En conséquence, devant ce silence inexpliqué, les rumeurs les plus folles sur l’état de santé de Bouteflika ont commencé à rapidement et régulièrement circuler à travers le pays. Le dernier épisode en date émane des quotidiens Mon journal et Jaridatiqui s’apprêtaient à publier des informations qui s’apparentaient à un scoop sur l’état de santé du président algérien qui se serait aggravé, allant même jusqu’à mentionner un état comateux profond. Cependant, ces deux journaux furent censurés et des poursuites judiciaires à l’encontre du directeur, Hicham Aboud, furent engagées par le parquet général d’Alger sous le chef d’accusation « d’atteinte à la sécurité nationale, à l’unité nationale, à la stabilité et au bon fonctionnement des institutions ». Malgré cette censure, plusieurs journaux algériens ont tout de même repris l’information à leur compte.
En outre, ce même Hicham Aboud se vit ensuite offrir son petit quart d’heure de gloire sur la chaîne d’information en continue française France 24 où il expliqua que les informations qu’il détenait émanaient de source de bonne foi. Il expliquait aussi qu’avant de prendre la décision de les publier, lui et son équipe avaient vérifié et croisé ces mêmes informations, allant même jusqu’à les couper, découper, hacher et même passer à la moulinette. Le buzz avait été atteint. Aussi, il aura fallu un flottement de 48 heures pendant lesquelles tous les fantasmes et scenarios cavalèrent pour que le premier ministre Abdelmalek Sellal intervienne lundi soir à travers un communiqué officiel informant que le président Bouteflika est toujours en convalescence en France, que son pronostic vital n’a jamais été engagé et que par ailleurs sa santé est en constante amélioration. Comme beaucoup trop souvent, Alger réagit et répond au lieu d’agir et de prendre les devants. Avec tout ce que cela comporte comme danger pour la stabilité du pays. En effet, ce que l’épisode de Mon journal et Jaridati pourrait démontrer est que certains sont prêts à tout pour un petit moment de gloire et de publicité au risque de ne plus être crédibles auprès des lecteurs algériens. La recherche du scoop à tout [petit] prix pousse de plus en plus de journalistes à publier des informations erronées, tronquées voire montées de toutes pièces, ce qui est non seulement absolument condamnable d’un point de vue éthique mais peut par ailleurs être dangereux et nuisible à l’état.
La presse algérienne peut se targuer, malgré ses difficultés quotidiennes et ses imperfections, d’être l’une des plus dynamiques, critiques et libres du monde arabe. Sinon la plus libre et dynamique. De Rabat à Tripoli en passant par le Caire, Beyrouth et Bagdad, il est très difficile de trouver le ton critique et acerbe régulièrement présent dans les journaux distribués à travers l’Algérie.
Aussi, en tombant dans ce genre de travers, certains journalistes algériens ne font que reproduire ce que nous retrouvons de plus en plus dans d’autres journaux ailleurs en Europe et en Amérique du nord : de la mauvaise information au grand risque de ressembler à cette presse de caniveau qui fleurie un peu partout, concurrençant de ce fait et inévitablement la presse tabloïd.
Il est important que ces journalistes algériens qui critiquent à juste titre les nombreux travers des politiques algériens ne tombent pas dans ce réflexe de la plume facile et gratuite mais surtout contre-productive. Car se faisant, c’est cette même presse algérienne qui un jour sera décrédibilisée. Informer ne signifie surtout pas rapporter les ragots entendus dans la deshra du coin. Informer ne veut pas dire tout faire jusqu’à l’extrême afin de booster les ventes d’un journal. Informer les algériens ne signifie surtout pas plaire et faire plaisir à la presse étrangère demandeuse depuis la chute de Ben Ali d’informations et rumeurs allant dans le sens de ce bien triste printemps arabe et qui ne servent nullement les intérêts et la grandeur de l’Algérie et du peuple algérien.
Ce que nous enseigne par ailleurs cet épisode est que le devoir et la nécessité d’informer sont intimement liés. En effet, en étant [faussement] utilisé par certains ainsi qu’une certaine presse avide de scoop, même infondé, ces [trop] nombreux silences de la part des officiels peuvent nuire au bon fonctionnement des institutions. Aussi, et au risque de me répéter dans les colonnes de ce journal, il est indéniable que le gouvernement algérien souffre d’un sérieux et alarmant déficit de communication aigu. Rien de nouveau jusqu’à là. De plus en plus d’officiels le reconnaissent dorénavant comme ce fut le cas suite à la prise d’otage d’In Amenas. Il est pourtant urgent de prendre le taureau par les cornes et remédier aux vieilles et mauvaises habitudes dignes d’un autre âge.
Il semblerait que le gouvernement algérien confonde informer avec divulguer. Informer de l’état de santé du président de la république à l’ère de l’Internet est plus qu’anodin. La plupart des états le font et n’en sont nullement affectés. Informer ne signifie pas rentrer dans les plus profonds détails et secrets des entrailles de ceux qui gouvernent l’Algérie. Informer signifie tout simplement rassurer, évacuer l’inquiétude et ne pas laisser le peuple dans l’expectative qui au mieux tourne à l’indifférence dû à une situation qu’il ne maitrise nullement et dans laquelle il perçoit que l’état ne souhaite pas l’impliquer, et au pire donne recours à toutes sortes de rumeurs comme celles des derniers jours annonçant le président Bouteflika dans un coma profond. Ou même mort comme le fit récemment la tristement célèbre chaine qatari Al Jazeera.
Informer sur les algériens, l’Algérie et sa politique interne ne signifie nullement divulguer des secrets d’état qui eux pourraient justement et précisément atteindre à la sécurité et stabilité de l’Algérie. Informer c’est aussi et surtout sans doute, éviter les rumeurs les plus folles qui tournent en mensonges dignes de Goebbels qui eux peuvent avoir un effet dévastateur pour non seulement l’image de l’Algérie mais peut être aussi et surtout pour sa propre intégrité territoriale. Enfin, informer peut éviter des débats stériles engagés au sein de l’assemblée nationale par de nombreux ambitieux et autres arrivistes de tout bord.
Aussi, Alger se doit d’investir urgemment dans une communication efficace utilisant tous les outils modernes disponibles à ce jour. Travailler avec des boites de communications qui ne pourront être que bénéfiques pour l’image de l’Algérie et de son gouvernement. S’appuyer sur les spin doctors, ces gourous de la communication venus d’Outre-Atlantique, afin de faire passer les messages officiels où il faut et quand il faut. Améliorer, renforcer et professionnaliser la communication d’El Mouradia est sans nul doute l’une des clés du succès de la politique algérienne pour les années à venir.
* Chercheur au sein de la division de Prévention des Conflits et Analyses des Risques (CPRA) de l’Institut d’études de sécurité (ISS), Addis Abéba, Ethiopie
1 août 2013
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