A lui seul, un homme de 65 ans, résidant à la cité s’acharne à rendre plus acceptable l’espace censé s’apparenter à un lieu de détente et de repos. Ce jardin qui dans le temps servait d’assiette foncière à quelques baraques alignées et ceinturées datant de l’époque coloniale s’est vu, juste après l’indépendance, voire des 1980 transformer en un espace vert. Il avait fait objet à d’innombrables tentatives de détournement pour le morceler et en faire des lots marginaux, lorsque la frénésie du R plus X faisait des siennes. Sans l’opiniâtreté et le combat des riverains, il aurait été « mangé ». Au fil du passage des successives mairies, il a connu par ailleurs plusieurs actions d’entretien et de réhabilitation. Les unes et les autres, intervenant pratiquement à chaque nouvelle mandature, n’avaient pu lui faire imprégner ce cachet imprescriptible de délassement et de loisirs. Par faute de gardiennage permanent et de suivi régulier, il sera livré la nuit à des veillées répréhensibles où se mêlent tout genre d’interdits. Le jour à des actions inciviles.
Rachid Soukhal, dit « Chkoukou », est connu dans la ville parmi ceux qui dans le temps faisait rêver les mômes que nous étions eu égard à leur dynamisme, leur punch et leur impeccable look suivant en tout temps la mode. Rachid est un bon vadrouilleur. A un moment récent, il utilisait sa Vespa, muni d’un frêle matériel de pêche et en compagnie de son ami de toujours, Farid, il arpentait les gorges de Kherrata, de Sétif à Tichy pour s’adonner à sa passion. Il garde en permanence cet air de marin, s’habillant en blanc rayé et azuré. Le Bleu-Shanghai est aussi une marque déposée chez Rachid.
Comme il habite à côté de ce jardin et voyant la dégradation qui s’opère au fil du temps et de jour en jour, il signa, il y a presque deux mois, une pétition adressée par plus de 200 citoyens riverains aux autorités locales, les exhortant à la prise d’actions urgentes afin de sauvegarder ce lieu encore vulnérable aux tentations et aux convoitises. Déjà que la cité des cheminots, connaît à chacun de ses coins et à une vitesse accrue un chantier destiné à la « promotion » immobilière. Si l’élan sauvagement urbanistique en hauteur continue, il n’y aurait plus de soleil, plus de clarté déjà que les lilas d’antan ont bien disparu depuis fort longtemps. La voracité urbanistique a gagné en largeur et en hauteur. Toute surface tombée dans les serres irrésistibles d’un héritage forcé. Contraints à l’aliénation du bien en vieille bâtisse, ils sont guettés par des vautours à la recherche du moindre mètre carré sans rechigner sur le prix et en font de hideux bâtiments enrobés sous la forme juridique de promotion immobilière. Ainsi l’autorité est tenue de jeter un regard sur les permis et autorisations délivrés à la légère. Si la hargne continue sur ce rythme, dans peu de temps il n’ y aura qu’une cité de 1000 logements au lieu et place d’un site résidentiel de quelques villas.
Ne voyant rien venir de la part des autorités concernées, il entreprit seul, à l’aide d’une banale pioche, des graines végétales payées de sa poche, quelques plants offerts par les voisins à prendre l’affaire en main. « On ne demande rien de spécial, l’on veut juste que nos vieilles et nous-mêmes y trouvent ici un agréable endroit, plein de verdure, d’ombre et de quiétude », affirme-t-il tout heureux mais non moins frustré. Les voisins diront qu’il n’y a pas de gardiens pour cet endroit. « Je suis prêt à prendre bénévolement le gardiennage et tout l’entretien du jardin, pourvu que l’autorité soit au courant », nous assène-t-il étant en plein travail de conservation et de désherbage.
Ceci est un spécimen de la bonne volonté des gens à vouloir mieux vivre, à vouloir exercer effectivement cette politique tant prônée de la gestion participative de la ville. Il ne doit pas passer sous silence. Il ne devra pas être freiné ni découragé. Tous les services de la mairie doivent lui prêter main forte et pourquoi ne pas en faire un exemple à suivre dans toutes les cités où jardin public est. Cet exemple citoyen est à encourager, voire conforter et affermir. Rachid, en ce début de ramadhan, tend à offrir à ses concitoyens une beauté, une nature et un haut sens de l’écologie. Merci l’artiste.
25 juillet 2013
El Yazid Dib