville du Midi.
Le général parlait
parlait tout seul la nuit
parlait en général de ses petits ennuis
et c’est comme ça que mon père
et c’est comme ça que ma mère
hue donc…
une nuit sont morts d’ennui.
Pour moi la vie de famille était déjà finie
sortant de la table de nuit
au grand galop je m’enfuis
je m’enfuis vers la grande ville
où tout brille et tout luit
en moto j’arrive à Sabi en Paro
excusez-moi je parle cheval
un matin j’arrive à Paris en sabots
je demande à voir le lion
le roi des animaux
je reçois un coup de brancard
sur le coin du naseau
car il y avait la guerre
la guerre qui continuait
on me colle des œillères
me v’là mobilisé
et comme il y avait la guerre
la guerre qui continuait
la vie devenait chère
les vivres diminuaient
et plus il diminuaient
plus les gens me regardaient
avec un drôle de regard
et les dents qui claquaient
ils m’appelaient beefsteak
je croyais que c’était de l’anglais
hue donc…
tous ceux qu’étaient vivants
et qui me caressaient
attendaient que j’sois mort
pour pouvoir me bouffer.
Une nuit dans l’écurie
une nuit où je dormais
j’entends un drôle de bruit
une voix que je connais
c’était le vieux général
le vieux général qui revenait
qui revenait comme un revenant
avec un vieux commandant
et ils croyaient que je dormais
et ils parlaient très doucement.
Assez assez de riz à l’eau
nous voulons manger de l’animau
y a qu’à lui mettre dans son avoine
des aiguilles de phono.
Alors mon sang ne fit qu’un tour
comme un tour de chevaux de bois
et sortant de l’écurie
je m’enfuis dans les bois.
Maintenant la guerre est finie
et le vieux général est mort
est mort dans son lit
mort de sa belle mort
mais moi je suis vivant et c’est le principal
bonsoir
bonne nuit
bon appétit mon général.
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8 août 2013 à 16 04 08 08088
Il ne faut pas…
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
II ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec les allumettes
Parce que Messieurs quand on le laisse seul
Le monde mental Messssieurs
N’est pas du tout brillant
Et sitôt qu’il est seul
Travaille arbitrairement
S’érigeant pour soi-même
Et soi-disant généreusement en l’honneur des travailleurs du bâtiment
Un auto-monument
Répétons-le Messssssieurs
Quand on le laisse seul
Le monde mental
Ment
Monumentalement.
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8 août 2013 à 16 04 10 08108
Immense et rouge
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Immense et rouge
Au-dessus du Grand Palais
Le soleil d’hiver apparaît
Et disparaît
Comme lui mon coeur va disparaître
Et tout mon sang va s’en aller
S’en aller à ta recherche
Mon amour
Ma beauté
Et te trouver
Là où tu es.
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8 août 2013 à 16 04 12 08128
Inventaire
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Une pierre
deux maisons
trois ruines quatre fossoyeurs
un jardin
des fleurs
un raton laveur
une douzaine d’huîtres un citron un pain
un rayon de soleil une lame de fond
six musiciens
une porte avec son paillasson
un monsieur décoré de la légion d’honneur
un autre raton laveur
un sculpteur qui sculpte des Napoléon
la fleur qu’on appelle souci
deux amoureux sur un grand lit
un receveur des contributions une chaise trois dindons
un ecclésiastique un furoncle
une guêpe
un rein flottant
une écurie de courses
un fils indigne deux frères dominicains trois sauterelles un strapontin
deux filles de joie un oncle Cyprien
une Mater dolorosa trois papas gâteau deux chèvres de Monsieur Seguin
un talon Louis XV
un fauteuil Louis XVI
un tiroir dépareillé
une pelote de ficelle deux épingles de sûreté un monsieur âgé
une Victoire de Samothrace un comptable deux aides-comptables un homme du monde deux chirurgiens trois végétariens
un cannibale
une expédition coloniale un cheval entier une demi-pinte de bon sang une moucne tsé-tsé un homard à l’américaine un jardin à la française
deux pommes à l’anglaise
un face-à-main un valet de pied un orphelin un poumon d’acier
un jour de gloire
une semaine de bonté
un mois de Marie
une année terrible
une minute de silence
une seconde d’inattention
et…
cinq ou six ratons laveurs
un petit garçon qui entre à l’école en pleurant
un petit garçon qui sort de l’école en riant
une fourmi
deux pierres à briquet
dix-sept éléphants un juge d’instruction en vacances assis sur un pliant
un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans
une vache
un taureau
deux belles amours trois grandes orgues un veau marengo
un soleil d’Austerlitz
un siphon d’eau de Seltz
un vin blanc citron
un Petit Poucet un grand pardon un calvaire de pierre une échelle de corde
deux sœurs latines trois dimensions douze apôtres mille et une nuits trente-deux positions six parties du monde cinq points cardinaux dix ans de bons et loyaux services sept péchés capitaux deux doigts de la main dix gouttes avant chaque repas trente jours de prison dont quinze de cellule cinq minutes d’entr’acte
et…
plusieurs ratons laveurs.
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8 août 2013 à 16 04 15 08158
J’en ai vu plusieurs…
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
J’en ai vu un qui s’était assis sur le chapeau d’un autre
il était pâle
il tremblait
il attendait quelque chose…n’importe quoi…
la guerre…la fin du monde…
il lui était absolument impossible de faire un geste ou de parler
et l’autre
l’autre qui cherchait « son » chapeau était plus pâle encore
et lui aussi tremblait
et se répétait sans cesse:
mon chapeau… mon chapeau…
et il avait envie de pleurer.
J’en ai vu un qui lisait les journaux
j’en ai vu un qui saluait le drapeau
j’en ai vu un qui était habillé de noir
il avait une montre
une chaîne de montre
un porte-monnaie
la légion d’honneur
et un pince-nez.
J’en ai vu un qui tirait son enfant par la main
et qui criait…
J’en ai vu un avec un chien
J’en ai vu un avec une canne à épée
J’en ai vu un qui pleurait
J’en ai vu un qui entrait dans une église
J’en ai vu un autre qui en sortait…
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8 août 2013 à 16 04 18 08188
Je suis comme je suis
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Quand j’ai envie de rire
Oui je ris aux éclats
J’aime celui qui m’aime
Est-ce ma faute à moi
Si ce n’est pas le même
Que j’aime chaque fois
Je suis comme je suis
Je suis faite comme ça
Que voulez-vous de plus
Que voulez-vous de moi
Je suis faite pour plaire
Et n’y puis rien changer
Mes talons sont trop hauts
Ma taille trop cambrée
Mes seins beaucoup trop durs
Et mes yeux trop cernés
Et puis après
Qu’est-ce que ça peut vous faire
Je suis comme je suis
Je plais à qui je plais
Qu’est-ce que ça peut vous faire
Ce qui m’est arrivé
Oui j’ai aimé quelqu’un
Oui quelqu’un m’a aimée
Comme les enfants qui s’aiment
Simplement savent aimer
Aimer aimer…
Pourquoi me questionner
Je suis là pour vous plaire
Et n’y puis rien changer.
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8 août 2013 à 16 04 19 08198
L’accent grave
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Le Professeur
Élève Hamlet!
L’élève Hamlet
(sursautant)
…Hein… Quoi… Pardon… Qu’est-ce qui se passe…
Qu’est-ce qu’il y a… Qu’est-ce que c’est?…
Le Professeur
(mécontent)
Vous ne pouvez pas répondre « présent » comme
tout le monde? Pas possible,
vous êtes encore dans les nuages.
L’élève Hamlet
Être ou ne pas être dans les nuages!
Le Professeur
Suffit. Pas tant de manières.
Et conjuguez-moi le verbe être, comme tout le monde,
c’est tout ce que je vous demande.
L’élève Hamlet
To be…
Le Professeur
En français, s’il vous plait, comme tout le monde.
L’élève Hamlet
Bien, monsieur.
(Il conjugue:)
Je suis ou je ne suis pas
Tu es ou tu n’es pas
Il est ou il n’est pas
Nous sommes ou nous ne sommes pas…
Le Professeur
(excessivement mécontent)
Mais c’est vous qui n’y êtes pas, mon pauvre, ami!
L’élève Hamlet
C’est exact, monsieur le professeur,
Je suis « où » je ne suis pas
Et, dans le fond, hein, à la réflexion,
Être « où » ne pas être
C’est peut-être aussi la question
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8 août 2013 à 16 04 20 08208
L’amiral
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
L’amiral Larima
Larima quoi
la rime à rien
l’amiral Larima
l’amiral Rien.
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8 août 2013 à 16 04 21 08218
L’automne
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Un cheval s’écroule au milieu d’une allée
Les feuilles tombent sur lui
Notre amour frissonne
Et le soleil aussi.
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8 août 2013 à 16 04 23 08238
L’éclipse
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Louis XIV qu’on appelait aussi Roi Soleil
était souvent assis sur une chaise percée
vers la fin de son règne
une nuit où il faisait très sombre
le Roi Soleil se leva de son lit
alla s’asseoir sur sa chaise
et disparut.
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8 août 2013 à 16 04 29 08298
L’école des beaux-arts
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Dans une boîte de paille tressée
Le père choisit une petite boule de papier
Et il la jette
Dans la cuvette
Devant ses enfants intrigués
Surgit alors
Multicolore
La grande fleur japonaise
Le nénuphar instantané
Et les enfants se taisent
Émerveillés
Jamais plus tard dans leur souvenir
Cette fleur ne pourra se faner
Cette fleur subite
Faite pour eux
A la minute
Devant eux.
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8 août 2013 à 16 04 30 08308
L’effort humain
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
L’effort humain
n’est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire
l’imbécile illusion
de la joie de la danse et de la jubilation
évoquant avec l’autre jambe en l’air
la douceur du retour à la maison
Non
l’effort humain ne porte pas un petit enfant sur l’épaule droite
un autre sur la tête
et un troisième sur l’épaule gauche
avec les outils en bandoulière
et la jeune femme heureuse accrochée à son bras
L’effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois
L’effort humain n’a pas de vraie maison
il sent l’odeur de son travail
et il est touché aux poumons
son salaire est maigre
ses enfants aussi
il travaille comme un nègre
et le nègre travaille comme lui
L’effort humain n’a pas de savoir-vivre
l’effort humain n’a pas l’âge de raison
l’effort humain a l’âge des casernes
l’âge des bagnes et des prisons
l’âge des églises et des usines
l’âge des canons
et lui qui a planté partout toutes les vignes
et accordé tous les violons
il se nourrit de mauvais rêves
et il se saoule avec le mauvais vin de la résignation
et comme un grand écureuil ivre
sans arrêt il tourne en rond
dans un univers hostile
poussiéreux et bas de plafond
et il forge sans cesse la chaîne
la terrifiante chaîne où tout s’enchaîne
la misère le profit le travail la tuerie
la tristesse le malheur l’insomnie et l’ennui
la terrifiante chaîne d’or
de charbon de fer et d’acier
de mâchefer et de poussier
passée autour du cou
d’un monde désemparé
la misérable chaîne
où viennent s’accrocher
les breloques divines
les reliques sacrées
les croix d’honneur les croix gammées
les ouistitis porte-bonheur
les médailles des vieux serviteurs
les colifichets du malheur
et la grande pièce de musée
le grand portrait équestre
le grand portrait en pied
le grand portrait de face de profil à cloche-pied
le grand portrait doré
le grand portrait du grand divinateur
le grand portrait du grand empereur
le grand portrait du grand penseur
du grand sauteur
du grand moralisateur
du digne et triste farceur
la tête du grand emmerdeur
la tête de l’agressif pacificateur
la. tête policière du grand libérateur
la tête d’Adolf Hitler
la tête de monsieur Thiers
la tête du dictateur
la tête du fusilleur
de n’importe quel pays
de n’importe quelle couleur
la tête odieuse
la tête malheureuse
la tête à claques
la tête à massacre
la tête de la peur.
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8 août 2013 à 16 04 33 08338
L’épopée
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Le tombereau de l’empereur passe interminablement
Un invalide le conduit qui marche sur une main
Une main gantée de blanc
De l’autre main il tient la bride
Il a perdu ses deux jambes dans l’histoire
Il y a de cela très longtemps
Et elles se promènent là-bas
Dans l’histoire
Chacune de son côté
Et quand elles se rencontrent
Elles se donnent des coups de pied
A la guerre comme à la guerre
Qu’est-ce que vous voulez.
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8 août 2013 à 16 04 36 08368
L’ordre nouveau
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Le soleil gît sur le sol
Litre de vin rouge brisé
Une maison comme un ivrogne
Sur le pavé s’est écroulée
Et sous son porche encore debout
Une jeune fille est allongée
Un homme à genoux près d’elle
Est en train de l’achever
Dans la plaie où remue le fer
Le cœur ne cesse de saigner
Et l’homme pousse un cri de guerre
Comme un absurde cri de paon
Et son cri se perd dans la nuit
Hors la vie hors du temps
Et l’homme au visage de poussière
L’homme perdu et abîmé
Se redresse et crie « Heil Hitler ! »
D’une voix désespérée
En face de lui dans les débris
D’une boutique calcinée
Le portrait d’un vieillard blême
Le regarde avec bonté
Sur sa manche des étoiles brillent
D’autres aussi sur son képi
Comme les étoiles brillent à Noël
Sur les sapins pour les petits
Et l’homme des sections d’assaut
Devant le merveilleux chromo
Soudain se retrouve en famille
Au cœur même de l’ordre nouveau
Et remet son poignard dans sa gaine
Et s’en va tout droit devant lui
Automate de l’Europe nouvelle
Détraqué par le mal du pays
Adieu adieu Lily Marlène
Et son pas et son chant s’éloignent dans la nuit
Et le portrait du vieillard blême
Au milieu des décombres
Reste seul et sourit
Tranquille dans la pénombre
Sénile et sûr de lui.
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8 août 2013 à 16 04 38 08388
L’orgue de Barbarie
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Moi je joue du piano
disait l’un
moi je joue du violon
disait l’autre
moi de la harpe moi du banjo
moi du violoncelle
moi du biniou… moi de la flûte
et moi de la crécelle.
Et les uns et les autres parlaient parlaient
parlaient de ce qu’ils jouaient.
On n’entendait pas la musique
tout le monde parlait
parlait parlait
personne ne jouait
mais dans un coin un homme se taisait:
«Et de quel instrument jouez-vous Monsieur
qui vous taisez et qui ne dites rien?»
lui demandèrent les musiciens.
«Moi je joue de l’orgue de Barbarie
et je joue du couteau aussi»
dit l’homme qui jusqu’ici
n’avait absolument rien dit
et puis il s’avança le couteau à la main
et il tua tous les musiciens
et il joua de l’orgue de Barbarie
et sa musique était si vraie
et si vivante et si jolie
que la petite fille du maître de la maison
sortit de dessous le piano
où elle était couchée endormie par ennui
et elle dit:
«Moi je jouais au cerceau
à la balle au chasseur
je jouais à la marelle
je jouais avec un seau
je jouais avec une pelle
je jouais au papa et à la maman
je jouais à chat perché
je jouais avec mes poupées
je jouais avec une ombrelle
je jouais avec mon petit frère
avec ma petite sœur
je jouais au gendarme
et au voleur
mais c’est fini fini fini
je veux jouer à l’assassin
je veux jouer de l’orgue de Barbarie.»
Et l’homme prit la petite fille par la main
et ils s’en allèrent dans les villes
dans les maisons dans les jardins
et puis ils tuèrent le plus de monde possible
après quoi ils se marièrent
et ils eurent beaucoup d’enfants.
Mais
l’aîné apprit le piano
le second le violon
le troisième la harpe
le quatrième la crécelle
le cinquième le violoncelle
et puis ils se mirent à parler parler
parler parler parler
on n’entendit plus la musique
et tout fut à recommencer!
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8 août 2013 à 16 04 40 08408
La batteuse
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
La batteuse est arrivée
la batteuse est repartie
Ils ont battu le tambour
ils ont battu les tapis
ils ont tordu le linge
ils l’ont pendu
ils l’ont repassé
ils ont fouetté la crème et ils l’ont renversée
ils ont fouetté un peu leurs enfants aussi
ils ont sonné les cloches
ils ont égorgé le cochon
ils ont grillé le café
ils ont fendu le bois
ils ont cassé les œufs
ils ont fait sauter le veau avec les petits pois
ils ont flambé l’omelette au rhum
ils ont découpé la dinde
ils ont tordu le cou aux poulets
ils ont écorché les lapins
ils ont éventré les barriques
ils ont noyé leur chagrin dans le vin
ils ont claqué les portes et les fesses des femmes
ils se sont donné un coup de main
ils se sont rendu des coups de pied
ils ont basculé la table
ils ont arraché la nappe
ils ont poussé la romance
ils se sont étranglés étouffés tordus de rire
ils ont brisé la carafe d’eau frappée
ils ont renversé la crème renversée
ils ont pincé les filles
ils les ont culbutées dans le fossé
ils ont mordu la poussière
ils ont battu la campagne
ils ont tapé des pieds
tapé des pieds tapé des mains
ils ont crié et ils ont hurlé ils ont chanté
ils ont dansé
ils ont dansé autour des granges où le blé était enfermé
Où le blé était enfermé moulu fourbu vaincu battu.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
8 août 2013 à 16 04 41 08418
La belle saison
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
A jeun perdue glacée
Toute seule sans un sou
Une fille de seize ans
Immobile debout
Place de la Concorde
A midi le Quinze Août.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
8 août 2013 à 16 04 46 08468
La Cène
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Il sont à table
Ils ne mangent pas
Ils ne sont pas dans leur assiette
Et leur assiette se tient toute droite
Verticalement derrière leur tête.
Dernière publication sur 1.Bonjour de Sougueur : Mon bébé, Justin, me manque beaucoup
8 août 2013 à 16 04 49 08498
La crosse en l’air
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Rassurez-vous braves gens
ce n’est pas un appel à la révolte
c’est un évêque qui est saoul et qui met sa crosse en l’air
comme ça… en titubant…
il est saoul
il a sur la tête cette coiffure qu’on appelle mitre
et tous ses vêtements sont brodés richement
il est saoul
il roule dans le ruisseau
sa mitre tombe
c’est le soir
ça se passe rue de Rome près de la gare Saint-Lazare
sur le trottoir il y a un chien
il est assis sur son cul
il regarde l’évêque
l’évêque regarde le chien
ils se regardent en chiens de faïence
mais voilà l’évêque fermant les yeux
l’évêque secoué par le hoquet
le chien reste immobile
et seul
mais l’évêque voit deux chiens
dégueulis… dégueulis… dégueulis
voilà l’évêque qui vomit
dans le ruisseau passent des cheveux…
…des vieux peignes…
…des tickets de métro…
des morceaux d’ouate thermogène…
des préservatifs… des bouchons de liège… des mégots
l’évêque pense tristement
Est-il possible que j’aie mangé tout ça
le chien hausse les épaules
et s’enfuit avec la mitre
l’évêque reste seul devant la pharmacie
ça se passe rue de Rome
rue de Rome il y a une pharmacie
l’évêque crie
le pharmacien sort de sa pharmacie
il voit l’évêque
il fait le signe de la croix
puis
plaçant ensuite deux doigts dans la bouche de l’évêque il l’aide…
… il aide l’évêque à vomir…
l’autre appelle son fils fait le signe de la croix
puis recommence à vomir
le pharmacien avec les doigts qui ont fait le signe de la croix
aide encore l’évêque à vomir
puis fait le signe de la croix
et ainsi de suite
alternativement
signe de la croix et vomissement
plus loin
derrière une palissade
dans une maison en construction
ou en démolition
enfin dans une maison pour les humains
il y a une grande réception
c’est la grande réception
chez les chiens de cirque
la grande rigolade
il y en a qui ont apporté des os
d’autres des escalopes
beaucoup de choses
ceux qui ont la queue en trompette font l’orchestre
c’est le grand cirque des chiens
celui qui a lieu le premier vendredi de chaque mois
mais seuls les chiens savent ça
devant tous les chiens assis
les autres chiens font leur numéro
le chien d’aveugle
le chien de fusil
le chien de garde
le chien de berger
mais voilà le grand délire
et les spectateurs aboient du vrai grand rire
le chien de la rue de Rome vient d’arriver
il a sur la tête la mitre et il fait le pitre
le pitre
avec tous les gestes saints
le clown chien aboie en latin
il aboie au christ
il aboie au vendredi saint
il dit la messe avec sa queue
et tous les chiens se tordent à qui mieux mieux
Notre père chien qui êtes aux cieux…
mais le veilleur de nuit se réveille
et le monde des chiens s’enfuit
le veilleur de nuit se rendort
le veilleur de nuit est pris par le rêve
rêve de silence
rêve de bruits
rêve…
rue de Rome le ruisseau coule doucement
dans son rêve le veilleur de nuit l’entend
rêve de ruisseau
rêve d’eau
rêve de rue
rêve de Rome
rêve d’homme
rêve du pape… rêve de Rome… rêve du Vatican
rêve de souvenir
rêve d’enfant
Rome l’unique objet de mon ressentiment
le veilleur de nuit se réveille
se réveille en répétant
Parfaitement
parfaitement
Rome l’unique objet de mon ressentiment
il se réveille
il se lève
il se lave les dents
répétant
répétant
Rome l’unique objet de mon ressentiment
et le voilà la lanterne à la main
le voilà qui suit son petit bonhomme de chemin
son petit bonhomme de chemin le mène à Rome
comme tous les autres chemins
parfaitement
parfaitement
à Rome devant le Vatican
parfaitement
pauvre veilleur de nuit le voilà perdu en plein jour
au beau milieu d’une ville peuplée de gens qui ne parlent
pas la même langue que lui
triste voyage
soudain il voit une petite fumée qui monte dans le ciel au-dessus des maisons
alors il crie au feu
mais un Italien lui explique en italien que toujours
il y a une petite fumée qui monte dans le ciel
quand un nouveau pape est élu
le veilleur de nuit n’y comprend rien
il hoche la tête
et le soir tombe sur la campagne électorale à Rome le pape est élu
aux quatre coins cardinaux il y a des cardinaux
qui font la gueule en coin
ils ne seront pas pape
tout est foutu
c’est alors qu’au balcon
sérieux comme un pape
parait le pape
entouré de ses sous-papes
il a sur la tête la coiffure à trois cornes appelée tiare
et il étend la main
la foule se prosterne
la foule cherche sa salive
la foule trouve sa salive
la foule crache par terre
la foule se roule dans son crachat
le pape fait avec sa main de pape un geste de pape
on ferme la fenêtre
et la foule s’en va
s’en va par la ville en répétant
Ça y est
nous l’avons vu
nous l’avons touché du regard
un peu plus tard assis sur ses fesses dans son carrosse de nougat doré le grand taulier du Vatican fait le tour de son quartier réservé et puis il rentre au Vatican où fier lui aussi comme un pape son vieux papa l’attend
effusions familiales
grandes eaux lacrymales
le père a une tête de vieux paysan
il fume la pipe
il est simple
hélas hélas
la pipe au papa du pape Pie pue
on ouvre les fenêtres… on brûle du sucre… on ferme
les fenêtres… ce qu’il faut avant tout c’est de la tenue
mais tous les ruisseaux mènent à Rome
et voilà l’évêque qui surgit en agitant sa crosse
son visage est défait comme un vieux lit
il titube… l’indignation est générale… le Saint-Père écarte son vieux père qui veut faire à l’évêque un mauvais parti
et s’approchant de l’évêque lui dit
On dirait que vous avez bu
et il le lui dit avec une tellement grandiose expression de mépris
que tous les cardinaux en sont glacés jusqu’aux os silence
grand silence mais de courte durée
car l’évêque est plus ivre que le pape ne le pensait
et comme il a appris les mauvais mots dans un bordel de la rue de l’Échaudé il dit ce qu’il lui plaît de dire
Dans tous les cas si je suis saoul c’est pas avec ce que tu m’as payé… tout pape que tu es… mais il éternue parce qu’il a froid à la tête depuis que le chien lui a fauché la mitre
Fermez les fenêtres dit le pape
un sous-pape répond à sa sainteté que les fenêtres sont déjà fermées
Excusez-moi dit le pape on peut se tromper je ne suis infaillible que lorsque je parle des choses de la religion soudain l’évêque
Infaillible… tais-toi… tu me fais marrer… face de pet… les choses de la religion… infaillible… il y a de quoi se les mordre… vieil os sans viande j’en ai marre des choses de la religion et puis d’abord pourquoi que tu es pape et pas moi… hein peux-tu le dire… t’as profité de mon voyage pour te faire élire… combinard… cumulard… tout ce que tu veux c’est te remplir la tirelire… mais le pape le désigne dramatiquement du doigt Barnabé je vous mets à l’index… alors l’affreux vieillard éclate de rire il est tête nue il se secoue
il secoue toute l’eau du ruisseau il éternue
il est trempé comme un vieux tampon-buvard
abandonné sous la pluie dans la cour d’une mairie triste
trempé comme un vieux morceau de pain
dans un verre d’eau sale
et il hurle
et il tonitrue…
Ah ! il est bath le pape
il est gratiné le pape…
et il se vautre
il plaisante salement L’index sacré
sais-tu où on le met l’index dans la rue de l’Échaudé c’en est trop
l’autre affreux vieillard c’est le pape
il faut appeler les choses par leur nom
un chien c’est un chien
un tournesol c’est un tournesol
une petite fille qui joue au cerceau dans une allée
du Luxembourg
c’est une petite fille qui joue au cerceau dans une allée du Luxembourg
le Luxembourg c’est un jardin
une fleur c’est une fleur
mais un pape qu’est-ce que c’est
un affreux vieillard
et c’est pour ça que le catholique pratiquant lorsqu’il se rend au cinématographe parlant pour voir documentairement le vrai visage du Vatican… c’est pour ça qu’il fait une drôle de tête le catholique pratiquant ce qu’il imaginait ce n’était pas cet ecclésiastique blême… mais un pape… un homme de nuages… une sorte de secrétaire de dieu avec des anges pour lui tenir la queue…
mais cette grande photographie plate qui remue la bouche en latin
cette grande tête avec toutes les marques de la déformation professionnelle
la dignité l’onction l’extrême-onction la cruauté la roublardise la papelardise et tous ces simulacres toutes ces mornes et sérieuses pitreries toutes ces vaticaneries… ces fétiches… ces gris-gris… ce luxe… ces tapis… ces wagons-salons… ces locomotives d’or… ces cure-dents d’argent… ces chiottes de platine… toute cette vaisselle de riche-toutes ces coûteuses ces ruineuses saloperies… tout cela met le catholique mal à l’aise sur le fauteuil qu’il a payé seize francs et il entend des rires de curieuses réflexions
aux places les moins chères des spectateurs se tapent sur les cuisses Vise un peu le Saint-Père comment qu’il est fringue… avec un anneau dans le nez j’te jure qu’il serait complet… c’est alors que le catholique pratiquant sent monter en lui de terribles questions
Hélas… puisqu’il y a des cache-nez… des cache-tampons… des cache-cols… des cache-noisettes… des cache-pots pourquoi n’y a-t-il pas de cache-pape… point d’interrogation et plus d’autres questions
à chaque question qu’il se pose malgré lui le catholique
pratiquant a beau essayer de répondre que la question
n’est pas là… la question est là… la question continue
d’être en question et remet tout en question
devinette chrétienne
Aimez-vous les uns les autres
Couci couça c’est la réponse
il a répondu malgré lui le catholique pratiquant
et il a honte
quelle drôle de maladie la honte
et comme ça rend laid
il pleure… il voudrait aimer tout le monde
(qu’il dit)
il ne peut pas aimer…
il ne peut que respecter ou haïr…
il pleure
mais sur l’écran, le pape s’en va en retroussant ses jupons blancs… le film du Saint-Père est terminé voici d’autres actualités
des militaires italiens bombardent un village abyssin
le catholique pratiquant sent ses larmes
se tarir brusquement
sent son cœur battre amoureusement
sent ses poings qui se serrent convulsivement
il aime tellement les militaires… les civières…
les enterrements… les cimetières… les vieilles pierres…
les calvaires… les ossements…
à chaque torpille qui tue les « nègres »
il pousse un petit gloussement blanc
devant les images de la mort la joie de vivre le saisit il voit là-haut dans le ciel tous les frères en Jésus-Christ tous ses frères en Mussolini les archanges des saints abattoirs les éventreurs… les aviateurs… les mitrailleurs… toute la clique de notre seigneur… il est fou de joie… il est content… il grimpe sur son fauteuil à seize francs… il acclame l’escadrille des catholiques trafiquants… il sent monter en lui l’espoir un jour aussi peut-être il versera le sang le sang des pauvres… le sang des noirs… le sang de ceux qui sont vraiment vivants mais l’enthousiasme c’est épuisant et le pauvre petit malheureux catholique pratiquant impuissant et trafiquant… le pauvre pauvre pauvre petit petit petit tout petit tout petit très malheureux… très catholique… très catholique… très pratiquant se rassoit sur son fauteuil à seize francs
le spectacle est permanent…
il en aura pour son argent…
et le spectacle recommence…
voilà les gentils animaux des dessins animés
mais ils ne restent pas là longtemps
parce que voilà que revoilà le vrai visage du Vatican
ça commence par des vues de Borne
on montre les quartiers de la ville
dans une rue il y a deux hommes
personne ne les remarque
l’un de ces deux hommes c’est le veilleur de nuit l’autre c’est un Italien qui n’a pas de travail un Romain
un Romain avec des pièces au fond du pantalon un Romain qui crève de faim les deux hommes sortent du film personne ne s’aperçoit de leur disparition
et là-bas ils continuent à se promener dans Rome
le Romain fait des gestes avec la main
ces gestes le veilleur de nuit les comprend
il n’a pas besoin d’allumer sa lanterne
ce sont des gestes pareils aux siens
un pour serrer la ceinture
un pour montrer les devantures
un autre geste avec la main à plat au-dessus du pavé
en penchant un peu l’épaule
ça veut dire qu’on a des enfants
avec les doigts on fait le compte
c’est un Romain qui a trois enfants
et pas de travail
et ils parlent aussi un petit peu les deux hommes
et ils se comprennent très bien avec très peu de mots
le Romain et le Parisien
Gangster Mussolini
Mussolini gangster
ils éclatent de rire
ils se sont parfaitement compris
une grande joie les fait rire
Gangster… Mussolini
avant!… avanti…
à voix basse le Romain chante au veilleur de nuit
la chanson interdite
Partant pour l’Ethiopie
avanti… avanti…
les fusils partiront tout seuls
c’est moi qui vous le dis
qu’ils partent donc tout seuls
les fusils
qu’ils s’en aillent,
nous resterons à la maison
et quand ils reviendront
nous irons les chercher à la gare avec une fanfare
le veilleur de nuit ne comprend pas
toutes les paroles de la chanson
mais il en comprend le sens
et il recommence à rire
et les deux hommes trouvent d’autres copains
un qui travaille chez Fiat à Turin
Turin… Turin-cassis…
le veilleur de nuit pense à l’apéritif et ça lui donne soif il s’arrête près d’une fontaine il entend le bruit de l’eau il s’assoit il boit
il entend l’eau et son rêve le reprend Rome l’unique objet de mon ressentiment il dit au revoir aux autres et s’en va vers le Vatican… il ne sait pas d’où ça lui vient mais il a un tas de choses à dire et tout le temps il pensait à ces choses quand il était tout seul auprès du brasero l’hiver la nuit dans son chantier il a un théâtre dans la tête et dès qu’il est seul ça recommence à jouer et c’est des pièces terribles que ça joue pas des tragédies à guirlandes avec des bonzes d’autrefois qui débloquent comme à l’église des histoires de fesses qui riment
mais des pièces avec des hommes de viande avec de pauvres femmes vivantes avec du pain avec des chiffres
des chiffres… des orages de chiffres… toujours des petites sommes et puis des hommes qui fabriquent…
d’autres qui attendent tristement l’autobus sous la pluie des vieux souliers
des petites filles qui demandent humblement à crédit chez le laitier
des hommes… des femmes… des enfants
des hommes… des femmes… des enfants
qui se battent contre la misère
qui pataugent dans leur propre sang
dans le sang et dans la misère
dans la misère et dans le sang
et sur le sang de la misère les autres se gondolent à Venise avec des suspensoirs d’hermine et des diamants aux doigts de pied
les cloches sonnent dans les églises pour que les pauvres viennent prier mais lui le veilleur de nuit il veut empêcher les cloches de sonner il veut parler
il veut crier hurler gueuler
gueuler…
mais ce n’est pas pour lui tout seul qu’il veut gueuler c’est pour ses camarades du monde entier pour ses camarades charpentiers en fer qui fabriquent les maisons de la porte Champerret pour ses camarades cimentiers… ses camarades égoutiers… camarades surmenés… camarades pêcheurs de Douarnenez… camarades exploités… camarades de la T. C. R. P… camarades mal payés… camarades vidangeurs… camarades humiliés… camarades chinois des rizières de Chine… camarades affamés… camarades paysans du Danube… camarades torturés… camarades de Belleville… de Grenelle et de Mexico… camarades sous-alimentés… camarades mineurs du Borinage… camarades mineurs d’Oviedo…camarades décimés… mitraillés… camarades dockers de
Hambourg… camarades des faubourgs de Berlin… camarades
espionnés… bafoués… trompés… fatigués… découragés… camarades noirs des États-Unis… camarades lynchés… camarades marins des prisons maritimes… camarades emprisonnés… camarades indo-chinois de Poulo Condor… camarades matraqués… camarades… camarades…
c’est pour ses camarades qu’il veut gueuler le veilleur de nuit pour ses camarades de toutes les couleurs de tous les pays et tout en marchant il arrive devant la porte du Vatican et il s’arrête
devant la porte il y a des hommes la plume sur la tête
la hallebarde à la main
ces hommes lui barrent le chemin
et lui demandent ce qu’il veut
Je viens demander au pape s’E est sourdingue… comprenez je viens lui demander s’il est dur de la feuille et s’il sait lire s’il sait compter… lui demander ce qu’il pense de la situation mondiale lui demander puisque de son métier il dort être bon comme le bon pain ce qu’il attend pour ouvrir sa grande gueule en faveur des opprimés…
et la garde le laisse passer croyant qu’il s’agit d’un plombier qui vient remettre un joint au robinet de la baignoire dorée où parfois le Saint-Père vient se mouiller les fesses et le dessous des pieds il passe
il traverse les salons tu parles d’un bobinard mon vieil Edmond quel bordel madame Adèle quel boxon monsieur Léon Û glisse sur le parquet ciré sa lanterne à la main il glisse si vite
qu’on dirait un train
et le voilà qui écrase quelqu’un
un affreux
c’est un affreux vêtu de noir
une mèche de pétrole à la place des cheveux
la cravate blanche
les pieds douteux
le veilleur de nuit s’enfuit
Laval se relève et s’époussette
un valet s’empresse
Monsieur le comte
et monsieur le comte Laval demande au valet si la mule du pape est visible et comment il faut s’y prendre pour la baiser selon le protocole
on amène une mule d’essai et l’homme d’État et la bête restent seuls en tête à tête
le veilleur de nuit continuant son exploration arrive dans la grande antichambre près du grand salon de la grande réception… c’est fou ce qu’il peut y avoir de monde qui rampe sur le paillasson
un tas de gens connus des gens qui sont quelqu’un
des journalistes des hommes de main
des valets de pied des écrivains
des banquiers des académiciens
le veilleur de nuit les écoute
ils parlent… ils parlent du nez…
de la pluie et du beau temps
mais ils parlent surtout argent
il y en a qui sont avec leur femme
monsieur Déchet avec madame Déchet
monsieur Gésier avec madame Chaisière
monsieur Pierre Benoit madame Antinéa
madame Léon Bailby monsieur Antinoüs
monsieur Salmigondis madame Cora Laparcerie
monsieur Deibler et sa veuve
grand-papa Doumergue et ses petits-enfants et le petit monsieur tout seul Quenelle de Jouvenel Bertrand monsieur Claude Führer le grand pétopiomane et puis des Léon Vautel… des Clément Daudet… des Brioche la Rochelle des Jab de la Bretelle… des Maurras et des Vorace de Carbuccia des Gallus des Henribérot des Gugusses des compères Doriot des de mes deux Kérilis des Pol Morand des Chiappe des Henri Lavedan et voilà le lieutenant colonoque de la rondelle aux flambeaux
et les Schneider les de Wendel
tous les vieux débris du Creusot
tous les édentés carnivores
tous les vieux marcheurs de la mort
et ces dames
leurs dames
comme elles sont belles à voir quand on pense à autre chose et qu’on ferme les yeux
les propos qu’elles tiennent sont tout à fait savoureux elles parlent du pape
et quand elles parlent elles font avec la bouche le même bruit désagréable que lorsqu’elles remuent leur prie-Dieu le jour de la grand-messe des morts à Saint-Laurent pied de porc…
Et le pape m’a dit ceci et le pape m’a dit cela et papati et papata…
et ces messieurs s’en mêlent
Comme je le disais au Saint-Père dit Pol Morand à la douairière
Debout les morts et à la douche nous voulons des cadavres propres…
oh monsieur Morand
vous êtes le roi des cormorans et toujours tellement garnement
et la douairière se chatouille le fessier
elle voudrait bien se le faire dédicacer
soudain elle arrête de se chatouiller
et tout le monde arrête de faire ce qu’il faisait
tout le monde claque des talons
tous le monde rectifie la position
Mussolini traverse le salon
le voilà l’ennemi du Négus
le voilà l’authentique gugusse
le voilà le nouveau Poléon
il a la drôle de tête de l’homme qui croit que c’est arrivé mais qui ne sait pas au juste comment ça va se terminer… il salue tout ce beau monde à la romaine et tout ce beau monde à la romaine le salue
soudain Mussolini aperçoit le veilleur de nuit et s’approche de lui en fronçant les sourcils Alors on se salue plus
Je n’ai jamais salué personne dit le veilleur de nuit
et le Duce est très embêté
cet homme seul… ce sans-gêne… cette lanterne
peut-être que c’est Diogène
on ne sait jamais
et le Duce qui ne tient pas à avoir d’ennuis avec l’antiquité entraîne le veilleur de nuit dans un salon plus discret
les voilà assis sur une banquette
Moi ce que je souhaite dit Mussolini
c’est le bonheur de mon peuple
Tu l’as dit bouffi… répond le veilleur de nuit
et il se met à rire doucement
Mussolini est inquiet… soudain il entend du bruit
son inquiétude grandit
le bruit qui inquiète Mussolini
vient de dessous la banquette
sur laquelle il est assis
Ce n’est rien… dit le veilleur de nuit c’est le roi d’Italie il fait les cent pas il s’ennuie
Ah bon dit Mussolini
Moi je viens pour voir le pape dit le veilleur de nuit
Moi aussi dit Mussolini
Moi aussi dit venant de dessous la banquette
la petite voix du roi d’Italie
j’ai rendez-vous avec lui
Moi je n’ai pas rendez-vous dit le veilleur
je viens comme ça… en touriste
Très intéressant le tourisme… extrêmement intéressant
reprend Mussolini… le tourisme…
mais la grande porte s’ouvre
un camerlingue apparaît
Au premier de ces messieurs
C’est moi dit le roi et il sort
mais Mussolini donne au monarque un discret petit
coup de pied et le monarque rentre sous sa banquette
en hochant tristement la tête
Le premier c’est moi dit Mussolini
en faisant la grosse voix
Je vous demande pardon dit le veilleur de nuit
j’étais là avant vous
avanti avanti
et il passe
la grande porte se referme derrière lui et le voilà en présence de celui qu’on appelle le vicaire de Jésus-Christ il est assis sur son saint siège le vicaire et devant lui deux ou trois douzaines de grosses vieilles femmes à barbe imberbes sont agenouillées sur le tapis le Saint-Père leur parle en latin et il les appelle ses brebis Drôle de harem pense le veilleur de nuit… mais voilà les femmes à barbe qui se lèvent…
…qui se lèvent en poussant des cris…
Pesetas Bandera
Pesetas Pesetas Pesetas Franco
Légère erreur pense le veilleur
il comprend qu’il a confondu hommes d’Église avec femmes à barbe et qu’il se trouve en présence des évêques cardinaux archevêques et bedeaux… des révérends pères gras à lard brûlés vifs par le Frente Popular dans les souterrains d’Oviedo… et le Saint-Père écoute avec sérénité la plainte déchirante des malheureux prélats carbonisés
Ah si tu savais Saint-Pèr
ce que ces barbares nous ont fait
ils nous ont coupé les jambes
et puis ils nous ont pendus par les pieds
ils nous ont plongé la tête dans l’huile d’olive bouillante
ils nous ont saignés comme des porcs
ah si tu savais Saint-Père
combien horrible fut notre mort
ils nous ont crucifiés sur des planches
avec de sales clous rouilles
mais Dieu qui fait bien ce qu’il fait
Dieu nous a tous ressuscités
et sur son nuage d’acier trempé
sainte Tenaille est arrivée
sainte Tenaille nous a décloués
et nous avons erré dans la montagne
emportant les vases sacrés
il y avait des fruits sauvages
nous les avons apprivoisés… baptisés
et puis nous les avons mangés
et nous avons marché marché
jusqu’à un tout petit village
où dans sa grande automobile
saint Christophe nous attendait
ah quelle terrible chaleur et quelle soif il faisait
tout nu dans le spider
saint Sébastien pleurait
ils l’avaient planté de banderilles
il ne pouvait pas les enlever
sainte Tenaille s’était endormie…
pas moyen de la réveiller…
saint Sébastien s’impatientait…
on est allé chez un médecin…
mais la porte était défoncée… toute la maison saccagée
et là Saint-Père horreur nous vîmes
comme nous vous voyons Saint-Père
comme nous vous voyons
nous vîmes le médecin et sa dame
suspendus à la suspension
horreur Saint-Père horreur nous vîmes
sur le carreau de la cuisine
les trente-deux filles du médecin
éventrées par les miliciens
horreur Saint-Père horreur nous vîmes
un homme étrange qui grelottait
on aurait dit un grand poulet
un grand poulet qui sanglotait
c’était l’ange gardien des jeunes filles
plumé vif par les miliciens
horreur Saint-Père horreur nous vîmes
la bienheureuse sainte Albumine dans une bouteille emprisonnée
et tout en haut du haut de l’église
la bienheureuse sainte Camomille empalée sur le clocher
horreur Saint-Père horreur nous vîmes aussi…
…mais soudain midi sonne
on entend un grand bourdonnement
c’est le ventre des prélats espagnols qui grogne
qui grogne parce qu’il n’est pas content
Bon appétit mes agneaux
bon appétit mes brebis
vous me direz la suite au dessert dit le Saint-Père et la délégation des malheureux prélats carbonisés miraculés béatifiés et affamés se précipite vers la grande salle où est préparé le banquet
le pape reste seul ou plutôt se croit seul car il ne voit pas le veilleur de nuit planqué dans l’ombre et qui sourit et comme les gens qui sont seuls qui n’ont rien à faire et qui font n’importe quoi pour passer le temps le pape se ronge doucement les ongles machinalement
et puis avec son pied il aplatit le tapis qui fait des plis et puis il bâille
et puis croisant la jambe droite sur la jambe gauche il se tapote avec la main le bas du genou pour voir si les réflexes vont bien et puis il réfléchit
et toute réflexion faite il constate que pour ce qui est des réflexes c’est presque tout à fait complètement fini
soudain une voix
une voix venant de très loin
une voix désolante
une voix d’os
une voix morte
la voix d’un vieux ventriloque crevé depuis des milliers d’années
et qui dans le fond de sa tombe continue à ventriloquer
Allô allô Radio-Séville
Allô allô Radio-charnier
c’est le général Quiépo micro de Llano qui postillonne à la radio
Pour un nationaliste tué je tuerai dix marxistes… et s’il ne s’en trouve pas assez je déterrerai les morts pour les fusiller…
et cette atroce voix cariée
cette voix pouacre… cette voix nécrologique religieuse soldatesque vermineuse néo-mauresque
cette voix capitaliste
cette voix obscène cette voix hidéaliste
Cette voix parle pour la vermine du monde entier et la vermine du monde entier l’écoute et elle lui répond en hurlant
alors le veilleur de nuit entend le vrai cantique du Vatican
la lugubre complaine des prêtres
le cliquetis des baïonnettes
la sonnette du saint sacrement
et le bruit des boîtes à pansements
l’affreuse clameur des possédants
en chœur
avec le chœur des bourreaux qui demandent justice en chœur
avec le chœur des repus qui hurlent qu’ils ont faim en chœur
avec les égorgeurs qui crient à l’assassin en chœur
avec les litanies des hommes aux globules noirs en chœur
avec les vieux cantiques des vieux bourreurs de mou en chœur
avec les abominables choristes chantant l’abominable opéra sinistre
Sacré-Cœur de Jésus ayez pitié de nous mais comme il connaît la chanson le pape en a marre et tourne le bouton silence
silence troublé par une discrète petite toux c’est le veilleur qui fait hum… hum… histoire de montrer qu’il est là
et le Saint-Père un peu étonné fait celui qui ne le voit pas il met sa tête entre ses mains… il se recueille et tout en marmonnant un petit notre-père-qui-êtes-aux-cieux
à travers ses doigts entrouverts il regarde à quel genre d’homme il a affaire et comme l’homme est plutôt mal fringue le Saint-Père est un peu inquiet et il se dit Quel est cet homme que me veut-il comment est-il entré ici c’est peut-être un dévoyé un anarchiste un terroriste un illuminé un trotskyste
dans les méninges papales l’étonnement la crainte et la curiosité se baladent en liberté et le Saint-Père continue sa prière Que votre volonté soit faite… c’est peut-être cette vache d’évêque qui l’a envoyé pour me sectionner le gésier s’il fait un pas de plus je tire sur la sonnette pour appeler les carabiniers… sur la terre comme au ciel… il n’a pourtant pas l’air mauvais… c’est peut-être un gros industriel du textile qui vient pour que je casse le mariage de sa fille et s’est déguisé en loqueteux pour que je lui fasse un prix… donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien… si tu crois m’avoir c’est moi qui t’aurai mon vieux… pater noster qui êtes aux deux… peut-être que c’est un de mes fils naturels… il va m’appeler papa me demander des ronds… me voilà dans de beaux draps… quel dommage qu’on ne soit plus au temps des Borgia au temps des oubliettes et des petits flacons… ne nous laissez pas succomber à la tentation… je vais tout de même lui poser quelques questions… sed libéra nos a malo amen… Quel bon vent vous amène mon ami Je n’aime pas la prière dit le veilleur de nuit ça fait un sale petit bruit un sale petit bruit de poussière on dirait qu’on bat les tapis
tout de même je vous en prie Saint-Père comme on dit
je vous en prie ne m’appelez pas votre ami
gardez vos distances
je ne suis pas venu vous baiser l’anneau
gardez votre truc sur la tête moi je garderai ma casquette vous me demandez quel bon vent m’amène je suis venu à pied le vent était mauvais mais tout de même entre parenthèses quel drôle de chapeau vous portez j’ai répondu à votre question répondez à la mienne où est le panier
Le panier répond le Saint-Père qui ne sait que faire que dire que penser quel panier
Quand un pâtissier dit le veilleur
quand un pâtissier va livrer en ville une pièce montée…
un grand gâteau de noces ou d’anniversaire… il met la
pièce montée dans un panier… il met le panier sur sa tête…
il s’en va là où il doit aller… il s’en revient la course faite
le panier à la main et ceux qui le voient passer disent
Voilà un pâtissier parce qu’un pâtissier c’est quelqu’un…
quelqu’un qui ressemble à quelque chose…
tandis que toi
tu ne ressembles à rien
comme un vieux gâte-sauce absurde et morne
comme un vieux faux pâtissier funèbre qui aurait revêtu
on ne sait pas trop pourquoi la robe de la mariée tu portes
sérieusement gravement posée sur ta tête la pièce montée I
et tu n’oses pas la bouger cette tête de crainte de voir la
crème dégouliner et tu restes là assis sans bouger de crainte
de voir la robe se déchirer de crainte de laisser voir aux
autres
le personnage tel qu’il est le grand pâtissier sans panier
le grand homme sans spécialité possédant toutes les qualités
le grand homme pauvre comme Job riche comme Crésus
utile comme la paille dans l’acier
le grand homme irréprochable incorruptible invulnérable infaillible imperméable insubmersible et vénérable et vénéré et admirable et admiré et considérable et considéré et respectable et respecté respecté
voilà le grand mot lâché le respect
et le veilleur de nuit s’esclaffe le respect
il s’esclaffe comme une girafe il se tord comme une baleine
et son rire c’est comme le rire nègre des nègres comme le fou rire des fous comme le rire enfantin des enfants des enfants c’est le rire brut le rire qui secoue
le vrai fou rire vraiment comme le vrai fou rire du printemps
vous savez quand le printemps arrive à toute vitesse en
chantant à tue-tête
le printemps fou
le printemps un peu saoul
et tellement content
le printemps
il a sur l’oreille la grande fleur qu’on appelle soleil une fille toute neuve toute joyeuse toute nue dans les bras
il marche sur la nouvelle herbe
et la nouvelle herbe frémit sous la caresse de ses pas
la fille est jolie comme un rêve
tellement jolie
que le printemps lui-même n’en revient pas elle tient dans sa main un oiseau nouveau c’est l’oiseau de la jeunesse
l’oiseau qui rit aux éclats
«et voilà le pape qui pousse un long cri de détresse et
qui pique une tête et qui roule à terre et qui pique une
crise et qui se relève en hurlant
il a reçu un éclat de rire dans l’œil
et, continuant son hurlement il tourne autour de son
fauteuil en courant
poursuivi par l’oiseau moqueur
l’oiseau qui rit comme un enfant
Allez laisse
dit le veilleur à l’oiseau
laisse c’est un vieux
sauve-toi… va-t’en…
l’oiseau s’envole par la fenêtre
l’oiseau s’envole vers les pays chauds
et le pape reprend son souffle et ses saints esprits
Sauf le respect que je ne vous dois pas Saint-Père comme
on dit vous ressemblez à un vieux voyageur de première
Et pourquoi donc… demande le Saint-Père intrigué et
confus tout en s’assurant d’un petit regard inquiet et
circulaire que l’oiseau est bien parti
Quand un vieux voyageur dit le veilleur
quand un vieux voyageur de première passant pour
prendre l’air sa vieille tête par la portière reçoit dans
l’œil une escarbille…
mais le pape l’interrompt
Ah foutez-moi la paix à la fin
je ne suis tout de même pas arrivé à mon âge et à ma haute situation pour me laisser emmerder par un malheureux petit libre penseur de rien du tout venu je ne sais d’où
Je ne suis pas libre penseur dit le veilleur je suis athée
Hein quoi dit le Saint-Père
et l’autre dans le tuyau de son oreille
l’autre se met à gueuler
Allô allô Saint-Père vous m’entendez
athée
A comme absolument athée
T comme totalement athée
H comme hermétiquement athée
É accent aigu comme étonnamment athée
E comme entièrement athée
pas libre penseur
athée
il y a une nuance
mais toi les nuances tu t’en balances et puis dans le fond ce que je t’en dis… j’étais venu pour te voir je t’ai vu ça me suffit…
et le veilleur fait le .geste de s’en aller mais le successeur de saint lance-Pierre de saint lance-Paul et de saint lance-flammes lui met doucement la main sur l’épaule et le regarde avec une compatissante tristesse simulée d’une façon si parfaite que le saint simulateur professionnel pris lui-même par le ronron de sa simulation verse les authentiques larmes de la bonté de l’humilité de la résignation et de la désolation et il gémit
Poussière tout n’est que poussière et tout retournera en poussière
Tais-toi dit le veilleur
tu parles comme un aspirateur
alors le secrétaire général de la chrétienté s’arrête de philosopher
et fusillant le veilleur du regard
en secouant sa noble tête de vieillard sur son goitre
somptueux
il entonne d’une voix grave les Commandements de Dieu
Garde à vous
repos éternel
garde à vous
garde à vous
l’arme à la bretelle
en avant marche et paix sur la terre aux hommes de benne volonté section halte
couchez-vous… aplatissez-vous… humiliez-vous…
enfouissez-vous…
rampez
garde à vous garde à vous
contre tous ceux qui osent lever la tête
feu à volonté
mais soudain le Saint-Père cesse de gesticuler
et voit en face de lui
le veilleur déguisé en Saint-Père
et ce sans aucun doute pour se foutre de lui
le veilleur déguisé en Saint-Père avec comme lui une
tiare sur la tête et qui comme lui fait de grands gestes
en poussant de grands cris
blême de rage
rouge de honte
vert-de-gris
le pape se jette sur son ennemi avanti avanti
et le voilà le nez ensanglanté…
sur la glace où le Saint-Pèce s’est cogné contre son
auguste reflet de Saint-Père
il y a une petite tache de sang
une petite tache de sang inodore incolore sans saveur un simulacre de tache de sang pour ce qui est du veilleur il est parti depuis longtemps eh oui
ça fait déjà un bon quart d’heure…
un bon quart d’heure qu’il est parti
laissant le pape avec ses grandes manœuvres
ses grandes orgues ses petits ennuis
le pape seul dans la grande salle de son Vatican
seul
comme au milieu d’une assiette sale un vieux cure-dents dans la rue la nuit est tombée et le veilleur marche dans la rue dans la nuit
il tombe une toute petite pluie
sa lanterne est allumée
quelqu’un court derrière lui
Û se retourne et voit dans la lumière
un chat de gouttière
et le veilleur de nuit s’arrête
le chat aussi
Tu devrais venir par là dit le chat
il y a un oiseau blessé
des fois que tu serais vétérinaire
on ne sait jamais
il doit venir de très loin cet oiseau
ses ailes étaient couvertes de poussière
il volait
il saignait
et puis il est tombé très vite comme ça d’un seul coup
comme une pierre
j’ai sauté dessus pour le manger
mais il s’est mis à chanter
et sa chanson était si belle
que je me suis privé de dîner
Je crois que je le connais dit le veilleur
et le voilà parti avec le chat de gouttière
sous la pluie
ils arrivent sur une petite place
C’est là dit le chat
C’est ici dit le veilleur
je m’en doutais
il se baisse et ramasse l’oiseau
Je crois qu’il en a pris un bon coup dit le chat
son aile gauche est arrachée
il n’en a pas pour longtemps
Ta gueule dit le veilleur
le chat comprend qu’il faut se taire
il se tait
et dans la main du veilleur l’oiseau de la jeunesse
commence à délirer
Ah ça m’embêterait de mourir
j’ai vu des choses si belles… si terribles… si vivantes… et puis des choses si drôles si étonnantes
ah ça m’embêterait de mourir j’ai un tas de choses à dire et puis j’ai envie de rire… j’ai envie de chanter… Tais-toi dit le veilleur tais-toi si tu veux guérir Mais puisque je te dis que j’ai vu des choses… et l’oiseau se retourne dans la main du veilleur comme un malade dans son ht x le chat inquiet fronce les sourcils l’oiseau raconte Je volais très vite si vite et je voyais je voyais…
…au-dessus des Baléares j’ai vu l’été qui s’en allait et sur le bord de la mer
la Catalogne qui bougeait et partout des vivants… des garçons et des filles qui se préparaient à mourir et qui riaient… j’ai vu
la première neige sur Madrid
la première neige sur un décor de suie de cendres et
de sang
et j’ai revu celle qui était si belle
la jolie fille du printemps
elle était debout au milieu de l’hiver
elle tenait à la main une cartouche de dynamite
ses espadrilles prenaient l’eau
le roleil qu’elle portait sur l’oreille
était d’un rouge éclatant
c’était la fleur de la guerre civile
la fleur vivante comme un sourire
la fleur rouge de la liberté
doucement j’ai volé autour d’elle
sous son sein gauche son cœur battait
et tout le monde l’entendait battre
le cœur de la révolution
ce cœur que rien ne peut empêcher de battre
que rien… personne ne peut empêcher d’abattre ceux qui
veulent l’empêcher de battre… de se battre…
de battre… de battre…
Ne t’excite pas comme ça dit le veilleur
tu as la fièvre
tu saignes
ton aile est arrachée
essaie de dormir… laisse-moi faire…
je te guérirai
et le veilleur s’en va la casquette sur la tête l’oiseau blessé dans le creux de la main le chat de gouttière tient la lanterne et il leur montre le chemin.
1936.
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8 août 2013 à 16 04 51 08518
La gloire
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Coiffée d’un diadème d’épines
Et des éperons plein les talons
Toute nue sous son manteau d’hermine
La femme à barbe entre au salon
Je suis la grandeur d’âme
Je donne des leçons de diction
Des leçons de prédication de claudication de prédiction de malédiction de persécution de soustraction de multiplication de bénédiction de crucifixion de moralisation de mobilisation de distinction de mutilation d’autodestruction et d’imitation de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec le programme complet de la soirée et la photographie de tous les grands hommes qui ont joué dans la pièce et en prime je donne la clef des singes publiée sous la haute direction d’un célèbre anthropopithèque national
Et aussi le manuel du parfait gradé
Le Kamasoutra expurgé
Et la liste complète et officielle
De tous les lots non réclamés
Et aussi un catéchisme de persévérance
Et douze bouteilles d’eau minérale
Avec la petite clef spéciale
Qui sert à les déboucher.
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8 août 2013 à 16 04 53 08538
La grasse matinée
Jacques PRÉVERT
Recueil : « Paroles »
Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l’homme
la tête de l’homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
ce n’est pas sa tête pourtant qu’il regarde
dans la vitrine de chez Potin
il s’en fout de sa tête l’homme
il n’y pense pas
il songe
il imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de vinaigre
ou une tête de n’importe quoi qui se mange
et il remue doucement la mâchoire
doucement
et il grince des dents doucement
car le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu’il n’a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ça ne peut pas durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger
et derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons morts protégés par les boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades pour six malheureuses sardines..
Un peu plus loin le bistro
café-crème et croissants chauds
l’homme titube
et dans l’intérieur de sa tête
un brouillard de mots
un brouillard de mots
sardines à manger
œuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
café-crème
café-crime arrosé sang!…
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
l’assassin le vagabond lui a volé
deux francs
soit un café arrosé
zéro franc soixante-dix
deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Il est terrible
le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l’homme qui a faim.
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