Réfléchir aux voies et moyens à mobiliser pour parvenir à un système d’informations efficace et performant au sein des institutions publiques à même de redynamiser l’acte communicationnel en le dotant de ressources matérielles et humaines compétentes, quel noble mission ? Encore faut-il s’engager à dégager des solutions pour remédier aux obstacles, essentiellement politiques, qui se dressent devant l’essor de la communication institutionnelle. Nul n’ignore que notre pays se trouve au cœur d’un tourbillon politique qui brouille tous les repères. Le pessimisme et l’inquiétude gagnent sans c esse du terrain. Des signes concordants indiquent clairement que la situation est toujours dramatique et dangereuse. Les derniers soubresauts de l’actualité ne font que renforcer cette impression. Evoquer la liberté de la communication et le droit à l’information en Algérie, revient à revisiter l’un des rares acquis arrachés de hautes luttes. Nous avons encore bien présents à l’esprit les sacrifices des militants des droits de l’homme des années 1980 et le lourd tribut payé par la corporation qui a perdu plus de 100 journalistes durant la décennie 1990.
C’est à Djenane El Mithaq, que le ministère de la Communication, a réuni, durant deux jours des experts nationaux et étrangers ainsi que des représentants de ministères, d’organismes publics et de sociétés nationales pour plancher sur la question. Cette énième campagne orchestrée autour de la communication institutionnelle a donné lieu à une feuille de route et à des recommandations pour sortir de l’ornière. Elle ne doit cependant pas masquer l’amère réalité d’un système qui a toujours privilégié la culture du silence qui n’est qu’une culture du mensonge avec ses failles. Il a été question « d’information libérée » alors que le contrôle de cette dernière a toujours été une constante nationale. « la vérité doit prévaloir à tous les niveaux le silence engendre la rumeur et la rumeur détruit la société», avoue tout de go le premier ministre. Et le ministre de la communication de renchérir en soulignant que « la communication trébuche et a besoin d’être organisée et relancée ». Le constat de cette défaillance relève du truisme, lorsque l’on sait que, rompus aux pratiques de l’ombre, les décideurs sont les premiers responsables du déficit de la communication institutionnelle. Ces aveux tardifs et ses déclarations à l’air spontané laissent perplexe lorsque l’on sait comment ont été gérés les dernières couvertures médiatiques des affaires de corruption qui ont fait grand bruit, celle de l’attaque de Tiguentourine d’In Amenas et celle relative à la maladie du président qui tourne à l’obsession. Le constat de carence est évident. L’opacité totale, l’absence de transparence et le rigoureux black out sur l’information ne peuvent que générer les rumeurs. Au lieu de communiquer pour rassurer, tranquilliser une opinion publique inquiète et éviter la panique, les institutions officielles ont perdu toute leur crédibilité.
Il est regrettable que les radios, télévisions et journaux jouent si peu leur rôle d’informateurs sur les sujets de fonds en se limitant à palabrer sur des faits divers. Au lieu de libérer les initiatives et le personnel des structures publiques des contraintes et autres censures qui les ont inhibées, le pouvoir tarde à ouvrir les médias lourds existants à l’opposition démocratique et à libérer le paysage médiatique à l’initiative privée. La communication sur le fond de réforme est encore inexistante. Dommage ! L’emprise du politique sur tous les secteurs d’activité, l’immixtion des pouvoirs publics, la puissante mécanique administrative et la brutalité policière ont fini par tétaniser le corps et l’esprit. Le sympathique discours du premier ministre est d’une grande habilité. Fragilisé par la conjoncture, le pouvoir ne veut pas donner l’impression qu’il réprime un délit d’opinion à travers un délit de presse et laisse croire à une ouverture progressive. Paradoxalement, la décision de revoir la communication institutionnelle aura une vertu : alerter les Algériens sur le futur immédiat qui les attend. Cela-dit : la liberté de la presse, et son corollaire la liberté d’expression dans le cadre d’un Etat de droit, sont-ils vraiment envisageable dans notre pays compte-tenu de la réalité ? Cette interrogation récurrente peut paraître déplacée, mais nous avons des raisons de l’appréhender surtout en cette période de calme apparent.
Le changement tant attendu est-il envisageable ?
Le gigantesque branle-bas de combat en cette fin de règne non annoncée, les atermoiements autour du leadership des partis, les grands scandales financiers qui s’étirent en longueur laissent pantois des citoyens, surtout ceux qui vivent la misère, le mépris et l’humiliation au quotidien. Bernés et manipulés à l’extrême, ces derniers se refusent à cautionner le jeu pipé des politiques. L’édifiant rapport du Cnes, qui mettait en exergue l’état de panne de l’économie nationale lié aux dysfonctionnements, anachronismes, disparités sociales, déséquilibre régional en matière d’emploi, d’éducation, de logement, de transport, de santé publique, de relation entre administration et administrés et entre élus et citoyens, est encore bien présent dans les esprits. La situation des droits de l’Homme en Algérie établi par le président de la Laddh qui signale les arrestations arbitraires de militants, les harcèlements contre les grévistes, la fermeture des médias lourds à l’opposition véritable, l’absence de débats contradictoires, la justice aux ordres, etc., est aussi source d’inquiétude. L’Algérien de 2013 a fini par dessiller les yeux et à se rendre compte de l’incapacité de ses dirigeants, à le sortir de l’ornière et du maussade quotidien. Face à l’obscène répétition du malheur liée aux violences multiples quotidiennes (terrorisme toujours présent, agressions en hausse, meurtres, assassinats, kidnappings, viols, suicides, dilapidation éhontée des biens publics ), les cercles de décisions se murent dans un silence coupable. Le silence autour des derniers grands scandales, qui semblent laisser de marbre un personnel politique largement compromis, ont fini par faire perdre toute confiance chez les citoyens.
Tapis à l’ombre du pouvoir, nombreux sont ces apparatchiks déguisés en démocrates, qui caressent le peuple dans le sens du poil, en lui promettant monts et merveilles. Au su et au vu de tout le monde, ils haranguent les foules en promettant monts et merveilles. Toute honte bue, certains ont même troqué leurs costumes d’opposants au profit de postes plus gratifiants qui font oublier les injustices, le népotisme, le chômage et la misère. Leur servilité est manifeste à travers leurs discours redondants et fastidieux en hommage à celui qui les a fait rois, discours aussi lourds que leurs pensées et que leur manque d’imagination. Tout cela les citoyens le voient bien. Ils constatent de visu que le dispositif de réformes annoncées pour aller vers plus de démocratie est loin d’être mis en place. Dépitée et subissant l’anathème au quotidien et toutes sortes de brimades la population a fini par être gagnée par un scepticisme profond. Les substantiels avantages des « élus », (salaires exorbitants, privilèges démesurés, avantages multiples liés à la fonction) les font douter d’un quelconque redressement d’une République qui confisque les espaces de dialogue et de liberté. Quel crédit accorder aux déclarations généreuses actuelles alors que le front social est toujours en ébullition ? Comment expliquer au peuple que les ténors inamovibles des partis en pleine implosion sont la pour défendre les citoyens ? Comment justifier les brillantissimes politicards et des caciques inamovibles qui ont dilapidé les deniers publics en toute impunité ?
La dilution de la citoyenneté est la négation du lien national
Tout cela n’augure rien de bon. Enfermés dans leur bulle, les dirigeants autistes et leurs éternels courtisans ne cessent de souligner les devoirs des administrés en faisant mine d’oublier leurs droits fondamentaux en principe garantis par l’Etat. Inciter les citoyens à exercer leurs droits démocratiques suppose au préalable acquises et reconnues les libertés d’expression, d’opinion, de réunion, d’association et de manifestation. Or, tout un chacun est à même de constater les dysfonctionnements. Non seulement la dignité des Algériens est de plus en plus bafouée mais en plus, les citoyens sont empêchés de prendre une part active à la vie démocratique et d’exercer leurs droits civiques et politiques. L’hydre policière montre ses crocs à la moindre impertinence. La citoyenneté se limiterait-elle uniquement au droit de vote ? Droit de vote qui va dans le bon sens bien sur. Lorsque les autres droits (droit à l’instruction, droit à la santé, droit au travail, droit au logement, droit à un environnement sain, droit d’appartenance à un syndicat libre, droit de grève, ) sont bafoués, il faut s’attendre à ce que le fossé, déjà immense entre les politiques et les citoyens s’élargissent encore plus.
Rien de fondamental n’a changé sur le fond. Les souffrances, les privations et les exclusions sont encore prégnantes. Le système qui se prépare à nous parachuter un énième homme providentiel, s’avère être un échec, et pire, une catastrophe. Le pouvoir est toujours confisqué et le peuple assujetti est toujours dépossédé de ses droits élémentaires. Sa souveraineté s’est érodée. Lorsque nos principaux dirigeants font confiance aux hôpitaux militaires de l’ex-puissance coloniale, après un demi-siècle d’indépendance il y a comme un malaise chez le citoyen lambda qui n’arrive même pas à se soigner dans son pays. La jeunesse dépolitisée n’aspire qu’à fuir sous d’autres cieux. La pensée unique, qui a fait l’objet d’un léger lifting, masque mal les rides profondes d’un autoritarisme féroce. Les rêves de liberté se sont évaporés. Les promesses du 1er novembre et du Congrès de la Soummam sont demeurées des vœux pieux. La face visible de l’Iceberg démocratique, émergée en 1988, s’est réduite en peau de chagrin. Le constat de carence n’épargne aucun secteur. Le système éducatif, où les stigmates sont profondes, n’a rien à envier au secteur audiovisuel dont la réforme s’avère être une véritable duperie. Les responsables se rendent-ils compte qu’en faisant barrage à l’information à l’heure d’Internet, de Facebook et de Twitter, ils ne font que se duper eux-mêmes. Comment espèrent-ils tenir un secret et cacher des choses évidentes face aux mutations en cours ?
La politique indéchiffrable actuelle a montré ses limites. Le peuple n’a pas baissé les bras. Il ne s’est pas résigné au malheur. S’il se mure dans le silence face à la répression féroce, c’est pour mieux sauter. Certes, nombreuses sont nos éminences grises (intellectuels, artistes, écrivains, universitaires, hauts cadres de l’administration ) qui sont devenus aphones à force de se murer dans le silence de l’exil intérieur et extérieur et dans le désengagement. Ils n’ont pas pour autant perdu leurs âmes. L’urgence aujourd’hui est de se structurer et de réagir pacifiquement afin de reconstituer le ferment démocratique qui a animé ceux qui ont sacrifiés leur vie en criant Vive l’Algérie libre ! C’est seulement en tissant de nouveaux liens civiques et sociaux, que les citoyens pourront reconstruire des solidarités actives et contribuer à la vitalité démocratique. Le défi majeur n’est-il pas celui de la citoyenneté ?
30 juillet 2013
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