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La contribution des hallaba au marché commun maghrébin : pétrole contre drogue par Mourad Benachenhou

29 juillet 2013

Mourad Benachenhou

L’économie des frontières terrestres interétatiques pose des problèmes spécifiques qu’il est aussi difficile d’appréhender que de résoudre. 

Les zones frontalières sont, quelque puissants que soient les Etats se partageant ces frontières, des aires où se développe toute une économie parallèle échappant plus ou moins au contrôle des autorités institutionnelles officielles. Les états limitrophes peinent à imposer leurs normes, quelques soient les moyens humains, techniques ou légaux dont ils disposent.

UNE SITUATION DE HORS LA LOI COMMUNE AUX ZONES FRONTALIERES TERRESTRES

Ce type de situation , que l’on peut considérer comme caractéristique des zones frontalières terrestres à travers le monde, est d’autant plus sérieux que les économies des pays limitrophes différent l’une de l’autre en termes de niveau de développement, de politique économique, de ressources naturelles, de politique monétaire et de politique des changes, de taux d’inflation, comme de réglementations en matière de commerce international, comme de législation douanière. Il se développe, dans ces zones, des activités commerciales clandestines, dont l’objectif principal est, pour ceux qui les conduisent, de tirer profit des avantages comparatifs des deux économies qui se partagent une frontière terrestre commune, et de la différence de prix entre les biens transportables d’un pays à l’autre. Cela va des transferts illicites de fonds du pays à taux de change surévalué et à taux d’inflation élevé au pays à taux de change équilibré et à faible taux , d’inflation, en passant par l’introduction de marchandises faiblement taxées dans un pays vers le pays où cette taxation est forte, sans oublier l’écoulement de produits subventionnés dans un pays vers le pays où leur prix est libres .

LA CONTREBANDE : UNE ACTIVITE OPPORTUNISTE

La contrebande est une activité particulièrement opportuniste, et la recherche du gain rapide est sa seule motivation ; donc la nature des produits transférés illicitement d’un pays à l’autre, à travers les frontières terrestres communes, change avec l’évolution de l’économie dans chacun de ces pays, avec les transformations dans les besoins des populations en cause, avec les modifications dans les revenus des populations des deux côtés des frontières. Le contrebandier, par définition, est indifférent aux intérêts stratégiques et politiques qui déterminent les échanges commerciaux, et est à la recherche de toute occasion de faire rapidement fortune, que cela porte ou non préjudice économique, social, ou sécuritaire au pays dont il assume la citoyenneté. Quelle que soit la marchandise objet de la contrebande, ce qui compte n’est pas sa nature particulière ou le besoin qu’elle est censée satisfaire chez son consommateur, c’est essentiellement le rapport bénéfice/prix qu’elle génère.

Plus le rapport est élevé, plus le risque que le contrebandier est disposé à accepter en faisant commerce du produit en cause est fort, plus son incitation à commercer clandestinement de ce produit est aigüe.

LES AVANTAGES EMPOISONNES DE LA CONTREBANDE TERRESTRE

Souvent, les états, incapables de mobiliser les ressources nécessaires pour développer leurs zones frontalières, ferment les yeux sur le commerce illicite qui est d’autant plus florissant qu’il échappe à tout contrôle fiscal ou de qualité et qu’il draine des produits à forte capacité de générer des bénéfices. Des arguments de type social sont alors avancés pour justifier cette politique de laissez-faire poursuivie par certains pays à l’égard de leurs zones frontalières. Ce commerce, tout illicite qu’il soit, à selon les autorités de ces pays, l’avantage de fournir des emplois, donc de contribuer à la réduction du chômage, d’approvisionner en produits de consommation à faible prix des populations en général éloignées des régions de production ou des zones portuaires où ces produits sont débarqués, lorsqu’ils sont importés.

Ainsi peut-on lire dans une étude consacrée à ce sujet et portant sur l’Afrique de l’Est-ce qui suit :

« Le commerce informel transfrontalier reste un secteur très important en Afrique en général et dans la région du Marché commun d’Afrique orientale et australe (COMESA) en particulier. Il contribue à la croissance économique, la création d’emplois et la sécurité alimentaire pour une majeure partie de la population de la région. Selon les estimations de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) en 2009, 20 à 75% de la population africaine est employée dans le secteur informel, dont le commerce informel transfrontalier fait partie. L’OCDE (2003) estime que le commerce informel transfrontalier est une source de revenu pour environ 43% de la population africaine avec une forte présence des femmes qui représentent 70% dans ce secteur. Les raisons majeures qui justifient le développement du commerce informel transfrontalier ont été largement documentées par diverses études en Afrique. Plusieurs facteurs sociaux, économiques, naturels et politiques expliquent la grande vitalité de ce commerce. (dans : Daniel Njiwa : »Commerce informel transfrontalier dans la zone COMESA: opportunités et risques du régime commercial simplifié» ; Passerelles • Volume 14 • Numéro 1 • Mars 2013) »

La tentation est grande parmi les autorités officielles de ne pas intervenir pour mettre fin à cette situation de non-état à leurs frontières. Sommes toutes, les contrebandiers ne font que profiter des distorsions dans la formations des prix, distorsions créées par les politiques économiques, sociales et monétaires mises en œuvre dans les pays qui se partagent des frontières terrestres.

Ces mêmes contrebandiers facilitent également l’approvisionnement réciproque des populations frontalières en produits à meilleur marché dans le pays voisin ; de plus ils fournissent des opportunités d’affaires à ceux qui ont l’esprit d’entreprise et sont disposés à prendre des risques pour récolter des bénéfices élevés et créent des emplois au profit des petites mains chargées de redistribuer les produits introduits en fraude dans le territoire voisin. Bref ,selon cette approche, la population tout comme les autorités officielles gagneraient à fermer les yeux sur des transactions commerciales certes illicites, certes échappant aux contrôles du fisc et des services douaniers, transactions qui assurent un minimum de tranquillité sociale dans les régions frontalières en général pauvres en ressources naturelles et offrant peu d’opportunités de travail à la population locale.

LES LONGUES FRONTIERES TERRESTRES ALGERIENNES

L’Algérie a le désavantage d’avoir des frontières terrestres particulièrement longues, qu’elle partage avec 7 pays sur trois points cardinaux aux niveaux de développement et aux ressources naturelles très différentes d’une frontière à l’autre et plus ou moins éloignées des centres de décision et d’approvisionnement localisés entièrement au nord du pays. Selon les caractéristiques économiques propres à chacun de ces pays frontaliers, le flux de marchandises venant du territoire algérien vers ces pays ou en provenance de ces pays, change de contenu et d’intensité. Ce n’est pas un secret que tous les produits alimentaires subventionnés trouvent un chemin dans les marchés africains limitrophes subsahariens et ce, depuis des décennies, du sucre à la farine, en passant par le lait en poudre. A la frontière Est-ce sont les produits alimentaires subventionnés ou non qui forment une bonne partie des transactions, mais le plus important est le trafic des carburants en provenance de l’Algérie et écoulés par les contrebandiers en Tunisie, la contrepartie étant essentiellement les cigarettes et les produits électroniques.

La frontière terrestre la plus longue est celle que l’Algérie partage avec le Maroc : elle est de 1559 kms, suivant les documents de ratification établis, et donc officialisés par les autorités des deux pays. Cependant la majeure partie des populations sur ces frontières se concentre sur une distance d’environ 50 kms, s’étendant, du côté algérien de Marsa bel Mhidi à Zouj Bghel. Cette frontière nord-ouest a toujours été la principale zone de contrebande entre l’Algérie et le Maroc au temps de la période coloniale.

DU TRAITE D’ALGESIRAS ET DE LA CONTREBANDE

En 1906, un groupe de 12 pays occidentaux a imposé au royaume du Maroc, et de manière unilatérale, un accord, appelé « Traité d’Algésiras, » forçant ce pays à introduire des réformes économiques et à ouvrir son marché, en acceptant, entre autres, de frapper d’une taxe de 10 pour cent, majorée d’une taxe supplémentaire de 2,5 pour cent, tous les produits en provenance de ces pays. Le paradoxe est que ces pays avaient négocié entre eux cet accord, ont été les seuls à le signer et ont forcé le Maroc à le ratifier sans réserve alors qu’il était partie officielle aux négociations.(le cynisme des ces grandes puissances apparait à travers le texte de cet accord, supposé garantir l’indépendance du Maroc, et qui peut être consulté sur le site ci-après : http://historicaltextarchive.com/sections.php?action=read&artid=28)

A noter que ce traité international, dans son article 72, légalisait les drogues au Maroc

Cet article vaut la peine d’être reproduit intégralement :

« Article 72 : L’opium et le kif continueront à faire l’objet d’un monopole au profit du Gouvernement Chérifien. Néanmoins, l’importation de l’opium spécialement destiné à des emplois pharmaceutiques sera autorisée par permis spécial, délivré par le Makhzen, sur la demande de la Légation dont relève le pharmacien ou médecin importateur.

Le Gouvernement Chérifien et le Corps Diplomatique régleront, d’un commun accord, la quantité maxima à introduire. » L’Algérie faisant alors partie du pacte colonial qui permettait l’entrée sur son territoire des biens produits dans les colonies en exemptions de droits et taxes (ou avec des taxes fortement minorées par rapport à celle qui les frappaient même en métropole), et une fois bien établi le protectorat français sur le territoire marocain, les contrebandiers ont vite saisi l’opportunité que leur offraient ce différentiel de traitement fiscal des marchandises introduites au Maroc et provenant des pays signataires de l’accord, par rapport aux marchandises introduites par le pacte colonial sur le territoire algérien. La contrebande du côté marocain portait essentiellement sur les produits industriels à grande consommation, -comme les montres, les postes radios portatifs, les thé, épices et autres produits tropicaux étant fournis en contrepartie par les contrebandiers algériens.

UNE DIVERSIFICATION DE LA CONTREBANDE

Au fil des années, et avec l’évolution des économies des deux pays, avec l’accroissement du revenu des populations comme de leur nombre, des deux côtés des frontières, les produits introduits en contrebande d’un pays vers l’autres, se sont diversifiés, et avec l’accroissement du revenu des populations, des deux côtés des frontières.

Les fluctuations des différentiels de taux de change entre le dinar et le dirhem et de taux d’inflation, ont rendu des produits algériens meilleur marché pour les Marocains et vice-versa.

De plus, certains produits de grande qualités, comme les moutons algériens des hauts plateaux, continuent à faire partie des marchandises particulièrement profitables pour les contrebandiers des régions subsahariennes.

LA FERMETURE DES FRONTIERES, UNE AUBAINE POUR LES HALLABA

La fermeture officielle des frontières ouest, en application depuis 1994, a accru le champ d’action des contrebandiers, en leur ouvrant le marché des produits pétroliers pour lequel les occasions de faire de l’argent étaient faibles auparavant, et dont seuls profitaient les transporteurs publics en provenance du Maroc qui pouvaient faire leur plein à chacun de leur déplacement sur le territoire algérien et n’avaient aucune raison de stocker et de revendre un produit largement disponible.

Les hallaba, ou contrebandiers des carburants, dont, avant cette fermeture des frontières, le volume des transactions était plus ou moins limité par la libre disposition du carburant et qui s’étaient déjà enrichis alors en servant quelques stations services marocaines frontalières, ont vu leurs perspectives s’élargir et l’opportunité de se faire plus d’argent ne leur a pas échappé.

En effet ils prenaient non seulement la place des stations services algériennes qui approvisionnaient légalement les transporteurs publics marocains, mais gardaient leur clientèle traditionnelle des stations services marocaines frontalières. Ils avaient le capital nécessaire pour acheter les camions et grosses voitures destinées à leurs transactions, mais également pour les modifier en vue de transporter à travers les frontières poreuses plus de carburants vers leurs clients marocain.

CONSEQUENCES ECONOMIQUES, SOCIALES ET SECURITAIRES DU COMMERCE DES HALLABA

Le trafic transfrontière des carburants a créé une situation quasi permanente de pénurie pour ceux des citoyens comme des transporteurs publics qui s’approvisionnent pour leurs propres besoins, mais a également transformé les propriétaires de stations services en auxiliaires et complices des hallaba, leur donnant la préférence sur les clients non impliqués dans ce trafic.

On a vu également se développer des stations services clandestines à travers le territoire frontalier, petites activités artisanales menées par des personnes qui achètent les carburants au jerrycan et l’entreposent dans leurs maisons pour le revendre à des prix supérieurs aux prix fixés par les règlements.

Outre les effets négatifs du commerce des hallaba sur la redistribution des carburants, Il n’y a pas un secteur de l’économie de la région frontalière en cause qui ne soit pas influencé par ce complexe de contrebande des carburants qui s’est mis en place et s’est développé depuis la fermeture des frontières. La pénurie de main d’œuvre dans le secteur des bâtiments comme dans l’agriculture, l’abandon de la production agricole dans une région particulièrement bien pourvue en terres fertiles et en eau, la spéculation immobilière et foncière qui a atteint un niveau d’intensité sans précédent, le ralentissement des investissements industriels productifs, et toutes les autres distorsions et maux sociaux dont souffre la région, peuvent être attribuées au développement sans frein de la contrebande, et plus spécifiquement de celle qui draine le plus d’argent, c’est-à-dire la contrebande des carburants. Par définition, la contrebande est une activité sans comptabilité et donc sans statistiques ; mais pour ce qui est des carburants, il est aisé de savoir quelles quantités sont livrées aux stations services et quelles quantités aux 100 kilomètres sont normalement consommées par les parcs autos de la région ; on peut alors déduire de ces chiffres les quantités sorties en contrebande du territoire national et les bénéfices qu’en tirent les contrebandiers qui, d’ailleurs , ne se cachent même plus, et dont on peut observer les véhicules de toute contenance circuler, en toute quiétude, sur la route de Mersa Bel Mhidi à Zouj Bghel, jour et nuit.

LE LIEN AVEC LE TRAFIC DE LA DROGUE

On constate que le trafic de la drogue, déjà endémique en période normale dans la région, s’est brusquement accéléré depuis la clôture des frontières et prend des allures inquiétantes depuis quelques temps. Ce trafic, qui implique des mobilisations de fonds en proportion avec les quantités frauduleusement introduites sur le territoire national, ne peut être effectué que par des personnes dont les activités drainent de grosses sommes en dirhem. Les seuls à disposer du capital nécessaire pour ce genre de trafic ne peuvent être que les hallaba. On imaginerait difficilement le petit porteur de valises, qui introduit en fraude quelques produits de consommation courante algériens sur le territoire marocain, réunir les fonds nécessaires en dirhems, pour acheter une tonne de hachich rifain ; il n’a pas les moyens de transport qu’a le hallab, doublant ses bénéfices grâce au duo trafic de carburant-trafic de drogue, qui peut livrer son carburant et transporter au retour la drogue.

En conclusion

Il est surprenant que ce problème d’ampleur national, et qui pose, -si l’on en croit les affaires de découvertes de grosses quantités de drogues reportées par la presse nationale,- un sérieux problème de sécurité et de santé publique, soit traité comme une affaire locale qui pourrait être réglée en sanctionnant également le citoyen respectueux de la loi et le contrebandier qui la viole ouvertement et doublement, trafiquant à la fois de carburant et de drogues.

La création d’un marché commun maghrébin, plusieurs fois annoncés, constitue évidemment la seule solution à ce phénomène de contrebande, qui ne saurait être exclusivement combattu par la répression ; Mais, en attendant que la sagesse l’emporte sur les germes de division qui ne manquent pas, faut-l laisser les hallaba maintenir leur main mise sur le commerce inter-frontalier et imposer leur solution qui est de construire le Maghreb économique sur le dos de l’Algérie et sur la base de l’échange du pétrole contre la drogue ?

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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