Didier Billion, directeur adjoint de l’Iris, a publié il y a peu une tribune «Quelques réflexions de Paris, d’un ami de la Turquie». On partage avec lui à la fois l’amitié portée à ce pays, à son peuple et les réflexions menées. Comme dans toutes évolutions qu’on connut depuis le «printemps tunisien», c’est la soudaineté et l’ampleur de la contestation civile qui a surpris : « Le mouvement en cours n’avait été prévu par personne, remarque le chercheur, si durant ces dernières années, divers mouvements de contestation sociale s’étaient manifestés en Turquie, aucun d’entre eux n’était parvenu à se développer». Pourquoi celui parti du petit parc de Gezi s’est-il répandu aussi vite et a pris une telle ampleur ? «Probablement parce qu’il est l’expression d’un mécontentement latent d’une partie de la population turque qui conteste les décisions de la majorité parlementaire et surtout la façon de gouverner du Premier ministre» répond Didier Billon.
Les obligations du choix de la démocratie
Le même chercheur reconnaît d’emblée que la Turquie est un état démocratique et que le pouvoir actuel dispose d’une légitimité électorale indubitable. De même, le bilan de l’exercice du pouvoir de l’AKP, le parti au pouvoir «a positivement modifié le visage de la Turquie du point de vue des libertés individuelles et collectives, on vit ainsi sûrement mieux aujourd’hui qu’il y a quinze ans mais, remarque Didier Billon, moins bien qu’il y a trois ans». Sur les plans positifs, le chercheur pointe notamment le retour de l’armée turque dans ses casernes alors que les forces militaires faisaient et défaisant les régimes précédemment. L’AKP a également mené une modernisation de l’économie, certes de manière très libérale mais cela a porté ses fruits avec un des meilleurs taux de croissance de l’Europe. «Ce sont ainsi paradoxalement des parties de la population qui ont bénéficié des progrès économiques qui contestent aujourd’hui le pouvoir parce qu’elles refusent la tentative de ce dernier de s’ingérer dans leur vie privée ou d’instaurer un ordre moral qu’elles n’acceptent pas» constate l’universitaire qui pointe la volonté d’une certaine réislamisation du vieil état laïc fondé par Kemal Atatürk.
De même, la démocratie ne s’arrête pas à la majorité gagnée lors d’une précédente élection : «il n’est pas acceptable de prétendre que le gouvernement actuelle représente seule la «vraie Turquie», proteste Didier Billon, ce n’est pas parce que le parti au pouvoir a recueilli près de 50% des voix qu’il est en droit de mépriser ceux qui n’ont pas voté pour lui». Mais le chercheur reste dubitatif sur le débouché politique d’un mouvement très large mais aussi très hétérogène. Rajoutons après lui, la très curieuse initiative européenne avant-hier, de rouvrir les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE après l’avoir ostensiblement boudée pendant six ans. Mais il est vrai que les shows-off internationaux sont toujours étonnants.
Brisbane, en Australie, a ainsi été choisie comme ville d’accueil du sommet du G20 de 2014 et recevra les chefs d’Etat des 20 plus grandes puissances économiques de la planète. Des affiches de présentation de la « nouvelle ville mondiale », ont laissé apparaître trois dirigeants sur un même écran : la chancelière allemande Angela Merkel, le président américain Barack Obama et le Premier ministre turc Recep Erdogan, à tendance autocratiques affirmées. Le segment de la presse turque favorable à Erdogan a particulièrement salué « le choix de mettre la photo du Premier ministre turc aux côtés du président américain représentant la puissance mondiale, et de Mme Merkel choisie à plusieurs reprises comme la femme la plus influente du monde et qui est à la tête de la première économie européenne. Ce n’est pas anodin. Il s’agit-là d’un signe de la reconnaissance de la puissance montante qu’est la Turquie» comme le commente le site Turquie News qui rappelle que ce pays accueillera le sommet du G20 en 2015. No comment.
22 septembre 2013 : élections allemandes
Angela Merkel bénéficie donc aujourd’hui d’une forte audience internationale. A l’issue du sommet du G8, Barak Obama est venu à Berlin pour la seconde fois prononcée un discours «historique». Cinq ans après sa 1ère visite, son succès fut beaucoup plus relatif : deux cent mille Berlinois l’avaient écouté au lendemain de sa première élection, on ne comptait que 1600 «invités» pour la seconde démonstration. L’hommage de ce dernier à Angela Merkel n’en est pas moins évident. Si le Président américain, les yeux rivés vers l’Asie, s’intéresse peu à l’Europe, il est fermement convaincu que l’Allemagne est le principal partenaire et le seul pays «sérieux» de l’UE.
La présence de l’exécutif américain a constitué également un agréable coup de pouce à la chancelière allemande en pleine campagne électorale pour sa réélection, le 22 septembre prochain. « Les amis sociaux-démocrates allemands de François Hollande s’éloignent chaque jour un peu plus du pouvoir, alors que la date des élections législatives se rapproche. À moins de cent jours du scrutin du 22 septembre, la stratégie électorale centriste d’Angela Merkel semble porter ses fruits», note l’Express. La chancelière est plus forte que jamais. Depuis déjà plusieurs semaines, sa réélection semble ne pas faire de doute. Et selon un récent sondage, elle ne serait pas obligée de partager le pouvoir avec le SPD, sa coalition de centre droit ayant de bonnes chances d’être reconduite en Allemagne . Son parti, le CDU-CSU recueillerait ainsi 40% des intentions de vote, son allié libéral, 6% et les socialistes allemands piétinent à 22%, dans une campagne menée par Peer Steinbruck, ancien ministre des Finances d’Angela Merkel.
Face au SPD, la chancelière mène une campagne particulièrement habile, en promettant beaucoup : un salaire minimum par branche, un plafonnement des loyers, une hausse des retraites pour les femmes… Mais, contrairement au SPD, elle s’est prononcée contre une hausse des impôts.
C’est l’abondance électorale à l’interne mais la promesse réaffirmée d’une grande rigueur budgétaire et d’austérité salariale pour tous les autres pays européens. Forte de son leadership sur l’UE, Angela Merkel, lors de sa campagne aurait même mis un bémol sur l’idée de la nécessite d’une construction fédérale européenne, lui préférant la vieille thématique française de la «Fédération d’états-nations», minorant le rôle du Parlement et de la Commission européenne, au grand dam de celle-ci.
Puissante, voire légèrement euphorique, Angela Merkel va poser des problèmes à François Hollande qui pour l’instant a veillé à éviter tous motifs d’affrontements. Jusqu’à quand ? Une situation difficile pour le président français qui doit de surcroît affronter une opinion publique de plus en plus sceptique sur l’Union européenne.
Les Français croient de moins en moins en l’Europe
Ce sondage BVA a été réalisé pour l’IRIS en collaboration avec le Parisien-Aujourd’hui en France. Trois principaux enseignements :
1) Les Français vivent en ce moment un véritable désenchantement à l’égard de l’Europe : jamais depuis 10 ans que BVA teste cette question la part des personnes percevant la construction européenne comme une source d’espoir n’avait été aussi faible. Elle se situe désormais à 38% (contre 37% qui voient l’Europe comme une source de crainte) alors qu’elle était de 50% il y a un peu plus d’un an, en décembre 2011.
2) La fracture entre ceux qui se perçoivent comme les gagnants et les perdants de la construction européenne est désormais spectaculaire : les seniors, les cadres, les urbains, les personnes disposant de hauts revenus, les sympathisants des partis de gouvernement et notamment du PS, chez les Verts et les centristes voient encore majoritairement l’Europe comme une source d’espoir, alors que les jeunes actifs (25-34 ans), les ouvriers, les « rurbains », les personnes aux revenus moyens-inférieurs, et les sympathisants de l’extrême-gauche comme de l’extrême-droite (ainsi que les personnes apolitiques) la voient très majoritairement comme une source de crainte.
3) En revanche, tous s’accordent sur un point : pour 75% contre 25% des sondés, l’UE a été nettement plus inefficace qu’efficace (75% contre 25%). Spectaculaire par son ampleur, ce désaveu est aussi terriblement consensuel. Même les catégories pro-européennes jugent l’action de l’UE «inefficace» : les cadres ( à 74%) des Français disposant de hauts revenus (à 75%), des seniors ( à 75%)
La crise économique, la montée du chômage, le spectre de la pauvreté y sont pour beaucoup. Les Français, éternels râleurs, sombrent-ils dans un profond pessimisme, endémique dans ce pays ?
Alors, qui sont les pauvres en Europe ?
Intéressante, cette de l’IFRI sur «la pauvreté en Europe». Qui est pauvre dans la plus riche zone du monde ? L’étude réalisée par un chercher allemand, Christoph Schröder, montre que le revenu moyen des revenus et des ménages, pays par pays ne suffit pas. L’immense majorité des Européens bénéficieront toujours d’un cadre de vie supérieur à un grand nombre de populations d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine. Mais cela n’empêche pas le développement de poches de pauvreté inquiétantes dans le Vieux Continent.
Les écarts de revenus sont connus de façon statistiquement objective mais la pauvreté est également une notion subjective pour chacun quand chaque fin de mois devient une épreuve difficile, quand les solidarités familiales n’existent plus. Les statisticiens européens ont donc mêlé à une statistique objective, la «pauvreté monétaire de revenue», fixée par les autorités européennes à moins de 60% du revenu médian dans chaque pays, à d’autres critères comme la «pauvreté monétaire subjective», par lequel chacun définit son degré de pauvreté ou des indicateurs comme la «privation matérielle» (absence de biens ou services essentiels) ou les «difficultés financières» à court ou long terme. Tous les indicateurs néanmoins désignent sur l’ensemble européen le plus souvent parmi les pauvres, « les personnes seules et les personnes issues de l’immigration, mais surtout les familles monoparentales et les chômeurs comme les groupes les plus en difficulté. La pauvreté persistante ou la privation matérielle sont particulièrement liées à la situation sur le marché du travail» notre le chercheur. On pouvait s’en douter un peu.
De même, l’étude qui porte sur l’Union européenne et ses 27 pays adhérents ne surprend pas dans ses conclusions générales : «ce sont la Suède, le Danemark, la Finlande le Luxembourg, les Pays-Bas et dans une moindre mesure l’Autriche qui présentent des taux de pauvreté les plus faibles. Les pays les plus touchés sont la Lettonie, la Grèce, la Bulgarie et la Roumanie».
Mais l’étude des différents tableaux révèlent quelques surprises.
On peut décomposer la liste de la pauvreté en trois groupes de neuf pays. Dans le peloton des pays où la pauvreté est la plus faible, l’Allemagne ne situe qu’au 7ème rang, suivi par le Royaume-Uni et la France. Dans les pays médians, on a la surprise de constater que l’Espagne (au 15ème rang) compte proportionnellement plus de pauvres que la république tchèque (10ème), la Slovénie, la Slovaquie ou même Malte. Et dans les pays qui comptent le plus de pauvres, on découvre avec un peu de stupeur, le Portugal (19ème rang), la Pologne (20ème rang) et l’Italie (21èmerang) !
L’étude des tableaux comparatifs s’avère également très instructive. Ainsi, la «pauvreté objective» est plus forte en Allemagne et en Angleterre qu’en France mais elle est mieux vécue du point de vue de «la pauvreté monétaire subjective». A l’inverse les Tchèques qui bénéficient d’une situation plutôt privilégiée (10ème rang) sont très inquiets, rejoignant dans le classement des «très pessimistes», la Pologne ou la Grèce. Dans les stats comparatives, les Français et les Portugais seraient les plus lucides entre le ressenti et la réalité
29 juillet 2013
Pierre Morville