L’éclaircie du mois de mai finissant fait découvrir au voyageur, des collines rendues verdoyantes par les généreuses ondées printanières et des essences forestières qui partent à l’assaut des piémonts. Grenier céréalier, la région exhibe ses labours de printemps et ses champs de blé ondulant leur blondeur au soleil. De gros engins de travaux publics affairés à excaver de pleins monceaux de terre, font deviner le tracé de la voie rapide et future autoroute Nord-Sud. A la vue de la plaque indiquant les vestiges d’Achir, ancienne capitale ziride, mon compagnon féru d’histoire, jubile et part dans un rappel historique qui nous fait oublier le tronçon en lacis et tortueux sur les 33 kilomètres qui mènent vers Ain Boucif. Ain Diss, petit hameau de quelques maisonnettes, annonce le col de Ain El Kerma qui culmine à 1280 mètres duquel on dévale sur ce qui fut le berceau ziride. La route à l’enrobé déroule son bitume neuf et bien matérialisé. Des souvenirs, pas très lointains, rappellent que cette route, jadis, étroite et chahutée, permettait à peine le croisement de deux véhicules légers. Une joyeuse pinède agrémente les ravines et les mamelons collinaires aux abords de la cité. Nous devrons demander notre chemin pour trouver la polyclinique. Précédemment à l’entrée de la ville, elle est présentement phagocytée par le tissu urbain qui semble aller dans tous les sens. La modernité n’a, vraisemblablement, pas épargné ce nid d’aigle, loin s’en faut. Cafés, restaurants, bureaux de tabac avec leur » Flexy » lumineux ne dérogent pas à la règle de tout centre urbain pulsant à la vie.
L’ancienne polyclinique qui paraissait immensément grande, est devenue un modeste appendice au regard de l’extension réalisée pour constituer un grand complexe hospitalier de 160 lits. Il est loin le temps où la ville se serait contentée d’un hôpital de 60 lits à peine. Le service des urgences et dont le bloc opératoire sera mis en service d’ici peu, réglera sans nul doute, les désagréments de ces périlleuses évacuations sanitaires sur Médèa. La fermeture du col en période neigeuse, était la phobie principale des ambulanciers. Et si, par chance El Kerma était vaincu, celui de Benchicao pouvait tout remettre en cause. M. Benali Benachour, directeur de l’établissement public hospitalier et maitre de céans, était au pas du portique d’entrée, il accueillait avec un sourire que seuls, les gens des hautes plaines, savent prodiguer. Ils recevaient ses anciens collègues, séniors pour certains d’entre eux, qui ont fait de l’acte de soins un sacerdoce. Ils étaient là, aujourd’hui pour une cérémonie commémorative rendant hommage à tous les cadres hospitaliers ayant officié à Ain Boucif. L’ancien fief de la dynastie berbère islamisée Sanhadja et dont Ziri ben Menad et son fils Bologhine en furent les souverains, était à une dizaine de kilomètres à l’est des lieux. Cette lignée dynastique, fit de Achir et de son satellite El Benia la capitale du Maghreb central de 936 à 973 bien avant Médèa et même Mezghena (Alger) qui n’était pas encore fondées. Les gens venus de toute part, aussi bien de Ghardaia, Mostaganem, Blida, Djelfa, Bou Saada, Gouraya, Ksar El Boukhari et bien évidemment de Médèa, se congratulaient affectueusement. Ain Boucif, dans toute sa structure sociale leur faisait faire un bain du souvenir. La salle de réception, pleine à craquer était parée de ses plus beaux atours. Les notables des archs des Ouled Alane, des Adhaoura et des Ouled Maâref attendaient patiemment leurs hôtes d’un jour. L’attribut vestimentaire à l’honneur, était l’ample gandoura en tussor, le chèche étincelant de blancheur et s’il y avait barbe, blanche et bien taillée, elle ajoutait un zeste de respectabilité largement méritée. Le verbe, haut et clair délivré à la cantonade, ne permettait aucune cacophonie d’aparté. Cette notabilité n’a plus le même profil social que celle qui l’a précédée, elle s’est reconstituée en majorité par des lettrés et dont beaucoup de niveau supérieur ; elle va de l’ancien professeur des lycées, au vieux médecin libéral, aux fonctionnaires des Postes ou des Finances, maintenant à la retraite.
Au beau milieu des tables basses, en plus du café et du thé, d’immenses terrines offraient du » Baghrir » et du » Rfiss » dégoulinant de beurre et de miel. Ces extras de tradition pastorale, permettent de tromper la faim dans l’attente du repas qui, dans le contexte, devient une obligation coutumière. Aucun des présents n’a évoqué, la cherté de la vie, la mal vie juvénile ou les tracasseries des embouteillages. Le souvenir ou l’anecdote furent les seuls thèmes que l’assistance se plut à relater. Par l’humour de l’autodérision, Boutaiba Boudarsaya, ancien membre de l’Assemblée populaire de wilaya et directeur de collège, fit fendre la poire, non seulement à l’auditoire multi générationnel, mais encore aux plus taciturnes de ses membres. Ces populations de l’arrière pays, peuvent autant surprendre par ce faux semblant de rustrerie façonné par les dures conditions locales, que par leur raffinement dans l’accueil et l’hospitalité. Fier de sa nouvelle structure, le collectif des travailleurs était apparemment heureux de montrer aux anciens responsables venus de loin, sa nouvelle aire d’évolution. Après un somptueux couscous et beaucoup de viande, la cérémonie pouvait commencer. Le chef d’établissement en maitre de cérémonie, tint à rappeler à la nombreuse assistance et parmi laquelle on comptait, deux membres du Parlement et les chefs de daïras de Ain Boucif et de Chellalat El Adhaoura, cités jumelles du fait de l’enclavement topographique qui les a, toujours unies.
Après l’hommage rendu aux disparus, tels que les défunts Guinoun, Bendali, Bentaleb, Abdelmoumène et Dr Benatallah à qui revient l’insigne honneur d’avoir bâti, un système de santé intégré et cohérent et dont les retombées sont encore palpables, les absents pour cause d’indisponibilité physique ne furent pas oubliés. Le moment le plus émouvant a, sans doute, été l’évocation de Said Lakel, premier chef d’établissement en post indépendance. Chargé de remettre le présent au fils de son ancien et défunt responsable ramené spécialement de Bou Saada, Ammi Derradji, doyen des anciens infirmiers saisi par l’émotion, ne put contenir ses larmes. Avec Nia et le défunt Naâs, ils auront été sur tous les fronts ; la sous médicalisation patente de l’époque leur faisait faire des prouesses inimaginables. Qu’ils trouvent ici, la reconnaissance de cette multitude de petites gens qui, après les affres d’une longue guerre de décolonisation, se sont trouvées face au dénuement social et à la précarité sanitaire. Les jeunes cadres issus pour certains, de grandes écoles et qui président, actuellement, aux destinées du secteur, doivent assurément mesurer et à sa juste valeur, la déshérence matérielle et psychologique dans lesquelles se débattaient leurs ainés. La cérémonie, haute en couleurs, n’a pas manqué de susciter les commentaires les plus inattendus et de satisfaire à la curiosité de beaucoup sur certaines personnes qu’on ne connaissait que par ouï-dire.
30 juillet 2013
Farouk Zahi