Jour du doute avant la nuit du doute. Bouteflika n’est pas venu prier sous l’œil de l’ENTV pour la nuit du 27e. L’actualité est donc morte et est accrochée comme un mouton énorme et non comestible au crochet du croissant lunaire. Qui l’a vu ?
Personne. Valable d’ailleurs pour l’astre disparu et pour l’ancien ministre des AE des années 70. Une histoire, cependant, venue d’ailleurs : une Allemande qui s’est fait voler son téléphone portable en Espagne a créé un blog qui rend publique la vie du voleur. Le blog s’intitule «la vie de l’inconnu qui a volé mon portable». Magnifique et fascinante chronique. Comment ? Une application permet de récupérer tout ce que le voleur vit, expédie, photographie et filme et appelle. Ainsi, sur le blog, on a ce point d’optique impossible du «voleur vu de l’intérieur». On voit les photos du présumé H de Dubaï en short, en sourire, en pose, en face. Fascinante perspective et fantasme de l’invisibilité en même temps. On y rêve de voir tous les voleurs mais de l’intérieur, les dictateurs, les généraux tueurs de peuples, les sournois, les gens, les gens que l’on admire ou déteste. D’ailleurs, le communiqué, la presse ou le roman sont nés de ce désir : voir l’autre de l’intérieur de lui-même. A partir de son orbite et de sa centralité, essence et nombril du monde. On est tous voyeurs et la tête de l’autre est le meilleur point de vue que l’on puisse rêver de voler au voleur. Une variante extrême genre : «la vie de l’inconnu qui m’a volé mon pays». Et accéder au téléphone de Ghoullamallah, l’autoproclamé envoyé de Dieu. Ou le téléphone de Amar Ghoul. De Mokri le propriétaire de l’Islam. Ou, encore plus fascinant, le téléphone de Saïd par exemple. Encore plus fascinant puisque l’homme commande le pays par un répertoire. Avoir accès à sa vie, ses photos, les gens qu’il appelle par exemple. Vérifier la différence entre appel d’offres et appels téléphoniques. Ou le téléphone du Général ou celui de trois ou quatre hommes d’affaires algériens. Dans le blog de la jeune Allemande, on peut voir des photos hallucinantes du voleur qui croit que le monde ne le voit pas, enfermé dans sa bulle de discrétion illusoire, croyant que personne ne sait alors que tout le monde sait qui il est, ce qu’il fait et ce qu’il a fait. Ce qui rend encore plus délicieux le dévoilement.
C’était donc l’amusement d’hier. En surfant sur la planète du Net, divinité brumeuse du temps à perdre, Gutenberg des «arabes» enfermés dans l’histoire des arabes de souche venus d’Arabie imposer le parti unique.
6 août 2013
Kamel Daoud