Lu cette fin de semaine dans le journal confrère El Watan : «La situation au sein de notre ministère a malheureusement atteint un seuil qui n’encourage pas à travailler. Les promotions au sein de l’administration centrale et à l’extérieur sont devenues quasi impossibles en raison du monopole des postes que se partagent certaines personnes qui refusent de partir en retraite». C’est le syndicat des Affaires étrangères qui parle. «Est-il raisonnable que plus de 100 cadres supérieurs de plus de soixante et soixante-cinq ans, qui devraient partir en retraite, si la loi était appliquée en toute objectivité et transparence, sont toujours en poste. Cela permettrait d’ouvrir des horizons devant les générations et leur donner un brin d’espoir», ajoutent les arrière-petits-fils de l’Indépendance. Du coup, menace de grève contre les anciens qui ne veulent pas partir, donner, céder, transmettre, accepter et rester dignes. Et c’est un peu partout de même : à la Présidence, au Sénat, les ministères, la diplomatie, etc. On parle souvent de Bouteflika mais c’est toute sa génération qui veut un 4ème mandat et pas uniquement lui. C’est toute la génération 54 qui persiste à croire que le pays c’est elle et que sans elle c’est le désert. Une doctrine quasi mystique du gardiennage, du droit d’aînesse et de cuissage et de la souveraineté personnelle. Le conflit entre cette génération qui ne veut rien céder et la suivante s’accentue, devient une tension vive, une crise et un aveu depuis quelques années : ce n’est pas la démocratie qui nous arrachera, mais la mort. Une mentalité féodale sert déjà d’idéologie de race supérieure à certains : nous sommes les libérateurs du pays, donc ses protecteurs (contre lui-même), ses propriétaires et ses uniques héritiers. Les Autres nés sont une menace par le nombre et la cupidité. Si on leur donne le pays, ils le revendront. Si on leur cède le Pouvoir, ils nous mangeront. Vision terrible de l’instinct de survie contre la loi de la transmission. Trouble incroyable de la filiation. Le fils n’est pas vu comme une perpétuation mais comme une dévoration. Et cela a fini par créer de la violence : les Algériens se sentent colonisés (encore une fois) par une génération de décolonisateurs qui veut perpétuer son épopée jusqu’à ce qu’il ne reste plus un arbre debout, ni une seule rue sans nom de martyr.
Risible voyage contre le futur : en 65, on pouvait être ministre des Affaires étrangères à la sortie de l’adolescence. Et c’est au même ministère des AE qu’aujourd’hui la caste ne veut pas prendre sa retraite, laisser un peu d’air et d’espace et se reconduit sans cesse entre amis et copains. Les convictions de cette génération ne sont plus politiques depuis longtemps, mais participent de l’ordre du trouble profond, de la peur de la mort, de la haine contre le temps qui passe et le nouveau-né qui pousse. Comme si ceux qui ont sacrifié leur jeunesse (officiellement) en veulent à ceux qui en jouissent aujourd’hui sans sacrifices semblables. Haine de soi et de l’autre. Haine du temps qui vous pousse à passer. Amertume.
Le vieillissement est noble art partout. Sauf en politique. Là, il signifie seulement cupidité.
26 juillet 2013
Kamel Daoud