Mais c’est quoi, c’est qui, un intellectuel ? Qui mérite l’appellation ? Dans le monde. Chez nous. Les écrivains, artistes, penseurs et élites plus ou moins diplômés ? Des personnes ayant un goût très prononcé pour les choses de l’intelligence, de l’esprit et chez qui prédomine la vie intellectuelle ? Des hommes engagés, qui affirment et défendent des principes universels de justice, de liberté et d’égalité ? Les meilleurs de la société ? Des élites d’influence ?
Y a-t-il des d’intellectuels en Algérie. Passé. Présent. Sont ils nombreux ou en faible nombre. Leur engagement est-il (a-t-il été) suffisant ou non ? Ou, alors, ne sont-ce (n’ont-ils été) que des fonctionnaires et non des concepteurs d’idées et de projets de société ou des militants de causes ? Un gros lot de questionnements. Heureusement, l’auteure, avec un grand travail d’investigation et d’analyse a posé (en tout cas, elle espère avoir posé) plus ou moins, certains repères et balises qui devraient inspirer, orienter et guider d’autres chercheurs à pousser plus loin toute prospection liée à cette tentative.
On en a bien besoin Pour voir plus clair. Pour remettre les pendules à l’heure. Pour ne plus se perdre dans la masse des détails. Pour remettre, aussi, bien des gens «à leur vraie place». Le pays ne s’en porterait que mieux.
Avis : Implacable Nouara ? Non ! Seulement remarquable chercheuse d’«Histoire» et de vérités scientifiques, courageuse et libre dans son expression. A lire calmement, sans trop se presser, car chaque page est d’un apport intellectuel à consommer sans modération
Extrait: «Les intellectuels ont rejoint et servi une Révolution qui a éclaté et qui sest développée pratiquement sans eux. De ce fait, ils seront toujours marginalisés, surtout dans la prise des grandes décisions ; et serviront de boucs émissaires dans certaines crises» (Mahfoud Kadache, préface, p.13),
«Le rôle fondamental de tout intellectuel est ( ) de représenter, d’incarner, d’exprimer un message, une vision, une position, une philosophie ou une opinion devant et pour le public» (p.19)
Mostefa Lacheraf. Le penseur, ses postures et ses expressions in Réflexions et perspectives, Revue scientifique et académique de l’Université Alger 2, décembre 2012, 255 pages, 500 dinars
Bien sûr, durant ces cinquante années de pays libre, il y a Mammeri, Dib, Kateb Yacine, Boudjedra, Ouettar, Benheddouga, Mimouni, Assia Djebbar il y a Issiakhem, Khadda, Racim, Temam il y a Alloula, Kaki, S. Benaissa il y a Rachedi, Bouamari, Tsaki, Belloufa il y a El Anka, Khelifi A, D. El Harrachi, Aïchi, Idir et bien d’autres, chacun(e) ayant apporté à la culture algérienne sa pierre, chacun utilisant un matériau littéraire ou culturel différent, mais matériau toujours solide, car ayant créé du sens et de la valeur dans l’âme algérienne. Mais, incontestablement, pour moi, s’il faut choisir l’homme-culte, l’homme-synthèse de la culture nationale de ces cinquante années, c’est bien Mostepha Lacheraf et, il mérite bien plus qu’un séminaire, un colloque, ou des hommages furtifs. Un monument, un musée, une statue ? Pourquoi pas. En attendant, la revue Réflexions Perspectives de l’Université 2 (Alger) lui a consacré tout son numéro de décembre 2012 : Etudes (Omar Lardjane, Stève Bessac-Vaure, Catherine Brun, Christiane Chaulet-Achour, Hamid Nacer-Khoudja, Malika Hadj Naceur ), articles, témoignages et des documents, certains inédits.
Mostefa Lacheraf n’est plus à découvrir mais, il est à re-découvrir encore et encore. Ainsi, on relira, pour re-découvrir le militant révolutionnaire engagé à travers son récit, rédigé à la prison de Fresnes, d’une arrestation, en 1956, en compagnie des 4 autres dirigeants de la Révolution algérienne. On re-découvrira l’amoureux fou du terroir à travers le témoignage d’un de ses amis, Salem Mohamed, qui l’avait accompagné au village de Sidi Aissa, au moment où il rédigeait son superbe «Des Noms et des Lieux, mémoire d’une Algérie oubliée», un véritable roman de l’Algérie profonde. On re-découvrira l’homme modeste à la vaste culture toujours ouverte, à travers le récit de Adriana Lassel qui écrivait, alors, un ouvrage sur l’Amérique. On re-découvrira le parfait connaisseur de la culture arabe et de l’Islam (à travers son étude sur «L’humanisme religieux en Orient» et sur «Arrafei et la vie des ascètes», textes publiés déjà en 1942) et, il reste encore à découvrir car, encore, et toujours, d’actualité. Avec lui, l’Algérie universelle, il faut y croire !
Avis : A lire. A conserver. Plus tard, vos petits et arrières petits enfants sauront qui, vraiment, en Algérie, p.e.n.s.a.i.t, déjà, à leur avenir, sans occulter le passé, tout en critiquant le présent
Extrait: «Veilleur à la haute tour intellectuel vigilant, d’une rigueur sans faille, à l’écoute de ce qui est pour lui le pays profond réarpentant sans cesse le passé en un continuel examen critique et scrutant les possibles devenirs» (p.44)
La littérature algérienne à travers les siècles Essai de Youcef Driss Editions Alpha, Alger 2012, 118 pages. ???????.dinars
On a trop tendance à minorer (et à mépriser) la contribution des Algériens à la culture universelle. Il est vrai que notre expérience de l’instruction ces quatre dernières décennies n’a pas facilité la connaissance de la dite contribution «jetée aux oubliettes» au profit quasi-exclusif d’une culture arabo-islamo-centriste qui s’est limitée à des personnalités «externes» à notre nation et à son histoire. Personnalités extraordinaires, mais externes, tout de même !
Heureusement, depuis quelques années, après avoir fait le plein de «culture orientale» et après avoir vu les dégâts d’un système éducatif «copié-collé», on revient aux origines. Ceci grâce surtout aux chercheurs, aux universitaires et à certaines bonnes, courageuses et admirables volontés . Youcef Driss, journaliste, romancier («Les Amants de Padovani»), historien («Papon, la honte» et «Les massacres d’Octobre 1961»), essayiste, en fait partie. Grâce à lui, en quelques pages, il nous fait re-connaître, re-découvrir tous les oubliés, tous les exilés de notre culture, tous des Berbères bien de chez nous depuis l’antiquité (surtout cette période) à nos jours. Hiempsal, Fronton, Saint Cyprien, Rérence Afer, Tertullien, Arnobius, Apulée, Saint Augustin, Magon et son encyclopédie agricole de 20 livres, Minucius Felex, de Tébessa, Optat, Donat, Lactance et tant d’autres . Certains écrivaient en punique, voire même en lybico-phénicien, mais en tout cas, le grec et le latin ; des «butins de guerre» qui étaient bien utilisés. Puis vinrent Ibn Hani, Ibn Rachiq, Ibn Khamis, Abderrahmane Ibn Khaldoun et son frère l’historien Ibn El Khatib de Constantine, El Maqqari l’historien, Abou-Hammou, le prince poète, Senoussi, le métaphysicien, Abderrahmane Ethaâlibi, et tant d’autres.
Période VIIè et IXè siècles, Walou ou presque Walou comme documents littéraires. Surtout des textes religieux ! La période d’occupation turque est de la même veine. Le seul écrit de l’époque était la liste des contribuables et des suppliciés de la «chattabia» !
Durant la longue nuit coloniale française, il y eut, aussi, pour contrer les «algérianistes» qui n’avaient d’Algériens qu’une présence imposée par le fer, le feu et la répression, des poètes, des écrivains, des journalistes qui ont résisté (difficilement). Ils ont écrit ou se sont exprimés, en français, en arabe dit littéraire, en arabe dit parlé, en dialectes berbères. L’Emir Abdelkader, Ben Cheneb, Ben Badis, El Mili, Tewfik El Madani, Ferhat Abbas et tant d’autres L’indépendance venue, c’est une tout autre histoire de la culture et de la littérature nationales : Kateb Yacine, Malek Haddad, A.Kaki, M. Alloula et tant d’autres.
Avis : Un petit livre, sorte de «que sais-je ?» mais un document essentiel. Un bon «pense-homme» !
Extrait: «L’Algérie littéraire est un immense morceau de littératures plus vastes » (p.13), «La littérature algérienne, depuis l’Antiquité à nos jours, est une réalité.» (p.17)
30 juillet 2013
Belkacem AHCENE DJABALLAH